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Dossier : 2013-3484(EI)

ENTRE :

KASSEM MAZRAANI,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET

SERVICES FINANCIERS INC.,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 29, 30 et 31 août et
les 1er et 2 septembre 2022, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Guy R. Smith


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Emmanuel Jilwan

Avocats de l’intervenante :

Me Yves Turgeon

Me Amélya Garcia

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté en application du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté, sans dépens, et la décision rendue le 1er août 2013 par le ministre du Revenu national est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d’octobre 2022.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith


Référence : 2022 CCI 109

Date : 20221004

Dossier : 2013-3484(EI)

ENTRE :

KASSEM MAZRAANI,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET

SERVICES FINANCIERS INC.,

intervenante.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

I. Aperçu

[1] Kassem Mazraani (l’« appelant ») a travaillé comme agent d’assurance pour la compagnie Industrielle Alliance, Assurance et Services Financiers inc. (« IA ») du 10 avril 2012 au 23 novembre 2012. À la suite de la résiliation de son contrat, il a demandé qu’une décision soit rendue quant à savoir si son emploi était assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996 ch. 23 (la « LAE »).

[2] Dans une lettre datée du 1 août 2013, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a informé l’appelant qu’il avait été déterminé que son emploi n’était pas assurable, car [traduction] les « exigences d’un contrat de louage de services n’avaient pas été satisfaites » et qu’il « n’existait pas de relation employeur-employé ».

[3] C’est cette décision qui est portée en appel auprès de notre Cour. IA participe à l’appel à titre d’intervenante (l’« intervenante ») pour étayer la thèse du ministre.

[4] La seule question en litige sur laquelle notre Cour doit statuer est de déterminer si l’appelant occupait un emploi assurable en conformité avec les dispositions de la LAE ou s’il était un entrepreneur indépendant lié par un contrat d’entreprise.

II. Hypothèses de fait du ministre

[5] En concluant que l’appelant n’occupait pas un emploi assurable, l’intimé s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a) Le payeur [IA] est une compagnie de services financiers et d’assurance de personnes dont l’activité principale est la vente de produits d’assurance vie, d’assurance invalidité et d’assurance maladie;

b) le siège social d’[IA] est situé dans la ville de Québec et l’entreprise compte plusieurs succursales réparties dans l’ensemble de la province de Québec;

c) dans la province de Québec, l’industrie des services financiers et de l’assurance est réglementée par l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF »);

d) pour vendre des produits d’assurance et d’autres produits financiers connexes au Québec, les personnes et les compagnies doivent détenir un permis en règle délivré par l’AMF;

e) l’appelant a été engagé par [IA] à titre de conseiller financier en avril 2012;

f) avant de travailler pour [IA], l’appelant avait travaillé pendant plusieurs années comme planificateur financier dans une autre grande compagnie d’assurances;

g) le permis de l’AMF de l’appelant, au moment de son embauche par [IA], était inactif;

h) entre le 3 avril 2012 et le 7 juin 2012, l’appelant a suivi un cours de formation obligatoire offert par [IA], à raison de deux heures par jour, trois jours par semaine;

i) pour satisfaire aux exigences réglementaires et réactiver son permis de l’AMF, l’appelant devait terminer ce cours de formation;

j) l’appelant n’a pas reçu de rémunération pour avoir assisté à ce cours de formation et l’avoir terminé;

k) le 3 mai 2012, l’appelant et [IA] ont conclu un contrat écrit dont la date d’entrée en vigueur était le 30 avril 2012;

l) ce contrat prévoyait notamment que :

i. l’appelant était autorisé à faire de la sollicitation et à obtenir des demandes pour les divers contrats et services financiers offerts directement ou indirectement par [IA];

ii. l’appelant était responsable de toute somme engagée par [IA] ou un client, ou due à [IA] ou à un client, à cause d’une erreur, de négligence, de fraude, ou de malhonnêteté de sa part ou de l’un de ses mandataires;

iii. l’appelant était rémunéré à même un « fonds » établi par [IA];

iv. l’appelant recevait une rémunération hebdomadaire, sous la forme d’avances sur le solde de ce fonds;

v. le solde de ce fonds était déterminé en calculant les commissions et les primes versées à l’appelant, moins les charges, les avances hebdomadaires et autres frais, dépenses et engagements faits dans l’exécution de ses tâches;

vi. l’appelant resterait redevable à [IA] après la cessation du contrat de tout solde négatif dans ce fonds;

vii. l’appelant était un entrepreneur indépendant et le contrat précisait qu’il ne doit pas être interprété comme établissant une relation employeur-employé entre lui et [IA];

viii. l’appelant a convenu de payer toutes les dépenses engagées dans l’exercice de ses fonctions, y compris mais sans s’y limiter, les dépenses liées à ce qui suit :

- l’obtention ou le renouvellement des permis nécessaires à l’exercice de ses fonctions;

- la souscription ou le renouvellement d’une assurance responsabilité civile professionnelle;

- les cotisations à des associations professionnelles ou autres;

- son lieu d’affaires, y compris les frais de secrétariat et les fournitures;

- les systèmes d’information, les appels interurbains et les télécopies;

- les déplacements, la sollicitation et la publicité;

  • - la formation et le perfectionnement;

ix. l’appelant n’était pas autorisé à :

  • - lier [IA] à quelque promesse ou entente;

  • - engager une responsabilité, quelle qu’elle soit, au nom d’[IA];

  • - utiliser des brochures, publicités ou documents imprimés portant le nom ou le logo d’[IA] qui n’avaient pas été approuvés au préalable par écrit par [IA];

- accepter un risque au nom d’[IA];

- engager [IA] dans une relation, quelle qu’elle soit;

m) dans une lettre d’[IA] en date du 27 avril 2012, l’appelant a également été informé que son contrat de représentation serait résilié s’il ne touchait aucune rémunération pendant cinq semaines consécutives;

n) l’appelant était affilié à la succursale d’[IA] située à Ville LaSalle;

o) les tâches de l’appelant consistaient à faire de la sollicitation et à obtenir des demandes de produits d’assurance d’[IA] auprès d’éventuels clients;

p) l’appelant devait fixer des rendez-vous par téléphone avec des clients éventuels afin de les rencontrer pour leur présenter et leur vendre les produits offerts par [IA] ou d’autres compagnies affiliées;

q) ces rencontres se déroulaient souvent à la résidence du client;

r) l’appelant avait accès à un bureau à cloisons à la succursale de Ville LaSalle d’[IA], duquel il pouvait également travailler;

s) l’appelant était tenu de transmettre à [IA] la totalité des demandes d’assurance qu’il obtenait de clients éventuels;

t) l’appelant était rémunéré exclusivement à la commission;

u) l’appelant avait droit à des avances sur ces commissions;

v) pour chaque vente conclue de produits d’[IA], l’appelant recevrait un pourcentage de la valeur totale du contrat d’assurance;

w) l’appelant n’était pas sous le contrôle direct d’[IA];

x) [IA] ne supervisait pas la quantité de travail fait par l’appelant ni sa qualité, si ce n’est que de veiller à ce que l’appelant respecte les exigences législatives et réglementaires;

y) [IA] ne dictait pas à l’appelant la manière dont il devait s’acquitter de ses tâches;

z) [IA] n’a pas attribué un territoire précis à l’appelant;

aa) [IA] n’a pas fourni à l’appelant une liste de clients à contacter;

bb) l’appelant déterminait son propre horaire de travail;

cc) [IA] ne contrôlait pas les heures travaillées par l’appelant, ni ses absences;

dd) la présence de l’appelant dans les bureaux d’[IA] n’était ni obligatoire, ni surveillée;

ee) l’appelant n’avait pas droit à des vacances ou à des congés de maladie payés par [IA];

ff) l’appelant était tenu de payer sa propre assurance responsabilité civile professionnelle;

gg) l’appelant avait l’option d’utiliser son propre ordinateur ou d’en louer un d’[IA];

hh) l’appelant louait un ordinateur portable d’[IA] pour son travail;

ii) les frais de location de l’ordinateur étaient déduits toutes les semaines du fonds de rémunération de l’appelant;

jj) l’appelant devait utiliser son propre véhicule pour ses déplacements liés à son travail pour [IA];

kk) [IA] ne versait aucune rémunération ou indemnité à l’appelant pour l’utilisation de son véhicule;

ll) l’appelant courait la chance de réaliser des bénéfices ou risquait de subir des pertes en fournissant des services à [IA];

mm) l’appelant n’avait aucune garantie de revenu stable en travaillant pour [IA];

nn) l’appelant devait assumer toutes les dépenses engagées dans l’exécution de son travail pour [IA];

oo) l’appelant n’a reçu d’[IA] aucune rémunération ni indemnité pour les dépenses liées à son travail;

pp) advenant que des polices pour lesquelles l’appelant avait reçu une commission étaient annulées dans un certain délai après leur entrée en vigueur, l’appelant était tenu de rembourser à [IA] une somme calculée au prorata de la commission qui lui avait été versée à la vente de ces polices;

qq) [IA] a émis un feuillet T4A (état du revenu d’autres sources) au nom de l’appelant pour l’année d’imposition 2012;

rr) [IA] a déclaré que l’appelant avait gagné 7 084,91 $ en commissions d’un travail indépendant;

ss) [IA] n’a effectué aucune retenue à la source sur le revenu de l’appelant au titre de l’impôt sur le revenu, de l’assurance-emploi ou du Régime des rentes du Québec;

tt) sur sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2012, l’appelant a déclaré un revenu brut de commissions d’un travail indépendant de 7 084 $;

uu) l’appelant a déclaré avoir engagé des dépenses de 7 098 $ pour gagner le revenu que le payeur lui avait versé en 2012;

vv) l’appelant a déclaré une perte nette de 14 $ sur le revenu de commissions que le payeur lui avait versé en 2012.

III. Le contexte factuel

[6] L’appelant a témoigné pour son propre compte. L’intervenante a convoqué plusieurs témoins, dont Bruno Michaud, Yves Charbonneau, Stéphanie Woo, Vanessa Charbonneau, Pascale Apold et Éric Leclerc.

[7] En 2002, l’appelant a suivi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada offert par l’Institut canadien des valeurs mobilières. Il a ensuite suivi un programme d’études offert par l’Autorité des marchés financiers du Québec (« AMF ») et, en 2008, il a obtenu les permis requis pour vendre des produits d’assurance et des fonds mutuels. Il s’est joint à la London Life, Compagnie d’Assurance-Vie (« London Life »), où il a travaillé du début de 2009 jusqu’à la résiliation de son contrat en mars 2011.

[8] L’appelant a soumis sa candidature pour un poste au sein d’IA le 21 décembre 2011; au terme d’une procédure d’entrevue menée par un tiers, il a été invité à se présenter aux bureaux d’IA le 2 avril 2012, où il a été accueilli par Éric Leclerc, directeur de succursale, et René Beaulé qui deviendrait son directeur des ventes.

[9] Un bureau et un classeur lui ont été attribués et on lui a remis des clés, un téléphone et une carte d’accès magnétique. Le 3 avril 2012, il a signé un contrat de location d’un ordinateur portable, qui prévoyait des paiements hebdomadaires de 18,05 $ devant être déduits de son compte de commissions (pièce A-19); on lui a également fourni un nom d’utilisateur et un mot de passe afin qu’il puisse accéder au réseau « extranet » d’IA qui était réservé aux agents de vente d’IA (pièce A-18).

[10] Il a reçu une formation sur l’utilisation du téléphone et on lui a présenté des modèles de messages (pièce A-53). On lui a également remis du matériel promotionnel type qu’il pouvait personnaliser en y ajoutant sa photo et ses coordonnées, mais qui avait par ailleurs été uniformisé pour IA (pièce A.54).

[11] Il a aussi suivi un programme de formation de dix semaines à l’intention des « nouveaux » agents de vente, qui consistait en des cours de deux heures offerts trois jours par semaine (pièce A-8). Ce programme portait sur un large éventail de sujets, notamment la prospection de clientèle, les techniques de vente, la gestion du temps, les produits d’assurance, la planification de la retraite et les questions de conformité. IA ne conteste pas le fait que l’appelant a suivi la plupart, voire la totalité, de ces cours. Il existe toutefois un certain désaccord entre les parties quant à savoir si le programme de formation était obligatoire.

[12] De la mi-août à la fin de septembre, l’appelant a suivi 13 cours de formation, à raison d’une à trois heures par semaine. Ces cours étaient destinés à « tous » les agents de vente et leur permettaient d’accumuler des « unités de formation continue », ou « UFC » (pièce A-24). Chaque unité correspondait à une heure de formation reconnue qui devait être déclarée à la Chambre de la sécurité financière (« CSF »). Tous les agents de vente, y compris l’appelant, devaient obtenir 30 UFC par période de 24 mois, à défaut de quoi leur permis d’exercice risquait d’être suspendu. Durant la période pendant laquelle il a travaillé pour IA, l’appelant a obtenu 16 UFC, dont trois portant sur le volet « conformité » (pièce A-24).

[13] Lors de son témoignage, l’appelant a déclaré avoir reçu de fréquents courriels de l’adjoint de M. Leclerc qui lui rappelait d’inscrire des événements à venir à son calendrier (pièce A-41). Bien que les termes utilisés dans ces courriels variaient, il y était souvent mentionné qu’il était « important », et parfois qu’il était « primordial » ou « impératif », d’y assister. La mention, « veuillez prendre connaissance » des événements à venir et les inscrire à votre calendrier, y figurait aussi parfois.

[14] Le programme affiché sur le réseau intranet était continuellement mis à jour. Tous les cours ou modules de formation à venir étaient indiqués. On y trouvait également le nombre de ventes réalisées par tous les agents de la succursale, les champions de la semaine dans diverses catégories de vente, les concours de vente en cours ou à venir, notamment le « concours du président », les prix à gagner et les primes de rendement cumulatives. Une liste des agents de vente qui n’avaient pas assisté au dernier module de formation était également jointe.

[15] Le 29 mai 2012, l’appelant a reçu un courriel l’informant du lancement prochain d’un nouveau logiciel du nom de « Gestion Clients ». Le courriel précisait qu’il était « obligatoire » d’assister à cet événement et que l’on s’attendait à ce que les agents, « sans exception », soient présents (pièce A-40). L’appelant a assisté à cet événement.

La lettre d’offre

[16] Lorsque l’appelant a rencontré M. Leclerc, le 2 avril 2012, il n’était en fait pas autorisé à vendre des produits d’assurance, car son permis d’agent d’assurance était expiré et qu’il devait renouveler son assurance erreurs et omissions, ou assurance responsabilité civile professionnelle.

[17] Le 11 avril 2012, l’appelant a déposé auprès de l’AMF une « demande de certificat de représentant ». Deux représentants d’IA ont signé la demande pour confirmer que l’appelant serait « rattaché » au cabinet « sans y être employé » (pièce R-4-2). L’appelant était tenu d’effectuer un paiement ou une « cotisation » de 237,13 $ à la CSF, ce qu’il a fait, mais IA lui a par la suite remboursé cette somme.

[18] Le permis d’agent d’assurance de l’appelant a été rétabli le 26 avril 2012. Le lendemain, l’appelant a reçu une lettre d’IA (la « lettre d’offre ») dans laquelle il était indiqué que le cabinet lui offrait un « contrat de représentation » et qu’il pourrait [traduction] « commencer à souscrire des contrats d’assurance et de rente [...] à titre de conseiller en sécurité financière à compter du 30 avril 2012 » (pièce A-5). Il y était également indiqué que l’appelant ferait partie de l’unité 35 de l’équipe 90, qu’il serait responsable des polices et de la clientèle faisant partie de cette unité de service et que M. Beaulé serait son directeur des ventes.

[19] La lettre d’offre expliquait que, conformément au programme d’établissement de carrière d’IA, une somme de 2 500 $ serait portée au crédit de son compte et qu’il aurait droit à des « avances sur commissions » égales à 600 $ par semaine. La lettre précisait également qu’IA mettrait fin au programme et au contrat de représentation de l’appelant si ce dernier ne touchait aucune rémunération pendant cinq semaines consécutives. La lettre d’offre mentionnait le calendrier de versement des commissions et des primes, ainsi que les règles en matière de rémunération. On lui rappelait que [traduction] « la Loi sur la distribution de produits et services financiers dispose que vous devez détenir un permis en règle » (pièce A-20).

Le contrat de représentation

[20] L’appelant a reconnu avoir reçu la lettre d’offre le 3 mai 2012 en présence de M. Leclerc. Le même jour, il a signé le contrat de représentation (le « contrat de représentation ») [pièce A-20]. Le contrat précisait que l’appelant aurait droit à la rémunération prévue dans la lettre d’offre et que des commissions seraient portées au crédit de son compte en contrepartie de tout contrat d’assurance qu’il obtiendrait.

[21] Le contrat de représentation précisait que l’appelant était un « entrepreneur indépendant », qu’il n’existait aucune « relation employeur-employé » et que l’appelant acceptait d’assumer toutes les dépenses engagées dans l’exercice de ses fonctions, y compris mais sans restreindre la portée générale de ce qui précède, les dépenses engagées pour : l’obtention et le renouvellement des permis nécessaires à l’exercice de ses fonctions; l’assurance responsabilité civile professionnelle; les cotisations à des associations professionnelles ou autres; les frais de bureau, y compris les frais de secrétariat et les fournitures de bureau; les systèmes d’information, les appels interurbains et les télécopies; les déplacements, la sollicitation et la publicité, ainsi que la formation et le perfectionnement. L’appelant avait le droit de constituer son entreprise en société à condition que la société soit sous son contrôle et que lui seul soit autorisé à vendre des produits d’assurance.

[22] IA se réservait le droit de fixer des normes minimales en matière de production et de maintien des affaires, ainsi que de modifier ces normes de temps à autre.

[23] L’agent avait l’obligation de « remettre immédiatement » toute somme tirée de la vente de produits d’assurance, perçue « au nom de la compagnie ». L’utilisation d’un compte en fiducie faisait l’objet d’une surveillance rigoureuse et IA se réservait le droit de résilier le contrat d’un agent en cas de « gestion inappropriée » de comptes en fiducie.

[24] Le contrat de représentation prévoyait que les agents de vente ne pouvaient pas prendre d’engagements contractuels liant IA, ni engager quelque responsabilité ou accepter quelque risque en son nom.

[25] IA pouvait superviser l’utilisation des brochures, publicités et documents imprimés, notamment les cartes professionnelles, et ces documents devaient être produits conformément à un format normalisé ou approuvé au préalable. Le paragraphe 13 précisait que tous les formulaires, manuels, polices, logiciels et autres documents de la compagnie demeuraient la propriété d’IA.

[26] Le contrat d’un agent pouvait être résilié pour divers motifs, notamment parce que l’agent ne détenait pas un permis d’agent d’assurance en règle ou qu’il avait agi au détriment des intérêts d’un client.

[27] IA se réservait le droit de transférer des clients à un autre agent si une demande en ce sens avait été faite par le client ou si le contrat de l’agent avait été résilié. Le paragraphe 16 prévoyait que l’agent, après l’annulation de son contrat de représentation, était assujetti à une clause de non-concurrence qui lui interdisait de solliciter, durant une période de deux ans, des clients qui faisaient partie de son unité de service au moment de la résiliation de son contrat.

[28] Le 3 mai 2012, l’appelant a également signé plusieurs documents qui l’autorisaient à recevoir des commissions d’aiguillage de la part d’agents d’IA autorisés à vendre des contrats d’assurance automobile et d’assurance habitation (pièces A-22 et A-23).

[29] Lors de son témoignage, l’appelant a déclaré que le contrat de représentation, y compris son statut à titre d’« entrepreneur indépendant », ne lui avait jamais été expliqué et qu’on n’en avait jamais discuté avec lui. Il a signé le contrat sans l’avoir lu. Il a aussi prétendu que la question de la rémunération n’avait pas été abordée.

[30] L’appelant a soutenu qu’IA assumait tous les frais associés aux services de secrétariat, aux fournitures de bureau, à la formation, à la ligne téléphonique et aux cartes professionnelles. On lui a également remboursé les cotisations versées à la CMF. Il a assumé ses frais de déplacement.

Les activités de vente de l’appelant

[31] Il existe peu de preuve forte attestant des activités de vente réellement menées par l’appelant, bien qu’il ne soit pas contesté qu’il a, avec l’aide de M. Beaulé, rempli les documents nécessaires pour souscrire une police d’assurance collective pour lui, son épouse et ses deux enfants. Il semble qu’IA ait consigné ces opérations comme étant quatre polices d’assurance.

[32] La déclaration d’assurance collective, datée du 30 mai 2012 (pièce A-12), précisait que son assurance vie et invalidité était basée sur un salaire annuel de 31 200 $. L’appelant a souligné l’utilisation des mots « salaire annuel ».

[33] De même, le résumé plus détaillé de la couverture de l’assurance collective (pièce A-12-a) utilisait les expressions « date d’emploi – 4 mai 2012 » et « salaire annuel » de 31 200 $. Il est clair que la police est entrée en vigueur le 31 mai 2012.

[34] L’appelant a expliqué qu’il figurait sur une liste d’agents de vente devant participer à un kiosque aménagé dans un centre commercial de la région. Le coût était de 40 $ par tranche de temps, ou 20 $ par agent (pièce A-51). L’appelant était censé distribuer des prospectus décrivant les produits offerts et des formulaires en vue de recueillir les coordonnées de clients potentiels. Il a eu recours à ce service à de nombreuses reprises.

[35] En septembre, l’appelant a préparé une proposition de vente pour une police d’assurance vie universelle, mais il n’a pas été autorisé à parachever la vente, car le client était déjà représenté par un autre agent d’IA de son équipe. Il a indiqué qu’il n’avait pas discuté de ce fait avec l’agent en cause, et qu’il en avait parlé seulement à son directeur des ventes, M. Beaulé.

[36] Il a préparé une proposition d’assurance sur deux têtes pour des clients situés à Gatineau (Québec). Il s’est rendu sur place pour rencontrer ces clients, mais une épouse était absente. Il a contacté M. Beaulé qui lui a dit de « conclure la vente ». C’est ce qu’il a fait et le client a signé les documents, lesquels ont par la suite été modifiés afin qu’ils ne portent que sur une seule personne. Il s’agit de la seule autre police qui a été vendue par l’appelant durant sa période d’affectation chez IA.

[37] En octobre 2012, M. Beaulé a demandé à l’appelant de contacter un client existant du groupe qu’il n’avait jamais rencontré et dont le chèque mensuel avait été retourné par la banque pour provision insuffisante. Il l’a fait (pièces A-6 et A-7).

La résiliation du contrat de l’appelant

[38] Le 20 novembre 2011, l’appelant a reçu un courriel d’Éric Leclerc l’informant qu’il n’avait réalisé aucune vente pendant plus de quatre semaines consécutives, que son compte était à découvert en raison des sommes qui lui avaient été avancées pour l’encourager à accroître son niveau d’activité et que la situation ne s’était pas améliorée (pièce A-3).

[39] Il a ensuite reçu une lettre de Michel Arsenault, chef des ventes, qui lui annonçait la résiliation de son contrat de représentation à compter du 23 novembre. On lui a rappelé qu’il demeurait responsable des frais découlant de l’annulation de polices au cours des deux prochaines années. On lui a aussi rappelé la clause de non-concurrence prévue dans son contrat. Le 13 décembre 2011, l’appelant s’est rendu au bureau de la succursale pour rendre l’ordinateur, les clés et la carte magnétique et signer un formulaire de remise (pièce A-15). À cette date, son compte de commissions affichait un découvert de 1 392,99 $.

[40] Pour l’année d’imposition 2012, IA a émis à l’appelant un feuillet T4A (7 084 $); l’appelant a déclaré cette somme à titre de revenu de commissions brut. Il a demandé la déduction de dépenses de 7 098 $, déclarant ainsi un revenu de commissions net de 14 $ (pièce R-1).

[41] En 2012, IA a déposé la somme totale de 4 489,69 $ dans le compte bancaire de l’appelant. Cette somme représentait les commissions brutes desquelles avaient été déduits l’avance de 2 500 $ et d’autres frais.

Contre-interrogatoire de l’appelant

[42] Durant son contre-interrogatoire, l’appelant a reconnu avoir également réalisé un revenu d’entreprise tiré de la vente de lunettes de lecture. Pour l’année d’imposition 2012, il a déclaré un revenu d’entreprise brut de 11 126 $ et des pertes d’entreprise nettes de 2 285 $.

[43] L’appelant a reconnu que, même s’il avait indiqué qu’il travaillait à temps plein pour IA, il y travaillait essentiellement du lundi au jeudi. Il réservait les vendredis pour des activités personnelles, même s’il allait parfois au bureau d’IA. Les samedis et dimanches, il participait à un marché aux puces au Marché St-Eustache où il vendait des lunettes de lecture.

[44] L’appelant ne se rappelait plus quel avait été son statut juridique lorsqu’il avait travaillé pour la London Life, mais il a admis que la compagnie n’effectuait pas de retenues d’impôt à la source. Il a refusé d’admettre que la question en litige, à la suite de son licenciement, était de savoir s’il était un entrepreneur indépendant ou un employé, indiquant que la London Life avait conclu un règlement avec lui « parce qu’il » était un employé. Il n’a pas présenté de demande d’assurance-emploi après son licenciement par la London Life, mais il a reçu des prestations d’aide sociale (5 346 $).

[45] Il a déclaré qu’il ne comprenait pas vraiment la différence, sur le plan fiscal, entre le fait d’être employé ou travailleur autonome, parce qu’il préparait ses déclarations de revenus en se contentant d’entrer les chiffres dans un programme du nom de « U-File ». Il a reconnu avoir suivi une formation de base sur la fiscalité auprès de l’AMF, ajoutant qu’il avait en fait suivi le cours à trois reprises et qu’il n’avait réussi que le dernier examen.

[46] Outre la police d’assurance collective pour lui et sa famille, l’appelant a reconnu que la seule autre police qu’il a vendue était une police d’assurance vie d’une valeur de 50 000 $. La demande avait été initialement rejetée par le service de conformité, car une somme de 23 886 000 $ avait été entrée au lieu des paiements mensuels prévus de 75,87 $. L’appelant a insisté sur le fait que cela n’était pas intentionnel et qu’il s’agissait d’un pépin informatique. L’erreur a par la suite été corrigée.

[47] Lorsqu’on l’a interrogé sur le kiosque de ventes auquel il avait participé à titre de représentant, l’appelant a insisté sur le fait que sa participation était obligatoire, car son nom figurait à l’horaire et qu’il avait reçu un courriel d’IA lui indiquant qu’il devait être à l’heure.

IV. Témoins de l’intervenante

i) Bruno Michaud

[48] M. Michaud a pris sa retraite et quitté son poste de vice-président des ventes en 2017, après 35 années de service. Il occupait un poste comparable chez IA en 2012.

[49] M. Michaud a reconnu le contrat de représentation de l’appelant (pièce A-20) et expliqué qu’IA avait subi une importante transition au début des années 1990 lorsqu’elle a fusionné avec une autre compagnie d’assurances qui comptait quelque 170 agents de vente, lesquels étaient tous considérés comme des entrepreneurs indépendants. IA a alors modifié son contrat de représentation afin que les agents en poste deviennent eux aussi des entrepreneurs indépendants. En 1993, IA a soumis une première version de ce contrat à l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») à des fins de discussion. Après quelques révisions, l’ARC a accepté la version révisée du contrat (pièce 4-3) et accepté de reconnaître que les anciens employés avaient un statut d’entrepreneur indépendant si la relation de travail était conforme aux dispositions d’un tel contrat révisé.

[50] M. Michaud a examiné la demande que l’appelant avait présentée à l’AMF en vue d’obtenir un certificat de représentant (pièce R-4.2) et il a confirmé que tous les agents devaient être « rattachés » à un « cabinet » et que, dans le cas de l’appelant, celui-ci était « rattaché » à IA mais « sans y être employé », ainsi qu’il était indiqué sur le formulaire.

[51] Il a expliqué que les agents de vente avaient la responsabilité d’établir leurs propres objectifs de vente et de déterminer les moyens par lesquels ils atteindraient ces objectifs. Ils établissaient eux-mêmes leurs horaires quotidiens et choisissaient leur lieu de travail. Ils pouvaient travailler de la maison ou dans un bureau externe. Ils pouvaient fixer eux-mêmes leurs congés, y compris leurs vacances annuelles. Ils n’étaient nullement tenus de rendre compte de leurs activités. Ils n’étaient pas tenus d’assister aux réunions de la succursale et n’étaient assujettis à aucune mesure disciplinaire. Les agents devaient assumer toutes les dépenses de prospection de clientèle, y compris les frais liés aux cartes professionnelles et au matériel promotionnel, bien qu’IA fournissait, à titre gratuit, la première boîte contenant 250 cartes professionnelles.

[52] M. Michaud a indiqué qu’un agent pouvait obtenir certains services de secrétariat auprès d’IA, mais qu’il devait assumer les coûts associés à l’embauche d’un adjoint à temps plein et déterminer l’horaire de travail de cet adjoint ainsi que sa rémunération et ses congés.

[53] Il a ajouté que les agents pouvaient collaborer avec d’autres agents autorisés, auquel cas les honoraires ou commissions étaient répartis entre eux. Les agents pouvaient également constituer leur entreprise en société à condition que celle-ci soit « rattachée » à IA. Les agents disposaient ainsi d’une marge de manœuvre pour déterminer leur salaire et leur participation aux bénéfices. Ils pouvaient également vendre des parts dans leur société, ce qu’ils ne pouvaient pas faire s’ils transféraient leurs clients directement à un autre agent.

[54] Lors de son contre-interrogatoire, M. Michaud a examiné la lettre d’offre (pièce A-5) et a reconnu que l’appelant avait été affecté à l’unité 35 de l’équipe 90, mais il a expliqué que cela avait été fait à des fins organisationnelles, car les ventes totales seraient déclarées pour l’ensemble de cette unité. Il a reconnu qu’IA avait affecté un directeur des ventes à l’équipe.

[55] M. Michaud a admis que certaines réunions de la succursale étaient « obligatoires », par exemple la réunion pour discuter du logiciel Gestion Clients (pièce A-20). Il a expliqué que la succursale publiait les données sur les ventes pour favoriser une certaine concurrence entre les agents afin qu’ils puissent se surpasser et accroître leurs ventes. Il a reconnu que les dirigeants pouvaient avoir droit à une certaine forme de bénéfices.

[56] M. Michaud a également reconnu que le changement en 1993 avait été effectué principalement à des fins fiscales et que la transition d’employés à entrepreneurs indépendants n’avait occasionné aucun changement puisque les agents de vente étaient déjà largement indépendants. Ils assumaient toutes leurs dépenses, lesquelles équivalaient, en général, à 30 % de leur chiffre d’affaires brut. Les agents disposaient d’un bureau à la succursale, mais ils l’utilisaient essentiellement pour des tâches administratives.

ii) Yves Charbonneau

[57] M. Charbonneau a signé un contrat de représentation avec IA en 1993. Il y était décrit comme un entrepreneur indépendant (pièce R-4.6). En 2004, il a constitué son entreprise en société, qui a signé un contrat comparable avec IA (pièce R-4.8). Il a déposé l’avis exigé auprès du Registraire des entreprises du Québec (pièce R-4.27) et de l’AMF pour indiquer que sa société serait rattachée à IA (pièces R-4.30 et R-4.31). Il avait décidé de constituer son entreprise en société après en avoir discuté avec son comptable.

[58] M. Charbonneau n’était pas limité à un territoire particulier. Il pouvait développer sa clientèle et établir son propre horaire de travail. Il payait le salaire de son adjointe et établissait son horaire de travail. Ils travaillaient ensemble, mais il était responsable des aspects professionnels du travail. Il assumait toutes les dépenses de prospection de clientèle. Il rendait compte à son directeur des ventes de ses résultats. Au début de sa carrière, il a assisté à presque toutes les réunions de la succursale et séances de formation mais, plus tard dans sa carrière, il n’y assistait que si le sujet l’intéressait. En 36 ans, il n’a jamais fait l’objet de réprimandes pour avoir manqué une réunion.

[59] Lors de son contre-interrogatoire, M. Charbonneau a dit se souvenir de l’appelant, car ils faisaient partie de la même équipe en 2012. Il a reconnu qu’IA avait subi une transformation en 1993, mais il a déclaré ne pas avoir remarqué de véritables changements.

[60] M. Charbonneau a été interrogé sur le sens des mots « impératif » et « primordial », lesquels signifiaient, selon lui, qu’il était important, mais non obligatoire, d’assister à la réunion. Cependant, si le courriel précisait que la présence à la réunion était « obligatoire », il était alors tenu d’y assister.

[61] M. Charbonneau a reconnu un courriel de la « semaine 42 » (pièce A-72) qui comprenait un ordre du jour, une nouvelle séance de formation et des pièces jointes. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le courriel comportait une liste des agents absents, il a indiqué que cela signifiait simplement que ces agents n’avaient pas assisté à la dernière séance de formation. Il a admis que cela signifiait également qu’IA notait ceux qui étaient présents et ceux qui étaient absents. Il a admis qu’ils recevaient régulièrement des courriels dans lesquels étaient présentés le programme mis à jour ainsi qu’un classement hebdomadaire de tous les agents, du plus performant au moins performant, mais il a ajouté que le moins performant pouvait tout simplement être une nouvelle recrue. Il n’existait pas selon lui de véritable concurrence.

[62] M. Charbonneau a admis qu’IA lui avait fourni un bureau, y compris un téléphone et une ligne terrestre. Il a également admis que toute sa formation avait été offerte et payée par IA, sauf ses formations externes, et qu’il n’avait jamais développé de logiciel, ni payé pour des logiciels, puisqu’il utilisait celui fourni par IA.

[63] Lors de son réinterrogatoire, M. Charbonneau a reconnu le courriel qui avait été envoyé à tous les agents (pièce A-40) et dans lequel il était indiqué qu’il était « obligatoire » d’assister à la présentation du logiciel « Gestion Clients ». Il a indiqué qu’il n’avait trouvé rien d’inhabituel à ce courriel et qu’il avait assisté à la rencontre puisqu’il s’agissait du logiciel utilisé par tous les agents d’IA.

iii) Stéphanie Woo

[64] Mme Woo est entrée au service d’IA à peu près en même temps que l’appelant et elle a signé le contrat de représentation type. Elle était une nouvelle agente et n’avait jamais détenu de permis.

[65] De l’avis général, elle a progressé rapidement. En 2014, elle a acheté la clientèle d’un autre agent pour la somme de 14 515 $ (pièce R-4.14). En 2022, elle a constitué son entreprise en société et a également constitué une société distincte à titre de société de portefeuille. Elle a suivi les mêmes étapes que M. Charbonneau et a déposé un avis à cette fin auprès de l’AMF.

[66] Lorsqu’elle a commencé à travailler pour IA, elle était « stagiaire », car elle ne détenait pas de permis d’agente d’assurance. Elle était donc tenue de suivre un programme de formation de 90 jours, lequel était obligatoire à des fins de conformité. Elle rendait compte régulièrement à sa directrice des ventes qu’elle considérait comme un « coach ». Elle ne se rappelait pas la formation sur le logiciel Gestion Clients, mais a indiqué qu’elle y avait probablement assisté.

[67] Tout comme M. Charbonneau, elle a développé sa propre clientèle; elle déterminait son propre horaire de travail et assumait toutes ses dépenses de prospection de clientèle. Elle payait également le salaire d’une adjointe dont elle déterminait l’horaire de travail. Elle assistait à la plupart des séances de formation hebdomadaires, lesquelles, a-t-elle indiqué, étaient fortement recommandées mais n’étaient pas obligatoires.

[68] Mme Woo a connu deux « années incroyables », ayant réalisé un revenu brut de 50 000 $ en 2012 et de 100 000 $ en 2013; ces années ont été suivies de quatre années moyennes au cours desquelles elle a eu deux enfants. Elle a été en mesure de conclure une entente avec un autre agent de vente afin que ses commissions soient réparties à parts égales. Ses commissions brutes ont depuis augmenté à environ 175 000 $.

[69] Durant son contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle ne reconnaissait pas de façon précise le calendrier des séances de formation de 2012 (pièce A-8) ni la version réelle imprimée des modules (pièce A-57) mais que les thèmes lui étaient familiers, et elle a admis avoir suivi la formation, laquelle était principalement offerte par les directeurs des ventes.

[70] Bien qu’elle ait figuré parmi les agents les plus performants en 2012, elle n’avait aucune connaissance de l’industrie des assurances ou des produits d’assurance avant de se joindre à IA en 2012. Elle a su tirer parti de la formation offerte par IA et de formations externes. Elle avait des rencontres individuelles avec sa directrice des ventes. Au début, le personnel administratif et sa directrice des ventes l’aidaient à remplir la documentation.

[71] Elle a indiqué qu’à titre d’agente de vente elle ne pouvait pas accepter d’argent ou de chèques faits en son nom personnel, et que toutes les primes d’assurance devaient être payées à IA.

[72] Elle ne se rappelait pas les instructions qu’on lui avait données pour l’utilisation du téléphone ou des messages types, précisant qu’elle n’utilisait pas la ligne terrestre et qu’elle préférait utiliser son téléphone cellulaire.

[73] En 2012, elle ne vendait que les produits d’assurance d’IA.

[74] Lors de son réinterrogatoire, elle a expliqué qu’elle pouvait vendre des produits d’assurance d’autres compagnies d’assurances, comme Manuvie ou Sun Life, si un client le lui demandait et qu’IA avait une entente avec ces autres compagnies.

iv) Vanessa Charbonneau

[75] Mme Charbonneau a signé le contrat de représentation type d’IA en 2010 (pièce R-4.24). Elle a finalement constitué son entreprise en société en 2022 (pièces R-4.25 et 4.26) et déposé les formulaires d’inscription exigés à cette fin auprès de l’AMF (pièces R-4.28 et 4.29).

[76] Elle se souvenait de l’appelant, car celui-ci l’avait questionnée sur son poste au sein d’IA lorsqu’elle était à un kiosque de vente à l’automne 2011. Elle lui avait dit qu’elle était un entrepreneur indépendant et que sa rémunération provenait exclusivement de commissions.

[77] Selon elle, la participation à ce kiosque était volontaire; un horaire était établi et elle partageait habituellement les coûts avec un autre agent de vente.

[78] Elle se rappelait également un incident mettant en cause l’appelant, lorsque ce dernier l’avait contactée au sujet du transfert d’un client existant. Elle avait refusé de partager la commission ou de lui transférer le client moyennant des frais. Comme l’appelant n’était pas d’accord, elle a contacté son directeur des ventes qui a réglé l’affaire.

[79] Comme d’autres témoins, Mme Charbonneau n’avait pas de territoire précis; elle développait sa propre clientèle et assumait ses propres dépenses. Elle avait embauché sa propre adjointe qu’elle avait recrutée en publiant une annonce dans un journal local.

[80] Elle avait établi ses objectifs de vente avec son directeur des ventes, mais ceux-ci demeuraient ses propres objectifs. Plus elle rencontrait de clients, plus elle réalisait des ventes. Elle essayait d’en rencontrer entre 10 et 15 par semaine. Le directeur des ventes avait pour rôle de la guider dans ce processus et de l’aider avec les différents produits d’assurance.

[81] Elle a déclaré qu’elle déléguait parfois son travail à d’autres agents, en particulier lorsqu’il s’agissait de questions plus techniques. L’un de ces agents était son père, Yves Charbonneau.

[82] Durant son contre-interrogatoire, elle a reconnu un document intitulé [traduction] « Veillez à vous tenir à jour en tout temps », et portant le sous-titre « J’assume la responsabilité et je ferai ce qui est nécessaire pour réussir », lequel comportait une liste de dix points centrés (pièce A-42). Dans l’un de ces points, il était indiqué : « Je participe aux réunions d’agence et je consulte les renseignements sur l’extranet ». Mme Charbonneau n’était pas d’accord pour dire que cela lui indiquait ce qu’elle devait faire; elle y voyait plutôt un guide pour aider les agents à réussir. Elle a appliqué certaines des suggestions qui y étaient proposées.

[83] Elle a reconnu que, lorsqu’elle est entrée au service d’IA, elle a été affectée à un groupe et elle a dû servir les clients de ce groupe. On lui a en fait attribué 40 clients existants qu’elle n’avait jamais rencontrés. Elle a précisé que ces clients, une fois qu’ils lui avaient été attribués, lui appartenaient et qu’elle ne pouvait les « vendre » qu’à un autre agent d’IA. Elle a reconnu que sa clientèle ne pouvait pas la suivre si elle quittait IA.

[84] Elle a reconnu qu’IA lui avait fourni un local, un bureau, un téléphone, une ligne terrestre ainsi que des brochures de vente. Elle n’a assumé aucuns frais de développement de logiciels. IA offrait une formation sur tous ses produits d’assurance.

[85] Mme Charbonneau a expliqué qu’elle ne savait pas si les agents qui n’assistaient pas à une réunion s’exposaient à quelque conséquence et elle a indiqué que, si une liste était établie, c’était pour veiller à ce que les agents mentionnés sur cette liste n’oublient pas de se procurer un exemplaire du module de formation.

[86] Lors de son réinterrogatoire, Mme Charbonneau a expliqué qu’elle ne pouvait pas dire avec certitude si elle avait été obligée de prendre les clients du groupe qu’on lui avait attribués. Elle ne s’est jamais posé la question et s’est contentée de servir ces clients.

v) Pasquale Apold

[87] Mme Apold est une avocate qui a travaillé pour IA de 2011 à 2017.

[88] En 2012, elle était chef du service de conformité et son rôle était de veiller à ce que les activités soient menées en conformité avec la Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ C D-9.2. Cette Loi réglementait la vente, entre autres, de produits d’assurance par des représentants qui étaient tenus d’agir au nom d’un cabinet et qui, pour ce faire, devaient être titulaires d’un certificat délivré par l’AMF. Selon l’article 80 de cette Loi, un cabinet était responsable « du préjudice causé à un client par toute faute commise par un de ses représentants dans l’exécution de ses fonctions ».

[89] L’autre loi pertinente était la Loi sur l’encadrement du secteur financier, RLRQ c E-6.1, qui définissait le rôle, les fonctions et les pouvoirs de l’AMF. Mme Apold a reconnu qu’elle consultait et suivait le « Guide sur la gouvernance et la conformité » publié par l’AMF.

[90] Afin d’assurer le respect des lois applicables, IA était tenue de mettre en place un système de surveillance, d’établir des directives, des documents et des formulaires appropriés, d’offrir une formation aux directeurs et inspecteurs et d’engager des agents de conformité.

[91] L’un des formulaires utilisés par le personnel administratif était intitulé « Conformité – grille de suivi » (pièce -56), lequel était distribué à toutes les succursales d’IA pour veiller à ce que les demandes des clients soient conformes à la loi.

[92] Mme Apold a expliqué qu’une des exigences de la loi était la préparation d’une « illustration » qui devait servir à expliquer le produit d’assurance avant de le vendre à un client potentiel. IA devait établir des lignes directrices rigoureuses régissant la préparation de ces illustrations.

[93] De même, la loi imposait de strictes lignes directrices relativement à tous les types de publicité ou d’affichage (pièce A-46). Les agents de vente recevaient des modèles de carte professionnelle et des formulaires promotionnels préautorisés, auxquels ils pouvaient ajouter une photo et un numéro de téléphone. Toutes les formes de publicité devaient être approuvées au préalable et IA était responsable de la publicité utilisée par ses agents de vente.

[94] Mme Apold a reconnu le « Guide d’encadrement » (pièce A-42) utilisé pour les stagiaires, mais elle a expliqué que ce guide n’a sans doute pas été utilisé parce que l’appelant n’était pas un « stagiaire » puisqu’il avait déjà détenu un permis d’agent d’assurance.

[95] Elle a reconnu le formulaire de renouvellement déposé auprès de l’AMF (pièce 4.2) et mentionné qu’un requérant pouvait représenter un cabinet à titre d’« employé » ou « sans y être employé », et que l’appelant avait choisi la deuxième option.

[96] Elle a expliqué qu’un agent qui était un « employé » n’était pas tenu de développer sa propre clientèle et qu’il servait habituellement les clients de la succursale, alors qu’on s’attendait à ce que les agents décrits comme des entrepreneurs indépendants travaillent à l’extérieur de la succursale et qu’ils développent leur propre clientèle, laquelle devenait toutefois également la propriété d’IA.

[97] Durant son contre-interrogatoire, Mme Apold a été questionnée sur l’utilisation du document « Conformité – aide-mémoire » (pièce A-26). Elle a expliqué qu’une formation était offerte au personnel administratif de chaque succursale afin que ce document soit utilisé pour chaque dossier.

[98] Elle a admis que la seule différence entre la carte professionnelle de l’appelant et celle du directeur de la succursale était les noms qui différaient. Elle a également reconnu que la carte professionnelle de l’appelant ne précisait pas qu’il était un entrepreneur indépendant.

[99] Elle a indiqué ne pas se souvenir des listes des séances de formation ou des modules de formation (pièces A-8 et A-57), précisant qu’il s’agissait de documents internes d’IA.

[100] Interrogée sur le type de permis détenu par l’appelant, Mme Apold a confirmé qu’il était rattaché à IA mais qu’il pouvait également constituer son entreprise en société. Elle a reconnu qu’il existait une troisième forme de permis pour les courtiers représentant plusieurs compagnies d’assurance, mais que cela ne s’appliquait pas en l’espèce.

vi) Éric Leclerc

[101] M. Leclerc était vice-président régional des ventes chez IA. En 2012, toutefois, il dirigeait la succursale de LaSalle. Il se souvenait de l’appelant.

[102] Il a rappelé le fonctionnement du fonds de rémunération en expliquant qu’une somme de 2 500 $ était portée au crédit d’un compte duquel la personne pouvait retirer une somme minimale de 600 $ ou plus par semaine, selon les ventes prévues. Il a précisé que les agents devaient payer les droits de permis exigibles par l’AMF ainsi que la cotisation à la CSF; cette dernière somme était toutefois remboursée par IA pour des raisons de concurrence.

[103] Selon M. Leclerc, l’appelant avait signé le contrat de représentation dans son bureau. Il ne se souvenait pas de cette rencontre précisément, mais il a déclaré qu’il procédait systématiquement de la même manière. Son adjoint fixait une rencontre avec le nouvel agent; durant cette rencontre, il revoyait avec l’agent certaines dispositions essentielles en soulignant l’importance : i) de maintenir son permis; ii) de remettre toutes les primes perçues au nom d’IA; iii) de ne pas utiliser de compte en fiducie et iv) de ne pas déléguer la vente de produits à une personne qui n’était pas titulaire d’un permis en règle. Ces éléments étaient essentiels.

[104] Mme Charbonneau lui avait fourni les coordonnées de l’appelant. Le processus a été long, car le permis de l’appelant était expiré. II a décrit l’appelant comme une personne réservée, qui venait toujours aux réunions mais qui était préoccupée par sa situation, car ses activités étaient limitées. La plupart des agents réussissaient à conclure une vente lors de 33 % de leurs rencontres avec des clients, mais l’appelant n’avait recruté qu’un seul nouveau client. M. Leclerc a rencontré l’appelant à plusieurs reprises pour discuter de ses progrès et de ses activités de vente. Il a jugé qu’en définitive il appartenait à l’appelant de tirer parti des services offerts par IA pour développer sa clientèle. Lorsque le contrat de l’appelant a finalement été résilié, ce dernier n’avait réalisé aucune vente depuis plus de cinq semaines.

[105] Interrogé sur la liste des séances de formation (pièce A-8), M. Leclerc a expliqué que cette liste était destinée aux « stagiaires » et qu’il ne savait pas si l’appelant l’avait reçue. Parallèlement, toutefois, l’appelant avait tout avantage à se renseigner sur les produits, les techniques de vente et le logiciel utilisés par IA. Il a expliqué que l’appelant n’était pas obligé d’assister, mais que cela était à son avantage.

[106] Il a abordé avec l’appelant la question de la police d’assurance invalidité, en lui expliquant que le « salaire annuel » de 31 200 $ avait été calculé sur la base d’un retrait de 600 $ par semaine, mais que la somme pourrait être augmentée ultérieurement si ses gains augmentaient. Il n’a pu expliquer pourquoi le mot « salaire » avait été utilisé sur le formulaire.

[107] Le directeur des ventes, M. Beaulé dans la présente instance, assurait la liaison avec le siège social et son rôle était d’aider tous les agents de vente. Lorsque les agents avaient défini leurs objectifs, il les aidait à les atteindre. M. Leclerc a expliqué que les ventes étaient fonction du nombre de rencontres et d’opérations menées chaque semaine.

[108] Les rencontres avec le directeur des ventes n’étaient pas considérées comme obligatoires, mais elles étaient généralement très sollicitées, car elles offraient l’occasion d’obtenir des conseils et un deuxième avis. Ce n’était toutefois pas le cas des « stagiaires » qui étaient tenus d’y assister pour des raisons de conformité.

[109] M. Leclerc a indiqué qu’IA ne faisait généralement pas de suivi des absences, y compris pour des raisons médicales. Il n’existait aucune directive à cet effet. Il n’a pas reconnu le « certificat médical » qui aurait été télécopié à son attention le 19 septembre 2012 (pièce A-21), ajoutant que si, ce document avait été reçu, son personnel l’aurait été versé au dossier de l’appelant. Il ne se souvenait pas du certificat en question.

[110] En ce qui concerne le logiciel Gestion Clients décrit dans le courriel qui avait été envoyé à tous les agents de vente (pièce A-40) et dans lequel il était indiqué que la présence à la réunion était « obligatoire » pour tous les agents « sans exception », M. Leclerc a expliqué que ce logiciel constituait un changement important pour IA. Il s’agissait d’un nouveau programme de gestion de la relation client, qui était utilisé pour produire l’analyse de la situation financière d’un client. Il était impossible de travailler pour IA ou de vendre ses produits d’assurance sans avoir une connaissance pratique de ce logiciel.

[111] M. Leclerc a expliqué que l’utilisation du mot « impératif » plutôt qu’« obligatoire » signifiait que la réunion n’était pas obligatoire. Ces réunions étaient offertes pour motiver les agents et leur fournir des renseignements et des outils utiles pour faciliter le processus de vente. Les séances de formation ou d’information étaient parfois offertes une deuxième fois, si le nombre d’agents présents n’était pas suffisant. M. Leclerc a confirmé qu’aucune sanction n’était infligée aux agents de vente qui n’y assistaient pas. Même lorsque ces réunions donnaient droit à des UFC, il n’était pas obligatoire d’y assister; cependant, les agents, comme l’appelant, devaient accumuler 30 UFC tous les deux ans. Lorsqu’un agent assistait, les UFC correspondantes obtenues étaient communiquées à l’AMF. Cela faisait partie des exigences de conformité.

[112] En ce qui a trait au kiosque de vente où l’appelant avait rencontré M. Charbonneau, M. Leclerc a expliqué qu’il avait pris des dispositions avec le centre commercial et que ce kiosque visait à fournir aux agents des possibilités de prospection de clientèle. Un horaire divisé en tranches de temps avait été établi, mais la participation des agents était volontaire. Les agents qui choisissaient d’y participer devaient assumer leur part des frais de location.

[113] M. Leclerc a examiné le bon de commande pour des calendriers et autre matériel connexe (pièce A-54); il s’agissait de documents uniformes que les agents pouvaient commander pour les distribuer à des clients. Ces articles étaient très populaires, mais ils n’étaient pas obligatoires.

[114] M. Leclerc a passé en revue la table des matières d’un cours sur les « Notions de fiscalité relatives à l’assurance de personnes » (pièce R-4.19) qui comptait 231 pages. Il a expliqué que ce cours était l’un des cinq cours produits par l’AMF que les agents devaient réussir pour obtenir un permis de représentant.

[115] Durant son contre-interrogatoire, M. Leclerc a rejeté l’idée voulant que tous les avantages matériels revenaient à IA, en précisant que la compagnie cherchait certes à réaliser des bénéfices, mais qu’elle formait également un partenariat avec ses agents de vente.

[116] Il a examiné la liste des séances de formation (pièce A-8) en indiquant que ces formations étaient destinées aux nouveaux stagiaires qui n’avaient aucune connaissance de l’industrie des assurances. Il ne savait pas si l’appelant avait obtenu cette liste, mais il a admis que celui-ci avait vraisemblablement assisté à la plupart, voire à la totalité, des séances de formation en question.

[117] Interrogé sur les rencontres qu’il avait eues avec l’appelant, M. Leclerc ne pouvait s’en rappeler avec précision, mais il a indiqué qu’il rencontrait régulièrement les agents de vente pour discuter de leurs progrès et de leur niveau de satisfaction à l’égard des services offerts par IA.

[118] Quant à la participation de l’appelant, M. Leclerc a répété qu’il ne l’avait pas vu très souvent, mais que l’appelant avait assisté à la plupart des réunions de la succursale et des séances de formation, même si elles n’étaient pas obligatoires. Il a expliqué que son rôle était de créer des programmes intéressants et de veiller à ce que tous les agents soient satisfaits.

[119] Je conclus que tous les témoins de l’intervenante étaient très crédibles.

V. Instances judiciaires antérieures

[120] Ainsi qu’il a été résumé précédemment, l’appelant a travaillé comme agent d’assurance pour la London Life de 2009 jusqu’à la résiliation de son contrat, en mars 2011. La convention de vente datée du 29 décembre 2008 (pièce R-3) précisait qu’il était un entrepreneur indépendant, qu’il n’existait aucune relation employeur-employé et qu’il devait établir l’heure, le lieu et la manière d’exercer ses activités de sollicitation liées aux ventes et à la prestation de services.

[121] À la suite de la résiliation de son contrat, l’appelant a déposé une plainte auprès de la Commission des normes du travail du Québec (« CNTQ ») pour résiliation sans motif valable et suffisant, et il a réclamé des dommages-intérêts de 16 485 $. L’affaire a été réglée par une « Quittance et transaction », qui a été signée le 23 janvier 2012 (pièce A-2) et faite sans aveu de responsabilité afin d’éviter tous autres frais et dépenses, et la London Life a accepté de lui verser 15 000 $. Ce document prévoyait que, conformément à la relation contractuelle qui existait entre les parties, et compte tenu de l’avis de cotisation pour l’année d’imposition 2010 indiquant que l’appelant avait déclaré un revenu de commissions à titre de travailleur autonome, aucune retenue n’avait été effectuée et l’appelant étant responsable de tout impôt à payer.

[122] De même, à la suite de la résiliation de son contrat avec IA, l’appelant a déposé une plainte auprès de la CNTQ, en réclamant des dommages-intérêts pour le motif qu’il était un « employé » et qu’il avait fait l’objet d’un congédiement injuste. L’audition de la plainte devait avoir lieu le 22 avril 2015.

[123] La CNTQ a toutefois informé l’appelant (pièce A-10) qu’elle demanderait un ajournement, à la suite de la décision rendue par la Commission des relations de travail du Québec dans l’affaire Blackburn et al. c. Industrielle Alliance, assurance et services financiers, 2014 QCCRT 0737 (« Blackburn ») publiée le 24 décembre 2014.

[124] La CNTQ a également informé l’appelant que son dossier serait classé, car il avait été décidé, eu égard à la décision rendue dans Blackburn, qu’il n’avait pas le statut d’« employé » et que [traduction] « la nature des postes occupés par les plaignants et le statut de l’employeur » dans cette affaire n’étaient pas « identiques » à sa propre situation. On l’a informé qu’il pouvait poursuivre l’instance contre IA en son nom personnel, mais rien n’indique qu’il l’a fait.

[125] L’appelant a répondu par voie de lettre datée du 31 mars 2015 (pièce A-11), dans laquelle il faisait valoir que la décision de classer son dossier était injuste et il demandait à la CNTQ de continuer à le représenter. Aucun élément de preuve attestant d’une réponse de la CNTQ n’a été produit.

[126] Lors de l’audition du présent appel, l’appelant a indiqué que la plainte déposée auprès de la CNTQ était toujours pendante et qu’il avait voulu appeler l’avocate de la CNTQ à témoigner, mais qu’elle était absente et qu’aucune assignation à comparaître ne lui avait été signifiée. L’intervenante a par la suite présenté le répertoire des instances (pièce R-5) qui indiquait que la CNTQ avait déposé un avis de désistement le 9 septembre 2015, ce qui avait mis un terme à l’ensemble de la procédure devant la CNTQ.

VI. Droit applicable

[127] La question au cœur du présent appel est de savoir si l’appelant était un travailleur autonome régi par un contrat d’entreprise ou s’il existait une relation employeur-employé régie par un contrat de travail, également qualifié de « contrat de louage de services », assujetti aux dispositions de la LAE.

[128] Comme le lieu de travail est au Québec, il faut également tenir compte de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 (la « Loi d’interprétation »), qui dispose que « [l]e droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada ».

[129] La notion de complémentarité entre ces deux sources de droit a été examinée dans l’arrêt Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, où la Cour d’appel fédérale (« CAF ») a déclaré qu’« il serait erroné de croire qu’il y a antinomie entre les principes du droit civil québécois sur la question et ce qu’il est convenu d’appeler les critères de common law, soit le contrôle, la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de perte et, enfin, l’intégration du travailleur à l’entreprise » (par. 27).

[130] Ainsi qu’il est indiqué dans l’affaire Talbot c. M.R.N., 2009 CCI 460, la LAE « ne définit pas ce qu’est un contrat de louage de services »; elle « doit donc être analysé[e] à la lumière du droit civil québécois lorsque le droit provincial applicable est celui du Québec » (par. 5).

[131] L’alinéa 5(1)a) de la LAE dispose de ce qui suit :

Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[Non souligné dans l’original.]

[132] Pour déterminer si l’appelant occupait un « emploi assurable » aux termes d’un « contrat de louage de services [...] exprès ou tacite », la Cour doit prendre en compte les dispositions pertinentes du Code civil du Québec, RLRQ, chapitre CCQ-1991, c. 64 (le « CCQ »), et plus précisément les dispositions suivantes :

1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages. [...]

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

2086. Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

[...]

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[133] Afin de conclure qu’il existait un « contrat de louage de services [...] exprès ou tacite » au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE, comme le prétend l’appelant, la Cour doit conclure qu’un « contrat de travail », par lequel l’appelant s’est engagé « [...] à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne » au sens de l’article 2085, a été conclu.

[134] À l’inverse, pour pouvoir conclure qu’il existait un « contrat d’entreprise », comme le prétendent le ministre et IA, la Cour doit conclure que l’appelant avait le « libre choix des moyens d’exécution du contrat » et qu’il n’existait « aucun lien de subordination » quant à l’exécution de ces services, comme le prévoit l’article 2099.

[135] En d’autres termes, si la Cour conclut que l’appelant devait effectuer son travail « sous la direction ou le contrôle d’une autre personne » et qu’il n’avait pas le « libre choix des moyens d’exécution du contrat », elle devrait conclure qu’il existait « un lien de subordination » et donc un « contrat de louage de services » au sens de la LAE ou un « contrat de travail » au sens de l’article 2085.

[136] L’article 1425 du CCQ prévoit que, « dans l’interprétation du contrat », la Cour doit tenir compte de « la commune intention des parties ». Cette interprétation est conforme à la décision rendue dans 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu National), 2013 CAF 85 (« Connor Homes »), où la CAF a déclaré que la Cour doit faire une analyse en deux étapes. Elle doit d’abord examiner l’intention subjective des parties, puis faire une analyse pour déterminer si la relation employeur-employé véritable concorde objectivement avec cette intention.

[137] Après avoir examiné plusieurs décisions portant sur l’importance de la commune intention des parties, notamment Wolf c. La Reine, 2002 DTC 6053 (CAF) et Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 87 (« Royal »), le juge Mainville, de la Cour d’appel fédérale, a déclaré ce qui suit :

[...] Les rapports des parties à un contrat sont généralement régis par lui. [...] Cependant, l’effet juridique ainsi produit, c’estàdire l’effet juridique du contrat en tant que celuici crée une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant, n’est pas une question que les parties peuvent décider par une simple stipulation. Autrement dit, il ne suffit pas d’énoncer dans le contrat que le travailleur assure ses services en tant qu’entrepreneur indépendant pour que ce soit effectivement le cas.

[37] [...] [...] on ne peut simplement laisser les parties décider à leur seul gré si elles sont liées par une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant. La situation juridique d’entrepreneur indépendant ou d’employé ne se détermine donc pas seulement sur la base de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable.

[Non souligné dans l’original.]

[138] Les commentaires du juge Mainville de la Cour d’appel fédérale sont conformes à la notion voulant que la LAE est une loi réparatrice, car elle vise à étendre les prestations financées par l’État aux personnes qui n’ont plus d’emploi. Dans cette optique, l’alinéa 5(1)a) devrait être interprété « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » : article 12 de la Loi d’interprétation.

[139] Après avoir examiné l’intention subjective des parties, la cour doit ensuite examiner la « réalité objective et vérifiable » de la relation. Il en est ainsi parce que, comme l’a indiqué le juge Mainville, il ne suffit pas « d’énoncer dans le contrat que le travailleur assure ses services en tant qu’entrepreneur indépendant » (Royal, par. 37). Pour cette raison, ainsi qu’il a été expliqué dans l’arrêt Connor Homes, la cour doit ensuite déterminer si la véritable relation de travail concorde objectivement avec cette intention.

[140] Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59 (« Sagaz »), le juge Major de la Cour suprême du Canada a expliqué que les facteurs les plus importants sont ceux qui ont été définis par la CAF dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 CF 553 (« Wiebe Door »).

[141] Ces facteurs comprennent notamment les suivants :

1. le degré ou l’absence de contrôle exercé par l’employeur allégué;

2. la propriété des instruments de travail;

3. la possibilité de profit et le risque de perte et de responsabilité;

4. l’intégration du travail de l’employé allégué à l’entreprise de l’employeur allégué.

[142] Comme l’a souligné par la suite le juge Major, ces facteurs « ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer », ajoutant que « [l]eur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire » (par. 48).

[143] Les paragraphes qui suivent présentent un examen de décisions de principe portant sur des travailleurs du secteur des services financiers et, plus précisément, sur la vente de produits d’assurance.

[144] L’arrêt Combined Insurance Company of America c. Canada (Revenu national), 2007 CAF 60 (« Combined CAF »), portait sur un appel interjeté par une compagnie d’assurances à l’encontre d’une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt (« CCI ») qui avait déclaré que la travailleuse avait occupé un emploi assurable durant les six mois précédant la résiliation de son contrat.

[145] Dans un jugement unanime, la CAF a conclu que le juge de première instance avait « tiré ses conclusions uniquement sur la base du témoignage [de la travailleuse] » et qu’il n’avait pas tenu compte du témoignage des quatre témoins de la compagnie d’assurances ni des « critères énoncés [...] dans Wiebe Door » (par. 38). La CAF a conclu que cela constituait une erreur et elle a entrepris « de réexaminer la preuve [...] à la lumière des critères de détermination » (par. 39).

[146] La CAF a fait un examen exhaustif de la preuve en regard des critères énoncés dans Wiebe Door et de plusieurs autres facteurs, et elle a conclu que la qualification de la travailleuse à titre d’entrepreneur indépendant était conforme à la situation factuelle. Elle a également conclu que la travailleuse était propriétaire de tous les instruments nécessaires à l’exercice de ses activités de vente et que ses perspectives de bénéfices et ses risques de pertes étaient tributaires de ses efforts et du nombre d’heures de travail. La CAF a précisé que « le contrôle de la qualité du travail, tout comme celui du résultat, ne créent pas nécessairement de lien de subordination [et qu’ils ne doivent] pas être confondus avec le contrôle de l’exécution des travaux » (par. 70). Elle a conclu que la compagnie d’assurances « n’exerçait qu’un contrôle minimal sur le résultat [...] et ce, principalement afin de respecter les exigences statutaires et réglementaires » (par. 72). Elle a noté que la compagnie d’assurances avait naturellement un intérêt pécuniaire à ce que ses travailleurs vendent le plus grand nombre possible de polices d’assurance et que le gérant de district avait pris tous les moyens dont il disposait « pour motiver ses représentants et les rendre plus efficaces », parfois en « exerça[n]t considérablement de pression » (par. 73). Les réunions organisées à l’intention des nouveaux représentants avaient pour but d’accroître leur productivité, mais il n’était pas obligatoire d’y assister et aucun élément de preuve n’indique que des sanctions ont été infligées. La Cour a conclu que la travailleuse était une travailleuse autonome et qu’elle n’avait pas occupé un employé assurable durant la période de six mois en cause.

[147] De même, dans Giroux c. M.R.N., 2008 CCI 653 (« Giroux »), l’appelante travaillait comme agente d’assurance pour la London Life et, après la résiliation de son contrat, le ministre a déterminé qu’elle était travailleur autonome. L’appelante a interjeté appel et la London Life a participé à titre d’intervenante pour étayer la thèse du ministre.

[148] La travailleuse avait initialement été embauchée comme stagiaire et elle a touché un salaire de 500 $ par semaine pendant un programme de sept semaines. Elle a ensuite signé une convention de vente dans laquelle il était indiqué qu’elle était travailleuse autonome. À partir de ce moment, elle ne touchait que des commissions. Son contrat prévoyait qu’elle devait réaliser un nombre minimal de ventes. Elle devait assumer toutes les dépenses engagées dans le cadre de ses activités promotionnelles, de même que le coût de son permis d’agente d’assurance. Elle pouvait travailler de la maison, mais elle avait aussi la possibilité de louer un bureau et un ordinateur de la London Life. Son contrat a été résilié après un congé de maladie, car son permis d’agente d’assurance n’était plus en règle.

[149] Lors de l’audition de son appel, la travailleuse a convoqué deux témoins, tous les deux des agents de vente pour la London Life. Le premier témoin (M. Thiffault) a déclaré qu’il avait été « obligé de suivre une formation continue pendant ses 24 premiers mois de service » et que la London Life organisait des « réunions hebdomadaires ». Il a ajouté que « son directeur d’équipe faisait un suivi sur ses activités de sollicitation », qu’il « devait rendre compte du nombre d’appels téléphoniques ou de rencontres qu’il faisait auprès de clients potentiels » et qu’il « devait soumettre une évaluation trimestrielle et [...] expliquer toute baisse du chiffre d’affaires qui aurait pu se produire » (par. 9 à 11).

[150] Le deuxième témoin, M. Bourgeois, était « directeur général de perfectionnement et de formation » et il dirigeait « la formation de l’appelante ». Il aidait les nouveaux conseillers à préparer un plan d’affaires et était responsable de leur formation, notamment de la formation sur les produits d’assurance et les logiciels utilisés par la London Life ainsi que sur les techniques de vente. Les agents utilisaient un logiciel du nom de « Spectra » pour recueillir des données et produire, à l’intention des clients, des rapports indiquant tous les produits d’assurance pertinents. Il organisait des rencontres hebdomadaires qui étaient « obligatoires » pour les agents qui comptaient moins de 24 mois de service (par. 17 et 18).

[151] Après avoir fait un examen approfondi de la convention de vente de l’appelante, le juge Hogan a conclu que les faits étaient très semblables à ceux examinés dans l’arrêt Combined CAF, mais que l’appelante « a pu bénéficier à certains égards d’une plus grande liberté », car « elle pouvait définir son propre territoire de vente et sa clientèle cible ». Elle était également « libre de participer ou non à des salons ou à des événements professionnels ». Le juge Hogan a conclu que l’appelante « comprenait bien la différence entre un employé et un travailleur autonome » et qu’elle avait « choisi de se déclarer travailleuse autonome parce que la nature de son travail se prêtait bien à cette relation juridique ». Il a ajouté que la London Life « exerçait un contrôle dans le seul but de se conformer à des obligations réglementaires » et que l’appelante « avait le contrôle sur ses heures de travail et également sur l’effort qu’elle mettait à augmenter son revenu net ». Le juge Hogan a conclu que l’appelante était « une travailleuse autonome » et que « son travail n’était pas un emploi assurable aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi » (par. 53 à 59).

[152] Dans une décision ultérieure, Combined Insurance Company of America c. M.R.N., 2011 CCI 85 (« Combined CCI »), le ministre du Revenu national avait établi que les travailleurs en cause occupaient un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE. La compagnie d’assurances a interjeté appel de cette décision.

[153] Le juge Favreau a mentionné que la convention de vente qui avait été signée par les travailleurs était « une entente-type pour le Québec que tous les représentants des ventes devaient signer pour pouvoir exercer leurs activités de vente de produits d’assurance », ajoutant qu’aucune de ses clauses n’était négociable, qu’aucune modification ne pouvait y être apportée et que, « [l]orsqu’un représentant des ventes devenait gérant des ventes, il devait signer un ajout à cette entente qui restait en vigueur » (par. 16). Selon l’entente conclue, les travailleurs déclaraient être des entrepreneurs indépendants et reconnaissaient ne pas être des employés et ne pas avoir droit aux avantages offerts aux salariés de la compagnie d’assurances.

[154] Le juge Favreau a conclu que la conduite des travailleurs correspondait à la description dans le contrat en litige, ajoutant qu’il connaissait très peu d’employés qui assumeraient les coûts engagés par les travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions. Invoquant l’arrêt Combined CAF, il a conclu qu’il ne pouvait établir « l’existence d’un lien de subordination », car les travailleurs « avaient le choix des moyens d’exécution de leur travail. Ils pouvaient recruter et former le nombre de représentants qu’ils désiraient avoir dans leur équipe respective, les accompagner sur le terrain et les motiver et solliciter la clientèle qu’ils désiraient sous réserve des secteurs attribués aux autres représentants » (par. 72 et 73).

[155] En renvoyant à l’arrêt Wiebe Door, le juge Favreau a mentionné que les travailleurs « étaient propriétaires de certains outils nécessaires à l’exercice de leurs activités, mais [que] les outils les plus importants appartenaient » à la compagnie d’assurances. Il a conclu que les travailleurs « pouvaient réaliser de substantiels profits en consacrant temps et énergie à leurs activités mais [qu’ils] étaient également exposés à des risques de pertes » et que le contrôle exercé par la compagnie d’assurances visait à permettre aux employés d’« atteindre leurs objectifs en termes de chiffres d’affaires et de revenus et, finalement, de faire respecter les exigences législatives et réglementaires » (par. 74).

[156] Le juge Favreau a également examiné plusieurs facteurs soulevés par les travailleurs, notamment la formation hebdomadaire offerte aux gérants, la composition des équipes, les sanctions qui pouvaient leur être imposées s’ils n’atteignaient pas leurs objectifs de vente, le texte précis – qualifié de « mot à mot » – qui devait être utilisé, le code vestimentaire ainsi que l’« encadrement précis et explicite des gérants » qui « faisaient partie de la structure » et qui pouvaient être rétrogradés (par. 40). Il a mentionné que « les éléments de subordination invoqués » par les travailleurs ne lui avaient pas permis de conclure en « l’existence d’un lien de subordination » (par. 75) et il a conclu que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants.

[157] Plus récemment, dans l’affaire Lamontagne c. M.R.N., 2018 CCI 153 (« Lamontagne »), l’appelante avait travaillé comme agente d’assurance auprès de la société Distribution Financière Sun Life (Canada) inc. (« Sun Life »). Le ministre avait conclu que la travailleuse n’exerçait pas un emploi assurable au sens de la LAE. La travailleuse a interjeté appel et la Sun Life a participé à titre d’intervenante pour étayer la thèse du ministre.

[158] Au terme d’un stage de trois mois, la travailleuse avait obtenu son permis et signé un contrat pour vendre des produits d’assurance de Sun Life et des produits de compagnies affiliées. Le contrat décrivait en ces termes les responsabilités de la travailleuse : « solliciter et recueillir des propositions de polices; [...] amener des clients potentiels à la Compagnie; [...] assumer le service des polices personnelles; [...] agir à titre d’agent de la Compagnie pour tout ce qui concerne la commercialisation et la distribution de polices au public ». Il y était également précisé que la travailleuse était un entrepreneur indépendant et que le contrat ne créait « aucunement entre les parties un rapport d’employeur à employé ni de maître à serviteur » (par. 9).

[159] À la suite de la résiliation de son contrat, la travailleuse a déposé une plainte auprès de la Commission des relations du travail du Québec et engagé une procédure contre Sun Life auprès de la Cour supérieure du Québec pour résiliation abusive et de mauvaise foi de son contrat de travail, en réclamant des dommages-intérêts de 3,7 millions de dollars. Les deux instances ont été rejetées et il a été conclu que la travailleuse était une travailleuse autonome.

[160] La juge D’Auray a indiqué qu’elle aurait pu rejeter l’appel sur la base du « principe de la courtoisie judiciaire », invoquant à l’appui l’arrêt Congiu c. Canada, 2014 CAF 73. Elle a néanmoins examiné les dispositions applicables du CCQ et s’est penchée sur la question de l’intention et elle a conclu que le contrat ne laissait aucun doute quant à l’intention des parties qui était que la travailleuse était un « entrepreneur indépendant ». Qui plus est, la travailleuse avait déclaré un revenu d’entreprise et demandé la déduction de dépenses liées à la conduite de ces activités sur sa déclaration de revenus. La juge D’Auray a donc conclu que la travailleuse n’était pas crédible lorsqu’elle a déclaré qu’elle n’avait pas lu ou compris le contrat en cause. Ayant examiné en détail la relation de travail en regard des divers facteurs énoncés dans Wiebe Door, la juge D’Auray a conclu que l’appelante était une travailleuse autonome.

[161] L’intervenante dans cette affaire a invoqué plusieurs autres décisions.

[162] L’arrêt Paquin c. Services financiers Groupe Investors, 2012 QCCA 37, était un appel d’une décision de la Cour supérieure du Québec qui avait confirmé une conclusion de la CNTQ selon laquelle le travailleur n’était pas un salarié. La Cour d’appel du Québec en était arrivée à cette conclusion en appliquant les critères énoncés dans Wiebe Door ainsi qu’en tenant compte d’autres facteurs, notamment le contrôle de la présence du travailleur, les évaluations du rendement, la possibilité de mesures disciplinaires et l’obligation d’exécution personnelle du travail.

[163] La Cour d’appel du Québec a conclu que l’analyse des critères énoncés dans Wiebe Door penchait en faveur d’une conclusion selon laquelle le travailleur était un entrepreneur indépendant, notant plus précisément qu’aucune preuve n’indiquait que des mesures disciplinaires avaient été prises et qu’il était parfaitement normal que la compagnie d’assurances veille à ce que le travailleur établisse des objectifs de vente et à ce qu’il atteigne ces objectifs. L’appel a été rejeté.

[164] L’arrêt Fédération des caisses Desjardins du Québec c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 182 (« Fédération »), était un appel d’une décision de la CCI qui avait conclu que la travailleuse était une employée. La CAF a noté que la CCI aurait dû tenir compte de l’« application complémentaire » de la LAE et du CCQ afin de déterminer s’il existait « un lien de subordination juridique », ajoutant que cela devait se faire dans « une perspective globale où aucun facteur n’était censé jouer un rôle dominant » (par. 3).

[165] La CAF a conclu que, même si l’employée n’avait pu négocier la convention de vente et que le pouvoir de négociation avait semblé inégal, ce facteur n’était pas pertinent pour « conclure à l’existence ou non d’un lien de subordination ». La Cour a ajouté que, même si « des rapports d’évaluation de la qualité et de la quantité du travail étaient émis périodiquement », il ne fallait pas les confondre avec « les notions applicables puisque le contrôle des résultats n’équivaut pas au contrôle de l’exécution des travaux, lequel est propre au contrat de louage de services » (par. 4 et 5). La CAF a conclu qu’il était nécessaire « de procéder à une analyse globale de l’affaire, [... et] de considérer toute la preuve à la lumière des critères applicables », ainsi qu’il avait été établi dans l’arrêt Combined CAF (par. 6). La décision de la CCI a été annulée et l’affaire a été renvoyée afin d’être réexaminée par un autre juge.

VII. Analyse

Intention des parties

[166] Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, le contrat de représentation prévoyait que l’appelant était un entrepreneur indépendant et qu’il n’existait aucune relation employeur-employé.

[167] L’appelant a déclaré qu’il n’avait « pas lu » le contrat de représentation avant de le signer, le 3 mai 2012, laissant ainsi entendre qu’il ne savait pas, ou qu’il n’avait pas compris, qu’il serait un entrepreneur indépendant lié par un contrat d’entreprise.

[168] Je conclus que plusieurs éléments vont à l’encontre de cette affirmation de l’appelant, notamment le fait qu’il a signé une demande de rétablissement de son permis d’agent d’assurance sur laquelle il avait indiqué qu’il était « rattaché » à IA « sans y être employé ».

[169] Elle a aussi été contredite par le témoignage de M. Leclerc qui a déclaré que, même s’il ne se rappelait pas précisément avoir rencontré le sujet, il avait rencontré plus de 300 agents durant sa carrière et, durant chacune de ces rencontres, il passait systématiquement en revue chaque clause importante du contrat de représentation.

[170] La thèse de l’appelant a également été contredite par le témoignage de Mme Charbonneau qui a déclaré avoir rencontré l’appelant à l’automne 2011. En réponse à ses demandes de renseignements, elle lui avait expliqué que tous les agents étaient des entrepreneurs indépendants rémunérés à la commission. L’appelant a ensuite présenté une demande à IA le 21 décembre 2011.

[171] La thèse de l’appelant a, dans l’ensemble, été contredite par les témoignages de M. Charbonneau, de Mme Woo et de Mme Charbonneau qui avaient tous les trois rencontré l’appelant. Mme Woo, plus précisément, est entrée au service d’IA peu avant l’appelant. Tous les trois savaient qu’« ils » étaient des entrepreneurs indépendants.

[172] Le fait que l’entente conclue avec la London Life le décrivait comme un entrepreneur indépendant mine encore plus la thèse de l’appelant. Il a reçu un feuillet T4A pour chacune des années d’imposition 2009, 2010 et 2011 et il a déclaré le revenu de commissions net qui y était indiqué. Aucune retenue n’avait été effectuée.

[173] En 2012, l’appelant a reçu un feuillet T4A d’IA et il a de nouveau déclaré le revenu de commissions net, ainsi que le revenu d’entreprise net provenant d’une autre source. Je juge que les pertes dont il a demandé la déduction pour ces années d’imposition montrent que l’appelant comprenait bien qu’il pouvait demander la déduction de dépenses à titre de travailleur autonome.

[174] J’accorde peu d’importance au règlement conclu avec la London Life et au paiement forfaitaire de 15 000 $ que la London Life lui a versé, car ce paiement a été fait sous réserve de tous droits et sans aveu de responsabilité. Contrairement à ce que prétend l’appelant, cela ne signifie pas que la London Life « a reconnu » qu’il était un employé. Il s’agissait d’un règlement à l’amiable type, conclu entre les parties à titre de compromis.

[175] Comme l’a reconnu l’appelant, il a suivi une formation de base sur la fiscalité dans le cadre de sa formation initiale auprès de l’AMF. Puisque l’appelant a suivi cette formation, je le juge peu crédible lorsqu’il déclare qu’il n’avait qu’une vague notion de la distinction entre la personne qui touche un revenu d’emploi avec retenues et celle qui touche un revenu d’un travail indépendant sur lequel aucune retenue n’est faite. De même, l’appelant n’est tout simplement pas crédible lorsqu’il dit avoir rempli ses déclarations de revenus en se contentant d’entrer les chiffres et en se fiant totalement au logiciel U-File.

[176] Compte tenu des dispositions claires du contrat de représentation, la Cour conclut que la commune intention des parties était que l’appelant était un entrepreneur indépendant lié par un contrat d’entreprise.

[177] Il reste maintenant à déterminer si la réalité objective de la relation de travail était conforme à la commune intention.

Le degré ou l’absence de contrôle exercé par IA

[178] L’industrie des assurances est un secteur fortement réglementé. Aussi ne doit-on pas s’étonner qu’IA exerçait une certaine forme de contrôle sur le travail de l’appelant.

[179] Afin de veiller au respect des normes, une illustration devait être préparée avant de soumettre une proposition au client et une copie de cette illustration devait être versée au dossier. Tous les documents étaient passés en revue par le personnel administratif qui utilisait à cette fin une grille de conformité, puis les dossiers étaient examinés par le service de contrôle de la conformité.

[180] L’appelant devait vendre des produits d’assurance qui avaient été conçus et approuvés par IA et il disposait également d’une certaine latitude pour vendre des produits de l’extérieur. Vu la nature réglementée de l’industrie, il ne s’agissait pas d’une entreprise où l’appelant pouvait vendre des produits qui n’avaient pas été approuvés par IA, pas plus qu’il ne pouvait accepter de l’argent ou des chèques personnels pour la vente de tels produits.

[181] Pour autoriser l’accès à la série complète de ses produits d’assurance, IA exerçait là encore un certain degré de contrôle, puisqu’il était impossible d’accéder à l’intranet et à la plateforme Gestion Clients sans avoir un ordinateur avec code d’accès et mot de passe.

[182] IA exerçait également un certain contrôle sur l’utilisation des cartes professionnelles et du matériel promotionnel, mais cela était fait dans le but de veiller à leur conformité avec les lois et règlements applicables.

[183] L’appelant déclarait ses activités de vente à son directeur des ventes. Cela a été confirmé par les autres témoins qui faisaient la même chose, notamment par M. Charbonneau qui comptait de nombreuses années d’ancienneté. Mais ces témoins ont également expliqué qu’ils établissaient leurs propres objectifs de vente et que ces rencontres avec le directeur avaient pour but de le tenir informé des progrès et des ventes qu’ils avaient réalisés. Elles leur donnaient également l’occasion de poser des questions et d’obtenir une rétroaction.

[184] L’appelant a indiqué qu’il avait noté environ huit rencontres avec son directeur des ventes ou avec M. Leclerc durant une période de huit mois.

[185] Je juge qu’il s’agit d’un niveau de contrôle assez faible et qu’un employé ferait normalement l’objet d’un niveau de surveillance et de supervision nettement supérieur. Comme l’a déclaré la CAF dans l’arrêt Fédération, précité, « le contrôle des résultats n’équivaut pas au contrôle de l’exécution des travaux, lequel est propre au contrat de louage de services » (par. 4 et 5).

[186] Outre ces rencontres, rien n’indique que l’appelant était assujetti à quelque restriction ou ligne directrice quant à la manière de mener ses activités de prospection de clientèle, ou à quelque limite quant au moment ou aux endroits où ces activités devaient être menées.

[187] Même les séances de formation qui proposaient des directives sur les techniques de vente, par exemple sur la manière de solliciter des clients ou de répondre à des objections, avaient toutes pour but de fournir des outils et des conseils pour accroître la productivité. Elles n’étaient pas obligatoires.

[188] Le contrat de représentation précisait qu’IA se réservait le droit [traduction] « d’établir, à l’endroit de l’agent, des normes minimales en matière de production et de maintien des affaires », mais aucune preuve n’a été présentée pour indiquer quelles étaient ces normes. Le seul élément de preuve qui a été présenté à la Cour était que l’appelant avait vendu cinq polices et que, lorsque son contrat a été résilié, il n’avait enregistré aucune vente pendant quatre semaines ou plus, comme l’a déclaré M. Leclerc.

[189] Comme nous l’avons vu précédemment, aucune preuve n’indique que l’appelant devait respecter des normes de production quotidiennes ou hebdomadaires obligatoires, ni même recommandées. L’appelant était encouragé à mener des activités de prospection, mais il disposait d’une grande marge de manœuvre quant à la manière de mener ces activités. Comme l’a expliqué M. Leclerc, le succès des agents était directement lié au nombre de rencontres prévues par semaine.

[190] Je juge que le niveau de contrôle exercé par IA sur les activités menées par l’appelant était mené principalement à des fins de surveillance et de contrôle de la qualité, ainsi que pour veiller au respect de la réglementation. L’appelant disposait autrement d’une large marge de manœuvre quant à la manière d’exécuter son travail. Cela est conforme à l’intention des parties et aux modalités du contrat de représentation selon lesquelles l’appelant était un entrepreneur indépendant.

Propriété des instruments de travail

[191] L’appelant a fait valoir qu’IA était une société qui valait plusieurs milliards de dollars et qui disposait d’importantes ressources financières. Elle était propriétaire de l’entreprise qu’elle exploitait, elle développait des produits et des logiciels, ce qui, dans l’esprit de l’appelant, signifiait qu’IA possédait la majeure partie des éléments d’actif de l’entreprise et qu’il s’agissait de l’entreprise d’IA et non de celle de l’appelant. Il a donc conclu qu’il était un employé.

[192] L’appelant a contesté les divers témoins et a cherché à leur faire reconnaître qu’on leur avait attribué un bureau et des accessoires connexes et qu’ils avaient eu accès au logiciel d’IA qui n’avait pas été développé ni payé par eux. Il cherchait ainsi à démontrer qu’IA possédait la majeure partie des éléments d’actif de l’entreprise.

[193] L’appelant a omis de reconnaître qu’il louait un ordinateur sur une base hebdomadaire, alors qu’il aurait pu acheter son propre ordinateur. Il a également payé les frais de location d’un kiosque de vente, comme l’ont confirmé M. Leclerc et Mme Charbonneau. Il devait aussi assumer le coût des cartes professionnelles et du matériel promotionnel.

[194] Le fait qu’IA était propriétaire de la majeure partie des éléments d’actif de l’entreprise pourrait être interprété comme signifiant que l’appelant exerçait un emploi assurable.

[195] La Cour doit toutefois rejeter cet argument, car il confond les éléments d’actif de l’entreprise avec les outils de travail nécessaires à un agent de vente. Cet argument ne tient pas compte du fait que le véritable travail d’un agent de vente était de vendre des produits d’assurance à titre d’« agent » d’IA. Ce travail exigeait que l’appelant s’engage activement dans des activités de prospection. L’outil de travail essentiel de l’agent de vente était l’ordinateur, qui pouvait appartenir à l’agent ou que ce dernier pouvait louer d’IA, afin de pouvoir accéder au réseau intranet d’IA et à la plateforme informatique Gestion Clients.

[196] Je conclus que l’appelant possédait (ou louait) les instruments de travail nécessaires à l’exécution de ses activités d’agent, ou qu’il était tenu de les fournir, notamment un ordinateur, un véhicule, des cartes professionnelles et du matériel promotionnel. Cela est conforme à l’intention des parties et aux modalités du contrat de représentation selon lesquelles l’appelant était un entrepreneur indépendant.

Possibilité de profit et risque de perte et de responsabilité

[197] Ainsi qu’il a été décrit précédemment, l’appelant n’avait droit qu’à un revenu de commissions provenant de la vente de produits d’assurance. Il n’avait pas droit à un traitement de base.

[198] L’appelant devait assumer le coût de toutes les activités de prospection et de promotion. Ses dépenses pouvaient donc très facilement dépasser ses commissions, ce qui a été le cas en 2012 et aussi, avant cela, lorsqu’il travaillait pour la London Life. S’il ne réalisait aucune vente pendant cinq semaines, son contrat pouvait être résilié sur préavis de sept jours. Lorsqu’un client annulait sa police d’assurance, l’agent pouvait être tenu de rembourser la commission de vente qui lui avait été versée. Il y avait donc un risque de perte.

[199] L’appelant avait également eu droit à une facilité de crédit de 2 500 $, qui était décrite dans la lettre d’offre comme un fonds d’établissement de carrière. Il avait droit à des avances hebdomadaires de 600 $ ou plus établies selon les ventes prévues, si elles étaient approuvées par le directeur de la succursale. Cependant, ces avances avaient davantage le caractère d’un prêt que d’un revenu, à moins qu’elles ne correspondent aux ventes réelles. L’appelant demeurait responsable des avances qui lui étaient versées, desquelles étaient soustraites les commissions qu’il avait gagnées. Lorsque le contrat de l’appelant a été résilié, il restait un solde dû à IA, ce qui témoigne du risque bien réel de perte.

[200] À l’inverse, comme l’a expliqué M. Leclerc, le succès d’un agent de vente était directement proportionnel au nombre de rencontres par semaine que cet agent organisait avec des clients. Il était proportionnel aux efforts et au nombre d’heures que l’agent consacrait à son travail. Les agents qui menaient des activités de promotion et de prospection efficaces pouvaient espérer réaliser des bénéfices appréciables. Durant son témoignage, M. Leclerc a indiqué que les agents de vente pouvaient conserver jusqu’à 70 % de leur revenu de commissions brut, le reste servant à couvrir les dépenses.

[201] L’appelant a exprimé du scepticisme au sujet de la possibilité de gagner un revenu raisonnable d’IA et il a présenté des données de l’AMF sur le nombre d’agents qui, sur une période de cinq ans, avaient quitté IA et la London Life après seulement un an (pièce A-71).

[202] La Cour reconnaît que le taux d’attrition dans le secteur des services financiers est assez élevé, mais elle estime que cela est probablement dû à la nature compétitive de l’activité de vente et au profil entrepreneurial requis pour réussir. Cela dit, je juge que les données présentées par l’appelant sont peu concluantes ou qu’elles peuvent donner lieu à interprétation. Elles ne tiennent pas compte, par exemple, des départs à la retraite.

[203] Je conclus également que la thèse de l’appelant a été contredite par le témoignage des témoins de l’intervenante, notamment celui de Mme Woo qui n’avait aucune expérience préalable de l’industrie des assurances lorsqu’elle est entrée au service d’IA, en mars 2012.

[204] Même si, comme l’a fait valoir l’appelant, les résultats des activités de l’agent de vente augmentaient les bénéfices nets d’IA, ils offraient également la possibilité de générer d’importants revenus de commissions. Comme l’ont confirmé M. Charbonneau, Mme Woo, Mme Charbonneau et M. Leclerc, il était possible de réaliser d’importants bénéfices et, à un certain moment, de constituer son entreprise en société pour bénéficier de certains avantages fiscaux, un avantage auquel n’avaient généralement pas droit les employés. À la fin de sa carrière, l’agent de vente pouvait vendre sa clientèle ou son volume d’affaires à un autre agent, le tout étant financé à l’interne par IA. Il existait donc une possibilité importante de profit.

[205] Je conclus que la possibilité de profit et le risque de perte ou de responsabilité en l’espèce sont conformes à l’intention des parties et aux modalités du contrat de représentation selon lesquelles l’appelant était un entrepreneur indépendant et non un employé.

Intégration de l’appelant à l’entreprise d’IA

[206] Cette question doit être envisagée du point de vue du travailleur (Sagaz, par. 43). Le 12 avril 2012, l’appelant est entré dans les bureaux d’IA et il y a rencontré M. Leclerc ainsi que M. Beaulé qui deviendrait son directeur des ventes.

[207] Ainsi qu’il a été mentionné, on lui a fourni un bureau et des accessoires connexes. Il a reçu une brève formation sur l’utilisation du téléphone et on lui a présenté quelques messages types qu’il pouvait utiliser pour indiquer aux personnes qui l’appelaient qu’il était absent du bureau. Il a imprimé les instructions pour l’utilisation du téléphone Nortel (pièce A-34). On lui a également remis une boîte contenant des cartes professionnelles préimprimées, comparables à celles d’autres agents et de M. Leclerc.

[208] Après que l’appelant a eu signé le contrat de location, on lui a remis un ordinateur portable et fourni un code d’accès et un mot de passe pour accéder au réseau intranet, duquel il pouvait consulter la série complète de produits offerts par IA ainsi que le calendrier à jour des événements et séances de formation à venir.

[209] L’appelant et d’autres agents de vente recevaient régulièrement des courriels dans lesquels on leur demandait de prendre note du programme mis à jour, en soulignant les éléments qui avaient une certaine importance. On demandait à tous les agents de noter ces renseignements dans leur agenda personnel.

[210] Selon le contrat de représentation, l’appelant devait vendre les produits d’assurance d’IA, mais il pouvait également vendre des produits concurrents si IA l’autorisait.

[211] Si le contrat d’un agent était résilié, tous les clients qui avaient initialement été attribués à cet agent, ou tout nouveau client, devenaient les clients d’IA. Les agents étaient assujettis à une clause de non-sollicitation et de non-concurrence d’une durée de deux ans après leur départ.

[212] Même si ces éléments pourraient indiquer que l’appelant était en fait intégré à l’entreprise d’IA, comme le souligne l’appelant, je suis d’avis qu’il existe d’autres éléments importants qui pointent dans la direction opposée.

[213] Durant son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il travaillait pour IA du lundi au jeudi et qu’il réservait les vendredis pour des activités personnelles et les fins de semaine pour une autre entreprise sans lien avec les assurances. Il établissait donc son horaire de travail sans aucune ingérence de la part d’IA. Aucun élément de preuve n’indique qu’il avait un horaire de travail normal et rien n’indique que l’appelant était de quelque façon tenu d’être présent au bureau de la succursale pendant un nombre minimal d’heures par jour ou par semaine.

[214] Durant leurs témoignages, M. Leclerc et Mme Woo ont déclaré que l’appelant n’était pas souvent présent à la succursale, sauf pour les réunions ou les séances de formation.

[215] L’appelant a présenté en preuve une note d’un médecin qu’il avait télécopiée à l’attention de M. Leclerc pour justifier son absence de quelques jours en septembre 2012. J’accepte le témoignage de M. Leclerc selon lequel aucun suivi n’était fait des absences. Les agents de vente n’étaient pas tenus de justifier leurs absences, ni de demander l’autorisation pour prendre des congés ou des vacances.

[216] Ainsi qu’il a été mentionné dans le résumé qui précède, l’appelant a déclaré qu’il avait assisté, avec diligence, à toutes les séances de formation qui avaient été offertes trois fois par semaine d’avril à juin, et que ces séances étaient obligatoires. Sa présence à ces séances de formation n’a pas été contestée et, de fait, elle a été confirmée à plusieurs occasions.

[217] Cependant, la liste des séances de formation (pièce A-8) était intitulée : « Formation initiale 2012 – Nouveaux agents – Durée 10 semaines – de 9 h 30 à 11 h 30 ». L’allégation de l’appelant selon laquelle ces séances étaient obligatoires a été contredite par M. Leclerc qui a précisé qu’elles n’étaient obligatoires que pour les « stagiaires ». Cela a été confirmé par Mme Woo qui était en fait une nouvelle agente non autorisée.

[218] M. Leclerc a indiqué que rien n’empêchait l’appelant d’y assister et qu’il était en fait encouragé à le faire s’il croyait que cela serait bénéfique ou avantageux pour lui; la décision était toutefois laissée à son entière discrétion. M. Leclerc ne savait pas exactement comment l’appelant avait obtenu la liste, mais il semble plausible qu’elle lui ait été remise par son directeur des ventes, M. Beaulé (qui ne travaillait plus pour IA), qui avait été très désireux de fournir à l’appelant tous les outils nécessaires pour garantir son succès.

[219] La deuxième liste de séances de formation était intitulée « Grille de formation pour tous les agents ». L’appelant a insisté sur le fait que ces séances étaient elles aussi obligatoires. Cette observation a elle aussi été contredite par M. Leclerc et par tous les témoins de l’intervenante qui ont déclaré n’assister à ces séances qui si le thème les intéressait ou qu’ils souhaitaient accumuler des UFC pour se conformer aux exigences. Bien que l’appelant affirme que ces séances de formation étaient obligatoires, je conclus qu’elles ne l’étaient pas.

[220] Malgré les nombreux courriels internes produits par l’appelant, comportant les mots « important », « primordial » ou « impératif » et exhortant tous les agents à examiner le programme mis à jour, je conclus que l’ensemble de la preuve montre que ces réunions étaient, au mieux, « importantes » et que les agents étaient libres d’y assister s’ils étaient disponibles et que le thème les intéressait. La seule exception s’appliquait aux stagiaires qui, à des fins de conformité, étaient tenus d’y assister dans le cadre de leur formation obligatoire de 90 jours.

[221] On ne peut en dire autant de la réunion sur le logiciel Gestion Clients à laquelle tous les agents, « sans exception », étaient tenus d’assister, car la participation était « obligatoire ». Bien qu’il n’ait pas été clairement établi à quelles conséquences – s’il en est – s’exposaient les agents qui n’y assistaient pas, je conclus que le ton de ce courriel soulignait l’importance de la nouvelle plateforme informatique d’IA, qualifiée d’essentielle pour tous les agents.

[222] L’appelant a souligné le fait que les courriels internes comprenaient régulièrement une liste des agents de vente qui n’avaient pas assisté à la dernière séance de formation. Il n’a toutefois pas pu indiquer s’il en avait résulté quelque conséquence ou sanction. Mme Charbonneau a expliqué que la liste visait à rappeler aux agents qu’ils devraient consulter le matériel du module ou du cours offert. Aucun des autres témoins de l’intervenante n’a jugé que la liste avait quelque importance ou que des conséquences y étaient rattachées. Je retiens leurs témoignages.

[223] En définitive, il n’existe aucun élément de preuve indiquant que le fait de ne pas assister aux réunions de la succursale ou aux séances de formation entraînait quelque conséquence ou sanction, du moins pour l’appelant.

[224] J’accepte également le témoignage de M. Michaud, selon lequel la préparation et la distribution d’une liste des agents les plus performants visaient à stimuler une certaine concurrence interne ainsi qu’à motiver les agents de vente. Aucun élément de preuve n’indique qu’IA exerçait quelque forme de contrôle sur la manière dont les agents de vente exécutaient leur travail.

[225] En dépit de la fourniture d’un bureau et des accessoires connexes, je conclus que les principaux facteurs dont la Cour doit tenir compte sont l’absence d’horaire de travail et la capacité qu’avait l’appelant de contrôler son propre horaire et ses activités promotionnelles. Je conclus que l’appelant n’était pas obligé d’assister aux séances de formation et qu’il l’a fait volontairement dans le but d’améliorer ses chances de succès. Aucune sanction n’était infligée en cas de non-participation.

[226] Par conséquent, je conclus que le degré d’intégration de l’appelant est conforme à l’intention des parties et aux modalités du contrat de représentation, selon lesquelles l’appelant était un entrepreneur indépendant et non un employé.

VIII. Conclusion

[227] Je conclus qu’il est difficile d’établir une distinction entre les faits en l’espèce et ceux présentés dans Combined CAF, Giroux, Combined CCI et la décision plus récente rendue dans Lamontagne. Cela dit, cela ne signifie pas que les faits sont identiques.

[228] Comme l’a souligné le juge Favreau dans Combined CCI, le contrat signé par l’appelant était un contrat-type au Québec que les représentants des ventes étaient tenus de signer. Ce contrat indiquait clairement que l’appelant était un entrepreneur indépendant, qu’il n’existait aucune relation employeur-employé et que l’appelant devait assumer tous les frais promotionnels engagés dans l’exercice de cette activité.

[229] Je conclus qu’IA exerçait ce niveau de contrôle principalement à des fins de surveillance et de contrôle de la qualité de la vente de ses produits. Ce contrôle était également exercé pour veiller au respect des exigences des lois et des règlements qui s’appliquaient à cette industrie hautement réglementée. IA n’a toutefois pas cherché à contrôler l’exécution du travail de l’appelant.

[230] Même si IA était propriétaire de la majeure partie des éléments d’actif de l’entreprise, l’appelant possédait ou louait tous les instruments de travail nécessaires à l’exercice de ses fonctions à titre d’agent de vente. Il payait également ses droits de permis à l’AMF ainsi que son assurance responsabilité civile.

[231] Il est vrai que le succès des activités de vente d’un agent augmentait nécessairement le résultat net d’IA, mais l’agent de vente pouvait du même coup réaliser un revenu important proportionnel aux efforts et au temps consacrés ainsi qu’à sa capacité de rencontrer des clients potentiels.

[232] Je conclus que l’appelant était responsable de l’exécution de son travail, qu’il contrôlait son horaire de travail et qu’il n’était pas tenu de rendre compte au directeur des ventes ou de se présenter au bureau durant un nombre précis d’heures ou de jours par semaine. Sa présence aux séances de formation et à la plupart des réunions de la succursale était facultative. S’il a assisté à toutes ces réunions, c’est parce qu’il a choisi de le faire pour assurer son propre succès.

[233] Après une analyse objective des divers critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, la Cour conclut que les réalités du milieu de travail étaient conformes à l’intention des parties, telle qu’elle a été énoncée dans le contrat de représentation, et que l’appelant était un entrepreneur indépendant qui n’était pas engagé dans une relation employeur-employé. Cela serait conforme aux articles 1425 et 1426 du CCQ.

[234] Après avoir examiné la réalité objective du lieu de travail, il m’est impossible de conclure qu’il existait un « contrat de travail » au sens de l’article 2085 du CCQ, puisque l’appelant n’avait pas consenti à « effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne », en l’occurrence IA.

[235] Je conclus, au contraire, que l’appelant était lié par un « contrat d’entreprise », conformément à l’article 2099 du CCQ, puisqu’il avait « le libre choix des moyens d’exécution du contrat » et qu’il n’existait « aucun lien de subordination » quant à l’exécution de ce contrat.

[236] La Cour conclut que l’appelant n’exerçait pas un emploi assurable au sens de la LAE durant la période en cause.

[237] Pour tous les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d’octobre 2022.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 109

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-3484(EI)

INTITULÉ :

KASSEM MAZRAANI C. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.,

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 29, 30 et 31 août et 1 et 2 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT :

Le 4 octobre 2022

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Emmanuel Jilwan

Avocats de l’intervenante :

Me Yves Turgeon

Me Amélya Garcia

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

en blanc / Blank

Cabinet :

en blanc / Blank

Pour l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

Pour l’intervenante :

Me Yves Turgeon et Me Amélya Garcia

Fasken

Montréal (Québec)

 

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