Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2019-1387(EI)

2019-1388(CPP)

ENTRE :

CO-OPERATIVE HAIL INSURANCE COMPANY LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 9 février 2023, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Bruce Russell


Comparutions :

Avocat des appelants :

Me David W. Chodikoff

Avocate de l’intimé :

Me Princess Okechukwu

 

JUGEMENT

L’appel concernant le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-emploi est accueilli. Au cours de la période pertinente de 2016, le travailleur n’a pas travaillé en tant qu’employé de l’appelante, mais plutôt en tant qu’entrepreneur indépendant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’avril 2023.

« B. Russell »

Le juge Russell

 


Référence : 2023 CCI 40

Date : Le 6 avril 2023

Dossier : 2019-1387(EI)

2019-1388(CPP)

ENTRE :

CO-OPERATIVE HAIL INSURANCE COMPANY LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

I. Introduction/question en litige :

[1] Le présent appel est interjeté en application de deux lois fédérales : la Loi sur l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada. L’appelante, Co-operative Hail Insurance Company Limited (« Co-op Hail »), interjette appel d’une décision rendue le 25 janvier 2019 par le ministre du Revenu national (le « ministre »).

[2] La décision du ministre visait à confirmer une décision de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») rendue le 23 novembre 2018, selon laquelle, au cours de la période du 1er avril au 30 septembre 2016, un particulier, M. Casey Yeomans, avait effectué du travail en tant qu’expert en grêle agréé pour Co-op Hail à titre d’employé, et non d’entrepreneur indépendant.

[3] La décision selon laquelle M. Yeomans avait travaillé comme employé plutôt que comme entrepreneur indépendant a eu pour effet de déterminer que M. Yeomans occupait un emploi ouvrant droit à pension auprès de Co-op Hail pendant ladite période, conformément à l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada, et qu’il occupait également un emploi assurable auprès de Co-op Hail, conformément à l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[4] Dans son appel, Co-op Hail soutient que le ministre a commis une erreur en concluant que M. Yeomans avait travaillé en tant qu’employé de Co-op Hail et qu’en réalité, il avait effectué le travail en question pour Co-op Hail à titre d’entrepreneur indépendant.

II. Preuve :

[5] Lors de l’audience, deux témoins ont témoigné, MM. Yeomans et Daniel Anderson. En 2016, M. Anderson était directeur financier de Co-op Hail et en est actuellement le chef de la direction.

[6] Les éléments de preuve ont établi que M. Yeomans était enseignant dans une école secondaire et directeur d’école adjoint. Il était également titulaire d’une licence d’expert en grêle et travaillait à ce titre pendant l’été, y compris, aux fins du présent appel, au cours de l’été 2016. M. Yeomans avait suivi une formation pour obtenir en 2012 une licence d’expert en grêle auprès des Insurance Councils of Saskatchewan.

[7] Un expert en grêle agréé règle les demandes de règlement des producteurs de diverses récoltes, telles que le blé et le canola, endommagées par la grêle. L’expert utilise les méthodes auxquelles il a été formé pour évaluer la valeur des pertes des récoltes d’un producteur causées par la grêle. Les producteurs présentent des demandes de règlement pour les pertes de récoltes causées par la grêle à la ou aux compagnies d’assurance particulières, telles que Co-op Hail, avec lesquelles ils ont contracté une assurance pour se protéger contre de tels dommages. L’expert en grêle agréé se rendra dans les champs du producteur sinistré et déterminera la valeur du sinistre. L’expert s’efforcera d’obtenir l’accord du producteur sur la valeur perdue qu’il a déterminée. La compagnie d’assurance concernée est tenue de verser, à titre d’indemnité d’assurance, la valeur perdue convenue.

[8] Le 4 avril 2016, M. Yeomans et Co-op Hail ont conclu un « contrat indépendant d’expertise en grêle », précisant que M. Yeomans travaillerait pour Co-op Hail en tant qu’« entrepreneur indépendant », pour l’expertise des sinistres liés à l’assurance grêle concernant les récoltes.

[9] Le contrat prévoyait également qu’il n’y avait aucune promesse quant à la fréquence ou au nombre de règlements de sinistres pour lesquels Co-op Hail sollicitait les services de M. Yeomans. Il y était également précisé que M. Yeomans payait ses propres impôts sur le revenu et ses propres cotisations au Régime de pensions du Canada, et que Co-op Hail n’était pas responsable de ces paiements.

[10] Le contrat prévoyait en outre que Co-op Hail ne superviserait pas directement le travail proprement dit et ne donnerait pas d’instructions à M. Yeomans quant à la manière dont il devait s’acquitter de ses tâches de règlement. M. Yeomans devait tenir Co-op Hail informée de l’avancement des travaux et se conformer à toute demande raisonnable de Co-op Hail concernant la documentation ou l’état d’avancement de certaines affectations de règlement.

[11] Le contrat prévoyait également que M. Yeomans devait décider des méthodes et des moyens d’exécution de ses services d’expertise et qu’il devait travailler dans le respect des exigences de sa licence provinciale d’expert en sinistres dus à la grêle. Dans le cadre de son travail de règlement de sinistres, M. Yeomans devait se conformer aux pratiques et procédures décrites dans le Crop Hail Adjustment Manual (manuel de règlement des sinistres causés par la grêle des récoltes), tel que réglementé par le Superintendent of Insurance (surintendant des assurances) de la Saskatchewan.

[12] Les cycles de travail de M. Yeoman commençaient un peu après le passage d’un orage de grêle qui avait endommagé les récoltes. C’est le « responsable des intempéries » de l’assureur des récoltes de Co-op Hail (et peut-être aussi les responsables des intempéries d’autres assureurs) qui entrait en contact avec lui. Le responsable des intempéries avait en main diverses demandes de règlement pour des dommages causés par la grêle aux récoltes déposées auprès de Co-op Hail par des producteurs dont les récoltes sont assurées par Co-op Hail. Le responsable des intempéries demandait à M. Yeoman de travailler en tant qu’expert pour tout ou partie de ces sinistres.

[13] M. Yeomans préférait régler les sinistres concernant les producteurs de la région de Swift Current, que son travail soit proche de son lieu de résidence et que les périodes de travail n’entrent pas en conflit avec l’horaire d’été de sa famille. Il choisissait en conséquence les sinistres qu’il acceptait de régler.

[14] Au cours de l’été 2016, M. Yeomans (et d’autres experts agréés) a accepté les conditions de paiement de Co-op Hail, à savoir 220 $ par jour pour le règlement des récoltes touchées par la grêle pour Co-op Hail, plus 185 $ par jour pour la nourriture, l’hébergement et le téléphone, et 75 $ par jour s’il travaillait à domicile ou s’il rentrait chez lui à la fin de la journée après avoir travaillé sur des sinistres, plus un montant fixe par kilomètre pour l’utilisation de son propre véhicule.

[15] M. Yeomans, comme les autres experts, devait utiliser son propre véhicule pour les déplacements nécessaires à son travail d’expert, et fournir ses propres bottes, son imperméable et son tulle pour moustiquaire. Co-op Hail fournissait des stylos et du papier (par exemple, les formulaires de demande de règlement officiels), ainsi que le manuel que les experts en grêle agréés de la Saskatchewan devaient respecter.

[16] Comme l’a précisé M. Yeomans en remplissant un questionnaire de l’ARC, le travail d’expertise des récoltes touchées consistait à [traduction] « se rendre dans les champs, mesurer les dommages, compter les graines sur les plantes, établir des diagrammes, rédiger des notes, discuter avec l’agriculteur ou l’assuré pour examiner la demande de règlement et obtenir la signature [de la preuve de sinistre] de l’agriculteur ou du membre » (Le terme « membre » fait référence au fait que Co-op Hail était une coopérative).

[17] En outre, en tant qu’expert en sinistres agréé sur les dommages causés par la grêle, M. Yeomans, était libre d’effectuer un travail similaire pour d’autres compagnies d’assurance, et pas seulement pour Co-op Hail, lesquelles pouvaient également chercher à l’engager pour ce type de travail. Le travail que M. Yeomans a accepté était son choix, y compris celui d’accepter de régler la totalité ou moins de la totalité des sinistres nécessitant un règlement proposés par les responsables des intempéries de toutes les autres compagnies d’assurance récolte, y compris Co-op Hail.

[18] Si un assureur récolte ne souhaitait pas travailler avec un expert particulier, le responsable des intempéries de cet assureur cessait simplement de contacter cet expert pour discuter de l’attribution des sinistres à régler.

III. Droit :

[19] Plusieurs décisions importantes ont été rendues dans le cadre de l’élaboration des fondements juridiques canadiens permettant de distinguer les employés des entrepreneurs indépendants. Pendant des années, la décision de référence a été Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 de la Cour d’appel fédérale. En 1986, l’arrêt Wiebe Door a adopté un « critère quatre en un », s’inspirant de la jurisprudence anglaise pour faire la distinction entre un « contrat de louage de services » (employés) et un « contrat d’entreprise » (entrepreneurs indépendants). Dans le cas de l’arrêt Wiebe Door, les quatre facteurs déterminants cernés sont (i) le degré de contrôle sur la manière dont le travail doit être accompli, (ii) la propriété des outils, (iii) la possibilité de profits et (iv) les risques de perte.

[20] En 2001, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt 1671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, a établi que la question centrale était de savoir si la personne engagée pour travailler exerçait ou non une activité commerciale pour son propre compte. L’arrêt Sagaz a également cerné des indices, largement conformes à l’arrêt Wiebe Door, à savoir le degré de contrôle des activités du travailleur, la propriété de l’équipement, la possibilité pour le travailleur d’embaucher des aides, le degré de risque financier, le degré de responsabilité en matière d’investissement et de gestion, et la possibilité pour le travailleur de réaliser des profits dans l’exécution de ses tâches.

[21] En 2013, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 85 (« Connor Homes »), a établi un processus en deux étapes pour déterminer si le particulier fournissait des services commerciaux pour son propre compte. La première étape consistait à vérifier l’intention subjective des parties quant à la nature de la relation de travail. La deuxième étape consistait à examiner divers facteurs objectifs tels qu’ils sont recensés dans les arrêts Wiebe Door et Sagaz à travers le prisme de l’intention subjective des parties, afin de vérifier si cette intention s’est concrétisée.

IV. Discussion :

[22] En l’espèce, l’appelante Co-op Hail invoque en particulier l’affaire Wray Agencies Ltd. c. M.R.N., 2003 CCI 428, tranchée par le juge suppléant Rowe de notre Cour en 2003, qui présente des faits similaires. Dans la décision Wray, l’assureur appelant vendait de l’assurance contre les dommages causés par la grêle en Saskatchewan et le travailleur, William Skene, était un expert en sinistres agréé sur les dommages causés par la grêle qui effectuait des travaux d’expertise pour l’assureur appelant. M. Skene recevait des honoraires journaliers et des frais connexes pour effectuer son travail de règlement des sinistres. Il n’avait pas de contrat écrit avec l’assureur appelant.

[23] Dans la décision Wray, la Cour a examiné les indices établis dans l’arrêt Sagaz. En ce qui concerne le « degré de contrôle », M. Skene avait parfois travaillé comme expert agréé pour un autre assureur. Il n’était pas tenu d’assister à la conférence annuelle des experts en sinistres. M. Skene était tenu d’utiliser le manuel de règlement des sinistres approuvé par le secteur. M. Skene pouvait fixer ses propres horaires de travail, n’était pas tenu de se présenter chez l’appelante et était libre d’accepter ou de refuser le travail que lui proposait l’entreprise appelante.

[24] En ce qui concerne la « fourniture d’équipement ou d’aides » dans la décision Wray, l’entreprise appelante fournissait un expert supplémentaire en cas de besoin, sans frais pour M. Skene. D’autres aides pouvaient être utilisées par M. Skene, à ses propres frais, bien que cela n’ait pas été fait au cours de la période concernée. L’entreprise appelante fournissait des stylos et le papier nécessaire, un bloc-notes et le manuel à suivre. M. Skene fournissait son véhicule et les vêtements nécessaires pour travailler dans les champs.

[25] En ce qui concerne le « degré de risque financier et le degré de responsabilité en matière d’investissement et de gestion », M. Skene recevait ses honoraires journaliers et ses dépenses, y compris une indemnité au kilomètre pour couvrir les dépenses d’automobile. Il lui appartenait de gérer son temps et de disposer d’un bureau à domicile, quel qu’il soit, pour pouvoir fournir ses services de manière adéquate.

[26] Enfin, en ce qui concerne la « la possibilité pour le travailleur de réaliser des profits dans l’exécution de ses tâches », la Cour a noté que la possibilité pour M. Skene de gagner plus d’argent était basée sur sa volonté d’accepter plus de travail et d’être efficace dans l’exécution de ses tâches d’expert en sinistres afin que, pendant la courte saison de travail, plus de demandes puissent être réglées. Je ne suis pas entièrement d’accord avec ce dernier point, car M. Skene n’a pas été payé en fonction d’un règlement par sinistre, mais selon des honoraires journaliers. Il réalisait donc des profits en acceptant plus de travail, ce qui se traduisait par un plus grand nombre de jours de travail et donc un salaire plus élevé.

[27] Dans la décision Wray, le juge a pris note des propos du juge Noël (tel était alors son titre) de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wolf c. Canada, 2002 D.T.C. 6853, selon lesquels « [...] dans une issue serrée comme en l’espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté ».

[28] Le juge suppléant Rowe a noté que M. Skene disposait d’une grande liberté quant au moment où il pouvait effectuer son travail, et quant au fait d’accepter ou non ce travail, au cours d’une courte période d’été. Il était libre de fixer des rendez-vous avec les agriculteurs. Il pouvait organiser son propre emploi du temps de manière à pouvoir décider s’il pouvait ou non accepter un travail supplémentaire.

[29] M. Skene travaillait-il pour son propre compte, selon l’arrêt Sagaz? Le juge suppléant Rowe a estimé que c’était le cas, en l’absence de toute « incongruité flagrante » dans l’ensemble des circonstances indiquant le contraire :

Rien n’indique que M. Skene n’était pas prêt et capable de fournir ses services ou qu’il n’était pas décidé et satisfait de le faire dans ces circonstances [c.-à-d. que M. Skene exerçait ses activités pour son propre compte]. Il n’y a aucune incongruité flagrante dans l’ensemble des circonstances de la relation de travail analysée qui permette de mettre en doute la légitimité de la description de la relation fournie par le travailleur et l’appelante dans les appels qui nous occupent.

[30] Dans la décision Wray, la Cour a conclu que M. Skene travaillait en tant qu’entrepreneur indépendant.

[31] Presque immédiatement après, le juge suppléant Rowe a statué sur l’affaire McQueen Agencies Limited c. M.R.N., 2003 CCI 430. L’affaire était similaire à la décision Wray, et concernait le travailleur Ben Buchinski. Là encore, l’entreprise appelante vendait de l’assurance contre les dommages causés par la grêle en Saskatchewan. M. Buchinski était différent de M. Skene dans la mesure où il travaillait avec l’appelante en tant qu’expert en sinistres stagiaire, supervisé par des experts en chef. Il était contacté de temps à autre par le directeur de l’appelante pour l’informer de ses progrès en matière d’apprentissage.

[32] M. Buchinski était considéré comme étant sous le contrôle de l’entreprise appelante parce que, contrairement à M. Skene, un expert en sinistres expérimenté, M. Buchinski s’était joint à la compagnie d’assurance contre les dommages causés par la grêle pour être formé en tant qu’expert en sinistres. Il ne savait pas encore comment exercer le travail d’expert en sinistres.

[33] En outre, il n’était pas en mesure de retenir les services d’aides. Il ne pouvait pas encore fournir des services d’expertise en personne, mais il aidait les experts en chef. Il ne pouvait pas gérer son propre emploi du temps parce qu’il travaillait à tout moment sous la supervision directe d’un expert en chef.

[34] La Cour a conclu que M. Buchinski n’avait pas la capacité de travailler au niveau exigé d’une personne capable de fournir des services de règlement de sinistres pour son propre compte. En conséquence, l’appel a été rejeté et la conclusion du ministre selon laquelle M. Buchinski était un employé plutôt qu’un entrepreneur indépendant a été confirmée.

[35] S’agissant de la Couronne intimée, l’avocat a invoqué la décision AE Hospitality Ltd. c. M.R.N., 2019 CCI 116, tranchée par la juge D’Auray de notre Cour. Dans cette affaire, l’entreprise appelante avait engagé des superviseurs, des serveurs, des barmans et des chefs pour des traiteurs. Ces personnes étaient-elles des employés ou des entrepreneurs indépendants? La Cour a conclu que l’appelante et les traiteurs avaient mis en place des mécanismes qui permettaient d’exercer un contrôle sur les travailleurs, quelle que soit leur expérience, pour des événements de petite ou de grande envergure. L’appelante et les traiteurs n’étaient pas seulement présents pour assurer la coordination. Ils avaient l’autorité résiduelle de donner des instructions au personnel, si cela s’avérait nécessaire, sur ce qu’il fallait faire et la façon de le faire.

[36] L’appelante choisissait également les personnes à qui l’on proposait des quarts de travail pour les événements et décidait des fonctions qu’occupait le personnel de service. Les premiers chefs sélectionnaient les chefs qui travaillaient lors d’un événement donné. Ces facteurs de contrôle ont été considérés comme indiquant une relation d’emploi.

[37] En ce qui concerne la propriété des outils, tels que les décapsuleurs, les outils de service aux bars, les tabliers, etc., à l’exception des articles de bar, l’appelante mettait toujours ces articles à disposition. La juge D’Auray a estimé qu’il s’agissait d’un facteur neutre.

[38] En ce qui concerne la « possibilité de profits et le risque de perte » telle qu’elle est décrite par la Cour, celle-ci a conclu que le fait de travailler plus ou moins d’heures n’équivaut pas à une possibilité de profits ou à un risque de perte. Je ne suis pas tout à fait d’accord. En ce qui concerne la « possibilité de profits », il me semble que dans la mesure où des heures ou des quarts de travail supplémentaires sont facilement disponibles pour être travaillés si le travailleur le souhaite, celui-ci est en mesure de gagner plus rapidement un profit ne découlant pas d’un travail d’entrepreneur, en ce sens qu’il peut gagner des fonds excédant le montant de certaines ou de toutes les dépenses.

[39] Toutefois, en ce qui concerne le « risque de perte », il est difficile de conceptualiser une diminution du risque dans le contexte d’une réduction ou d’une augmentation du nombre d’heures de travail. D’ailleurs, dans l’arrêt Wiebe Door, ces facteurs – (i) la possibilité de profits et (ii) le risque de perte – sont énumérés séparément, ce qui indique qu’ils doivent être pris en compte individuellement, et non pas conjointement comme dans la décision AE Hospitality.

[40] Les circonstances de la décision AE Hospitality ne sont pas comparables à celles de l’affaire en instance. Co-op Hail n’exerce pas le même degré de contrôle sur les experts en grêle agréés. M. Yeomans dispose d’une grande souplesse dans le choix du travail de règlement des sinistres qu’il effectuera, y compris où et quand. Le fait qu’il doive suivre les procédures établies dans un manuel pour régler les dommages causés aux récoltes est une attente du secteur applicable aux experts en grêle agréés en général. Cela n’indique pas qu’il y a un contrôle exercé par Co-op Hail.

[41] L’intimé invoque également la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gagnon c. Canada (Revenu national), 2007 CAF 33. Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui avait examiné le statut professionnel de 11 applicateurs de cloisons sèches, engagés verbalement par un autre applicateur de cloisons sèches lorsque celui-ci avait un excès de travail. Deux des onze applicateurs étaient payés à la pièce et les neuf autres étaient rémunérés à l’heure. La Cour canadienne de l’impôt avait conclu que ces travailleurs étaient des employés, car leur investissement individuel dans ce travail était minime, d’autant plus que l’applicateur qui les engageait leur fournissait de nombreux outils et fournitures, même si, dans leur propre travail, ils utilisaient normalement leurs propres outils.

[42] La Cour d’appel fédérale s’est dite d’accord avec la Cour canadienne de l’impôt et a rejeté l’appel. La Cour d’appel fédérale a observé que les éléments de preuve n’avaient pas porté sur la question du contrôle. Il a été constaté que le contrôle avait été exercé par le travailleur chargé de l’embauche, dans la mesure où le contrôle était l’une des hypothèses de l’intimé, et qu’il était donc présumé exact, car il n’avait pas été démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il en avait été autrement.

[43] Enfin, la Couronne intimée a invoqué l’affaire Maliyar c. La Reine, 2006 CCI 671, rendue par le juge Hershfield. Dans cette affaire, le travailleur appelant, un ingénieur en mécanique, a été considéré comme un employé. La Cour a déterminé que la société employeuse présumée exerçait un contrôle important sur le contribuable et son travail. Du travail lui était confié régulièrement, avec des directives et des calendriers rigoureux. En outre, le contribuable devait utiliser les outils et les logiciels de la société dans ses locaux, même s’il disposait de ses propres logiciels.

[44] La Cour a également estimé qu’il n’y avait pas de possibilité de profits ni de risque de perte puisque le contribuable gagnait un salaire horaire et n’investissait pas de capital. De même, le fait que le contribuable avait enregistré un nom commercial aux fins de la TPS n’a pas permis d’établir qu’il avait sa propre entreprise. Il n’avait pas d’autres clients et ne faisait pas de publicité. Il a également été conclu que l’intention des parties quant au statut professionnel du contribuable n’était pas nécessaire puisque les critères traditionnels étaient déterminants en la matière.

[45] En statuant sur le présent appel interjeté par Co-op Hail concernant M. Yeomans, je suis bien conscient qu’en ce qui concerne la question de l’employé par rapport à l’entrepreneur indépendant, de nombreuses décisions se sont accumulées au fil des décennies depuis 1986, date de l’arrêt Wiebe Door. Les deux parties ont invoqué des décisions judiciaires pertinentes à l’affaire en instance.

[46] J’ai déterminé que la décision appropriée est d’accueillir l’appel, en concluant que M. Yeomans était un entrepreneur indépendant, contrairement à la décision du ministre qui l’a considéré comme un employé. Ma décision est fondée sur plusieurs motifs. Tout d’abord, les parties ont très clairement indiqué que telle était leur intention, au moyen de leur accord écrit du 4 avril 2016. Ainsi, conformément à l’arrêt Connor Homes, j’ai examiné les circonstances factuelles sous l’angle du point de vue subjectif des parties selon lequel le statut de travailleur de M. Yeomans par rapport à Co-op Hail était celui d’un entrepreneur indépendant.

[47] Je constate plus précisément que Co-op Hail a exercé un contrôle négligeable sur le travail de M. Yeomans en tant qu’expert en grêle agréé. En effet, pour que le travail de règlement en sinistres de M. Yeomans soit accepté comme équitable entre la compagnie d’assurance d’une part et le prestataire d’assurance d’autre part, M. Yeomans devait être considéré comme n’étant pas simplement une extension ou une entité de la compagnie d’assurance. M. Yeomans disposait d’une grande liberté dans le choix des sinistres déposés auprès de Co-op Hail qu’il acceptait de régler, en fonction de considérations personnelles telles que la proximité de son domicile situé à Swift Current.

[48] En ce qui concerne la possession d’outils, l’équipement fourni par la Co-op Hail était relativement simple – un stylo, du papier et une planchette à pince. Co-op Hail fournissait également le manuel remis à tous les experts en récoltes agréés, élaboré non pas par Co-op Hail elle-même, mais par un organisme réglementé par la province. Ce n’est donc pas Co-op Hail elle-même qui contrôlait la manière dont le travail de règlement en sinistres était effectué, mais plutôt le manuel, fourni généralement aux experts en récoltes agréés pour répondre au besoin évident que les experts utilisent les mêmes méthodologies dans leur travail de règlement en sinistres.

[49] En outre, M. Yeomans fournissait un outil substantiel, à savoir son propre véhicule pour se rendre dans les différentes localités rurales de la Saskatchewan où il avait accepté de travailler, examinant les récoltes endommagées de divers prestataires.

[50] En ce qui concerne la possibilité de profits, conformément à ce que j’ai dit ci-dessus, je considère qu’il y a des chances de prospérer (c’est-à-dire de réaliser des profits) en travaillant un nombre maximal de jours. L’augmentation du revenu brut se traduirait par un accroissement raisonnable du revenu net. En règle générale, je ne considère pas qu’il existe un risque de perte particulier. Bien entendu, il existe toujours des risques théoriques, comme la possibilité que M. Yeomans ait un accident de voiture en conduisant dans le cadre de son travail, ce qui l’empêcherait de travailler.

[51] En conclusion, je souscris à la décision Wray tranchée par le juge suppléant Rowe, rendue il y a vingt ans. Il s’agit d’une décision bien rédigée et bien motivée, qui traite de faits étonnamment similaires.

[52] Conformément aux motifs qui précèdent, et compte tenu du principe de courtoisie judiciaire, j’accueillerai l’appel, estimant que M. Yeomans a fourni des services à Co-op Hail pendant la période de 2016 en tant qu’entrepreneur indépendant exerçant une activité commerciale, et non en tant qu’employé de Co-op Hail. Ainsi, aux fins du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi, au cours de la période pertinente de 2016, M. Yeomans n’occupait pas d’emploi ouvrant droit à pension ou assurable.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d’avril 2023.

« B. Russell »

Le juge Russell

 


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 40

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-1387(EI)

2019-1388(CPP)

INTITULÉ :

CO-OPERATIVE HAIL INSURANCE COMPANY LIMITED c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 février 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Bruce Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 avril 2023

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me David W. Chodikoff

Avocate de l’intimé :

Me Princess Okechukwu

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me David W. Chodikoff

 

Cabinet :

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.