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Dossiers : 2020-1116(EI)

2020-1579(CPP)

ENTRE :

KEVIN LEE HACHULLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé,

et

BEN ROBERTSON,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 12 septembre 2022, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : l’honorable juge Sylvain Ouimet


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimé :

Me Jonathan Cooper

Me Spencer Landsiedel

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs ci-joints, l’appel de la décision rendue par le ministre du Revenu national le 6 février 2020 en application de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada est rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mai 2023.

« Sylvain Ouimet »

Le juge Ouimet


Référence : 2023 CCI 63

Date : 20230518

Dossiers : 2020-1116(EI)

2020-1579(CPP)

ENTRE :

KEVIN LEE HACHULLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé,

et

BEN ROBERTSON,

intervenant.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Ouimet

I. INTRODUCTION

[1] Il s’agit d’un appel interjeté par M. Kevin Lee Hachulla (« M. Hachulla ») à l’encontre d’une décision rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre ») le 6 février 2020, aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi[1] et du Régime de pensions du Canada[2]. Le ministre a déterminé que Ben Robertson (« M. Robertson ») a occupé un emploi assurable et ouvrant droit à pension auprès de Creative Concepts Landscaping (« Creative Concepts ») du 5 avril 2019 au 3 septembre 2019 (la « période ») aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE et de l’alinéa 6(1)a) du RPC.

[2] M. Hachulla a témoigné à l’audience. L’intimé a fait comparaître M. Robertson.

II. LES QUESTIONS EN LITIGE

[3] Les questions en litige soulevées dans le présent appel sont les suivantes :

  • -La question de savoir si M. Robertson occupait, au cours de la période, un emploi assurable auprès de Creative Concepts aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE.

  • -M. Robertson occupait-il, au cours de la période, un emploi ouvrant droit à pension auprès de Creative Concepts aux termes de l’alinéa 6(1)a) du RPC?

[4] Pour répondre à ces questions, la Cour doit déterminer si M. Robertson était, au cours de la période, employé par Creative Concepts en application d’un contrat de louage de services exprès ou tacite, écrit ou verbal.

III. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[5] Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’assurance-emploi [la LAE] sont rédigées comme suit :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière; [...]

[6] Les dispositions pertinentes du RPC sont rédigées comme suit :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

emploi L’état d’employé prévu par un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.

[...]

6. (1) Ouvrent droit à pension les emplois suivants :

a) l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté;

IV. LES FAITS

A. Contexte

[7] Au cours de la période, M. Robertson a fourni des services d’aménagement paysager à Creative Concepts.

[8] Le 3 septembre 2019, M. Robertson a cessé de fournir des services à Creative Concepts après s’être blessé.

[9] Le 26 septembre 2019, M. Robertson a déposé une demande de prestations d’assurance-emploi auprès de Service Canada. Service Canada a demandé une décision à la Division de l’admissibilité au Régime de pensions du Canada et à l’Assurance-emploi de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») afin de déterminer son statut d’emploi au cours de la période.

[10] Le 14 novembre 2019, l’ARC a avisé M. Hachulla, M. Robertson et Service Canada qu’elle avait déterminé qu’au cours de la période, M. Robertson avait été un employé de Creative Concepts occupant un emploi assurable et ouvrant droit à pension en application de la LAE et du RPC.

[11] M. Hachulla n’était pas d’accord avec la décision de l’ARC et elle a interjeté appel auprès du ministre.

[12] Le 6 février 2020, le ministre a confirmé la décision de l’ARC et en a informé M. Hachulla, M. Robertson et Service Canada.

B. Le témoignage de M. Hachulla

[13] M. Hachulla est le propriétaire et l’exploitant de Creative Concepts. Creative Concepts propose des services d’aménagement paysager et d’aménagement à l’aide de matériaux inertes.

[14] Selon M. Hachulla, au cours de la période, Creative Concepts a engagé des sous-traitants pour travailler sur des projets d’aménagement paysager et d’aménagement à l’aide de matériaux inertes. Pendant la période, il était souvent à la recherche de sous-traitants, qui étaient difficiles à trouver. Il a déclaré à la Cour que ses sous-traitants cessent fréquemment de travailler sans avertissement parce qu’ils décident de ne plus fournir de services d’aménagement paysager et d’aménagement à l’aide de matériaux inertes ou parce qu’ils peuvent obtenir plus d’argent ailleurs.

[15] Creative Concepts était financièrement responsable si un projet n’était pas achevé dans les délais convenus avec les clients. Creative Concepts était également responsable de la qualité du travail effectué par ses sous-traitants.

[16] M. Hachulla exigeait que chaque nouveau travailleur de ses sous-traitants ait le droit de travailler au Canada. Il a déclaré que le premier jour où un nouveau travailleur se présentait au travail, il vérifiait si ce dernier avait un numéro d’assurance sociale canadien. Il exigeait également d’être informé de l’arrivée de nouveaux travailleurs sur le chantier d’un sous-traitant.

[17] Creative Concepts payait ses sous-traitants à l’heure pour leurs services. Avant le début de la période, Creative Concepts avait payé ses sous-traitants en fonction des projets, mais M. Hachulla s’est rendu compte que cette façon de procéder n’était pas synonyme d’une bonne gestion financière. Selon M. Hachulla, lorsque les sous-traitants étaient payés en fonction d’un projet, le travail achevé présentait souvent des problèmes de qualité parce qu’il était réalisé trop rapidement, à tel point que dans certains cas, le travail devait être refait aux frais de Creative Concepts.

[18] Afin de s’assurer que Creative Concepts réalise un bénéfice sur chaque projet, M. Hachulla rencontrait le sous-traitant avant le début de chaque projet pour lui communiquer son budget en vue du travail à effectuer. En tenant compte du budget, M. Hachulla et le sous-traitant se mettaient d’accord sur un nombre d’heures acceptable pour mener à bien le projet. Le sous-traitant était payé pour ce nombre d’heures.

[19] Creative Concepts fournissait les outils utilisés par ses sous-traitants pour qu’ils puissent exécuter leurs services. Ces outils comprenaient une camionnette, des outils de jardinage, des masses, des pelles, des râteaux, des brouettes, des compacteurs, des coupeuses à bois et des petites machines ou des machines lourdes, selon le projet.

[20] M. Hachulla fixait la date et l’heure auxquelles les sous-traitants commençaient à travailler sur les projets. Il s’attendait à ce que les sous-traitants récupèrent les outils nécessaires à l’exécution de leurs services au bureau de Creative Concepts vers 7 h 30 et commencent à travailler sur le chantier entre 8 h et 8 h 30. Il a témoigné qu’idéalement, il aurait souhaité qu’ils soient sur le chantier de 8 à 10 heures par jour. Il souhaitait qu’ils commencent entre 8 h et 8 h 30 et terminent vers 18 h en raison du niveau de bruit associé à ce type de travail. Malheureusement, les travailleurs n’ont pas toujours respecté cet horaire parce qu’ils ont souvent décidé de faire la grasse matinée ou parce qu’ils avaient des « boulots d’appoint » pour d’autres clients. M. Hachulla n’a pas abordé la question parce qu’il pensait que les travailleurs étaient des sous-traitants, et non des employés, et qu’il ne pouvait pas congédier les sous-traitants parce qu’ils n’avaient pas commencé leur travail à l’heure prévue.

[21] M. Hachulla attendait des sous-traitants qu’ils l’avertissent par messagerie texte lorsqu’ils ne pouvaient pas commencer à travailler sur un projet à 8 h 30 ou lorsqu’ils ne pouvaient pas travailler sur un projet un jour donné. Cependant, M. Hachulla a déclaré qu’il n’était pas toujours informé. Lorsqu’il n’était pas prévenu, M. Hachulla ne pénalisait pas les sous-traitants parce qu’il pensait qu’il s’agissait de sous-traitants et non d’employés.

[22] Au cours de la période, M. Robertson était l’un des principaux sous-traitants de Creative Concepts et devait fournir des services tous les jours.

[23] Au début du mois de septembre 2019, M. Hachulla a reçu un message texte de M. Robertson indiquant qu’il était tombé dans un escalier et qu’il s’était blessé au genou. Dans le même message texte, M. Robertson lui a dit qu’il ne pouvait plus travailler à cause de cette blessure.

C. Le témoignage de M. Robertson

[24] M. Robertson est un installateur de pavés expérimenté. Il a témoigné avoir travaillé toute sa vie comme installateur. Quelques années avant la période, il avait effectué des travaux d’aménagement paysager pour M. Hachulla en tant que sous-traitant. À l’époque, il possédait sa propre entreprise d’aménagement paysager, appelée Viper Paving Stones.

[25] Au début de l’année 2019, M. Robertson a rencontré M. Hachulla dans un magasin. M. Hachulla a demandé à M. Robertson s’il souhaitait travailler en tant que sous-traitant pour Creative Concepts. Lors du procès, M. Robertson a déclaré qu’il avait travaillé pour M. Hachulla dans le passé et a décrit M. Hachulla comme un [traduction] « bon gars ». Comme M. Robertson était à la recherche d’un emploi et qu’il avait aimé travailler pour M. Hachulla dans le passé, il a accepté l’offre.

[26] M. Robertson a accepté d’être payé 25 $ l’heure et de facturer ses services à Creative Concepts.

[27] Au cours de la période, M. Robertson a été payé par chèque à son nom. Il a été payé après avoir facturé Creative Concepts, mais il n’a pas utilisé de nom commercial sur les factures; les factures de M. Robertson ne mentionnaient que les sommes à payer et les noms des projets sur lesquels il avait travaillé. Les factures ne comportaient pas non plus de numéro d’entreprise ni de somme à payer au titre de la TPS. Les factures que M. Robertson avait fournies à Creative Concepts pour des travaux effectués avant la période comprenaient ces renseignements. À l’époque, M. Robertson utilisait sa camionnette et ses outils pour fournir ses services à Creative Concepts.

[28] M. Robertson n’a pas été rémunéré pour ses vacances. Il a déclaré qu’il n’avait pas demandé à M. Hachulla de se faire payer ses vacances parce qu’il [traduction] « ne voulait pas créer de remous ». Il a ajouté que [traduction] « [l]orsque vous avez cinq enfants à nourrir et que vous luttez, il est plus facile de travailler, parfois vous faites des sacrifices, vous ne remettez pas les choses en question, vous travaillez, tout simplement ».

[29] Au cours de la période, M. Robertson n’a travaillé que pour Creative Concepts. M. Robertson devait commencer à travailler sur un projet vers 8 h 45. Il a déclaré qu’il le faisait presque tous les jours.

[30] Creative Concepts a fourni à M. Robertson les outils et l’équipement dont il avait besoin pour fournir ses services. En général, ces outils comprenaient une camionnette, des masses, des pelles, des râteaux, des brouettes, des compacteurs et une coupeuse à bois. Parfois, mais pas souvent, il arrivait que M. Robertson choisisse d’utiliser ses propres outils. Il ne l’a pas fait régulièrement, bien qu’il ait utilisé quelques fois sa propre scie circulaire parce qu’il la préférait à celle fournie par Creative Concepts.

[31] M. Robertson utilisait un camion de Creative Concepts (le « camion ») pour se rendre sur le chantier. M. Hachulla le laissait utiliser le camion pour faire le trajet entre son domicile et le chantier, car M. Robertson n’avait pas de véhicule au cours de la période. Par conséquent, M. Robertson gardait parfois le camion pendant la nuit afin de pouvoir l’utiliser pour se rendre sur le chantier le lendemain matin.

[32] M. Robertson a acheté une partie du matériel utilisé pour les projets de M. Hachulla. Il utilisait le camion pour transporter des matériaux sur le chantier. M. Hachulla remboursait à M. Robertson tous les matériaux qu’il achetait pour les projets et le carburant utilisé pour conduire le camion.

[33] M. Robertson pouvait engager un sous-traitant pour travailler sur les projets de Creative Concepts, mais M. Hachulla devait en être informé, car il était responsable de la sécurité des travailleurs. M. Hachulla ne se souciait pas de savoir qui ses travailleurs faisaient venir comme sous-traitants, tant qu’ils pouvaient légalement travailler au Canada.

[34] M. Robertson a amené sa femme travailler sur un projet de Creative Concepts deux ou trois fois au cours de la période. Elle est la seule personne à qui il a demandé de travailler sur un projet de Creative Concepts. L’épouse de M. Robertson était rémunérée à l’heure. Avant qu’elle ne commence à travailler sur un projet de Creative Concepts, M. Robertson a demandé l’autorisation de M. Hachulla. Il a également demandé à M. Hachulla s’il accepterait de payer les services de Mme Robertson en plus de ce qu’ils avaient convenu de payer à M. Robertson. M. Hachulla a accepté et a consigné les heures de travail de Mme Robertson dans un registre qu’il utilisait normalement à cette fin. Le coût des services de Mme Robertson était inclus dans les factures de M. Robertson.

[35] La plupart du temps, M. Hachulla se trouvait sur les chantiers du projet avec M. Robertson. Lorsqu’il n’était pas sur d’autres chantiers, il voyait des clients pour se faire payer.

[36] Selon M. Robertson, aucun délai n’était fixé. Un travailleur se rendait sur le chantier et effectuait chaque tâche le plus rapidement possible.

[37] M. Hachulla disait à M. Robertson ce qu’il fallait faire un jour donné et M. Robertson s’en chargeait.

[38] M. Robertson a déclaré que son horaire de travail variait tous les jours. Il a indiqué qu’il n’y avait pas de nombre fixe d’heures de travail. La plupart du temps, M. Hachulla disait à M. Robertson de le rencontrer sur le site d’un projet ou chez lui à une heure précise, et M. Robertson s’efforçait d’être présent à cette heure-là.

V. DISCUSSION

A. Le droit applicable

[39] En l’espèce, la Cour doit déterminer si M. Robertson était, au cours de la période, employé par Creative Concepts aux termes d’un contrat de louage de services exprès ou tacite, écrit ou verbal, conformément à l’alinéa 5(1)a) de la LAE et à l’alinéa 6(1)a) du RPC. Pour ce faire, la Cour doit déterminer si la relation entre M. Robertson et Creative Concepts était une relation d’entrepreneur indépendant ou d’employeur-employé[3].

[40] Par conséquent, la question centrale à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si M. Robertson a, compte tenu des faits, rendu des services en tant que personne exerçant une activité commerciale pour son propre compte au cours de la période[4]. Si la Cour estime que M. Robertson a rendu des services à Creative Concepts en tant que personne travaillant pour son propre compte, elle conclura que M. Robertson n’occupait pas un emploi assurable et ouvrant droit à pension. Inversement, si la Cour estime que M. Robertson n’a pas rendu de services en tant que personne travaillant pour son propre compte, elle conclura que M. Robertson occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension.

[41] Dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national), la Cour d’appel fédérale a déclaré que les principales décisions sur la question centrale de savoir si un particulier a rendu des services en tant que personne exerçant une activité commerciale pour son propre compte constituent sa décision dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. et la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[5]. Compte tenu du nombre de décisions qui se sont appuyées sur l’arrêt Connor Homes depuis lors, je suis d’avis que l’arrêt Connor Homes est devenu un arrêt de principe sur cette question également.

1) Le critère devant être appliqué pour répondre à la question centrale

[42] Dans l’arrêt Sagaz Industries Canada Inc., la Cour Suprême a analysé le critère à appliquer en l’espèce. Je résumerai les déclarations de la Cour suprême comme suit :

  • -Il n’existe pas de critère unique et concluant qui puisse être appliqué universellement pour déterminer si une personne fournit des services en tant qu’entrepreneur indépendant ou en tant que salarié[6].

  • -Pour déterminer si une personne fournit des services en tant qu’entrepreneur indépendant ou en tant que salarié, les tribunaux doivent toujours rechercher la relation globale entre les parties[7].

  • -Afin d’évaluer l’ensemble des relations entre les parties, le tribunal ne peut qu’examiner tous les facteurs possibles qui influencent la nature des relations entre les parties[8].

  • -Tous les facteurs ne sont pas pertinents dans tous les cas ou n’ont pas le même poids. En outre, la Cour a déclaré qu’il n’existe pas de formule magique pour déterminer quels facteurs devraient, dans un cas donné, être déterminants[9].

  • -Le niveau de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur est toujours un facteur à prendre en considération. Il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches[10]. Ces facteurs ne constituent pas une énumération restrictive et il n’y a pas de formule toute faite quant à leur application.

  • -Le poids relatif de chaque facteur dans la détermination qui doit être faite dépendra des faits et des circonstances propres à chaque cas[11].

[43] Dans l’arrêt Connor Homes, la Cour d’appel fédérale a réexaminé le critère établi dans l’arrêt Sagaz Industries Canada Inc. ainsi que l’idée d’utiliser l’intention des parties comme élément à prendre en considération dans l’application du critère. Cette idée a été soulevée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wolf c. Canada[12] et dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N.[13], qui ont toutes deux proposé d’utiliser l’intention comme première considération dans l’application du critère[14]. La Cour a déclaré que pour déterminer si une personne fournit des services en tant qu’entrepreneur indépendant ou en tant que salarié, les tribunaux doivent procéder à une enquête en deux étapes[15].

[44] Premièrement, les tribunaux saisis doivent s’assurer de l’intention subjective de chacune des parties à la relation de travail. Cela signifie qu’il faut déterminer si les parties avaient une intention commune ou une compréhension mutuelle de la nature juridique de leur relation[16].

[45] Pour déterminer l’intention des parties en ce qui concerne leur relation, les tribunaux doivent se référer soit à la relation contractuelle écrite que les parties ont conclue, soit au comportement réel de chaque partie. L’évaluation du comportement réel consiste à déterminer si des factures ont été émises pour les services rendus, si le prestataire de services était enregistré aux fins de la TPS et si le travailleur a rempli sa déclaration de revenus en tant qu’entrepreneur indépendant[17].

[46] À mon avis, le premier élément à vérifier est l’existence d’un accord écrit entre les parties. Si les parties ont conclu un tel accord et que cet accord énonce clairement la nature de la relation, il n’est pas nécessaire d’examiner leur comportement. Il en va de même si, dans leurs témoignages respectifs, les parties indiquent clairement quelle était leur intention commune. Je considère que le comportement des parties ne doit être pris en considération que lorsque les parties n’ont pas conclu d’accord écrit; lorsqu’un accord écrit n’indique pas clairement la nature de la relation; ou lorsque le témoignage des parties indiquant qu’elles avaient une intention commune n’est pas crédible, et donc pas fiable. En effet, à mon avis, puisque la Cour cherche à cerner l’intention subjective des parties, un accord écrit est suffisant pour établir ce fait et ne doit pas être écarté. Si les parties ont conclu un accord clair, ce qu’une partie fait par la suite, comme s’enregistrer aux fins de la TPS ou remplir une déclaration de revenus en tant qu’entrepreneur indépendant, n’est pas pertinent pour déterminer l’intention subjective des parties. En effet, ces actes peuvent être accomplis à l’insu de l’autre partie après qu’un accord a été conclu et que l’intention commune a été acceptée par les parties.

[47] Par conséquent, dans le cadre de la première étape, la Cour peut soit conclure que les parties ont partagé une intention commune et la cerner, soit conclure que les parties n’ont pas partagé une intention commune.

[48] Selon la seconde étape, les tribunaux doivent établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. Pour ce faire, il faut prendre en considération tous les facteurs pertinents des faits objectifs d’une affaire, y compris les facteurs mentionnés dans les arrêts Sagaz Industries Canada Inc. et Wiebe Door Services Ltd. et examiner si ces facteurs sont compatibles avec l’intention subjective des parties[18].

[49] Les tribunaux ont déclaré que l’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs[19]. Par conséquent, à mon avis, lorsque les parties partagent une intention subjective commune, mais que les faits objectifs sont clairement conformes à cette intention commune, l’intention subjective commune des parties ne doit pas être prise en compte. D’autre part, l’intention subjective commune des parties doit être prise en compte dans une situation où certains faits objectifs soutiennent l’intention subjective commune et d’autres non. Il est évident que si les faits objectifs sont parfaitement conformes à l’intention subjective des parties, l’intention subjective commune des parties doit être prise en compte.

[50] À mon avis, ce raisonnement est conforme aux déclarations faites par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Connor Homes en ce qui concerne l’intention des parties. Je résume comme suit les déclarations de la Cour dans l’arrêt Connor Homes :

  • -L’effet juridique qui résulte de la relation entre les parties, c’est-à-dire l’effet juridique du contrat, n’est pas une question que les parties peuvent simplement stipuler dans le contrat et qui ne peut pas être laissée à la seule appréciation des parties[20].

  • -Il ne suffit pas aux parties d’énoncer dans le contrat que le travailleur assure ses services en tant qu’entrepreneur indépendant pour que ce soit effectivement le cas[21].

  • -L’effet juridique de la relation entre les parties ne peut être laissé à leur seule discrétion. Selon la Cour, cela s’explique par le fait qu’une relation employé-employeur a des ramifications juridiques et pratiques importantes et de grande portée qui s’étendent, entre autres, aux programmes sociaux (admissibilité et contributions financières), aux relations de travail (statut syndical) et à la fiscalité (inscription aux fins de la TPS et statut en application de la Loi sur l’impôt sur le revenu)[22].

[51] Par conséquent, je considère que la détermination de l’intention des parties dans le cadre de la première étape répond aux deux objectifs. Ceux-ci se décrivent ainsi :

  1. Cela déterminera le point de départ de l’analyse à effectuer dans le cadre de la deuxième étape du critère, ainsi que l’objectif de l’analyse. Si la Cour estime que les parties avaient une intention commune lors de la première étape, elle déterminera, lors de la deuxième étape, si les facteurs pertinents dans les circonstances confirment ou non l’intention commune des parties.

Si la Cour estime que les parties avaient une intention différente ou qu’elles n’en avaient pas du tout, la deuxième étape consiste à déterminer la nature de la relation en fonction des facteurs pertinents dans les circonstances, à l’exclusion de l’intention de chaque partie.

  1. Cela déterminera si l’intention des parties est un facteur à prendre en considération dans la deuxième étape du test. Si la Cour conclut que les parties avaient une intention commune, cette intention sera un facteur à prendre en considération lors de la deuxième étape du critère, au même titre que les autres facteurs pertinents.

[52] En ce qui concerne l’objectif et l’utilisation de l’intention commune des parties dans le cadre du critère en deux étapes, une déclaration faite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Connor Homes a été récemment analysée par notre Cour, à savoir dans l’affaire Institut de l’assurance de l’Ontario c. M.R.N.[23] Cette affaire n’a pas été portée à mon attention lors du procès et les parties ne l’ont pas commentée. Le passage pertinent de l’arrêt Connor Homes est le suivant :

Dans la présente espèce, le juge de la Cour de l’impôt semble avoir suivi l’ordre inverse des opérations, examinant à la fin de son analyse l’intention des parties telle que l’expriment leurs contrats respectifs. La première étape de l’analyse doit toujours être de déterminer l’intention des parties puis, en deuxième lieu, d’examiner sous le prisme de cette intention la question de savoir si leurs rapports, concrètement, révèlent des rapports d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant. Cependant, étant donné les faits de la présente espèce, l’inversion des étapes de l’analyse par le juge de la Cour de l’impôt ne suffit pas en soi à vicier sa décision puisque les preuves, vues dans leur ensemble, vont dans le sens de ses conclusions[24].

[Non souligné dans l’original.]

[53] S’appuyant sur cette déclaration, l’appelant dans l’affaire Institut de l’assurance de l’Ontario a affirmé que les résultats de la première étape devraient avoir une incidence sur l’application du critère lors de la deuxième étape. Le ministre n’a toutefois pas souscrit à cet argument. La Cour s’est rangée à l’avis de l’appelant et est parvenue à la conclusion suivante :

Compte tenu de tout ce qui précède, je préfère l’interprétation de l’Institut de la deuxième étape du critère Connor Homes. Je conclus que les résultats de la première étape influencent l’application de la deuxième étape du critère. En toute déférence, l’interprétation proposée par l’intimé de la deuxième étape est illogique. Si le résultat de la première étape n’avait aucune incidence sur la seconde, à quoi servirait-elle alors? Si la seule question à trancher est celle de déterminer la relation à la lumière des facteurs Wiebe Door et Sagaz, alors pourquoi se donner la peine d’examiner la relation du point de vue des parties? Pour que la première étape ait un sens, le résultat de la première étape doit avoir une incidence sur l’application de la deuxième étape du critère[25].

[Non souligné dans l’original]

[54] Dans l’affaire Institut de l’assurance de l’Ontario, la Cour a décrit comme suit l’application de la deuxième étape du critère établi dans l’arrêt Connor Homes :

Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la deuxième étape du critère Connor Homes doit être appliquée comme suit :

a) Lorsque le payeur et le travailleur n’ont pas une intention commune, leur relation sera celle indiquée par les facteurs Wiebe Door et Sagaz.

b) Lorsque le payeur et le travailleur ont une intention commune :

i. si les facteurs Wiebe Door et Sagaz correspondent à cette intention commune, alors leur relation sera celle qu’ils ont voulue;

ii. si les facteurs Wiebe Door et Sagaz sont totalement incompatibles avec cette intention commune, alors leur relation sera celle indiquée par ces facteurs;

iii. si les facteurs Wiebe Door et Sagaz sont incompatibles avec cette intention commune, mais que les parties agissent et poursuivent néanmoins leur relation d’une manière similaire à ce que l’on attendrait de leurs intentions, alors leur relation sera celle qu’elles ont voulue[26].

[55] Compte tenu de ce que j’ai indiqué ci-dessus dans la présente décision, je suis d’accord avec ces déclarations. Par souci de clarté, mon point de vue sur l’application du critère peut être résumé comme suit :

Étape 1 : la Cour doit déterminer si les parties avaient une intention commune.

Étape 2 : si les parties n’avaient pas une intention commune, la Cour doit alors, en utilisant tous les facteurs pertinents dans les circonstances, y compris ceux énumérés dans les arrêts Wiebe Door Services Ltd. et dans Sagaz Industries Canada Inc., déterminer la nature de la relation réelle entre les parties. Dans les circonstances, l’intention de chaque partie n’est pas un facteur pertinent, et le poids à accorder à chaque facteur est déterminé par le juge.

Si les parties avaient une intention commune, la Cour doit, en utilisant tous les facteurs pertinents dans les circonstances, y compris ceux énumérés dans les arrêts Wiebe Door Services Ltd. et Sagaz Industries Canada Inc., déterminer si cette intention est soutenue par la réalité objective de leur relation. Dans les circonstances, l’intention commune des parties est un facteur à prendre en considération et le poids à accorder à chaque facteur est déterminé par le juge.

2) L’application du droit aux faits de la présente affaire

a) La première étape : l’intention des parties et la compréhension par les parties de leur relation

[56] Selon la première étape, notre Cour doit s’assurer de l’intention subjective de chacune des parties à la relation de travail.

[57] M. Robertson n’a pas fourni ses services à M. Hachulla aux termes d’un contrat écrit. Les éléments de preuve montrent qu’il a fourni ses services dans le cadre d’un contrat d’entreprise verbal exprès et non d’un contrat de louage de services. Conformément à l’accord, M. Robertson devait fournir ses services en tant que personne exerçant une activité commerciale pour son propre compte, donc en tant qu’entrepreneur indépendant. Les témoignages des parties confirment ce fait, de même que les messages textes présentés comme éléments de preuve lors du procès.

[58] Par conséquent, la Cour estime que l’intention commune des parties était que leur relation contractuelle soit une relation d’entrepreneur indépendant.

b) La deuxième étape : si, en réalité, après avoir pris en considération tous les facteurs pertinents dans les circonstances, la relation réelle confirme l’intention commune des parties

[59] Dans un deuxième temps, la Cour doit vérifier si, en réalité, après avoir pris en considération tous les facteurs pertinents dans les circonstances, la relation des parties était celle qu’elles souhaitaient.

[60] La Cour estime que, dans les circonstances, les facteurs pertinents sont les suivants :

  • -le niveau de contrôle que Creative Concepts exerçait sur les activités de M. Robertson;

  • -la question de savoir si M. Robertson fournissait son propre équipement;

  • -la question de savoir si M. Robertson pouvait embaucher des travailleurs pour fournir ses services;

  • -la question de savoir si M. Robertson avait une chance de réaliser un profit dans l’exécution de ses tâches lorsqu’il fournissait des services à Creative Concepts;

  • -la question de savoir si M. Robertson a géré et assumé des risques financiers lorsqu’il fournissait des services à Creative Concepts;

  • -la fréquence des paiements pour les services rendus;

  • -les factures relatives aux services rendus.

1) Le niveau de contrôle que Creative Concepts exerçait sur les activités de M. Robertson

[61] Le facteur de contrôle a également été désigné par les tribunaux comme le « critère de contrôle »[27]. Le contrôle renvoie au droit du payeur de donner des ordres et des instructions au travailleur sur la manière d’effectuer le travail[28]. D’autres indicateurs utilisés dans l’analyse du facteur de contrôle sont la programmation des heures de travail, les politiques et procédures utilisées au travail et l’emplacement du lieu de travail[29]. Plus le payeur exerce un contrôle sur le travailleur, plus cela indique qu’il s’agit d’une relation employeur-employé.

[62] M. Hachulla fixait la date et l’heure auxquelles M. Robertson devait commencer à travailler sur les projets. M. Robertson devait l’avertir s’il était malade et ne pouvait pas fournir ses services. M. Hachulla indiquait à M. Robertson le projet à privilégier et le chantier où il devait se rendre un jour donné. Au cours de la période, M. Robertson était tenu de fournir des services tous les jours de la semaine.

[63] Le fait que M. Hachulla ait exigé que les travailleurs l’avertissent lorsqu’ils embauchaient de nouveaux travailleurs sur un chantier est un facteur qui permet de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts. Le niveau de contrôle que M. Hachulla exerçait sur l’horaire de travail de M. Robertson permet également de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts. La Cour estime que le niveau de contrôle exercé par Creative Concepts sur les activités de M. Robertson permet de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts.

2) La question de savoir si M. Robertson fournissait son propre équipement

[64] Lorsqu’un travailleur utilise ses propres outils et son propre équipement pour fournir ses services, cela indique qu’il fournit des services en tant qu’entrepreneur indépendant[30]. L’utilisation par le travailleur de son propre véhicule pour des activités liées au travail est également une indication de son statut d’entrepreneur indépendant[31]. Inversement, plus le payeur fournit les outils et l’équipement nécessaires aux activités professionnelles du travailleur, plus il est probable que leur relation contractuelle soit une relation employeur-employé.

[65] Creative Concepts fournissait à M. Robertson les outils et l’équipement dont il avait besoin pour effectuer son travail, y compris les machines lourdes. M. Robertson n’a utilisé qu’un ou deux de ses propres petits outils, par préférence personnelle. Bien que Creative Concepts ait laissé M. Robertson utiliser le camion pour se déplacer entre son domicile et les chantiers par courtoisie, les éléments de preuve montrent que M. Robertson a utilisé le camion pour se rendre directement de son domicile aux emplacements où se trouvaient les fournisseurs afin de récupérer du matériel pour les projets de Creative Concepts, ce qui était pratique pour Creative Concepts.

[66] M. Hachulla fournissait presque tous les outils et tout l’équipement nécessaires aux activités professionnelles de M. Robertson. Pour cette raison, la Cour estime que ce facteur permet de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts.

3) La question de savoir si M. Robertson pouvait embaucher des travailleurs pour fournir ses services

[67] Lorsqu’une personne fournissant des services peut engager ses propres travailleurs pour l’aider à fournir ses services, cela indique que la relation entre le payeur et la personne est une relation d’entrepreneur indépendant. En l’espèce, M. Robertson a demandé à son épouse de venir fournir des services avec lui pour Creative Concepts. D’après les éléments de preuve, cela s’est produit à plusieurs reprises, mais le nombre exact de fois n’est pas clair. M. Robertson a dû demander la permission à M. Hachulla avant d’amener un nouveau travailleur sur le chantier d’un projet. Cette exigence s’applique à l’épouse de M. Robertson, et une autorisation a été obtenue avant qu’elle ne se rende sur un chantier.

[68] M. Robertson devait demander la permission à M. Hachulla avant d’amener un nouveau travailleur sur le chantier d’un projet. Pour cette raison, la Cour estime que ce facteur permet de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts. À la connaissance de la Cour, un sous-traitant ne doit pas obtenir d’autorisation pour amener de nouvelles personnes sur un chantier.

4) La question de savoir si M. Robertson avait une chance de réaliser un profit dans l’exécution de ses tâches lorsqu’il fournissait des services à Creative Concepts

[69] Lorsqu’un travailleur peut augmenter le montant de ses revenus en travaillant efficacement à la réalisation d’un plus grand nombre de projets, il a une chance de réaliser des bénéfices. Plus un travailleur a de chances de réaliser des bénéfices, plus cela indique qu’il s’agit d’un entrepreneur indépendant[32]. Si un travailleur est payé à un salaire horaire fixe, cela limite la capacité de ce travailleur à tirer profit d’une plus grande efficacité et est susceptible d’indiquer une relation employeur-employé.

[70] La preuve établit que M. Robertson était payé à un taux horaire de 25 $. M. Hachulla a déclaré que Creative Concepts payait ses travailleurs de cette manière parce qu’il leur versait auparavant une somme fixe par projet, ce qui était coûteux. M. Hachulla a affirmé que, bien que d’autres travailleurs aient achevé les projets plus rapidement lorsqu’ils étaient payés par projet, le travail n’était pas effectué correctement et devait être refait à ses frais.

[71] Les éléments de preuve montrent que M. Robertson n’avait aucune chance de réaliser des bénéfices lorsqu’il fournissait des services à Creative Concepts. Pour cette raison, la Cour estime que ce facteur permet de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts.

5) La question de savoir si M. Robertson a géré et assumé des risques financiers lorsqu’il fournissait des services à Creative Concepts

[72] Ce facteur concerne le risque que les travailleurs perdent de l’argent dans le cadre de leurs activités professionnelles. Par exemple, si un travailleur qui achève un projet a l’obligation de refaire le travail sans frais pour le payeur lorsque le projet est mal fait, cela indique probablement que le travailleur est un entrepreneur indépendant[33].

[73] Les éléments de preuve montrent que, lorsqu’il fournissait des services à Creative Concepts, M. Robertson n’assumait aucun risque financier. En l’espèce, c’est Creative Concepts qui assumait les risques financiers pour tous les projets, y compris ceux sur lesquels M. Robertson travaillait. Les éléments de preuve montrent que si un projet réalisé par M. Robertson devait être refait, M. Robertson aurait été payé pour refaire le travail correctement. Si un projet nécessitait des travaux supplémentaires pour être mené à bien, c’était la perte financière de Creative Concepts, et non celle de M. Robertson.

[74] Étant donné que M. Robertson n’assumait aucun risque financier lorsqu’il fournissait des services à Creative Concepts, la Cour juge que ce facteur permet de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts.

6) La fréquence des paiements pour les services rendus

[75] M. Robertson était payé par Creative Concepts toutes les deux semaines par chèque. M. Robertson était rémunéré à l’heure pour ses services.

[76] Les éléments de preuve montrent que M. Robertson était payé à intervalles réguliers, ce qui est similaire à la façon dont les employés sont payés par leurs employeurs. Pour cette raison, la Cour estime que ce facteur permet de conclure que M. Robertson était un employé de Creative Concepts.

7) Les factures relatives aux services rendus

[77] M. Robertson fournissait des factures à Creative Concepts pour ses services.

[78] Les employés ne fournissent pas de factures à leurs employeurs. Étant donné que M. Robertson fournissait des factures à Creative Concepts pour ses services, la Cour estime que ce facteur permet de conclure que M. Robertson était un entrepreneur indépendant.

VI. CONCLUSION

[79] En l’espèce, la question centrale à laquelle la Cour devait répondre était de savoir si M. Robertson avait, au cours de la période, rendu des services à Creative Concepts en tant que personne exerçant une activité commerciale pour son propre compte.

[80] Après un examen des facteurs pertinents dans les circonstances, la Cour conclut que pendant la période, la relation que les parties avaient établie en réalité n’était pas celle qu’elles avaient envisagée, à savoir une relation d’entrepreneur indépendant. La Cour constate que M. Robertson n’a pas fourni de services à Creative Concepts en tant que personne exerçant une activité commerciale pour son propre compte et que, par conséquent, il n’a pas fourni de services en tant qu’entrepreneur indépendant. La Cour conclut que, à la suite de l’analyse des facteurs pertinents aux paragraphes 60 à 78 ci-dessus, la plupart de ces facteurs n’étayent pas l’intention subjective des parties. Les facteurs permettent de conclure que la relation contractuelle entre les parties était une relation employeur-employé.

[81] Par conséquent, la Cour estime que M. Robertson était employé dans le cadre d’un contrat de louage de services et qu’il était donc un employé de Creative Concepts au cours de la période. Par conséquent, conformément à l’alinéa 5(1)a) de la LAE, M. Robertson a exercé un emploi assurable au cours de la période. Compte tenu de la même conclusion, M. Robertson a exercé un emploi ouvrant droit à pension au cours de la période, conformément à l’alinéa 6(1)a) du RPC.

[82] Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mai 2023.

« Sylvain Ouimet »

Le juge Ouimet


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 63

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-1116(EI) 2020-1579(CPP)

INTITULÉ :

KEVIN LEE HACHULLA ET SA MAJESTÉ LE ROI ET BEN ROBERTSON

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Sylvain Ouimet

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 mai 2023

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimé :

Me Jonathan Cooper

Me Spencer Landsiedel

Pour l’intervenant :

L’intervenant lui-même

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef
Sous-procureure générale du Canada
Ottawa, Canada

 



[1] L.C. 1996, ch. 23, alinéa 5(1)a) (la « LAE »).

[2] L.R.C. (1985), ch. C-8, alinéa 6(1)a) (le « RPC »).

[3] 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 85, par. 40 [Connor Homes]; Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. [1986] 2 C.T.C. 200 [Wiebe Door Services Ltd.]; 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59 [Sagaz Industries Canada Inc.].

[4] Connor Homes, précité, note 6, par. 41.

[5] Ibid., par. 26, renvoyant à Sagaz Industries Canada Inc, précité, note 6, et à Wiebe Door Services Ltd, précité, note 6.

[6] Sagaz Industries Canada Inc., précité, note 6, par. 46.

[7] Ibid., renvoyant à Wiebe Door Services Ltd, précité, note 6, p. 563.

[8] Ibid., par 47.

[9] Ibid., renvoyant au professeur P.S. Atiyah, Vicarious Liability in the Law of Torts, (Londres : Butterworths, 1967), p. 38, invoqué dans Wiebe Door Services Ltd, précité, note 6, p. 206.

[10] Sagaz Industries Canada Inc., précité, note 6, par. 47.

[11] Ibid., par. 48.

[12] 2002 CAF 96 [Wolf].

[13] 2006 CAF 87 Royal Winnipeg Ballet »].

[14] Connor Homes, précité, note 6, par. 38, renvoyant à Wolf, par. 117 et à Royal Winnipeg Ballet, par. 59 à 62.

[15] Ibid.

[16] Ibid., par. 42 et 43.

[17] Ibid., par. 39.

[18] Ibid., par. 40.

[19] Ibid.

[20] Ibid., par. 36 et 37.

[21] Ibid., par. 36.

[22] Ibid., par. 37.

[23] 2020 CCI 69 [Institut de l’assurance de l’Ontario].

[24] Connor Homes, précité, note 6, par. 42.

[25] Ibid., par. 18.

[26] ibid., par. 26.

[27] Wiebe Door Services Ltd, précité, note 6, p. 203, renvoyant à R. v. Walker (1858), 27 L.J.M.C. 207.

[28] Ibid., renvoyant à Hôpital Notre-Dame et Théoret c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, p. 613.

[29] Connor Homes, précité, note 6, par. 44 à 47; voir également Wolf, précité, note 15, par. 74 et Canada Sun Education Inc. c. M.R.N., 2019 CCI 117, par. 41.

[30] Sagaz Industries Canada Inc, précité, note 6, par. 47; voir également Wiebe Door Services Ltd., précité, note 6, p. 201 et 202.

[31] Connor Homes, précité, note 6, par. 50.

[32] AE Hospitality Ltd. c. M.R.N., 2019 CCI 116, par. 150, conf. par 2020 CAF 207; WCT Productions MCT Ltd. c. M.R.N., 2022 CCI 107, par. 78.

[33] Voir Wiebe Door Services Ltd, précité, note 6, par. 3; voir également Connor Homes, précité, note 6, par. 44.

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