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Dossier : 2018-2771(IT)G

ENTRE :

POLARSAT INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête visant à obtenir une ordonnance de la Cour autorisant l’intimé à déposer une réponse modifiée à l’avis d’appel entendu le 21 novembre 2022 à Montréal (Québec).

Devant : l’honorable juge Réal Favreau

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Jonathan Lafrance

Avocate de l’intimé :

Me Nathalie Labbé

 

ORDONNANCE

La requête visant à obtenir une ordonnance de la Cour accordant à l’intimé l’autorisation de déposer une réponse modifiée à l’avis d’appel, en application de l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), est accueillie sans dépens, conformément aux motifs de l’ordonnance ci-joints, et la Cour accorde à l’intimé l’autorisation de déposer la réponse modifiée à l’avis d’appel.

Signé à Montréal (Québec), ce 25e jour de janvier 2023.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de novembre 2023.

François Brunet, réviseur


Référence : 2023 CCI 10

Date : 20230125

Dossier : 2018-2771(IT)G

ENTRE :

POLARSAT INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Favreau

[1] La présente requête vise à obtenir une ordonnance de la Cour autorisant l’intimé à déposer une réponse modifiée à l’avis d’appel (la « réponse modifiée »), en application de l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »).

Première partie – Les modifications

[2] Les modifications proposées à la réponse déposée le 27 septembre 2018 sont les suivantes :

  • a)Au paragraphe 8.1 de la réponse modifiée, l’intimé ajoute un argument subsidiaire fondé sur la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ »), afin de prétendre que l’appelante n’a pas droit au crédit d’impôt à l’investissement (CII) majoré prévu au paragraphe 127(10.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Dans la section [traduction] « Points en litige », le paragraphe 8.1 est rédigé comme suit :

[traduction]

8.1 Subsidiairement, la RGAÉ peut-elle s’appliquer pour refuser l’avantage fiscal précité?

  • b)Quant aux faits supplémentaires allégués aux alinéas 7.1a) à d) de la réponse modifiée, l’intimé explique l’avantage fiscal qui consiste en une réduction d’impôt découlant des CII supplémentaires demandés et de la série d’opérations effectuées par l’appelante.

Les alinéas 7.1a) à d) sont rédigés comme suit :

7.1 À ce stade, le procureur général du Canada invoque la règle générale anti-évitement (la « RGAÉ ») comme argument subsidiaire pour justifier la dette fiscale de l’appelante pour les années d’imposition 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015.

I. Avantage fiscal

a) L’appelante a effectué une série d’opérations, afin de se soustraire à l’application de l’alinéa b) de la définition de « société privée sous contrôle canadien » (SPCC) prévue au paragraphe 125(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et d’être admissible à titre de SPCC.

b) Grâce à ces opérations, l’appelante a été admissible au taux majoré du crédit d’impôt à l’investissement prévu au paragraphe 127(10.1) de la Loi et, de ce fait, a pu bénéficier de l’application du paragraphe 127.1(1) de la Loi.

c) Par conséquent, en calculant le CII pour les années d’imposition faisant l’objet de l’appel, l’appelante a pu demander la déduction d’une somme supplémentaire équivalant à 15 % ou 20 % de son « compte de dépenses admissibles de recherche et de développement » au sens du paragraphe 127(9) de la Loi.

d) L’avantage fiscal consiste en une réduction d’impôt découlant des CII remboursables supplémentaires demandés par l’appelante pour chacune des années d’imposition visées par l’appel, ainsi qu’il est expliqué plus en détail ci-après :

 

Autres CII remboursables demandés

2011

292 331 $

2012

293 339 $

2013

293 775 $

2014

249 749 $

2015

202 418 $

Le taux était de 15 % pour les années d’imposition ayant pris fin avant 2014.

  • c)L’intimé souligne que les opérations décrites aux sous-alinéas 7.1e) i. à viii. de la réponse modifiée sont identiques aux hypothèses de fait mentionnées au paragraphe 7 de la réponse initiale à l’avis d’appel. L’appelante est donc bien au fait des éléments de preuve pertinents sur lesquels se fonde l’intimé pour justifier l’application de la RGAÉ.

Les sous-alinéas 7.1e) i. à viii. sont rédigés comme suit :

II. Opérations d’évitement

e) Les opérations suivantes constituent la série d’opérations (la série d’opérations) qui ont donné lieu à l’avantage fiscal précité :

i. La constitution en personne morale de la société 0698817 B.C. Ltd. le 30 juin 2004 et la nomination de M. Cos Modafferi à titre de président et directeur général.

ii. La constitution en personne morale de la société 0698824 B.C. Ltd. le 30 juin 2004 et la nomination de M. Cos Modafferi à titre de président et directeur général.

iii. La constitution en personne morale de la société 0698829 B.C. Ltd. le 30 juin 2004 et la nomination de M. Cos Modafferi à titre de président et directeur général.

iv. La constitution en personne morale de l’appelante, Technologies PolarSat Inc., le 2 juillet 2004.

v. Le règlement de la fiducie par la société 0698817 B.C. Ltd., le 1er janvier 2005.

vi. Le transfert à l’appelante des biens de PSat1 le 1er janvier 2005.

vii. Le transfert, par PSat1, de 100 actions ordinaires qu’elle détenait dans l’appelante à la société 0698817 B.C. Ltd., le 1er janvier 2005.

viii. Le don, par la société 0698817 B.C. Ltd., de 100 actions ordinaires qu’elle détenait dans l’appelante à la fiducie, le 1er janvier 2005.

  • d)L’intimé ajoute, à l’alinéa 7.1f), qu’aucune des opérations ne peut raisonnablement être considérée comme ayant été principalement effectuée pour des objets véritables, autres que pour l’obtention de l’avantage fiscal.

L’alinéa 7.1f) est rédigé comme suit :

[traduction]

f) Aucune des opérations de la série d’opérations ne peut raisonnablement être considérée comme ayant été principalement effectuée pour des objets véritables – l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

  • e)Au paragraphe 9, l’intimé ajoute des renvois à l’article 245 ainsi qu’aux paragraphes 152(9) et 248(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu à la liste des dispositions invoquées par le procureur général du Canada. Le paragraphe 9 modifié est rédigé comme suit :

[traduction]

9. Le procureur général du Canada invoque les articles 127.1 et 245 ainsi que les paragraphes 125(7), 127(5), 127(9), 127(10.1), 152(9), 248(1), 248(10), 256(5.1), 256(6.1) et 256(6.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), ainsi modifiée. Il invoque également l’article 321 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64.

  • f)Enfin, invoquant le cadre bien établi régissant l’application de la RGAÉ, l’intimé explique son argument subsidiaire aux paragraphes 14 à 25 de la réponse modifiée.

Les paragraphes 14 à 25 sont rédigés comme suit :

[traduction]

La RGAÉ

14. À ce stade, le procureur général du Canada fait respectueusement valoir, à titre subsidiaire, que la RGAÉ s’applique pour refuser l’avantage fiscal précité.

15. Le cadre d’application de la RGAÉ est bien établi. Trois conditions doivent être réunies pour que cette règle s’applique :

a) il doit y avoir un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations;

b) l’opération ou, s’il s’agit d’une série d’opérations, au moins une opération de la série, doit être une opération d’évitement (une opération qui n’est pas principalement effectuée pour un objet non fiscal véritable);

c) les opérations d’évitement doivent être abusives, c’est-à-dire qu’elles contournent ou contrecarrent l’objet ou l’esprit des dispositions pertinentes qui donnent lieu à l’avantage fiscal.

I. Avantage fiscal

16. Le procureur général du Canada prétend que les opérations décrites aux sous-alinéas 7.1d) i. à viii. constituent une série d’opérations au sens de la common law et au sens élargi du paragraphe 248(10) de la Loi.

17. Le procureur général du Canada prétend que la série d’opérations a procuré à l’appelante un avantage fiscal répondant à la définition prévue aux paragraphes 245(1) et 245(2) de la Loi, à savoir l’accès au taux majoré du CII aux termes du paragraphe 127(10) de la Loi et l’obtention d’une réduction d’impôt grâce au CCI supplémentaire demandé aux termes du paragraphe 127.1(1) de la Loi.

II. Opérations d’évitement

18. Le procureur général du Canada prétend qu’aucune des opérations d’évitement énoncées ci-après ne peut raisonnablement être considérée comme ayant été principalement effectuée pour des objets véritables autres que pour obtenir un avantage fiscal, et qu’elles constituent par conséquent des opérations d’évitement au sens des paragraphes 245(2) et 245(3) de la Loi.

a) La constitution en personne morale de la société 0698817 B.C. Ltd. le 30 juin 2004 et la nomination de M. Cos Modafferi à titre de président et directeur général.

b) La constitution en personne morale de la société 0698824 B.C. Ltd. le 30 juin 2004 et la nomination de M. Cos Modafferi à titre de président et directeur général.

c) La constitution en personne morale de la société 0698829 B.C. Ltd. le 30 juin 2004 et la nomination de M. Cos Modafferi à titre de président et directeur général.

d) La constitution en personne morale de l’appelante, Technologies PolarSat Inc., le 2 juillet 2004.

e) Le règlement de la fiducie par la société 0698817 B.C. Ltd. le 1er janvier 2005.

f) Le transfert à l’appelante des biens de PSat1 le 1er janvier 2005.

g) Le transfert, par PSat1, de 100 actions qu’elle détenait dans l’appelante à la société 0698817 B.C. Ltd. le 1er janvier 2005.

h) Le don, par la société 0698817 B.C. Ltd., de 100 actions ordinaires qu’elle détenait dans l’appelante à la fiducie, le 1er janvier 2005.

III. La série d’opérations a donné lieu à un recours abusif à l’alinéa 125(7)b) de la définition de SPCC, ainsi qu’aux paragraphes 127(10.1) et 127.1(1) de la Loi

19. Le procureur général du Canada prétend que les opérations d’évitement sont abusives au sens du paragraphe 245(4) de la Loi, car :

a) elles se soustraient à l’application de l’alinéa 125(7)b) de la Loi (définition de SPCC), dans le but de bénéficier indûment du régime de CCI majoré prévu aux paragraphes 127(10.1) et 127.1(1) de la Loi;

b) leur résultat contrecarre le fondement de ces dispositions.

20. Avant que cette série d’opérations soit effectuée, PSat1 appartenait à 99,9 % à des sociétés non résidantes. PSat1 ne pouvait donc pas être considérée comme une SPCC aux termes de l’alinéa 125(7)b) de la définition prévue dans la Loi et elle n’était donc pas admissible au régime de CCI majoré.

21. En procédant à une réorganisation et, plus précisément, en transférant les biens de PSat1 à l’appelante et en créant une fiducie entre l’appelante et les actionnaires non résidants, l’appelante a pu se soustraire à l’application de la définition de SPCC prévue à l’alinéa 125(7)b) de la Loi et être considérée comme une SPCC. Elle devenait ainsi admissible au CCI entièrement remboursable au taux majoré.

22. Le régime de CCI majoré a été introduit pour profiter aux propriétaires de petites entreprises canadiennes. Par conséquent, seules les SPCC, que la Loi considère comme un mandataire des actionnaires ultimes, y sont admissibles. En d’autres termes, lorsqu’une société n’est pas admissible à titre de SPCC, c’est parce que ses actionnaires ne sont pas censés bénéficier de certains incitatifs réservés aux résidents, notamment le régime de CCI majoré.

23. En l’espèce, la fiducie a été créée pour briser le lien de propriété de droit entre l’appelante et ses propriétaires non résidants ultimes. La fiducie n’est toutefois qu’un simple fonds multicédant. Dans les faits, grâce à une série de sociétés de portefeuille en propriété exclusive, les non-résidents sont les bénéficiaires des fruits et revenus de la fiducie. Aucun changement n’a donc été apporté quant à la propriété réelle de l’appelante. Qui plus est, les non-résidents ont indirectement droit à tout revenu distribué par l’appelante à la fiducie, lequel, selon l’acte de fiducie, doit être versé dans l’année. Ils continuent donc de bénéficier de tous les avantages du CCI majoré, bien qu’indirectement. Ce résultat va clairement à l’encontre de la raison d’être de ce régime.

24. Le procureur général du Canada prétend que le résultat va également à l’encontre de la raison d’être de l’alinéa b) de la définition de SPCC. Cette disposition attribue toutes les actions détenues par des non-résidents à une personne fictive. En adoptant l’alinéa b), le législateur a clairement établi que le contrôle par des non-résidents n’est pas le seul facteur déterminant dans l’établissement du statut de SPCC. Le simple fait qu’une majorité d’actions soit la propriété, directe ou indirecte, de personnes non admissibles suffit à rendre une société non admissible à titre de SPCC. Le procureur général du Canada ajoute que la raison pour laquelle l’alinéa b) ne s’applique pas en l’espèce est que le lien de propriété entre la société en exploitation et ses actionnaires non résidants a été brisé du fait de la création d’une fiducie. Les actionnaires non résidants demeurent toutefois les réels propriétaires de ces actions.

IV. Conséquences fiscales raisonnables

25. L’avantage fiscal précité devrait être refusé en application du paragraphe 245(2) de la Loi. Les conséquences fiscales raisonnables seraient de refuser le CCI remboursable supplémentaire demandé aux termes des paragraphes 127(10.1) et 127.1(1) de la Loi pour les années d’imposition en litige.

Deuxième partie – Les faits

A. Question en litige dans le présent appel

[3] Le 25 avril et le 15 juillet 2016, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante pour ses années d’imposition 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015, de manière à refuser le crédit d’impôt à l’investissement majoré que l’appelante avait demandé pour ces années en application du paragraphe 127(10.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C 1985, ch. 1 (5e suppl.), ainsi modifiée (la « Loi »), au motif que l’appelante n’était pas admissible à titre de société privée sous contrôle canadien (« SPCC »).

[4] Au paragraphe 7 de la réponse, l’intimé a énoncé les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour conclure que l’appelante était sous le contrôle de fait de la Société de portefeuille PolarSat Inc. (« PSat1 ») laquelle, en retour, était détenue par un grand nombre de sociétés non résidantes.

[5] Aux paragraphes 10 à 13 de la réponse, l’intimé a énoncé les motifs sur lesquels il s’est fondé pour conclure que l’appelante n’était pas admissible à titre de SPCC au sens du paragraphe 125(7) de la Loi. Ces motifs peuvent être résumés comme suit :

  • a)Toutes les actions de PSat1 détenues par des non-résidents seraient théoriquement attribuées à un actionnaire fictif, qui contrôlerait de droit PSat1 du fait de l’alinéa b) de la définition de SPCC présentée au paragraphe 125(7) de Loi.

  • b)L’actionnaire fictif non résidant qui contrôle PSat1, et PSat1 elle-même, contrôlent simultanément, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, l’appelante aux termes du paragraphe 256(5.1) de la Loi. De fait, PSat1 est dans une position qui lui permet d’exercer une grande influence sur l’appelante, tant sur le plan économique qu’opérationnel.

  • c)Le paragraphe 256(6.1) de la Loi précise, pour plus de certitude, qu’une société peut être contrôlée simultanément par des personnes ou des groupes de personnes à plus d’un palier au-dessus d’elle, à l’intérieur d’une chaîne de sociétés. Le paragraphe 256(6.2) de la Loi dispose en outre que la règle relative au contrôle simultané, au paragraphe 256(6.1) de la Loi, s’applique également à la notion de contrôle de fait énoncée au paragraphe 256(5.1) de la Loi. Il en résulte principalement que chaque société comprise dans une chaîne de sociétés contrôlées contrôle simultanément chaque société qui se trouve au-dessous d’elle dans la chaîne.

  • d)Lorsque les alinéas 125(7)a) et b) de la définition de SPCC sont appliqués conjointement aux paragraphes 256(5.1), 256(6.1) et 256(6.2) de la Loi, il en résulte que l’appelante est contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, simultanément par PSat1 et par l’actionnaire fictif non résidant; elle ne peut donc pas être une SPCC et n’est donc pas admissible au crédit d’impôt à l’investissement remboursable de 35 % prévu au paragraphe 127(10.1) de la Loi.

B. Contexte procédural

[6] Le 12 février 2019, les parties ont déposé un calendrier en vue de l’achèvement des étapes préalables à l’audition.

[7] Le 14 mars 2019, la juge K. Lyons a rendu une ordonnance de la Cour confirmant les échéances prévues dans le calendrier déposé par les parties.

[8] Le 12 septembre 2019, par voie d’une lettre déposée à la Cour, les parties ont demandé que le calendrier soit suspendu jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans l’appel interjeté par CO2 Solution Technologies Inc. (« CO2 »), no du greffe 2015-5635(IT)G, qui a été entendu le 20 novembre 2018 devant l’honorable juge Smith.

[9] Les parties ont convenu d’un commun accord que la décision dans l’affaire CO2 offrirait des orientations utiles pour la conduite des interrogatoires préalables dans la présente affaire, en raison des ressemblances avec les questions en litige soulevées dans CO2.

[10] Dans une lettre datée du 24 septembre 2019, la Cour a accepté que l’affaire soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans CO2 et elle a ordonné aux parties de faire rapport sur l’état d’avancement de l’appel en l’espèce, dans les 60 jours suivant le prononcé de la décision dans CO2.

[11] Le 20 décembre 2019, le juge Guy R. Smith a rendu un jugement dans l’affaire CO2.

[12] Cependant, le 20 janvier 2020, CO2 a interjeté appel du jugement du juge Smith auprès de la Cour d’appel fédérale (la « CAF »).

[13] En conséquence, le 27 janvier 2020, les parties ont mutuellement décidé de présenter une demande à la Cour afin qu’elle maintienne la suspension de l’affaire jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue dans l’appel interjeté par CO2.

[14] Les parties ont proposé de s’engager à communiquer avec la Cour dans les 70 jours suivant la décision de la CAF.

[15] Dans une lettre datée du 4 mars 2020, la Cour a accepté de maintenir la suspension de l’affaire en attendant le règlement par la CAF de l’appel de CO2.

[16] Dans cette lettre, la Cour enjoignait aux parties de lui faire rapport sur l’état d’avancement de l’appel dans le présent dossier, dans les 70 jours suivant la décision rendue dans l’appel de CO2.

[17] Le 27 avril 2020, la société Bresse Syndics Inc. (« Bresse Syndics ») a déposé un avis de reprise d’instance dans le dossier CO2, car elle avait été nommée pour agir à titre de fiduciaire des biens de CO2 et qu’elle avait été autorisée par la CAF à agir en qualité d’appelante dans la reprise de l’instance en son nom.

[18] L’affaire CO2 a alors été citée comme l’arrêt Bresse Syndics Inc. c. Canada, 2021 CAF 115, et le juge en chef Noël, appuyé par les juges Nadon et Rivoalen, a rendu un jugement le 10 juin 2021.

[19] Dans une lettre signée par les parties et déposée à la Cour le 17 août 2021 et, conformément à la lettre datée du 4 mars 2020, les parties ont rendu compte à la Cour de l’avancement du dossier et ont établi un nouveau calendrier.

[20] Le 8 novembre 2021, l’honorable juge Bocock a rendu une ordonnance confirmant les échéances établies dans le nouveau calendrier déposé par les parties le 17 août 2021.

[21] Les interrogatoires préalables de la représentante de l’intimé, Mme Patrizia Molino, ainsi que du représentant de l’appelante, M. Cosimo Modafferi, ont eu lieu avant la date limite prévue dans le nouveau calendrier, le 21 janvier 2022.

[22] Mme Molino a répondu à quatre questions durant l’interrogatoire préalable. En date du 30 avril 2022, trois engagements majeurs avaient été achevés et envoyés à l’appelante. Quant au quatrième engagement, l’avocate de l’intimé a fourni les réponses demandées le 20 mai 2022, après avoir reçu un rappel de l’avocat de l’appelante.

[23] Le 6 mai 2022, l’avocate de l’intimé a envoyé une lettre à l’avocat de l’appelante pour l’informer que l’intimé invoquerait un argument subsidiaire fondé sur la règle générale anti-évitement pour appuyer les nouvelles cotisations établies à l’égard de PolarSat Inc. Dans cette lettre, l’avocate de l’intimé ajoutait qu’un projet de réponse modifiée à l’avis d’appel serait envoyé avant la fin de juin.

[24] Le 30 mai 2022, l’avocate de l’intimé a envoyé un courriel à l’avocat de l’appelante afin d’obtenir son consentement au dépôt d’une réponse modifiée à l’avis d’appel (la « réponse modifiée »), conformément à l’article 54 des Règles.

Troisième partie – Observations des parties

A. Intimé

[25] L’article 54 des Règles prescrit qu’une partie peut modifier ses actes de procédure à certaines conditions :

54. Une partie peut modifier son acte de procédure, en tout temps avant la clôture des actes de procédure, et subséquemment en déposant le consentement de toutes les autres parties, ou avec l’autorisation de la Cour, et la Cour en accordant l’autorisation peut imposer les conditions qui lui paraissent appropriées.

[26] L’article 54 des Règles confère à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire pour autoriser des modifications, mais les Règles appellant une interprétation large « afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse » (Continental Bank Leasing v. Canada, 93 D.T.C. 298, par. 18 et 19). Au paragraphe 10 de l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 213 (Canderel), dans une décision unanime de la CAF, le juge Décary a indiqué que la « règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice ».

[27] Plus récemment, la CAF a clarifié les principes directeurs à appliquer pour autoriser des modifications dans l’arrêt Canada c. Pomeroy Acquireco Ltd., 2021 CAF 187 (Pomeroy). Elle a déclaré que les tribunaux devraient autoriser les modifications à tout stade de l’action si celles-ci les aident « à trancher les véritables questions en litige entre les parties », à condition que ces modifications ne causent pas à l’autre partie une injustice que des dépens ne pourraient réparer et qu’elles servent les intérêts de la justice (par. 4).

[28] Le paragraphe 152(9) de la Loi autorise le ministre à avancer un nouveau fondement ou un nouvel argument pour appuyer une cotisation à tout moment après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, sous réserve de certaines restrictions, notamment dans le cas où le contribuable pourrait ne plus avoir accès à des éléments de preuve pertinents.

[29] En l’espèce, les modifications proposées par l’intimé visent à permettre à la Couronne de soulever un argument supplémentaire pour étayer sa thèse et elles sont fondées sur des faits existants, déjà énoncés dans la réponse. Par conséquent, les faits au cœur du présent contentieux demeurent les mêmes, qu’il s’agisse de la thèse principale de l’intimé ou de l’argument subsidiaire proposé.

[30] L’intimé allègue que les modifications ne causeront pas à l’appelante une injustice que des dépens ne pourraient réparer et que le fait de ne pas avoir accès à certains éléments de preuve pertinents ne portera pas préjudice à l’appelante.

[31] Les modifications proposées sont fondées sur les mêmes faits que ceux énoncés dans la réponse. L’appelante n’est donc pas prise au dépourvu, ni ne se trouve dans une situation où elle est obligée de présenter des éléments de preuve sur des faits ou des opérations qui n’étaient jusqu’à maintenant pas connus.

[32] À l’alinéa 7k) de sa réponse, l’intimé met déjà en cause l’objectif de la réorganisation effectuée en 2005. Par conséquent, l’appelante savait déjà que les objectifs de la réorganisation étaient des éléments pertinents aux fins du présent appel.

[33] Pour l’analyse fondée sur la RGAÉ, la question de savoir si les opérations formant la série d’opérations constituent des opérations d’évitement requiert une évaluation objective des objectifs à l’origine des opérations (selon que ces opérations étaient motivées par des objectifs fiscaux ou par de véritables objectifs non fiscaux). L’enquête sera centrée sur un critère objectif visant à déterminer l’objectif principal des opérations en se fondant sur les faits et les circonstances pertinents, et non sur des déclarations d’intention.

[34] Le représentant de l’appelante, M. Cosimo Modafferi, a été interrogé par l’intimé et il a été en mesure de décrire le contexte dans lequel ont été effectuées les opérations faisant partie de la réorganisation de 2005 ainsi que les objectifs fixés.

[35] M. Cosimo Modafferi fait partie du groupe PolarSat depuis au moins 2003. Il a été directeur et administrateur de diverses sociétés du groupe qui ont collaboré à la réorganisation qui a été entreprise en 2004 et qui s’est poursuivie en 2005. M. Cosimo Modafferi a également été fiduciaire de la Fiducie financière PolarSat et directeur de PSat1. Durant son interrogatoire préalable, M. Modafferi a décrit le contexte dans lequel ont été produits les documents de planification et d’autres documents pertinents de la société.

[36] Quoi qu’il en soit, c’est à l’intimé qu’il incombera de convaincre la Cour que les opérations de la série constituent des opérations d’évitement et que la série d’opérations a donné lieu à un avantage fiscal.

[37] L’intimé allègue également que le moment où il a proposé les modifications ne crée pas une injustice pour l’appelante, car l’intimé a proposé de modifier son acte de procédure après la fin des interrogations préalables, à la suite d’une réévaluation de sa thèse. L’intimé reconnaît que l’application potentielle de la RGAÉ a été examinée par différents agents de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») durant l’audit de l’appelante, mais que ce n’est finalement pas le fondement sur lequel ont été établies les nouvelles cotisations.

[38] Le fait que l’intimé ait choisi d’ajouter maintenant les modifications proposées à son acte de procédure ne porte pas préjudice à l’appelante. Si l’appelante souhaite effectuer d’autres interrogatoires sur les modifications, l’intimé en assumera les coûts. Comme l’affaire n’a pas encore été inscrite au rôle pour audition, on ne peut pas dire que les modifications en retarderaient considérablement l’instruction.

[39] L’intimé considère qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder l’autorisation de modifier. Comme il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale ni recours abusif, il serait dans l’intérêt de la justice de faire droit aux modifications demandées par l’intimé.

[40] L’invocation de la RGAÉ en l’espèce est particulièrement pertinente, car l’appelante affirme, à titre subsidiaire, que, même si PSat1 (ou Société de portefeuille PolarSat) exerçait un contrôle de fait sur l’appelante, celle-ci serait toujours considérée comme une SPCC puisque PSat1 (ou Société de portefeuille PolarSat) ne serait pas une société non résidante ou une société publique.

B. Appelante

[41] L’intimé allègue qu’il n’a pas établi les nouvelles cotisations visées par l’appel en se fondant sur la RGAÉ, que ce soit à titre principal ou subsidiaire. Les nouvelles cotisations ont été établies uniquement et exclusivement en fonction d’une thèse technique alliant des dispositions déterminatives précises et les dispositions de la Loi portant sur le contrôle de fait.

[42] Durant l’audit qui a duré deux ans et demi, les fonctionnaires de l’ARC, notamment le vérificateur et deux spécialistes de l’évitement fiscal de l’administration centrale de l’ARC, ont conclu qu’il ne convenait pas en l’espèce de se fonder sur la RGAÉ pour établir les nouvelles cotisations.

[43] En juin 2022, lorsque toutes les étapes préalables à l’instruction ont été effectuées par les parties et quelques jours avant l’échéance qui avait été fixée aux parties pour communiquer avec la Cour afin de fixer la date et le lieu de l’audition, l’intimé a déposé et signifié une requête visant à obtenir l’autorisation de modifier sa réponse afin d’ajouter la RGAÉ comme argument subsidiaire justifiant les nouvelles cotisations. Selon l’appelante, notre Cour n’a jamais autorisé l’intimé à invoquer la RGAÉ comme argument subsidiaire à un stade aussi avancé des étapes préalables à l’instruction.

[44] L’intimé allègue que la requête de l’intimé doit être annulée pour les quatre (4) motifs suivants :

  • a)La RGAÉ n’a jamais été la véritable question en litige entre les parties (de fait, son application a été exclue par l’intimé il y a plus de six [6] ans).

  • b)Les éléments de preuve irréfutés présentés par l’appelante montrent qu’elle subira un important préjudice que des dépens ne pourront compenser, du fait qu’il lui sera impossible de présenter des éléments de preuve lors de l’instruction, si les modifications sont autorisées.

  • c)La requête de l’intimé et l’affidavit à l’appui comportent des lacunes et ils sont insuffisants pour permettre à l’intimé de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe afin d’obtenir l’autorisation de modifier.

  • d)Autoriser les modifications irait à l’encontre de l’intérêt de la justice.

[45] La véritable question en litige dans le présent appel est de savoir si l’appelante est une SPCC au sens du paragraphe 125(7) de la Loi et, donc, si elle a droit au crédit d’impôt à l’investissement remboursable de 35 % aux termes du paragraphe 127(10.1) de la Loi. Le statut de SPCC est une notion technique qui est définie de manière précise dans la Loi. La société qui est admissible à titre de SPCC a accès à plusieurs avantages et désavantages fiscaux. Au cours des neuf (9) dernières années, les parties ont toujours mené ce contentieux en se basant sur la compréhension commune que la seule question en litige était de savoir si l’appelante était une SPCC au sens du paragraphe 125(7) de la Loi.

[46] L’intimé a eu maintes occasions de présenter un argument subsidiaire pour justifier les nouvelles cotisations, mais il ne l’a pas fait.

[47] L’appelante allègue que le fardeau de prouver les faits justifiant la modification incombe à l’intimé (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, par. 32). Le dossier de demande de l’intimé ne permet pas à l’intimé de s’acquitter du fardeau de la preuve, pour les raisons suivantes :

  • a)L’affidavit présenté à l’appui de la requête de l’intimé n’énonce aucun fait indiquant :

  • -comment la modification aiderait à déterminer la ou les véritables questions en litige;

  • -en quoi la requête ne cause pas à l’appelante une injustice que des dépens ne pourraient réparer;

  • -comment la requête sert l’intérêt de la justice.

  • b)L’affidavit présenté à l’appui de la requête de l’intimé a été déposé par un parajuriste des Services du droit fiscal du ministère de la Justice, qui n’a aucune connaissance personnelle des faits qui pourraient être pertinents pour justifier l’autorisation de modifier. L’affidavit de l’intimé est, à première vue, inutile pour appuyer la requête déposée par l’intimé.

  • c)L’appelante a déposé un affidavit de son directeur général, M. Cosimo Modafferi, pour appuyer son opposition à la requête. Dans cet affidavit, l’appelante explique en détail pourquoi elle subirait un préjudice que des dépens ne pourraient réparer et pourquoi il irait à l’encontre de l’intérêt de la justice d’autoriser la modification. Comme l’intimé a choisi de ne pas contre-interroger M. Modafferi sur son affidavit, il s’ensuit que la preuve présentée par l’appelante à l’encontre de la requête est irréfutée et qu’elle doit être accueillie telle qu’elle a été présentée.

[48] L’appelante considère qu’invoquer la RGAÉ si tard durant le processus, après que toutes les étapes préalables à l’instruction ont été dûment achevées, représente un changement radical dans la nature de la question en litige, qui a de lourdes conséquences :

  • a)l’appelante subira inévitablement un préjudice irréparable que des dépens ne pourront réparer, car elle sera grandement limitée dans sa capacité de produire une preuve sur l’existence d’opérations menées pour des objets véritables, puisque la plupart des éléments de preuve ayant trait à ces événements n’existent plus;

  • b)l’intérêt de la justice ne sera pas servi, car autoriser la modification en l’espèce irait à l’encontre du but de l’acte de procédure, l’intimé n’ayant fourni aucune raison expliquant pourquoi la modification est nécessaire et pourquoi elle a été proposée juste avant que soit fixée la date du procès.

[49] Si l’intimé est autorisé à modifier sa réponse afin d’y inclure la RGAÉ, l’appelante devra produire une preuve sur l’objet et le contexte des opérations effectuées entre 2003 et 2005, lorsque la série alléguée d’opérations auraient eu lieu, afin d’établir que les opérations avaient un objet véritable. L’affidavit de M. Modafferi établit clairement que :

  • a)les trois (3) personnes et les actionnaires majoritaires qui ont autorisé la réorganisation de la société entre 2003 et 2005 (laquelle réorganisation, selon l’intimé, constitue une série d’opérations d’évitement aux fins de la RGAÉ) n’étaient pas actionnaires de l’appelante durant les années d’imposition en litige et ne sont plus actionnaires de l’appelante;

  • b)M. Modafferi n’a eu aucun échange avec ces trois (3) personnes pendant de nombreuses années et il n’a aucun moyen de les contacter;

  • c)les trois actionnaires ont, en tout temps, été des non-résidents du Canada;

  • d)ce sont ces trois actionnaires qui ont décidé de la structure de l’appelante à laquelle l’intimé souhaite appliquer la RGAÉ.

[50] Comme la série alléguée d’opérations a été menée il y a 20 ans et que les actionnaires qui ont pris les décisions à l’époque et qui pourraient nous éclairer sur l’objet de ces opérations ont quitté depuis longtemps, la capacité de l’appelante de présenter des éléments de preuve sur l’objet de ces opérations sera considérablement limitée. L’appelante ne pourra pas opposer une bonne défense contre l’un des trois (3) critères qui doit être satisfait pour que la RGAÉ s’applique.

[51] L’incapacité de l’appelante de convoquer des témoins clés et de présenter des documents pertinents qui auraient corroboré ses prétentions nuira à ses chances de succès dans cet appel hypothétique.

[52] Selon l’appelante, les étapes préalables à l’instruction, comme les actes de procédure, la liste des documents et les interrogatoires préalables, visent à cerner les questions en litige. Il faut leur donner un sens et un objet. Les parties doivent être tenues responsables des choix qu’elles font de soulever ou non des questions en litige. Les contribuables ont droit à la certitude, et les parties ne devraient pas être autorisées à revenir sur les questions en litige et les arguments qu’elles ont sciemment et librement décidé d’abandonner, à moins de circonstances exceptionnelles. Les moyens de l’intimé ne comportent aucune circonstance exceptionnelle de la sorte.

Quatrième partie – Discussion et conclusion

[53] La jurisprudence sur cette question est claire; la décision d’autoriser la modification d’un acte de procédure est discrétionnaire et le principe directeur est que la modification devrait être autorisée à tout stade de l’action si elle aide à trancher les véritables questions en litige entre les parties, à condition que cette autorisation ne cause pas à l’autre partie une injustice que des dépens ne pourraient réparer et qu’elle serve les intérêts de la justice (Pomeroy).

[54] Je suis d’avis que les modifications proposées relativement à l’argument fondé sur la RGAÉ aideront la Cour à trancher les véritables questions en litige entre les parties, qu’elles serviront l’intérêt de la justice et qu’elles ne causeront aucune injustice à l’appelante.

[55] Les modifications proposées relativement à l’argument fondé sur la RGAÉ sont admissibles en l’espèce, car elles découlent des faits déjà allégués dans les actes de procédure, notamment dans l’avis d’appel et les hypothèses formulées dans la réponse.

[56] Les modifications proposées ne causeraient à l’appelante aucun préjudice que des dépens ne pourraient réparer. Le préjudice allégué par l’appelante découle du fait que les trois (3) actionnaires majoritaires qui ont autorisé la réorganisation de la société entre 2003 et 2005 ont toujours été des non-résidents du Canada et qu’ils n’étaient pas actionnaires de l’appelante durant les années d’imposition visées par l’appel.

[57] Je ne crois pas que, dans cette affaire en particulier, le fait qu’il soit peut-être impossible d’avoir accès aux actionnaires qui ont approuvé la réorganisation constitue un véritable problème, puisque M. Cosimo Modafferi, en qualité de directeur général de l’appelante depuis février 2003, sera en mesure de présenter des éléments de preuve sur l’objet et le but des opérations menées dans le cadre de cette réorganisation. Dans le cadre de ses fonctions professionnelles à titre de directeur général de l’appelante, de président et directeur général des sociétés 0698817 B.C. Ltd., 0698829 B.C. Ltd. et 0698824 B.C. Ltd. et de fiduciaire de la Fiducie financière PolarSat, M. Modafferi a eu une connaissance personnelle directe de toutes les opérations qui ont été effectuées durant la réorganisation et il a eu accès à tous les dossiers administratifs et financiers des parties concernées par la réorganisation, notamment les stratégies de planification de l’entreprise, les avis fiscaux et les documents de mise en œuvre. M. Modafferi a joué un rôle actif et crucial dans la réorganisation de la société.

[58] Pour déterminer si une opération faisant partie d’une série d’opérations a été effectuée pour un objet véritable, à des fins autres que pour bénéficier d’un avantage fiscal, il faut se fonder sur l’ensemble des faits et des circonstances de l’espèce, et non sur les déclarations d’intention des parties qui l’ont approuvée (OSFC Holdings Ltd. c. Canada, 2001 CAF 260, par. 46).

[59] Le changement d’avis du ministre au sujet de l’utilisation de l’argument fondé sur la RGAÉ est certainement très décevant pour l’appelante, mais il n’a rien d’étonnant. Les contribuables qui ont recours à une planification fiscale sophistiquée, comme c’est le cas en l’espèce, sont habituellement informés de la possibilité que leur plan puisse être contesté par le ministre, par application de la RGAÉ. Les avis fiscaux concernant les opérations proposées font habituellement mention de cette possibilité. En l’espèce, l’utilisation possible de la RGAÉ a été soulevée lors de l’audit et elle a également été soulevée devant notre Cour dans l’affaire Solutions MindReady R&D inc. c. La Reine, 2015 CCI 17, par. 39, relativement à une structure fiscale comparable à celle utilisée par l’appelante.

[60] L’affidavit déposé à l’appui de la requête de l’intimé est satisfaisant dans sa forme actuelle, car l’avis de requête n’énonce aucun fait nouveau dont le déclarant doit avoir une connaissance personnelle et qui n’a pas déjà été mentionné dans les actes de procédure. Qui plus est, le procureur général du Canada n’est pas tenu de justifier pourquoi il a été décidé d’invoquer l’argument fondé sur la RGAÉ à titre d’argument subsidiaire. Je suis d’avis qu’il ne faudrait pas interdire au procureur général du Canada d’ajouter un argument subsidiaire dans sa réponse parce que certains fonctionnaires de l’ARC, quelle que soit l’importance de leurs fonctions, ont décidé de ne pas le faire durant les étapes préalables à l’instruction.

[61] Pour tous ces motifs, la requête est accueillie sans dépens et la Cour autorise l’intimé à déposer la réponse modifiée à l’avis d’appel.

Signé à Montréal (Québec), ce 25e jour de janvier 2023.

« Réal Favreau »

Le juge Favreau

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de novembre 2023.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 10

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-2771(IT)IG

INTITULÉ :

POLARSAT INC. C. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 novembre 2022

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Réal Favreau

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 25 janvier 2023

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Jonathan Lafrance

Avocate de l’intimé :

Me Nathalie Labbé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Jonathan Lafrance

Cabinet :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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