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Dossier : 2019-1422(IT)I

ENTRE :

JEC DISTRIBUTORS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 24 novembre et le 7 décembre 2022,

à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge David E. Graham


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Garry Siskos

Avocats de l’intimé :

Me Chen Yu Zhang

Me Iris Kingston

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation de l’appelante, établie pour l’année d’imposition se terminant le 30 septembre 2016, est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de décembre 2022.

« David E. Graham »

Le juge Graham


Référence : 2022 CCI 170

Date : 20221228

Dossier : 2019-1422(IT)I

ENTRE :

JEC DISTRIBUTORS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Graham

[1] L’appelante fabrique et distribue des produits pour l’industrie automobile. Elle se concentre principalement sur les produits de soudure et sur la technologie de soudage. L’appelante est ce qu’on appelle un fabricant de deuxième rang.

[2] Lorsque l’appelante a présenté sa déclaration de revenus pour son année d’imposition se terminant le 30 septembre 2016, elle a déclaré des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental de 91 537 $ relativement à trois projets différents. Le ministre du Revenu national a rejeté cette déclaration et l’appelante a interjeté appel.

A. Les témoignages

[3] Trois des employés de l’appelante ont témoigné : Joe Ruggiero, Paul Lichaa et Bill Dodge. Je considère que chacun d’eux est crédible. Ils ont fourni des descriptions très utiles du travail de l’appelante et des tâches inhérentes aux projets en question.

[4] J’ai également entendu le témoignage et le contre-interrogatoire de Jason Sousa de l’Agence du revenu du Canada. Je considère qu’il est un témoin crédible, mais son témoignage ne m’a pas été très utile.

B. Le critère

[5] Le critère pour établir si une dépense est admissible au titre de dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental a été énoncé par le juge Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Northwest Hydraulic Consultants Ltd. c. La Reine [1] . Le juge Bowman a énoncé cinq critères qui doivent tous être satisfaits.

[6] Le premier critère consiste à savoir s’il existait des risques ou des incertitudes technologiques que les études techniques courantes ou les procédures habituelles ne pouvaient pas éliminer. Étant donné que les parties conviennent qu’il s’agit du seul critère en cause dans l’appel, je n’examinerai pas les autres critères.

[7] L’appelante invoque la décision Abeilles service de conditionnement inc. c. La Reine [2] de notre Cour. Elle affirme que cette décision indiquait que le premier critère énoncé dans la décision Northwest Hydraulic constituait simplement un moyen d’établir si un progrès technologique avait été accompli. Dans l’arrêt R&D Pro-innovation inc. c. Canada [3] , la Cour d’appel fédérale a essentiellement limité la décision Abeilles à ses propres faits et a confirmé que le critère est celui énoncé dans la décision Northwest Hydraulic. Par conséquent, j’appliquerai le critère énoncé dans la décision Northwest Hydraulic.

[8] Trois projets sont en cause. Chacun d’eux se rapporte aux produits de soudage par résistance. J’appliquerai individuellement à chacun des trois projets le critère.

C. Projet no 1

[9] Le premier projet a été nommé [traduction] « Contrôleur de débit par liaison de données ». Les témoins de l’appelante ont expliqué que les pistolets de soudage sont dotés de deux buses, qui se ferment par-dessus le métal à souder, à l’instar d’une mâchoire.

[10] Au cours du procédé de soudage, les buses deviennent très chaudes. De l’eau passe par les pistolets pour permettre le refroidissement des buses. Il est important que l’eau soit à la bonne température et qu’elle s’écoule à un débit qui convient. Si l’eau devient trop chaude ou cesse de s’écouler correctement, les soudures fonctionneront mal ou les buses se souderont au métal qu’elles soudent et se détacheront des pistolets. Dans un cas comme dans l’autre, les clients de l’appelante devront arrêter leurs chaînes de fabrication, ce qui leur coûtera du temps et de l’argent.

[11] Le projet no 1 visait à créer un système de capteurs qui pourrait être utilisé sur chaque pistolet de soudage afin de contrôler le débit et la température de l’eau qui passe par ce pistolet.

[12] Une cellule de soudage est une zone sur une chaîne de fabrication qui contient un ou plusieurs pistolets de soudage. Des systèmes existants mesuraient la température et le débit de l’eau qui s’écoulait dans l’ensemble de la cellule de soudage. L’appelante pensait qu’un système qui contrôlait chaque pistolet individuellement permettrait à ses clients de repérer le pistolet dans la cellule de soudage qui causait un problème et, par conséquent, de diminuer le temps d’arrêt.

[13] Afin de recueillir les données de chaque pistolet, l’appelante devait aussi trouver un moyen de relier chaque contrôleur de température et de débit utilisé sur un pistolet de soudage aux systèmes de production informatiques des clients, de préférence à l’aide de connexions Ethernet. Cela présentait des défis, car différents clients exploitaient divers systèmes.

[14] Enfin, l’appelante pensait que si elle pouvait recueillir suffisamment de données à partir des pistolets de soudage, elle pourrait développer des algorithmes qui permettraient de prévoir la survenue d’un problème. Cela permettrait aux clients de l’appelante de prévoir les problèmes et éventuellement de les régler avant qu’ils ne surviennent.

[15] Les témoins ont expliqué que l’appelante a mis à l’essai plusieurs capteurs différents destinés à contrôler le débit et la température. Elle a continué à procéder à des changements technologiques, jusqu’à ce qu’elle trouve quelque chose qui, selon elle, fonctionnerait non seulement en laboratoire, mais aussi sur la chaîne de fabrication.

[16] Après avoir éprouvé des difficultés avec la technologie habituelle de contrôle du débit, l’appelante a demandé à une entreprise spécialisée dans le contrôle du débit de mettre au point une solution sur mesure pour elle. Cependant, ne pouvant pas obtenir l’accès au logiciel propriétaire pertinent, elle avait du mal à relier ces contrôleurs aux systèmes des clients.

[17] En fin de compte, ce qui posait surtout problème pour l’appelante était qu’il y avait beaucoup de bruit électrique sur la chaîne de fabrication qui perturbait les capteurs. Ce bruit électrique est un problème qui est bien connu dans le domaine du soudage par résistance.

[18] L’appelante a également constaté que les capteurs ne pouvaient pas résister à la saleté et à la contamination présentes dans une cellule de soudage. Enfin, il existait des problèmes relatifs aux protocoles de communication. L’appelante avait du mal à trouver un moyen d’envoyer simultanément un si grand nombre de signaux vers la cellule de soudage et à partir de celle-ci, sans ralentir les autres communications qui doivent être faites sur la chaîne.

[19] À ce jour, l’appelante n’a pas été en mesure de résoudre l’un ou l’autre des problèmes mentionnés précédemment.

[20] Comme je l’expose plus tôt, je dois examiner si le projet no 1 présentait des risques ou des incertitudes technologiques que les procédures habituelles ou les études techniques courantes ne pouvaient pas éliminer. Je ne peux conclure que cela était le cas.

[21] Je conclus que l’appelante elle-même ne pouvait pas éliminer les risques et les incertitudes technologiques liés au projet au moyen de procédures habituelles ou d’études techniques courantes. Elle utilisait des capteurs de température et de débit existants fabriqués par d’autres. Lorsque ceux-ci ne fonctionnaient pas, elle engageait d’autres personnes pour tenter de mettre au point de nouveaux produits. Elle a tenté de relier les pistolets au réseau local existant. Ces solutions n’ont pas fonctionné.

[22] Cependant, il ne suffit pas que l’appelante prouve qu’elle ne pouvait pas éliminer les risques et les incertitudes au moyen de procédures habituelles ou d’études techniques courantes. Le critère est objectif, et non subjectif. L’appelante doit démontrer que les risques ne pouvaient pas être éliminés par des études techniques courantes ou des procédures habituelles généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine. Elle ne l’a pas fait.

[23] Les connaissances spéciales de l’appelante avaient trait à la technologie de soudage. Je n’ai aucun moyen de savoir, par exemple, si un ingénieur électricien ou même un électricien qualifié pourrait avoir proposé une solution courante pour empêcher le bruit électrique de toucher les capteurs. De même, je n’ai aucun moyen de savoir si un ingénieur informaticien ou un technicien ayant une expertise en réseautique pourrait avoir utilisé des procédures de réseautique habituelles pour relier les capteurs aux réseaux des clients de l’appelante.

[24] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que le projet no 1 ne satisfait pas au premier critère.

[25] De plus, étant donné que l’appelante n’est jamais passée à l’étape de tentative de développement d’algorithmes, je ne me suis pas penché sur la question de savoir si cette partie du projet no 1 aurait satisfait au premier critère.

D. Projet no 2

[26] Le deuxième projet a été nommé [traduction] « Amélioration apportée au collecteur de copeaux antisalissure ». Les buses de l’appelante sont en cuivre. Au cours du procédé de soudage, les buses subissent une usure et une détérioration et, après un certain temps, elles se déforment et ont besoin d’être resurfacées.

[27] Le resurfaçage est effectué dans un système de dégauchissage. Il fonctionne comme un taille-crayon à double lame. Il resurface une buse et lui redonne sa forme d’origine. Lorsque cela se produit, de petits morceaux de cuivre tranchants tombent de la buse. Ces morceaux sont appelés des copeaux. Les copeaux tombent sur le sol de la cellule de soudage ou finissent sur le pistolet de soudage ou dans d’autres machines. Sans surprise, cette contamination peut causer des problèmes sur la chaîne de fabrication.

[28] L’appelante voulait trouver le moyen de recueillir les copeaux de façon fiable. Certains types de technologie actuelle utilisaient une buse d’air pour expulser les copeaux de la dégauchisseuse dans un type d’entonnoir qui les dirigeait vers un bassin ou un bac. Cette technologie n’était pas fiable. Un grand nombre de copeaux s’échappaient. Une autre technologie existante utilisait un appareil en plastique moulé qui pouvait être posé sur la dégauchisseuse afin de recueillir les copeaux. Ces appareils avaient tendance à s’encrasser et avaient été rejetés en grande partie par l’industrie.

[29] L’appelante voulait améliorer la technologie de soufflage. Elle a mis au point un système qui soufflait de l’air au travers de la dégauchisseuse d’un côté, tout en créant un vide de l’autre côté. Ce système aspirait les copeaux soufflés vers le système de vide et les acheminait vers une benne de collecte. Le système était efficace pour recueillir les copeaux.

[30] L’appelante a également conçu une benne de collecte aux coins arrondis en pensant qu’elle serait moins susceptible de s’encrasser. Afin de faire en sorte que les coûts demeurent bas, l’appelante a initialement essayé des bennes fabriquées à l’aide d’imprimantes 3D. Bien que l’impression en 3D des coins arrondis ait réussi, elle a elle-même créé des irrégularités dans les bennes. Ces irrégularités étaient encrassées de copeaux. L’appelante a également constaté que les bennes imprimées en 3D se brisaient si elles subissaient des chocs, de sorte qu’elles n’étaient pas du tout pratiques dans un contexte manufacturier.

[31] L’appelante a ensuite essayé des bennes fabriquées à l’aide de pièces usinées en aluminium. Ces bennes étaient efficaces pour recueillir les copeaux, mais elles étaient trop grandes et lourdes, de sorte qu’elles gênaient le fonctionnement des robots.

[32] Une fois encore, je ne peux conclure que le projet no 2 présentait des risques ou des incertitudes technologiques que les études techniques courantes ou les procédures habituelles ne pouvaient pas éliminer.

[33] L’appelante a résolu le problème d’acheminement des copeaux vers une benne à l’aide d’une technologie de ventilation et d’aspiration existante. J’estime que l’appelante a utilisé des études techniques courantes ou des procédures habituelles pour résoudre ce problème. Elle a utilisé la technologie du vide et les connaissances existantes pour résoudre le problème qui consistait à acheminer de façon fiable les copeaux. Il s’agissait d’une nouvelle utilisation de la technologie, mais cette technologie existait déjà.

[34] L’appelante a amélioré les bennes existantes en leur faisant des coins arrondis. Cela semble aussi constituer une étude technique courante.

[35] L’obstacle auquel s’est heurtée l’appelante concernait la taille et le poids de la benne qu’elle avait créée. Encore une fois, il ne suffit pas que l’appelante prouve qu’elle ne pouvait pas éliminer les risques et les incertitudes au moyen de procédures habituelles ou d’études techniques courantes. Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant qu’une étude technique courante ou des procédures habituelles n’auraient pas pu résoudre le problème. J’ignore si une personne spécialiste des matériaux aurait suggéré l’utilisation d’un matériau courant permettant d’obtenir des bennes solides et légères.

[36] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que le projet no 2 ne satisfait pas au premier critère.

E. Projet no 4

[37] Le troisième projet (qualifié de projet no 4 par les parties) a été nommé [traduction] « Méthode pour empêcher l’accumulation de produit de scellement sur les lames de dégauchissage ».

[38] Différents robots utilisent des adhésifs et des mastics très collants dans les cellules de soudage. Au cours du procédé de soudage, certains de ces adhésifs et mastics peuvent se poser sur les buses. Si cela se produit, lorsque les buses sont remises en état dans le système de dégauchissage, les adhésifs et les mastics se retrouvent collés sur les lames de dégauchissage à extraction des copeaux. Cela cause l’encrassement de la dégauchisseuse à extraction des copeaux, ce qui empêche cette dernière de dégauchir correctement les buses qui, à leur tour, ne peuvent pas effectuer des soudures de qualité.

[39] L’appelante espérait résoudre ce problème en posant un anti-adhésif sur les lames. L’appelante avait besoin d’un anti-adhésif qui ne causerait pas de problèmes sur d’autres pièces de la chaîne de fabrication, s’il se posait sur le produit à fabriquer. Par exemple, elle ne pouvait pas utiliser un produit qui empêcherait plus tard la peinture d’adhérer à la pièce à souder.

[40] L’appelante a tenté de résoudre ce problème en ayant recours à un produit anti-adhésif existant qui était déjà utilisé dans un autre type de soudage. L’appelante a d’abord posé l’anti-adhésif directement sur les lames du système de dégauchissage. Cependant, l’appelante a constaté que le produit disparaissait après quelques utilisations seulement.

[41] L’appelante a ensuite acheté un pulvérisateur qui transformait l’anti-adhésif en une fine brume qu’elle pouvait pulvériser à proximité des lames. Au départ, l’appelante avait du mal à contrôler le flux de brume. Un flux trop important sortait du pulvérisateur et contaminait d’autres surfaces.

[42] L’appelante a trouvé un indicateur qui lui permettait de régler le débit du pulvérisateur. L’indicateur permettait de rendre le débit si faible que la pulvérisation était presque invisible. L’appelante a estimé que ce système était totalement efficace pour résoudre le problème lié aux adhésifs.

[43] L’appelante a toutefois été confrontée à un problème de santé et de sécurité. Les clients qui aimaient le produit refusaient de l’acheter en raison des coûts pour s’assurer qu’il n’y aurait aucun effet nocif potentiel sur la santé des employés venant de la pulvérisation atmosphérique.

[44] Une fois encore, je ne peux conclure que le projet no 4 présentait des risques ou des incertitudes technologiques que les études techniques courantes ou les procédures habituelles ne pouvaient pas éliminer.

[45] L’appelante a eu recours à ce qui semblait constituer une étude technique courante ou des procédures habituelles. Elle a posé un anti-adhésif existant au moyen d’un pulvérisateur existant doté d’un indicateur existant. Il s’agissait d’une nouvelle utilisation de la technologie, mais cette technologie existait déjà. Ce projet n’est pas admissible.

F. Conclusion

[46] Compte tenu de tout ce qui précède, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de décembre 2022.

« David E. Graham »

Le juge Graham

 


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 170

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-1422(IT)I

INTITULÉ :

JEC DISTRIBUTORS INC. c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre et le 7 décembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 décembre 2022

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Garry Siskos

Avocats de l’intimé :

Me Chen Yu Zhang

Me Iris Kingston

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] 98 DTC 1839 (CCI).

[2] 2014 CCI 313.

[3] 2016 CAF 152.

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