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Dossier : 2015-1917(IT)G

ENTRE :

SPE VALEUR ASSURABLE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé,

Dossier : 2015-1921(IT)G

ENTRE :

ROBERT PLANTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Requête entendue par vidéoconférence le 28 avril 2023,

à Ottawa (Canada).

Devant : L'honorable juge Dominique Lafleur

Comparutions :

Avocats des appelants :

Me Gabriel Dumais

Me Francis Fortin

Avocat de l'intimé :

Me Vlad Zolia

 

ORDONNANCE

VU l’avis de requête des appelants (la « requête ») du 26 janvier 2023 demandant à la Cour d’admettre les appels logés par les appelants et d’annuler les nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, à savoir :

  • i)Dans le dossier de Robert Plante (no 2015-1921(IT)G) : les nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008;

  • ii)Dans le dossier de SPE Valeur Assurable Inc. (no 2015-1917(IT)G) : les nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009.

VU les documents déposés aux dossiers, incluant la déclaration sous serment de M. Robert Plante datée du 24 janvier 2023;

ET VU les observations écrites des parties;

ET APRÈS avoir entendu les observations des parties;

POUR LES MOTIFS SUIVANTS, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La requête est rejetée, avec dépens à l’intimé;

  2. Un jugement au mérite sur le fond dans ces appels doit être rendu sur la base des dossiers;

  3. Si les parties souhaitent faire des observations additionnelles quant aux questions en litige dans ces appels, elles doivent communiquer avec le coordonnateur des audiences au plus tard le 15 juin 2023 pour en informer la Cour et, dans un tel cas :

    • i)Les parties doivent déposer leurs observations écrites au plus tard le 29 septembre 2023;

    • ii)Les observations orales des parties seront entendues au cours d’une audience d’une durée d’au plus deux (2) jours consécutifs qui devra se tenir au cours des mois d’octobre 2023 ou de novembre 2023; les parties doivent aviser la Cour de leur disponibilité commune au plus tard le 15 juin 2023 pour la tenue d’une telle audience; et

  4. La Cour se réserve le droit de rappeler tout témoin ayant témoigné au cours de l’audience tenue en octobre et novembre 2017.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1e jour de juin 2023.

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


Référence : 2023 CCI 79

Date : 2023061

Dossier : 2015-1917(IT)G

ENTRE :

SPE VALEUR ASSURABLE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé,

Dossier : 2015-1921(IT)G

ENTRE :

ROBERT PLANTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

Intimé.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge Lafleur

I. LA REQUÊTE

[1] Les appelants (qui seront désignés collectivement les « requérants » dans ces motifs) ont présenté une requête (la « requête »), dont l’avis est daté du 26 janvier 2023, incluant la déclaration sous serment de M. Robert Plante datée du 24 janvier 2023, demandant à la Cour d’admettre les appels logés par les requérants et d’annuler les nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (LRC (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »)), à savoir :

  • -Dans le dossier de Robert Plante (no 2015-1921(IT)G) (« M. Plante »): les nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008;

  • -Dans le dossier de SPE Valeur Assurable Inc. (no 2015-1917(IT)G) (« SPE »): les nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009.

[2] Au soutien de leur requête, les requérants prétendent que les délais encourus dans ces dossiers suite à la tenue du procès à l’automne 2017 sans qu’une décision n’ait été rendue par la Cour à ce jour, et les options qui leur ont été offertes par la Cour, soit de tenir un nouveau procès devant un nouveau juge ou soit qu’un nouveau juge rende jugement sur la base des dossiers, résulteraient en un abus de procédure, puisqu’il y a soit atteinte à l’équité procédurale ou soit un délai judiciaire excessif. Selon les requérants, à titre de réparation pour cet abus de procédure, la Cour devrait admettre les appels logés par les requérants et annuler les nouvelles cotisations.

[3] Alternativement, les requérants soutiennent que la tenue d’un nouveau procès violerait les droits de M. Plante garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la « Charte »)).

II. CONCLUSION

[4] Pour les motifs suivants, la requête est rejetée, avec dépens à l’intimé.

[5] La Cour ordonne que jugement au mérite sur le fond dans ces appels soit rendu sur la base des dossiers. Si les parties souhaitent faire des observations additionnelles quant aux questions en litige dans ces appels, elles doivent communiquer avec le coordonnateur des audiences au plus tard le 15 juin 2023 pour en informer la Cour et, dans un tel cas :

  • i)Les parties doivent déposer leurs observations écrites au plus tard le 29 septembre 2023; et

  • ii)Les observations orales des parties seront entendues au cours d’une audience d’une durée d’au plus deux (2) jours consécutifs qui devra se tenir au cours des mois d’octobre 2023 ou de novembre 2023; les parties doivent aviser la Cour de leur disponibilité commune au plus tard le 15 juin 2023 pour la tenue d’une telle audience.

La Cour se réserve le droit de rappeler tout témoin ayant témoigner au cours de l’audience tenue en octobre et novembre 2017.

III. LES APPELS LOGÉS À LA COUR

En ce qui concerne SPE :

[6] L’appel concerne les années d’imposition 2005 à 2009. En vertu des nouvelles cotisations établies par le ministre hors de la période normale de nouvelle cotisation, des déductions totalisant 1 089 129$ réclamées dans le calcul du revenu de SPE à titre de dépenses pour fins d’entreprise ont été refusées en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi. Le ministre prétend que SPE a réclamé de fausses dépenses à titre de frais de commercialisation, frais de commissions et frais de mise en marché aux États-Unis payés d’avance relativement à six prétendues sociétés de mise en marché américaines. De plus, des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi ont été imposées pour toutes les années d’imposition.

[7] De plus, le ministre prétend que SPE a fait une présentation erronée des faits par inattention, négligence ou omission volontaire ou a commis quelque fraude en produisant ses déclarations de revenu ou en fournissant des renseignements pour les années d’impositions 2005 à 2009, et qu’elle a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus produites pour les années d’imposition 2005 à 2009.

[8] De son côté, SPE prétend que ces frais de commercialisation, de commissions et de mise en marché ont été effectuées afin de mettre en marché le produit de SPE, soit le logiciel de gestion d’actifs, dans un authentique contexte d’exploitation d’entreprise. Également, rien ne justifie l’établissement des nouvelles cotisations hors de la période normale de nouvelle cotisation, ni l’imposition des pénalités selon le paragraphe 163(2) de la Loi, puisque SPE était de bonne foi.

En ce qui concerne M. Plante:

[9] L’appel concerne les années d’imposition 2003 à 2008. En vertu des nouvelles cotisations établies par le ministre hors de la période normale de nouvelle cotisation, des montants totalisant 1 526 144$ ont été ajoutés aux revenus de M. Plante à titre de paiements indirects en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi pour les années d’imposition 2004 à 2008, et des dépenses totalisant 13 128$ ont été refusées pour l’année d’imposition 2003. Les montants ainsi ajoutés aux revenus de M. Plante représentent les dépenses de commercialisation dont la déduction a été refusée à SPE. De plus, des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi ont été imposées pour toutes les années d’imposition.

[10] Le ministre prétend que, suivant les instructions de M. Plante, SPE a transféré les sommes mentionnées ci-dessus de son compte bancaire aux comptes bancaires de prétendues sociétés américaines de mise en marché dans le but pour M. Plante de s’approprier ces fonds pour son bénéfice personnel et d’avantager certaines connaissances, et que si le paiement de ces montants avaient été faits directement par SPE à M. Plante, ce dernier aurait dû inclure ces montants dans le calcul de son revenu en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi.

[11] De plus, le ministre prétend que M. Plante a fait une présentation erronée des faits par inattention, négligence ou omission volontaire ou a commis quelque fraude en produisant ses déclarations de revenu ou en fournissant des renseignements pour les années d’impositions 2003 à 2008, et qu’il a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus produites pour les années d’imposition 2003 à 2008.

[12] De son côté, M. Plante prétend que les nouvelles cotisations doivent être annulées, ayant toujours été de bonne foi, et que les montants ajoutés à son revenu ne doivent pas être inclus à son revenu puisqu’ils représentent des dépenses justifiées par les engagements de SPE envers divers agents commerciaux américains, dans un authentique contexte d’exploitation d’entreprise, et que les fonds reçus sont des prêts constatés par billets à ordre.

IV. CHRONOLOGIE

[13] Les dossiers des requérants font partie d’un groupe de dix-sept (17) dossiers, dont la majorité ont été suspendus en attente d’une décision dans les dossiers des requérants.

[14] La chronologie se détaille ainsi :

29 avril 2015 : dépôt des avis d’appel par les requérants;

22 juillet 2016 : demandes communes des parties de fixer les appels pour audition;

12 décembre 2016 : ordonnance de la Cour fixant l’audition de ces appels au lundi 30 octobre 2017 pour une durée de 5 jours;

26 octobre 2017 : lettre des requérants demandant à la Cour la permission de tenir un débat préliminaire sur l’admissibilité en preuve de certains documents lors de l’audition qui doit débuter le 30 octobre 2017;

30 et 31 octobre 2017 et les 1, 2, 3, 6, 7 et 9 novembre 2017 (8 jours): audition des appels;

9 novembre 2017 : mise en délibéré des dossiers par la juge présidente au procès (la « juge présidente »), sous réserve d’une requête pour exclusion de certains éléments de preuve obtenus par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») au cours d’une perquisition et déposés en preuve à l’audience, à être présentée par les appelants, soit les requérants en l’espèce;

19 mars 2018 : la requête pour exclusion de certains éléments de preuve obtenus par l’ARC dans le cadre d’une perquisition sur la base des articles 8 et 24(2) de la Charte est déposée à la Cour par les requérants (la « requête pour exclusion de preuve »);

11 février 2019 : la requête pour exclusion de preuve est entendue par la juge présidente;

27 août 2019 : la requête pour exclusion de preuve est rejetée par la juge présidente selon les motifs publiés sous 2019 CCI 174;

11 octobre 2019 : les requérants portent en appel à la Cour d’appel fédérale la décision de cette Cour rejetant la requête pour exclusion de preuve;

22 octobre 2019 : le greffe de la Cour d’appel fédérale notifie la Greffière de cette Cour qu’un appel a été logée dans les dossiers des requérants;

20 janvier 2020 : la Cour d’appel fédérale rend une ordonnance suspendant l’instance devant celle-ci sans rejeter l’appel, et concluent que les requérants pourront en appeler de la décision sur l’admissibilité des éléments de preuve dans le cadre de l’appel, s’il en est, de la décision sur le fond (dossier no A-391-19);

23 et 26 juillet 2021 : l’intimé communique avec la Cour afin de s’enquérir du statut de la décision sur le fond des appels entendus par la Cour en octobre et novembre 2017;

27 juillet 2021 : le plumitif de la Cour enregistre l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale datée du 20 janvier 2020;

5 août 2021 : la juge présidente tient une conférence de gestion de l’audience par laquelle elle avise les parties que l’ordonnance du 20 janvier 2020 de la Cour d’appel fédérale n’a été portée à son attention et enregistrée au plumitif de la Cour que le 27 juillet 2021, et qu’elle rendra sa décision sur le fond avant la fin du mois de septembre 2021;

30 mars 2022 : dans le cadre d’une conférence de gestion de l’instance tenue par la Cour devant le juge Boyle, au nom du juge en chef, les parties ont été avisées du départ à la retraite de la juge présidente pour des raisons de santé en date du 4 avril 2022, sans qu’aucune décision sur le fond n’ait été rendue dans leurs dossiers. La Cour propose deux options aux parties : soit la tenue d’un nouveau procès devant un juge à être désigné par le juge en chef, ou soit qu’un juge nommé par le juge en chef rende jugement sur la base des dossiers (transcriptions et documents déposés en preuve lors de l’audition des appels) et selon des modalités à être déterminées par le nouveau juge. Si les parties décident qu’un nouveau procès est requis, ce procès sera fixé devant un nouveau juge. Si les parties consentent à ce qu’un juge rende jugement sur la base des dossiers, la Cour indique que ce juge communiquera avec les parties pour leur faire part de ce qu’il aura besoin pour rendre jugement, que ce soit en terme d’observations additionnelles ou de toute autre modalité. Les parties doivent faire part de leurs choix s’il y a entente entre eux au plus tard le 15 avril 2022, ou bien, en cas de mésentente entre eux, les parties doivent soumettre des observations écrites au juge en chef au plus tard le 29 avril 2022;

29 avril 2022 : les requérants indiquent au juge en chef que leur choix, pris de commun accord avec l’intimé, est de procéder selon les modalités suivantes :

À cet effet, nous proposons que l’ensemble de la preuve testimoniale et documentaire administrée à l’occasion du premier procès le soit de pareille manière aux fins de la nouvelle audition (en tenant compte des objections formulées par les parties). Ce deuxième procès serait limité à un exercice de révision de la preuve par les parties, de même qu’aux plaidoiries qui seraient reprises dans leur intégralité. Cet exercice serait d’une durée réduite et permettrait entre autres aux parties de renseigner la Cour sur les éléments de preuve d’importance et répondre aux questions qui pourraient être amenées par le nouveau juge attitré au dossier.

31 mai 2022 : une autre conférence de gestion de l’instance est tenue par la Cour devant le juge Boyle, au nom du juge en chef : la Cour prend acte du choix des parties comme décrit dans leur lettre du 29 avril 2022, soit qu’une audience soit fixée pour permettre aux parties de réviser la preuve et de présenter leurs soumissions. Ainsi, l’audience pourra être tenue à Québec au cours des mois de juin 2023, ou par la suite, selon la durée voulue par les parties (3 jours). Les parties indiquent qu’ils pourraient possiblement se libérer également au cours de l’hiver 2023, pour une audition à Montréal. Les parties sont avisées que la prochaine étape sera probablement la tenue d’une conférence de gestion de l’audience présidée par le juge désigné par le juge en chef pour rendre jugement dans ces dossiers;

21 octobre 2022 : les requérants indiquent qu’ils ne sont pas disponibles aux dates offertes par la Cour pour l’audition de ces dossiers et demandent de fixer une conférence de gestion;

10 novembre 2022 : ayant été désignée par le juge en chef pour rendre jugement dans ces dossiers, je tiens une conférence de gestion de l’audience. Les requérants avisent alors la Cour qu’ils veulent présenter une requête préliminaire à la tenue de l’audience pour faire valoir que les appels doivent être admis et les nouvelles cotisations annulées dans les deux dossiers des requérants, pour les motifs de violation aux principes d’équité procédurale. Aucune date d’audience n’est alors fixée, puisque les requérants rejettent leur propre proposition décrite dans la lettre du 29 avril 2022;

9 janvier 2023 : la Cour tient une nouvelle conférence de gestion de l’instance devant le juge Boyle, au nom du juge en chef. La Cour rappelle aux parties les deux options offertes aux parties pour la suite des dossiers : soit la tenue d’un nouveau procès, ou soit qu’un juge désigné par le juge en chef rende jugement sur la base des dossiers, selon les modalités à être fixées par ce juge. Les requérants réitèrent la permission de présenter une requête préliminaire. La Cour donne permission aux requérants de déposer la requête préliminaire au plus tard le 24 janvier 2023. Aucune date d’audition n’est alors fixée;

24 janvier 2023 : je tiens une nouvelle conférence de gestion de l’audience, au cours de laquelle je rappelle aux parties que les options offertes par la Cour étaient soit la tenue d’un nouveau procès devant un nouveau juge désigné par le juge en chef, ou soit qu’un nouveau juge désigné par le juge en chef rende jugement sur la base des dossiers, selon les modalités à être fixées par ce juge, le cas échéant. Les requérants allèguent qu’ils refusent de procéder selon l’une ou l’autre des options offertes par la Cour de même que de la manière décrite dans la lettre du 29 avril 2022, compte tenu des délais écoulés depuis cette date, et indiquent qu’ils sont prêts à déposer la requête préliminaire dont il a été mention en novembre dernier.

V. THÈSES DES PARTIES

Les requérants :

[15] Les requérants ne contestent pas le pouvoir du juge en chef de la Cour de réassigner les dossiers à un autre juge de la Cour. Toutefois, les requérants prétendent que le processus mis en place par la Cour n’est pas équitable pour les requérants, et résulte en un abus de procédure, telle que cette doctrine est connue et appliquée dans le cadre du droit administratif.

[16] Selon les requérants, les deux options proposées par la Cour suite au départ de la juge présidente, soit la tenue d’un nouveau procès ou soit un jugement rendu sur la base des dossiers (selon des modalités à être déterminées par un nouveau juge), résultent en un abus de procédure, vu l’absence d’équité procédurale pour les requérants dans le cadre de l’une et l’autre des options offertes aux parties. De plus, même si la Cour conclut qu’il n’y a pas atteinte à l’équité procédurale, il y aurait abus de procédure résultant des délais judiciaires dans ces dossiers dont ils ne sont pas responsables.

[17] Selon les requérants, la notion d’abus de procédure de droit administratif, étant une notion très flexible, doit être appliquée parce qu’elle n’est pas limitée au décideur administratif et doit s’interpréter de façon large. L’abus de procédure est applicable dans divers contextes et particulièrement dans ces dossiers.

[18] Les requérants conviennent que la présente requête est inusitée et que les questions soulevées par la requête n’ont jamais été examinées par la Cour. Selon les requérants, la Cour a la compétence pour octroyer les conclusions recherchées par les requérants, soit d’admettre les appels dans ces dossiers et d’annuler les nouvelles cotisations pour les motifs d’abus de procédure de la Cour. Selon les requérant, les cas de M. Plante et de SPE sont des cas hors normes nécessitant une intervention hors norme de la Cour.

[19] Tout d’abord, l’option de tenir un nouveau procès serait en principe acceptable pour les requérants, mais ils ne peuvent y acquiescer. En effet, la tenue d’un nouveau procès ternirait l’image de la justice puisqu’il ne pourrait y avoir de garantie au niveau de l’équité procédurale du nouveau procès, résultant en un abus de procédure. Les requérants invoquent le délai écoulé depuis 2017, la difficulté de retrouver certains témoins, la mémoire défaillante des témoins ainsi que les difficultés pour M. Plante et SPE d’obtenir des services juridiques vu l’estimé des honoraires professionnelles pour se faire ainsi représenter dans le cadre d’un nouveau procès (déclaration sous serment de M. Plante, par. 38-39).

[20] Alternativement, les requérants prétendent que de tenir un nouveau procès porterait atteinte aux droits de M. Plante garantis par l’article 7 de la Charte. En l’espèce, la sécurité et l’intégrité psychologique de M. Plante seraient compromises par la tenue d’un nouveau procès (déclaration sous serment de M. Plante, par. 40).

[21] La seconde option offerte par la Cour, soit qu’un juge rende jugement sur la base des dossiers, n’est également pas acceptable pour les requérants. En effet, de la règle voulant que les parties ont le droit d’être entendues découle le principe que ce soit le juge ayant présidé le procès qui rende jugement. Dans le cas où un autre juge rend jugement, cette règle n’est pas respectée et conséquemment, l’équité procédurale n’est pas maintenue. Les requérants conviennent toutefois que la disponibilité des enregistrements sonores de l’audience vient réduire la portée de cet argument, mais ne l’élimine pas complètement. Également, les dossiers sont très volumineux. Plusieurs documents ont été soumis en preuve et certains documents ont été produits sur support informatique.

[22] De plus, le juge qui doit rendre jugement sur dossier est lié par toutes les décisions prises par la juge présidente au cours du procès. Selon les requérants, en l’absence du consentement des parties, la Cour ne peut ordonner pareil mode de fonctionnement.

[23] Pour ces raisons, les requérants ne peuvent acquiescer à la demande de la Cour, et demandent d’admettre les appels et d’annuler les nouvelles cotisations.

L’intimé :

[24] Selon l’intimé, la Cour étant un tribunal judiciaire, la doctrine de l’abus de procédure de droit administratif ne peut s’appliquer aux décisions ou ordonnances de la Cour relatives à sa propre procédure. Également, la Cour n’a vraisemblablement pas compétence pour admettre les appels et annuler les nouvelles cotisations pour le motif d’abus de procédure, telle que cette doctrine est connue en droit administratif. Pour ces raisons, la requête doit être rejetée.

[25] De plus, même si la doctrine de l’abus de procédure de droit administratif était applicable en l’espèce, ce que l’intimé conteste, bien que le délai de 26 mois ou de 8 mois depuis la mise en délibéré par la juge présidente est considérable, ce délai n’est pas excessif : le point de départ du délai est soit le 20 janvier 2020 (ordonnance de la Cour d’appel fédérale sur la requête pour exclusion de preuve), ou soit le 27 juillet 2021 (inscription au plumitif de la Cour de l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale) et se termine au mois de mars 2022, au moment où la Cour a avisé les parties du départ de la juge présidente. Ainsi, il ne serait pas justifié d’admettre les appels et d’annuler les nouvelles cotisations pour ce motif. En l’espèce, l’intérêt de la justice commande qu’une décision soit rendue par la Cour dans un procès qui a été complété. C’est l’absence de décision sur le fond qui constituerait un déni de justice, et non le contraire.

[26] En vertu de l’application de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire, un juge de la Cour désigné par le juge en chef pour continuer les dossiers des requérants peut décider de la procédure à suivre en s’assurant que les parties ont un procès équitable, qui pourrait être soit de rendre jugement sur la base des dossiers ou encore, soit d’ordonner la tenue d’un nouveau procès, même sans l’accord des parties (D’Amico v. Wiemken, 2010 ABQB 785 [D’Amico], par. 44).

[27] Finalement, selon l’intimé, l’argument des requérants concernant l’article 7 de la Charte ne peut être retenu, puisque les ordonnances judiciaires ne sont pas assujetties à la Charte (art. 32 de la Charte; voir aussi Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 580 [SDGMR] c. Dolphin Delivery Ltd [1986] 2 R.C.S. 573, par. 34 et 36 et McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, par. 157 et 158). Également, il est bien établi que les droits économiques ne sont pas visés par l’article 7 de la Charte, ce qui inclus les cotisations d’impôt (Gratl c. La Reine, 2012 CAF 88, par. 8). Il s’ensuit donc que le délai pour obtenir une décision touchant à un droit non visé par la Charte ne peut être protégé par celle-ci.

[28] Selon l’intimé, les facteurs suivants militent en faveur de l’option de rendre jugement sur dossiers : la preuve est close, les plaidoiries sont complétées, les contre-interrogatoires ont été complétés à la satisfaction des parties, et la Cour a accès non seulement aux transcriptions, mais à l’enregistrement sonore de l’audience. De plus, la déclaration sous serment de M. Plante fait état de réelles difficultés si la tenue d’un nouveau procès était ordonnée.

VI. DISCUSSION

LA REQUÊTE

[29] Pour les motifs suivants, la requête est rejetée.

[30] Tout d’abord, la Cour n’a pas compétence pour admettre les appels et annuler les nouvelles cotisations pour le motif d’abus par la Cour elle-même de ses propres procédures.

[31] Également, la notion d’abus de procédure en contexte administratif ne peut s’appliquer aux décisions ou ordonnances de la Cour relatives à sa propre procédure, la Cour étant un tribunal judiciaire. Toutefois, même si la notion d’abus de procédure en contexte administratif était applicable, la Cour conclut que l’une ou l’autre des options offertes aux parties pour continuer les dossiers ne portent pas atteinte à l’équité procédurale. Également, la Cour conclut que le délai judiciaire dans ces dossiers n’est pas excessif.

Compétence de la Cour et doctrine de la compétence par déduction nécessaire :

[32] Pour les motifs suivants, autant les pouvoirs conférés législativement que les pouvoirs s’inférant nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice (par application de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire) ne permettent à la Cour d’admettre les appels et d’annuler les nouvelles cotisations pour le motif d’abus par la Cour elle-même de ses propres procédures.

[33] Les requérants n’ont cité aucune décision jurisprudentielle sur l’application de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire qui donnerait par ailleurs pouvoir inhérent à la Cour de remédier à un abus par elle-même de ses propres procédures en admettant les appels et annulant les cotisations. À l’audience, les deux parties ont indiqué qu’elles n’ont pu retracer aucune décision traitant de cette question. La raison en est bien simple, puisque la Cour n’a tout simplement pas ce pouvoir.

[34] La compétence de la Cour est fixée par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (LRC (1985), ch. T-2, telle que modifiée, à l’art. 12) et se limite :

« .. à déterminer la validité et le bienfondé de la cotisation en fonction des dispositions applicables de la Loiet des faits donnant lieu à l’obligation du contribuable prévue par la loi (Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, par. 31).

[35] L’article 171 de la Loi prévoit les pouvoirs de la Cour dans le cadre d’un appel d’une cotisation sous la Loi :

« La Cour peut statuer sur un appel en le rejetant ou en l’admettant et en annulant la cotisation, ou en modifiant la cotisation ou en déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation ».

[36] Il est aussi bien établi par la jurisprudence que la Cour n’a pas compétence pour annuler une cotisation sur la base d’un abus de pouvoir ou d’un manquement à l’équité ayant donné lieu à l’établissement de la cotisation (Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, par. 83).

[37] Dans l’affaire Main Rehabilitation Co. Ltd. c. La Reine, 2004 CAF 403 [Main Rehabilitation], par. 6, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il est « ...évident et manifeste que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour statuer qu’un avis de cotisation est nul parce qu’il constitue un abus de procédure reconnu en common law ou en violation de l’article 7 de la Charte ». Tel que l’indique la Cour d’appel fédérale, il en est ainsi puisque l’appel logé en vertu de l’article 169 de la Loi met en cause la validité de la cotisation, et non pas le processus ayant conduit à son établissement (par. 8).

[38] En plus de la compétence fixée législativement, la Cour, comme tout autre tribunal judiciaire, possède tout pouvoir déterminé par l’application de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire. Ainsi, dans R. c. Cunningham, 2010 CSC 10 [Cunningham], la Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi:

[19] De même, dans le cas d’un tribunal d’origine législative, le pouvoir de faire respecter sa procédure et le droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions s’infèrent nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice. Notre Cour a confirmé que les pouvoirs d’un tribunal d’origine législative peuvent être déterminés grâce à une « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » :

. . . sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif . . .

(ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and UtilitiesBoard), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51)

Même si, dans cet arrêt, le juge Bastarache renvoie à un tribunal administratif, la même règle de la compétence par déduction nécessaire vaut pour un tribunal d’origine législative.

[mon soulignement]

[39] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé ce principe dans l’affaire High-Crest Enterprises Limited c. La Reine, 2017 CAF 88 [High-Crest] (par. 39).

[40] Cette compétence par déduction nécessaire permet au juge en chef de la Cour de réassigner un dossier à un autre juge de la Cour lorsqu’un juge a cessé d’occuper sa charge (High-Crest, par. 17-40), ce que les requérants ont reconnu à l’audience et ne contestent pas.

[41] Comme l’intimé l’a indiqué, par application de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire, un juge de la Cour désigné par le juge en chef pour continuer les dossiers des requérants peut décider de la procédure à suivre en s’assurant que les parties ont un procès équitable, qui pourrait être de rendre jugement sur dossiers ou encore, d’ordonner un nouveau procès, même sans l’accord des parties (D’Amico, par. 44).

[42] Par application de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire, les juges de la Cour ont le pouvoir de faire respecter la procédure de la Cour et d’avoir un droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions, étant un pouvoir s’inférant nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice (Cunningham, par. 19).

[43] La Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi:

35 Les juges disposent, pour empêcher les abus de procédure, d’un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent…

[44] Dans Toronto (ville de) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, 2003 CSC 63 [Ville de Toronto], la Cour suprême du Canada a défini la notion de l’abus de procédure de common law comme des procédures injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice et en un traitement oppressif et vise essentiellement à préserver l’intégrité de la fonction judiciaire (Ville de Toronto, par. 35 et 43). De façon plus précise, la notion de l’abus de procédure de common law y a été décrite de la façon suivante:

37 …Le juge Goudge a développé la notion de la façon suivante aux par. 55 et 56 :

[TRADUCTION] La doctrine de l’abus de procédure engage le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait autrement pour effet de discréditer l’administration de la justice. C’est une doctrine souple qui ne s’encombre pas d’exigences particulières telles que la notion d’irrecevabilité (voir House of Spring Gardens Ltd. c. Waite, [1990] 3 W.L.R. 347, p. 358, [1990] 2 All E.R. 990 (C.A.).

[mon soulignement]

[45] Ainsi, la Cour peut prendre toutes les mesures qu’elle juge nécessaires et appropriées pour faire respecter la procédure de la Cour lorsqu’une partie en abuse, et non pas lorsqu’une partie prétend que c’est la Cour elle-même qui abuse de ses propres procédures. Par exemple, dans l’affaire Yacyshyn c. R. (1999), 99 D.T.C. 5133, la Cour d’appel fédérale a déterminé qu’il y avait eu abus de procédure de la Cour puisque l’appelante n’avait pas respecté ses obligations quant aux interrogatoires préalable et qu’en conséquence, la Cour avait le pouvoir de radier certaines parties des allégations contenues à l’avis d’appel (voir également Main Rehabilitation, par. 7).

[46] Il serait aussi permis à la Cour de mettre fin à un litige dans le cas où une question aurait déjà été préalablement tranchée (par exemple, s’il y a chose jugée).

[47] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a confirmé le pouvoir de la Cour de prévenir et contrôler un abus de ses procédures par l’adjudication de frais et dépens à l’encontre d’une des parties (Fournier c. Canada, 2005 CAF 131, par. 11).

[48] Il est également permis à la Cour de mettre fin à un litige lorsque les éléments de preuve à l’appui de la cotisation établie hors de la période normale de nouvelle cotisation ont été obtenus en violation de l’article 8 de la Charte (Canada c. O’Neill Motors Ltd. [1998] 4 F.C. 180 (C.A.)).

L’abus de procédure en cas de délai excessif en contexte administratif

[49] Les requérants demandent à la Cour d’appliquer la doctrine de l’abus de procédure en cas de délai excessif en contexte administratif à l’égard des procédures mises en place par la Cour elle-même pour la suite des dossiers des requérants, et non pas en regard du comportement des autres parties au litige. En effet, dans le cadre de cette requête, les requérants ne soulèvent aucun geste abusif ou vexatoire qui aurait été posé par l’intimé ou l’ARC, ou tout autre abus de procédure de la part de l’autre partie au litige. Les requérants invoquent plutôt le délai qu’a pris la Cour pour gérer le délibéré, qui résulterait selon eux en un abus de procédure en cas de délai excessif comme cette doctrine est appliquée en contexte administratif.

[50] Les requérants invoquent à l’appui de leurs prétentions l’arrêt Blencoe c. Colombie Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe], dans lequel la Cour suprême du Canada a statué qu’un délai déraisonnable causant un préjudice grave pouvait constituer un abus de procédure. Ils invoquent également l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans Law Society of Saskatchewan et Abrametz, 2022 CSC 29 [Abrametz], dans lequel la Cour suprême du Canada se penche à nouveau sur la notion de l’abus de procédure en cas de délai excessif en contexte administratif (par. 33-34).

[51] Selon la Cour suprême du Canada, il y a deux situations dans lesquelles un délai peut constituer un abus de procédure en contexte administratif: i) si l’équité de l’audience est compromise par le délai (si, par exemple, le délai nuit à la capacité d’une partie de répondre à une plainte, notamment si les souvenirs se sont estompés, des témoins essentiels ne sont plus disponibles ou des éléments de preuve perdus) (Blencoe, par. 101-102); et ii) dans les cas où il n’y pas atteinte à l’équité de l’audience, si un préjudice important a été causé en raison d’un délai excessif (Blencoe, par. 122 et 132).

[52] Lorsque l’abus de procédure est constaté, les tribunaux doivent déterminer les réparations appropriées, qui prennent diverses formes, et qui peuvent aller ultimement jusqu’à l’arrêt des procédures dans les cas les plus manifestes d’abus (Abrametz, par. 74-76; 83-85).

[53] Selon la Cour, le pouvoir que possède la Cour de remédier à un abus de procédure ne peut permettre à la Cour d’annuler des nouvelles cotisations et d’admettre des appels pour le motif du délai qu’a pris la Cour à gérer un délibéré. L’intérêt de la justice commande qu’une décision soit rendue dans le cadre de ces appels. Comme l’a plaidé l’intimé, si la Cour convenait d’admettre les appels des requérants et d’annuler les nouvelles cotisations, cela choquerait le sens de l’équité et la décence de la société, et ébranlerait la confiance du public dans l’administration de la justice (Abrametz, par. 76 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c. Tobiass [1997] 3 R.C.S. 391, par. 96).

[54] De plus, comme la Cour est un décideur judiciaire et non pas un décideur administratif et n’est pas une partie au litige, la notion d’abus de procédure en cas de délai en contexte administratif n’est pas applicable. Les décisions citées par les requérants pour soutenir leurs arguments ne peuvent recevoir application, puisqu’elles réfèrent toutes à la notion d’abus de procédure en contexte administratif (Ville de Toronto, Blencoe et Abrametz).

[55] La Cour souscrit aux commentaires de la Cour dans l’affaire Lassonde c. R, 2003 CCI 715 aux par. 133, 134 et 141, maintenue en appel par la Cour d’appel fédérale (Lassonde c. Canada, 2005 CAF 323). Dans cette affaire, la Cour a rejeté la requête du contribuable demandant que son appel soit admis et les cotisations annulées pour le motif du délai déraisonnable qu’avait pris le ministre pour établir la cotisation et pour oppression. La Cour distingue les principes de la décision Blencoe et indique:

[133] Une cotisation en vertu de la Loi n'est pas une plainte ni un acte d'accusation. Il s'agit tout simplement d'un acte constatant la dette d'un contribuable en vertu de la Loi, dans un système d'autocotisation.

[134] Dans la matière couverte par la présente requête, il y a une partie qui je crois relève du droit administratif et l'autre qui relève de la procédure civile. La partie du droit administratif serait celle qui va de la déclaration de revenu jusqu'à la cotisation. À partir du moment où un appel d'une cotisation est institué devant notre Cour, qui est une cour de justice ou un tribunal civil, il ne s'agit plus de droit administratif mais de droit civil.

….

[141] Comme nous venons de le voir, une cotisation ne peut pas être annulée pour manque de diligence dans le traitement d'une cotisation. Une fois les procédures devant cette Cour entamées, il appartient à l'appelant de promouvoir l'audience de sa cause.

[mon soulignement]

[56] Toutefois, même si la Cour concluait que la notion d’abus de procédure en cas de délai en contexte administratif était applicable à notre Cour, les délais encourus dans le cadre des dossiers des requérants ne donnent pas ouverture à l’application de cette notion, non plus qu’à la réparation recherchée par les requérants. En effet, la Cour conclut que si elle ordonnait la tenue d’un nouveau procès, le délai encouru dans ces dossiers n’affecterait pas l’équité de l’audience. De plus, la Cour conclut que le délai depuis la mise en délibéré de ces appels n’est pas excessif. En effet, les circonstances particulières de ces appels doivent être prises en compte en l’espèce pour évaluer ce délai.

[57] Les requérants prétendent que le délibéré n’a pas été suspendu le 9 novembre 2017 et qu’ils ne sont pas responsables du délai de 26 mois écoulé entre les mois de novembre 2017 et janvier 2020, puisque l’appel logé à la Cour d’appel fédérale en octobre 2019 l’a été de façon préventive. Ainsi, selon les requérants, un délai de 53 mois s’est écoulé entre la mise en délibéré des affaires en novembre 2017 et le moment où les parties ont été avisées du départ à la retraite de la juge présidente, soit au mois de mars 2022.

[58] La Cour ne peut retenir cette façon qu’ont les requérants de calculer les délais. Tout d’abord, le délibéré n’a pas commencé à courir le 9 novembre 2017. La juge présidente a énoncé à la fin de l’audition des appels qu’elle mettait ces dossiers en délibéré, sous réserve de la requête pour exclusion de preuve, à être présentée par les appelants, soit les requérants en l’espèce :

« … je vous remercie, et puis nécessairement, je vais prendre ça sur délibéré, mais non seulement ça, il faut que j’attende d’une façon ou d’une autre qu’on procède avec la requête. » (transcriptions, 9 novembre 2017, p. 233, lignes 7 à 10).

[59] De plus, à l’ouverture du procès le lundi 30 octobre 2017, la juge présidente a fait part de son mécontentement à l’égard des requérants quant à la façon dont ils ont avisé la Cour de leur intention de présenter une telle requête préliminaire pour exclusion de certains éléments de preuve, soit par simple lettre envoyée au greffe de la Cour le jeudi 26 octobre 2017, et ce, sans suivre les règles de procédure de la Cour. De longues discussions se sont poursuivies le matin du 30 octobre 2017 quant à la façon de procéder, soit d’ajourner l’audition des appels prévue pour deux semaines afin de permettre aux requérants de déposer une requête en bonne et due forme, avec affidavit et observations écrites, ou soit de procéder à l’audition des appels, sous réserve de l’objection des requérants au dépôt par l’intimé des éléments de preuve obtenus par l’ARC dans le cadre de la perquisition, étant entendu que cette requête serait présentée et entendue à un moment à être déterminé par la Cour, en fonction de la disponibilité des parties, après l’audition des appels. Comme la juge présidente l’a indiqué :

« C’est la raison pour laquelle c’est très triste, mais on procède à l’envers. Mais comme je vous dis, c’est soit ça ou on ajourne tout et puis on revient l’an prochain » (transcriptions, 30 octobre 2017, p. 74, lignes 7-10).

[60] Les requérants ont convenu au procès que l’audition des appels devait avoir lieu comme prévu et qu’ils présenteraient leur requête par la suite. Il est donc fort inapproprié pour les requérants de se plaindre aujourd’hui de ces délais.

[61] La décision de la juge présidente sur la requête pour exclusion de preuve, entendue en février 2019, a été rendue le 29 août 2019, et portée en appel par les requérants en octobre 2019. L’ordonnance de la Cour d’appel fédérale a été rendue le 20 janvier 2020, mais enregistrée au greffe de la Cour qu’à la fin de juillet 2021. Il faut noter que l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale précise qu’aucune circonstance exceptionnelle ne justifie l’intervention immédiate de la Cour d’appel fédérale dans les dossiers des requérants, contrairement à leurs prétentions. La Cour d’appel fédérale indique également dans l’ordonnance qu’il « ..serait particulièrement inapproprié en l’espèce de retarder davantage l’émission du jugement au mérite de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) sur le fond, surtout que celui-ci est attendu depuis déjà longtemps ».

[62] De plus, environ 10 mois s’étaient écoulés entre le moment où les appels ont été fixés pour audition en décembre 2016 et le début de l’audition des appels le 30 octobre 2017. Toutefois, ce n’est que deux jours avant la date du début du procès que les requérants indiquent leur intention de présenter une requête préliminaire pour exclusion de preuve, par simple lettre envoyée au greffe.

[63] Compte tenu de ce qui précède, les requérants ne peuvent aujourd’hui se plaindre du délai écoulé entre les mois de novembre 2017 et janvier 2020.

[64] Également, la Cour conclut que 18 mois doivent être soustraits du calcul du délai effectué par les requérants, soit le délai entre les mois de janvier 2020 (ordonnance de la Cour d’appel fédérale) et de juillet 2021 (enregistrement de l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale au plumitif de la Cour). En effet, entre les mois de janvier 2020 et juillet 2021, s’apercevant que l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale n’était pas inscrite au plumitif de la Cour, les requérants auraient dû communiquer avec la Cour. Ce sera toutefois l’intimé qui s’en chargera à la fin du mois de juillet 2021 afin de s’enquérir du jugement au mérite sur le fond dans ces appels.

[65] Lorsque toutes les circonstances sont prises en considération, il est fort étonnant que les requérants maintiennent qu’ils ne sont pas responsables des délais encourus dans leurs dossiers.

[66] Ainsi, puisque la juge présidente a quitté la Cour huit (8) mois après l’inscription au plumitif de la Cour de l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale, la Cour conclut que ce délai ne peut être qualifié de délai excessif, comme l’entend la notion d’abus de procédure en contexte administratif.

[67] Pour faire cette évaluation, le Cour a pris en compte les Principes de déontologie judiciaire élaborés par le Conseil canadien de la magistrature qui prévoit que, sauf circonstances particulières, les juges ayant mis une affaire en délibéré devraient rendre leur jugement dans les six mois qui suivent l’audience (article 3.B.2).

PROCÉDURE À SUIVRE POUR LA SUITE

[68] Comme l’indique la Cour d’appel fédérale dans la décision High-Crest, le nouveau juge saisi de l’affaire déterminera la procédure à suivre pour la suite :

[101] Après une réaffectation, le nouveau juge est saisi de l’affaire. Il appartient à ce juge, et non au juge en chef, de recevoir les observations des parties concernant l’instruction de l’instance, par exemple, s’il y a lieu de tenir une nouvelle audience ou si le dossier actuel (y compris les transcriptions) devrait servir en tout ou en partie (D’Amico c. Wiemken, 2010 ABQB 785, 47 Alta. L.R. (5th) 414; Parmar c. Bayley, 2001 BCSC 1394, 19 C.P.C. (5th) 366).

[69] Pour décider de la procédure à suivre, la Cour doit s’assurer que les parties ont un procès équitable, favorisant « la saine gestion de l’instance en appliquant des procédés adéquats, efficients par l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure » (Schwimmer c. Gaudreault-Martel, 2022 QCCQ 1631 [Gaudreault-Martel], par. 52) tout en respectant le principe de proportionnalité (Gaudreault-Martel, par. 53) (observations écrites de l’intimé, par. 50-52). La Cour, comme tout autre tribunal, doit respecter les principes de justice naturelle et maintenir l’équité procédurale.

[70] Pour les motifs suivants, la Cour ordonne que jugement au mérite sur le fond dans ces appels soit rendu sur la base des dossiers. Les parties pourront, si elles le souhaitent, soumettre des observations additionnelles orales et écrites quant aux questions en litige dans ces appels. La Cour se réserve également le droit de rappeler tout témoin.

[71] Tout d’abord, la Cour conclut que la tenue d’un nouveau procès serait vraisemblablement inéquitable pour les requérants, puisque M. Plante a affirmé qu’il ne pourrait pas débourser les honoraires juridiques estimés par ses avocats pour la préparation et la tenue d’un nouveau procès (déclaration sous serment de M. Plante, par. 38 et 39). Cet élément à lui seul est décisif pour écarter l’option de tenir un nouveau procès. De plus, la Cour a pris en compte le fait que de rappeler tous les témoins pour témoigner à nouveau dans le cadre d’un second procès ne serait pas adéquat ni proportionné. Puisque la Cour n’ordonne pas la tenue d’un nouveau procès, les prétentions des requérants à l’effet que les droits de M. Plante protégés par l’article 7 de la Charte seront bafoués par la tenue d’un nouveau procès ne seront pas examinées.

[72] Au cours de l’audition de la requête, les requérants ont reconnu qu’ils n’avaient aucun reproche à formuler quant au processus suivi lors du procès tenu en octobre et novembre 2017, ce processus ayant été équitable. Les requérants ont également convenu que les interrogatoires et contre-interrogatoires avaient été effectués de façon complète lors de l’audition des appels en 2017 (transcriptions, 28 avril 2023, p.23 (lignes 17-28) et p.24 (lignes 1 à 11)).

[73] Ainsi, les dossiers de la Cour sont complets réduisant toute iniquité : la preuve est close à la satisfaction des parties (transcriptions, 3 novembre 2017, p. 182, lignes 19 à 21 pour les requérants, et transcriptions, 7 novembre 2017, p. 178, lignes 9 et 10 pour l’intimé), et les plaidoiries sont terminées. Également, la Cour a accès aux transcriptions des audiences tant écrites que sonores, ce qui est un facteur privilégiant que la Cour rende jugement sur la base des dossiers (D’Amico, par. 55 et 62).

[74] Selon les requérants, les appels logés par les requérants requièrent qu’un juge évalue la crédibilité des témoins, cette évaluation étant essentielle pour trancher les questions en litige dans ces dossiers. Le nouveau juge qui rendrait jugement sur la base des dossiers ne pourrait évaluer le langage corporel des témoins, et ainsi, ce mode de fonctionnement ne peut se substituer au premier procès.

[75] Les requérants ont référé à l’arrêt Singh c. Ministre de l’emploi et de l’immigration [1985] 1 R.C.S. 177 :

59. Je ferai cependant remarquer que, même si les auditions fondées sur des observations écrites sont compatibles avec les principes de justice fondamentale pour certaines fins, elles ne donnent pas satisfaction dans tous les cas. Je pense en particulier que, lorsqu'une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d'audition. Les cours d'appel sont bien conscientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des questions de crédibilité sont en jeu et elles sont donc très peu disposées à réviser les conclusions des tribunaux qui ont eu l'avantage d'entendre les témoins en personne: voir l'arrêt Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802, aux pp. 806 à 808 (le juge Ritchie). Je puis difficilement concevoir une situation où un tribunal peut se conformer à la justice fondamentale en tirant, uniquement à partir d'observations écrites, des conclusions importantes en matière de crédibilité.

[mon soulignement]

[76] Ces commentaires de la Cour suprême du Canada datent de 1985 et ne prennent pas en compte la disponibilité de l’enregistrement sonore des audiences, et qui sont disponibles en l’espèce. De plus, bien qu’il soit préférable pour un juge de voir un témoin, il est bien établi que la crédibilité des témoins ne s’évalue pas uniquement en évaluant le langage corporel des témoins et peut s’évaluer en examinant la déposition orale du témoin (Francis c. La Reine, 2007 CCI 323, par. 15; Nichols c. La Reine, 2009 CCI 334, par. 23; D’Amico, par. 61 et 62).

[77] Afin d’apprécier la crédibilité d’un témoignage, la Cour pourra, entre autre, tenir compte des éléments suivants:

  • i)les incohérences ou des faiblesses de ce témoignage – par exemple si le témoignage change au cours du procès ou s’il diffère de celui rendu par d’autres témoins ou encore, s’il diffère de la preuve documentaire;

  • ii)les déclarations antérieures contradictoires et les incohérences;

  • iii)les raisons que le témoin pourrait avoir à rendre un faux témoignage ou à induire la Cour en erreur;

  • iv)la teneur générale de la preuve : à cet égard, la Cour peut rechercher si l’examen du témoignage à la lumière du sens commun donne à penser que les faits exposés sont impossibles ou hautement improbables.

[78] Également, la Cour retient les commentaires émis par le juge Stratas dans High-Crest :

[116] En outre, la nature des affaires mêmes et le contexte dans lequel elles sont tranchées comptent pour beaucoup. Les affaires où la liberté de la personne est en jeu, comme les affaires criminelles, celles où les témoignages de vive voix sont nombreux et où les questions de crédibilité sont déterminantes — au point où la reprise de l’instance pourrait se révéler injuste—, et les affaires où la validité d’une décision administrative publique est contestée appellent le juge en chef à une grande prudence lorsqu’il envisage de les réaffecter.

[mon soulignement]

[79] Les requérants ont également noté que la juge présidente avait indiqué qu’il était difficile et complexe de se retrouver dans la preuve documentaire. Ils soulèvent donc que de demander à un autre juge de comprendre toute la preuve et de rendre jugement sur la base des dossiers est un exercice périlleux pouvant mener à une injustice pour les parties. La Cour ne peut retenir cet argument des requérants puisqu’une révision attentive des transcriptions permettra à la Cour d’évaluer correctement la preuve présentée à l’audience tenue en octobre et novembre 2017 et de rendre jugement sur cette base.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1e jour de juin 2023.

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 79

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-1917(IT)G, 2015-1921(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SPE VALEUR ASSURABLE INC. & ROBERT PLANTE ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Canada)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 Avril 2023

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :

L'honorable juge Dominique Lafleur

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 1 juin 2023

COMPARUTIONS :

Avocats des appelants :

Me Gabriel Dumais

Me Francis Fortin

Avocat de l'intimé :

Me Vlad Zolia

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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