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Dossier : 2022-1529(IT)I

ENTRE :

VU KIEU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels portant sur les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 entendus le 9 novembre 2023, à Ottawa, Canada.

Devant : l’honorable juge Jean Marc Gagnon


Comparutions :

Représentant de l’appelant :

Martinraj Manadan

Avocat de l’intimé :

Gabriel Caron

 

JUGEMENT

APRÈS avoir entendu l’objection préliminaire de l’intimé selon laquelle les appels de l’appelante portant sur les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 n’ont pas été valablement introduits devant la Cour;

ET APRÈS avoir entendu les observations de l’appelant;

CONFORMÉMENT aux motifs du jugement ci-joints, l’objection préliminaire de l’intimé est accueillie et les appels de l’appelant portant sur les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 sont cassés. Aucuns dépens ne sont adjugés.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 20e jour de novembre 2023.

« J.M. Gagnon »

Le juge Gagnon

 


Référence : CCI 2023160

Date : 20231120

Dossier : 2022-1529(IT)I

ENTRE :

VU KIEU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Gagnon

I. Introduction

[1] Le 6 juin 2022, l’appelant, M. Vu Kieu, a introduit des appels selon la procédure informelle visant de nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 et confirmées par des avis de nouvelle cotisation datés du 16 juillet 2019. La question soulevée par l’appel porte sur les résultats de la vérification de l’avoir net réalisée par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») pour 2013, 2014, 2015 et 2016. Selon la compréhension de la Cour, l’année d’imposition 2013 n’est pas visée par un appel dans le cadre de la présente instance, car un avis d’opposition en bonne et due forme concernant cette année est en cours d’examen par l’ARC.

[2] L’intimé a soulevé une objection préliminaire devant notre Cour, sous forme, en définitive, d’une requête en cassation des appels de l’appelant pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

[3] La requête en cassation de l’intimé se fonde sur le défaut de l’appelant de signifier au ministre du Revenu national (le « ministre »), conformément au paragraphe 165(1) de la LIR, un avis d’opposition en bonne et due forme contre les nouvelles cotisations attaquées, comme l’exige le paragraphe 169(1) de la LIR.

[4] Le paragraphe 169(1) de la LIR est libellé en ces termes :

169 (1) Lorsqu’un contribuable a signifié un avis d’opposition à une cotisation, prévu à l’article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :

a) après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

b) après l’expiration des 90 jours qui suivent la signification de l’avis d’opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu’il a annulé ou ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

toutefois, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l’expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été envoyé au contribuable, en vertu de l’article 165, portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

[5] À l’appui de sa position, l’intimé formule notamment les allégations de fait suivantes dans sa réponse :

  1. [Traduction] Par avis de cotisations simultanés en date du 16 juillet 2019, le ministre a établi des nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant, lesquelles incluaient dans le revenu de celui-ci pour les années d’imposition 2013, 2014, 2015 et 2016 des revenus non déclarés s’élevant à 198 259 $, 177 557 $ [R-1], 39 409 $ [R-2] et 119 327 $ [R-3], respectivement, sur la base d’un examen de l’avoir net.

  2. Le 22 janvier 2020, l’appelant a tenté de s’opposer à la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition 2013 uniquement [R-4].

  3. Par lettre en date du 4 février 2020 [R-5], le ministre a informé l’appelant que son opposition n’ayant pas été déposée dans les 90 jours de la date de l’avis de nouvelle cotisation, à savoir le 16 juillet 2019, elle n’était pas valide, mais que l’appelant pouvait demander la prorogation du délai de signification de l’avis d’opposition.

  4. Le 7 décembre 2020, le ministre a reçu de l’appelant une demande de prorogation du délai d’opposition à l’égard de l’année d’imposition 2013, sous forme électronique. Par lettre du 9 décembre 2020 [R-6], le ministre a fait droit à la demande de l’appelant et tenu l’avis d’opposition à l’égard de l’année d’imposition 2013 comme ayant été signifié à cette date.

  5. Le 6 juin 2022, à la date du dépôt du présent avis d’appel, le ministre n’avait pas encore ratifié, annulé ou modifié la nouvelle cotisation établie à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 2013.

  6. Le 14 octobre 2021, l’appelant a demandé au ministre une prorogation du délai de signification de l’avis d’opposition à l’égard des nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

  7. Le 8 novembre 2021 [R-8], le ministre a rejeté la demande de l’appelant en application de l’alinéa 166.1(7)a) de la LIR, au motif qu’elle n’avait pas été présentée dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti pour signifier les avis d’opposition. Le délai par ailleurs imparti par la LIR pour signifier les avis d’opposition était le 15 octobre 2019.

  8. Le 14 février 2022, l’appelant a de nouveau demandé au ministre une prorogation du délai de signification de l’avis d’opposition à l’égard des nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

  9. Le 31 mars 2022 [R-9], le ministre a de nouveau rejeté la demande de l’appelant conformément à l’alinéa 166.1(7)a) de la LIR.

  10. L’appelant n’a pas présenté à notre Cour de demande de prorogation du délai de signification d’un avis d’opposition à l’égard des années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

  11. L’appelant n’a pas obtenu d’ordonnance de prorogation du délai de signification d’un avis d’opposition à l’égard des années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

[6] À l’audience, l’appelant n’a pas nié la véracité des faits et dates décrits, entre autres, aux alinéas 1 et 6 à 11 du paragraphe 5 ci-dessus. L’appelant a ajouté qu’il avait peut-être fait une autre demande à l’ARC le 1er décembre 2021, exhortant celle-ci à reconsidérer son refus de lui accorder une prorogation du délai de signification de l’avis d’opposition à l’égard des années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

[7] L’appelant a également confirmé avoir reçu, entre autres, les avis de nouvelle cotisation visés à l’alinéa 5(1) ci-dessus et les décisions du ministre visées aux alinéas 5(7) et (9) ci-dessus. Il a en outre admis qu’en date de l’audience, il n’avait pas été en mesure de signifier à l’ARC un avis d’opposition valide à l’égard des trois années d’imposition en litige.

II. Discussion

[8] J’ai étudié les possibilités d’aider l’appelant. Malheureusement, je dois admettre que je n’ai pas été en mesure de trouver un scénario de saisine de notre Cour ayant une issue favorable à l’appelant.

[9] Il est clair qu’un contribuable ne peut pas interjeter appel en vertu du paragraphe 169(1) de la LIR sans avoir signifié un avis d’opposition valide au ministre[1].

[10] Le représentant de l’appelant a exposé sa position avec honnêteté et transparence. Il a admis que l’appelant n’avait pas été en mesure de signifier un avis d’opposition valide au ministre à l’égard des années visées par l’appel. Plus précisément, aucun avis d’opposition n’a été signifié à l’égard des années d’imposition 2014, 2015 et 2016 dans les 90 jours suivant l’envoi des avis de nouvelle cotisation à l’égard de ces années.

[11] En outre, l’appelant a présenté au ministre sa toute première demande de prorogation du délai de signification d’un avis d’opposition, en vertu de l’article 166.1 de la LIR, le 14 octobre 2021. Par lettre datée du 8 novembre 2021, le ministre a rejeté la demande, au motif que l’appelant avait présenté sa demande plus d’une année après l’expiration du délai habituel de 90 jours normalement imparti pour signifier un avis d’opposition, l’anniversaire de cette expiration étant le 15 octobre 2020. Une fois pris en compte le délai supplémentaire accordé en vertu de la Loi concernant des mesures supplémentaires liées à la COVID-19, le délai ultime expirait le 31 décembre 2020. Ainsi, la première demande présentée au ministre par l’appelant était en retard d’environ dix mois. Je suis convaincu que s’il avait connu les règles applicables énoncées par la LIR à l’époque, l’appelant les aurait respectées et aurait signifié un avis d’opposition valide. Malheureusement, tel n’est pas le cas et l’ignorance de la loi ne lui est d’aucun secours en l’espèce[2].

[12] Les tentatives ultérieures d’obtention d’une prorogation du délai de signification d’un avis d’opposition faites par l’appelant auprès du ministre n’ont pas modifié la décision du ministre.

[13] L’appelant n’a pas présenté de demande de prorogation du délai de signification d’un avis d’opposition à notre Cour en vertu de l’article 166.2 de la LIR. Même à supposer, pour un instant, que le premier document déposé par l’appelant à la Cour dans le cadre des présents appels, à savoir l’avis d’appel du 6 juin 2022, puisse être considéré comme une demande valide aux fins de l’application de l’article 166.2, la Cour ne pourrait accorder à l’appelant le droit de signifier un avis d’opposition, car la condition énoncée à l’alinéa 166.2(5)a) n’est pas remplie. Aux termes de l’alinéa 166.2(5)a), pour que la Cour fasse droit à une demande visant à permettre la signification d’un avis d’opposition, la demande présentée au ministre doit l’avoir été dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti par la LIR pour signifier un avis d’opposition. Comme je le précise plus haut, la date limite de présentation de la demande au ministre était le 31 décembre 2020. Par conséquent, au moins une condition essentielle, à savoir celle prévue à l’alinéa 166.2(5)(a), ne serait pas remplie, puisque l’appelant a présenté sa première demande au ministre le 14 octobre 2021.

[14] L’appelant a soumis la décision Kershaw[3] à la Cour. L’appelant a affirmé que cette décision confirmait que lorsqu’un demandeur et ses conseillers fiscaux avaient eu l’intention véritable et continue d’agir tout au long du délai, la demande devait être autorisée.

[15] L’arrêt Kershaw portait sur une demande présentée au titre de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, en sa version alors en vigueur, en vue de faire contrôler et annuler la décision du juge D. W. Beaubier de la Cour de l’impôt dans laquelle ce dernier avait rejeté la demande de prorogation du délai d’un avis d’opposition, présentée au titre du paragraphe 167(1) de la LIR le 28 mai 1991 par M. Kershaw à l’égard de nouvelles cotisations établies par le ministre concernant les revenus de M. Kershaw pour les années d’imposition 1985, 1986, 1987 et 1988. Cette demande de contrôle ne faisait pas intervenir les dispositions des articles 166.1 et 166.2 de la LIR en leur version actuelle.

[16] L’article 167 de la LIR invoqué dans le cadre de l’arrêt Kershaw s’appliquait aux demandes présentées avant le 17 janvier 1992 et était libellé ainsi :

167(1).

Demande de prorogation de délai à la Cour canadienne de l’impôt

Lorsqu’aucune opposition en application de l’article 165, aucun appel à la Cour canadienne de l’impôt en application de l’article 169 ou aucune demande en application du paragraphe 245(6) n’a été fait dans le délai imparti par ces dispositions, une demande peut être présentée à la Cour canadienne de l’impôt en vue d’obtenir une ordonnance qui prolonge le délai dans lequel l’avis d’opposition peut être signifié, l’appel interjeté ou la demande visée au paragraphe 245(6) faite. Si, à son avis, les circonstances du cas font qu’il serait juste et équitable de rendre cette ordonnance, la Cour canadienne de l’impôt peut la rendre aux conditions qu’elle estime justes.

(2)

Demande motivée

La demande mentionnée au paragraphe (1) doit indiquer les raisons pour lesquelles il n’a pas été possible de signifier l’avis d’opposition, d’interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt ou de faire la demande visée au paragraphe 245(6), selon le cas, dans le délai par ailleurs imparti par la présente loi. »

[17] Les dispositions que la Cour d’appel fédéral devait appliquer dans l’arrêt Kershaw diffèrent des dispositions applicables aux présents appels. La version actuelle de l’alinéa 166.2(5)a) de la LIR énonce clairement que même à supposer que l’appelant en l’espèce ait présenté une demande en vertu de l’article 166.2(1) dans les temps, la Cour ne pourrait lui accorder la prorogation de délai demandée. Encore une fois, pour ne pas tomber sous le coup de la restriction imposée par cet alinéa en l’espèce, l’appelant aurait dû présenter sa demande au ministre en vertu du paragraphe 166.1(1) de la LIR au plus tard le 31 décembre 2020, ce qu’il n’a pas fait.

[18] La Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Carlson[4], que notre Cour ne pouvait proroger le délai de signification d’un avis d’opposition que si la condition énoncée à l’alinéa 166.2(5)a) de la LIR était remplie :

Toutefois, aux termes des alinéas 166.1(7)a) et 166.2(5)a) de la Loi, le Ministre et la CCI ne peuvent prolonger le délai prévu pour le dépôt de l’avis d’opposition que si la demande est présentée dans l’année suivant l’expiration du délai prévu pour le dépôt d’un avis d’opposition.

[19] Le représentant de l’appelant a également avancé qu’il ne serait pas équitable pour ce dernier d’être empêché de s’opposer aux nouvelles cotisations, car l’exercice mené par l’ARC ne reflétait pas la réalité et, car l’appelant est en mesure d’offrir des explications concernant toutes les années visées. Un avis d’opposition valide avait été déposé en ce qui concerne l’année d’imposition 2013, la première des quatre années ayant fait l’objet d’une nouvelle cotisation, et les trois autres années devraient bénéficier du même traitement.

[20] Malheureusement, comme le mentionne la Cour dans la décision Pietrovito[5] ci-dessous, la Cour n’a pas compétence pour statuer sur le fondement de l’équité et de la justice :

[86] Finalement, voici mes dernières observations : aucune considération d’impartialité ou d’équité ne peut aider l’appelant étant donné que la Cour est une cour créée par la loi. Comme on l’a expliqué dans la décision Odebala-Fregene, précitée [2015 CCI 44] :

22 Compte tenu de la nature spécialisée du régime prévu par la Loi et du fait que la Cour a été créée par la loi, les exigences en matière d’équité ne s’appliquent pas. Dans ses observations, l’avocat de l’intimée fait référence à l’arrêt Chaya c Canada, 2004 CAF 327, 2004 DTC 6676 (CAF), dans lequel la Cour d’appel fédérale a souligné que la Cour n’a pas compétence pour déroger au délai pour des raisons d’équité. Au paragraphe 4 de la décision, le juge d’appel Rothstein (tel était alors son titre) a déclaré ce qui suit :

4 […] Elle ne peut pas déroger aux dispositions législatives pour des raisons liées à l’équité. S’il estime que la loi est inéquitable, le demandeur doit avoir recours au Parlement et non pas à la Cour.

[21] La position de l’appelant comme celle de l’intimé ne laissent subsister aucun doute sur l’absence d’un avis d’opposition valide signifié à l’égard des nouvelles cotisations dont la Cour est saisie. Une condition préalable à l’introduction d’un appel devant la Cour n’est pas remplie. Ce défaut est fatal. Les appels n’ont pas été validement introduits devant notre Cour, de sorte que notre Cour n’a pas compétence pour les trancher.

III. Décision

[22] À la lumière des motifs qui précèdent, j’ordonne que les appels à l’égard des années d’imposition 2014, 2015 et 2016 dont la Cour est saisie soient cassés. Chaque partie assume ses propres dépens.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 20e jour de novembre 2023.

« J.M. Gagnon »

Le juge Gagnon

 


RÉFÉRENCE :

CCI 2023160

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2022-1529(IT)I

INTITULÉ :

VU KIEU c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEUX DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE De L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

l’honorable juge Jean Marc Gagnon

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 novembre 2023

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelant :

Martinraj Manadan

Avocat de l’intimé :

Gabriel Caron

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Voir, par exemple, arrêt Bormann c. Canada, 2006 CAF 83.

[2] Voir, par exemple, Corporation de l’école polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127 et Robertson c. La Reine, 2015 CCI 246.

[3] Kershaw v The Queen, 92 DTC 6241 (CAF) [Kershaw].

[4] Canada c. Carlson, 2002 CAF 145 [Carlson].

[5] Pietrovito c. La Reine, 2017 CCI 119 [Pietrovito].

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