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Dossier: 2017-231(IT)G

ENTRE :

PINNACLE INTERNATIONAL REALTY GROUP II INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu du 7 au 9 novembre 2022, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : l’honorable juge Steven K. D’Arcy


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

Me S. Natasha Kisilevsky

Me Chris Canning

 

Avocats de l’intimé :

Me Whitney Dunn

Me Alexander Wind

Me Erin Krawchuk

 

JUGEMENT

Conformément à mes motifs de jugement :

L’appel de la nouvelle cotisation établie le 11 février 2015 sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition de l’appelante prenant fin le 31 octobre 2006 est rejeté, avec dépens.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 30e jour de novembre 2023.

« S. D’arcy »

Le juge D’Arcy

Traduction certifiée conforme

ce jour 13e jour de juin 2025

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste


Référence : 2023 CCI 161

Date : 20231130

Dossier : 2017-231(IT)G

ENTRE :

PINNACLE INTERNATIONAL REALTY GROUP II INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge D’Arcy

[1] La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si le paragraphe 103(1) ou le paragraphe 103(1.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi ») empêche l’utilisation d’une société déficitaire pour mettre à l’abri des revenus d’environ 11 millions de dollars tirés par une société de personnes de la vente d’unités condominiales d’un grand ensemble résidentiel aménagé et construit par la société à Vancouver.

[2] L’appel concerne l’exercice de l’appelante clos le 31 octobre 2006. Lors de l’établissement de la cotisation de l’appelante, le ministre a appliqué le paragraphe 103(1) pour inclure environ 10,1 millions de dollars dans le revenu imposable de l’appelante.

[3] Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits (l’« exposé conjoint »), joint à l’annexe A, ainsi qu’un recueil conjoint de documents.

[4] Les parties ont déposé une entente datée du 3 novembre 2022, dans laquelle elles conviennent de l’authenticité et de l’admissibilité des documents du recueil conjoint de documents. Elles conviennent également que chaque document est suffisamment pertinent pour être admissible à l’audience, sans préjudice des observations des parties sur le poids qu’il convient d’accorder à chacun de ces documents.

[5] L’entente sur les documents ne traite pas de la véracité du contenu des documents. Au début de l’audience, j’ai demandé aux parties si elles s’entendaient sur la véracité de ce contenu; les avocats des deux parties ont informé la Cour que c’était le cas. Je me suis fondu sur cette entente orale et l’entente écrite relative aux documents pour admettre le recueil conjoint de documents en preuve comme pièce A/R-1.

[6] L’appelante a fait entendre quatre témoins : Mme Yvette Franc, M. Leslie Steve Fovenyi, M. Michael De Cotiis et Mme Amy Feng. L’intimé n’a fait entendre aucun témoin.

[7] Je n’ai pas jugé le témoignage de Mme Franc très utile. Celle-ci est actuellement directrice de la comptabilité et de la présentation de l’information financière à Pinnacle International. Elle ne travaillait pas pour l’appelante, ou l’une de ses sociétés liées, pendant la période en cause.

[8] Mme Feng, vérificatrice à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a participé à la vérification dont l’appelante a fait l’objet. Son témoignage était bref, mais elle a présenté des éléments de preuve utiles concernant le produit de la vente des unités condominiales.

[9] Les témoignages de M. Fovenyi et M. De Cotiis étaient les plus pertinents. Pendant la période en cause, M. Fovenyi était le directeur financier du groupe Pinnacle International (le « groupe Pinnacle »), dont fait partie l’appelante. M. De Cotiis est le propriétaire et l’âme dirigeante du groupe Pinnacle.

[10] De manière générale, les deux témoins m’ont paru crédibles; toutefois, comme j’en discute plus loin, tous deux ont exagéré le rôle de M. De Cotiis dans l’aménagement de l’immeuble d’habitation qui est au cœur du présent appel.

Résumé des faits

[11] Le groupe Pinnacle se décrit comme l’un des plus grands constructeurs d’immeubles résidentiels de luxe, de quartiers planifiés, d’hôtels et d’aménagements commerciaux[1] en Amérique du Nord. M. Fovenyi décrit le groupe Pinnacle comme un groupe d’entreprises dont les activités consistent à acquérir des terrains et à les aménager, puis à vendre les terrains aménagés à des acheteurs ou à les conserver comme investissements à long terme.

[12] Pinnacle International Realty Group Inc. (« PIRG ») est la principale société de portefeuille du groupe Pinnacle. M. De Cotiis détient 100 % des actions en circulation de PIRG, dont il est l’unique administrateur.

[13] Constituée en 1994, l’appelante est une filiale en propriété exclusive de PIRG. Selon M. Fovenyi, le rôle de l’appelante au sein du groupe Pinnacle est de fournir des services de soutien administratif aux autres sociétés du groupe, comme des services généraux, administratifs et comptables, et des services de secrétariat, de gestion des ressources humaines et de traitement des paiements. Elle s’occupe de toutes les affaires bancaires des sociétés du groupe Pinnacle.

[14] Malgré le témoignage de M. Fovenyi, il ressort des éléments de preuve qui m’ont été présentés que l’appelante ne se limite pas à fournir des services administratifs, et qu’elle offre, par exemple, des services de gestion immobilière pour les immeubles à revenu du groupe Pinnacle. En outre, comme je l’explique ci‑dessous, elle a participé à la gestion de l’aménagement d’au moins un projet et à la coordination de la vente de nouvelles unités condominiales.

[15] D’après l’exposé conjoint, le nombre d’employés de l’appelante est passé de 21 à 32 entre 2001 et 2006, et, entre 1994 et 2006, l’appelante a pris part à 17 projets d’aménagement immobilier.

[16] M. Fovenyi note que depuis 1997 ou 1998, le groupe Pinnacle utilise la même structure générale de propriété pour tous ses projets d’aménagement. Plus précisément, il établit, pour chaque projet d’aménagement, une société de personnes à but unique distincte composée de deux associés détenant respectivement une participation de 95 % et 5 % dans la société.

[17] M. Fovenyi témoigne que l’appelante détient une participation de 5 % dans chacune des sociétés de personnes, et qu’elle est chargée des tâches administratives de chaque projet d’aménagement, notamment la comptabilité, les ressources humaines et le traitement des paiements. M. Fovenyi soutient que l’associé détenant la participation de 95 %, habituellement une société par actions à but unique, est chargé des travaux d’aménagement, de l’acquisition des terrains, de l’élaboration du plan stratégique et du plan marketing du projet, et de la supervision de la construction du projet et de son programme de vente.

[18] M. Fovenyi explique que le groupe Pinnacle crée une société de personnes distincte pour chaque projet pour atténuer le risque auquel il s’expose.

[19] Le recours à une société par actions à but unique pour détenir la participation de 95 % permet au groupe Pinnacle d’isoler le risque auquel il s’expose et facilite la mobilisation de capitaux. M. De Cotiis explique que cette structure permet au groupe Pinnacle d’ajouter facilement un associé si cela s’avère nécessaire pour des raisons financières. Je suppose qu’il parle de l’ajout d’un tiers sans lien de dépendance.

[20] M. Fovenyi témoigne que la participation de 5 % détenue par l’appelante vise à lui fournir un rendement suffisant pour couvrir ses frais généraux et le coût des services de soutien qu’elle doit supporter. À mon avis, elle permet également à une société du groupe Pinnacle exerçant une activité substantielle ininterrompue de participer à la société de personnes.

[21] L’un des projets du groupe Pinnacle est l’aménagement d’une tour de logements en condominium sise au 550, rue Taylor à Vancouver (le « projet Taylor »). Le groupe Pinnacle a créé Pinnacle Taylor Development Partnership (la « société »), la société de personnes chargée du projet Taylor.

[22] Les membres suivants du groupe Pinnacle prennent part au projet Taylor :

  • -l’appelante;

  • -Pinnacle International Lands Inc. (« Pinnacle Lands »);

  • -Mondiale Development Ltd. (« Mondiale »);

  • -Pinnacle International (Taylor) Plaza Inc. (« Taylor »).

[23] PIRG détient la totalité des actions de chacune de ces sociétés.

[24] Comme pour les autres sociétés de personnes créées par le groupe Pinnacle, l’appelante détient une participation de 5 % dans la société.

[25] Au sein du groupe Pinnacle, le rôle de Pinnacle Lands est de trouver des occasions d’aménagement immobilier et de les soumettre à la vérification préalable. S’il est décidé d’acquérir le terrain, Pinnacle Lands cède le droit de l’acquérir à une entité à but unique du groupe Pinnacle. M. De Cotiis est l’unique administrateur de Pinnacle Lands, qui ne compte aucun employé entre 2001 et 2006.

[26] Mondiale fait office d’entrepreneur général pour chaque projet du groupe Pinnacle. M. De Cotiis la qualifie de division « construction » du groupe Pinnacle. Elle recommande les sous-traitants qui réalisent les travaux de construction. M. De Cotiis affirme qu’il [traduction] « dirige » Mondiale. Il n’est pas clair pour la Cour si, pendant la période en cause, Mondiale a des employés ou fait exclusivement appel à des sous-traitants pour exécuter ses fonctions dans différents projets, dont le projet Taylor. Le paragraphe 18 de l’exposé conjoint qualifie un certain M. Carlo Meola de [traduction] gestionnaire de projet de Mondiale. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessous, M. Meola est un employé de l’appelante.

[27] Taylor est une société par actions à but unique constituée le 2 juin 2003 pour détenir une participation de 95 % dans la société et accomplir certaines fonctions pour elle. M. De Cotiis en est président et secrétaire. Elle ne compte aucun autre administrateur, dirigeant ou employé.

[28] Selon M. Fovenyi, le projet Taylor est relativement risqué, puisqu’il a lieu dans un secteur difficile de Vancouver. M. De Cotiis explique qu’il a pris connaissance de cette occasion d’affaires grâce à une annonce placée dans un journal par la Ville de Vancouver qui, à l’époque, incitait les promoteurs à acheter des terrains dans ce secteur pour y construire des tours d’habitation.

[29] Le projet Taylor s’est déroulé de la manière suivante :

- Le 5 avril 2002, Pinnacle Lands présente à la Ville de Vancouver, en son propre nom ou au nom d’une société affiliée, une offre d’achat pour le terrain sis au 598, rue Taylor (le numéro de rue devient par la suite 550) (les « terrains »).

- Le 14 mai 2002, la Ville de Vancouver accepte l’offre.

- Le 13 août 2002, à la demande de M. De Cotiis, le cabinet Hancock Bruckner Eng + Wright Architects (les « architectes ») présente un dossier de justification des choix architecturaux et un plan d’aménagement paysager pour le projet Taylor. Les architectes proposent un basilaire de trois étages comportant 11 maisons en rangées; une tour de 26 étages, haute de 70 mètres et comportant 235 logements, et trois stationnements souterrains d’une capacité de 258 véhicules[2].

- Le 13 août 2002, à la demande de M. De Cotiis, les architectes soumettent une demande de permis d’aménagement à la Ville de Vancouver.

- Le 15 octobre 2002, Pinnacle Lands conclut le contrat de vente des terrains avec la Ville de Vancouver. Le contrat désigne Pinnacle Lands ou une société affiliée, ou les deux, comme acheteur. Aux termes du contrat, l’acheteur verse à la Ville de Vancouver le prix d’achat de 5 188 000 $, plus une contribution aux aménagements à usage collectif de 1 054 070 $[3].

- Comme il est mentionné plus haut, Taylor est constituée le 2 juin 2003.

- Le 15 juillet 2003, Taylor et l’appelante forment la société en vertu d’un contrat de société conclu ce même jour (le « contrat de société »). Selon le paragraphe 37 de l’exposé conjoint, la société est créée pour acquérir les éléments d’actif du projet Taylor en vue de l’aménagement, de la construction et de la vente du projet. La clause 3.1 du contrat de société stipule que les objectifs de la formation de la société sont notamment [traduction] « d’acquérir les éléments d’actif du projet [c.-à-d. les terrains et les contrats s’y rapportant], d’obtenir toutes les approbations nécessaires à l’aménagement du projet [Taylor] et de procéder, dans les meilleurs délais, à l’aménagement, à la construction et au financement du projet [Taylor] et à la vente des unités condominiales ou d’autres participations dans le projet [Taylor] ».

- L’appelante verse un apport en capital de 5 $ au titre de sa participation de 5 %, et Taylor verse un apport en capital de 95 $ au titre de sa participation de 95 %. Taylor emprunte 94 des 95 $ d’un autre membre du groupe Pinnacle.

- Le 18 juillet 2003, Pinnacle Lands cède à la société tous ses droits dans le contrat d’achat des terrains conclu avec la Ville de Vancouver, et la société assume tous les coûts et obligations s’y rapportant.

- Le 28 juillet 2003, la société conclut l’achat des terrains. Taylor détient le titre en common law des terrains en qualité de nu-fiduciaire pour le propriétaire bénéficiaire, la société. Le prix d’achat s’élève en tout à 6 413 994,10 $[4].

- Le 28 août 2003, la Ville de Vancouver délivre le permis d’aménagement des terrains.

- Le 17 septembre 2003, en sa qualité de représentant de la société, M. De Cotiis autorise Anson Realty à commencer la prévente des unités condominiales et à accepter des offres d’achat.

- En octobre 2003, la société entreprend l’aménagement des terrains. Elle engage Mondiale comme entrepreneur général pour le projet Taylor.

- En novembre 2005, le projet Taylor est pour l’essentiel achevé, au coût total de 37 550 345 $, terrains compris. Le 16 décembre 2005, un permis d’occuper est délivré. Le projet Taylor se compose de 251 unités condominiales et maisons en rangée.

- La société réalise un profit d’environ 11,5 millions de dollars sur la vente des unités.

[30] Le prix d’achat total des terrains est réglé au moyen d’un acompte d’un million de dollars, d’un paiement de 3 195 800 $ financé par la Banque de Montréal (la « BMO ») et d’un paiement de 2 218 194,10 $ versé par l’appelante. Le paiement versé par l’appelante consiste en un prêt qu’elle a consenti à la société. La provenance de l’acompte d’un million de dollars n’a pas été révélée à la Cour. Cependant, comme la valeur des terrains est classée dans les capitaux propres du groupe Pinnacle dans le projet Taylor sur la feuille de modalités de prêt établie par la BMO pour le financement de la construction[5], je présume que l’acompte provient d’une société du groupe Taylor.

[31] La BMO accorde un prêt à la construction de 38,5 millions de dollars, qui ne s’applique pas aux terrains. La société est l’emprunteuse, et l’appelante et Taylor sont les associés et auteurs de l’engagement. M. De Cotiis, à titre personnel, PIRG et une autre société du groupe Pinnacle (Pacific Star Properties Inc.) garantissent le remboursement intégral de la dette de la société, de Taylor et de l’appelante jusqu’à concurrence de 38,5 millions de dollars. En outre, la BMO exige que PIRG apporte une aide financière à la société. M. De Cotiis signe la feuille de modalités du prêt au nom de toutes les parties; autrement dit, il signe pour le compte de chaque société et pour son propre compte.

[32] Début 2006, M. De Cotiis entame, pour le compte de PIRG, des négociations avec un tiers sans lien de dépendance en vue de l’achat d’actions de Taylor par Ressources Meston Inc. (« Meston ») avant la fin de l’exercice de la société le 31 octobre 2006. Il ressort clairement des éléments de preuve qui m’ont été présentés que l’achat d’actions de Taylor par Meston avait pour unique but l’utilisation des pertes fiscales de Meston pour soustraire à l’impôt sur le revenu la portion des profits de la société (environ 11 millions de dollars) attribuée à Taylor.

[33] Meston est une filiale détenue en propriété exclusive de Les Ressources Campbell Inc. Au moment des faits, Meston éprouve des difficultés financières et s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[6].

[34] L’exercice de Taylor se termine le 30 septembre tandis que l’exercice de l’appelante et de la société se termine le 31 octobre.

[35] Au 30 septembre 2006, la société a réalisé des profits nets de 11 564 318 $ au cours de l’exercice se terminant le 31 octobre 2006. À des fins comptables, Taylor inclut 95 % de cette somme (10 986 102 $) dans le calcul de son revenu pour l’exercice clos le 30 septembre 2006. Taylor déclare 10 986 102 $ comme revenu de société dans sa déclaration de revenus pour l’exercice clos le 30 septembre 2006 et demande ensuite une déduction correspondante dans le calcul de son revenu pour l’application de l’impôt.

[36] Taylor conclut une série d’opérations (décrites aux paragraphes 70 à 101 de l’exposé conjoint) ayant pour résultat l’acquisition des actions de Taylor par Meston, qui a d’importantes pertes fiscales. L’avocat de PIRG informe Meston en juin 2006 que PIRG ne peut vendre les actions de l’appelante, car celle-ci mène des activités commerciales, outre sa participation dans la société[7].

[37] Avant de conclure les opérations avec Meston, Taylor, sa société mère (PIRG) et la société prennent diverses mesures pour « nettoyer » les comptes intersociétés et faire en sorte que Taylor dispose de fonds suffisants pour verser à Meston les honoraires convenus.

[38] Elles prennent notamment les mesures suivantes :

- Le 13 septembre 2006, Taylor crée une nouvelle catégorie d’actions privilégiées de catégorie A rachetables.

- Le 20 septembre 2006, Taylor ouvre un compte bancaire à la BMO. Avant cette date, Taylor n’avait pas de compte bancaire.

- Le 21 septembre 2006, PIRG verse 11 463 959 $ dans le compte bancaire de la société. Selon le paragraphe 81 de l’exposé conjoint, ce dépôt est effectué [traduction] « pour régler la dette intersociétés que PIRG a envers la société ». Mme Feng témoigne que la dette intersociétés provient de la vente des unités condominiales par la société. Le produit de ces ventes est déposé dans le compte bancaire de PIRG, puis comptabilisé comme un prêt intersociétés consenti par la société à PIRG.

- Le 25 septembre 2006, la société verse à Taylor la somme de 7 287 522 $. Taylor déclare ensuite un dividende en actions privilégiées de catégorie A d’une valeur équivalente. PIRG demande immédiatement le rachat des actions du dividende et reçoit un paiement de 7 287 522 $.

- Le 26 septembre 2006, la société verse la somme de 3 774 241 $ à Taylor. Ces fonds sont toujours dans le compte bancaire de Taylor au moment de l’acquisition de Taylor par Meston.

[39] PIRG et Meston réalisent ensuite plusieurs opérations pour donner effet à la vente des actions de Taylor et à l’attribution de 95 % des profits de la société à Meston, notamment les opérations suivantes :

  • -Le 18 octobre 2006, PIRG, le vendeur, conclut avec Meston, l’acheteur, un contrat d’achat et de vente d’actions (le « contrat d’achat d’actions ») prévoyant la vente de toutes les actions émises et en circulation de Taylor pour un prix d’achat de 2 944 616 $, dont 45 776 $ pour ses actions ordinaires.

  • -Le 23 octobre 2006, PIRG transfère à Meston toutes les actions émises et en circulation de Taylor. Meston, par l’intermédiaire de son prêteur, verse le prix d’achat de 2 944 616 $.

  • -Le 23 octobre 2006, après le transfert des actions de Taylor, M. De Cotiis se démet de ses fonctions d’administrateur et dirigeant de Taylor et est remplacé par M. André Fortier, président et chef de la direction de Meston.

  • -Le 24 octobre 2006, M. Fortier, en sa qualité d’administrateur de Taylor :

o décide de procéder à la liquidation de Taylor, au transfert de son actif et de son passif à Meston et à la dissolution de Taylor;

o adopte une résolution enjoignant à Taylor de conclure un contrat de distribution avec Meston en vue du transfert à Meston de la participation de Taylor dans la société;

  • -Le 24 octobre 2006, l’appelante accepte d’admettre Meston dans la société.

  • -Meston est admise dans la société avant le 31 octobre 2006.

  • -Le 31 octobre 2006, la société attribue 95 % de son revenu total de 11 564 318 $ à Meston (soit 10 986 102 $) et 5 % (578 216 $) à l’appelante.

  • -Le 9 novembre 2006, Meston déclenche la dissolution volontaire de Taylor en Colombie-Britannique. Avant la liquidation de Taylor, l’intégralité de son actif et de son passif est transférée à Meston.

  • -Le 22 novembre 2006, la société vend l’unité restante du projet Taylor pour 180 000 $ et réalise un profit de 79 544 $.

- Le 28 décembre 2006, la société est dissoute par l’effet d’un contrat conclu le 22 décembre 2006 par Meston et l’appelante.

[40] L’alinéa 87c) de l’exposé conjoint est ainsi libellé : [traduction] « M. De Cotiis a fourni une garantie personnelle à Meston, ainsi qu’aux autres “parties indemnisées de l’acheteur” (au sens du [contrat d’achat d’actions]). Il est indiqué dans la garantie que celle-ci est offerte pour inciter Meston à conclure le [contrat d’achat d’actions] ». La garantie se rapporte à la clause 4.04 du contrat d’achat d’actions, dans laquelle PIRG s’engage à indemniser Meston et Taylor, ainsi que leurs actionnaires, administrateurs, dirigeants, employés et mandataires actuels et futurs, entre autres.

[41] Ce vaste engagement d’indemnisation couvre les obligations découlant de l’aménagement du projet Taylor et de la vente des unités condominiales, y compris les réclamations faites au titre de la loi britanno-colombienne intitulée Homeowner Protection Act (Loi sur la protection des propriétaires), R.S.B.C. 1998, c. 31[8].

[42] Aux fins du calcul de l’impôt sur le revenu, les opérations entraînent l’attribution à Meston de 11 061 669 $ du revenu de la société, somme constituée des 10 986 102 $ attribués à la société à la fin de son exercice le 31 octobre 2006, et de 95 % du profit de 79 544 $ réalisé sur la vente de la dernière unité du projet Taylor.

[43] Taylor verse à Meston des honoraires de 829 625 $ pour les opérations (les « honoraires »), ce qui correspond à 7,5 % du revenu imposable de la société attribué à Meston. Les honoraires ont été « payés » par Taylor qui, comme il est mentionné ci-dessus, a dans son compte bancaire la somme de 3 774 241 $ au moment où Meston acquiert ses actions de PIRG au prix de 2 944 616 $ (3 774 241 $ - 2 944 616 $ = 829 625 $).

[44] Les parties déclarent, au paragraphe 96 de l’exposé conjoint, [traduction] qu’« il est raisonnable de considérer que le [contrat d’achat d’actions] et la récupération par Meston de 95 % du revenu de la société attribué à Taylor avaient pour objet principal de réduire l’impôt payable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada ».

[45] M. Fovenyi et M. De Cotiis conviennent tous deux dans leur témoignage que, grâce à ces opérations, le groupe Pinnacle a évité de payer 3,7 millions de dollars en impôt[9].

[46] Dans le calcul de son revenu imposable pour l’exercice prenant fin le 31 octobre 2006, l’appelante inclut 578 216 $ comme revenu provenant de la société pour l’exercice de la société clos le 31 octobre 2006. Par la suite, le ministre établit une nouvelle cotisation pour l’appelante dans laquelle il ajoute 10 156 477 $ au revenu provenant de la société. Cette somme correspond à 95 % du revenu de la société, moins les honoraires.

Synthèse du droit

[47] La question en litige dans le présent appel porte sur l’application du paragraphe 103(1) et du paragraphe 103(1.1).

[48] Le paragraphe 103(1) est ainsi libellé :

Lorsque les associés d’une société de personnes sont convenus de partager en proportions déterminées tout revenu ou perte de la société de personnes provenant d’une source donnée ou de sources situées dans un endroit déterminé ou tout autre montant qui se rapporte à une activité quelconque de la société de personnes et qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de tout associé de cette société de personnes et lorsqu’il est raisonnable de considérer que cette convention a pour objet principal de réduire les impôts ou de différer le paiement des impôts qui auraient pu être ou devenir payables par ailleurs en vertu de la présente loi, la part du revenu ou de la perte, selon le cas, ou de l’autre montant, revenant à chaque associé de la société de personnes est le montant qui est raisonnable, compte tenu des circonstances, y compris les proportions dans lesquelles les associés sont convenus de partager les profits et les pertes de la société de personnes provenant d’autres sources ou de sources situées à d’autres endroits.

[49] Dans l’arrêt Canada c. 594710 British Columbia Ltd.[10], la Cour d’appel fédérale qualifie le paragraphe 103(1) de « disposition anti-évitement qui vise les accords de partage de revenus entre les associés qui sont conclus principalement pour réduire ou reporter l’impôt ». Elle ajoute que « [d]ans ce cas, le revenu doit être partagé en fonction de ce qui est raisonnable dans les circonstances ».

[50] Le paragraphe 103(1) s’applique lorsqu’il est raisonnable de considérer qu’une entente au sujet du partage des revenus conclue par des associés a pour objet principal de réduire les impôts ou de différer le paiement des impôts qui auraient pu être ou devenir payables par ailleurs en vertu de la Loi.

[51] Si ce paragraphe s’applique, la Cour doit décider de la part du revenu de la société qui revient raisonnablement à chaque associé, compte tenu des circonstances.

[52] Le paragraphe 103(1.1) est ainsi libellé :

Lorsque plusieurs associés d’une société de personnes qui ont, entre eux, un lien de dépendance conviennent de partager tout revenu ou toute perte de la société de personnes, ou tout autre montant qui se rapporte à une activité quelconque de la société de personnes, et qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de ces associés et que la part du revenu, de la perte ou de cet autre montant revenant à l’un de ces associés n’est pas raisonnable dans les circonstances, compte tenu du capital qu’il a investi dans la société de personnes ou du travail qu’il a accompli pour elle ou de tout autre facteur pertinent, cette part est réputée, indépendamment de toute convention, être le montant qui est raisonnable dans les circonstances.

[53] Le paragraphe 103(1.1) est également une disposition anti-évitement. Contrairement au paragraphe 103(1), il ne contient pas de critère de l’objet. Il s’applique lorsque des associés d’une société de personnes ayant un lien de dépendance conviennent de partager le revenu de la société d’une manière qui n’est pas raisonnable dans les circonstances, compte tenu du capital investi dans la société ou du travail accompli pour elle par les associés, ou de tout autre facteur pertinent.

[54] Les deux parties s’entendent pour dire que le paragraphe 103(1) s’applique à la situation factuelle dont est saisie la Cour.

[55] Dans une lettre adressée à la Cour le 3 novembre 2022, l’avocat de l’appelante déclare ce qui suit :

[Traduction]

L’appelante admet que le paragraphe 103(1) s’applique, car l’attribution du revenu à Ressources Meston Inc. (qui a récupéré la part de 95 % de Pinnacle International (Taylor) Plaza Inc.) était principalement motivée par des considérations fiscales.

Comme l’application du critère du caractère raisonnable formulé aux paragraphes 103(1) et 103(1.1) aurait le même résultat quel que soit le paragraphe retenu, il ne reste à l’appelante qu’une question à soulever dans le présent appel : la part du revenu de la société attribuée à l’appelante pour l’exercice 2006 de la société était-elle raisonnable dans les circonstances?

[56] L’intimé fait valoir que le paragraphe 103(1.1) s’applique également à la situation factuelle dont la Cour est saisie. La Cour n’est pas certaine de comprendre si l’appelante reconnaît que ce paragraphe s’applique en l’espèce. Toutefois, l’appelante soutient clairement que les paragraphes 103(1) et 103(1.1) produiront les mêmes effets, vu la situation factuelle dont est saisie la Cour.

[57] Quoi qu’il en soit, comme je l’explique ci-dessous, le paragraphe 103(1) règle la question dont est saisie la Cour. La suite de mes motifs est centrée sur l’application du paragraphe 103(1).

[58] Mon collègue le juge Owen a traité du sens du mot anglais « reasonable » dans la décision Sun Life du Canada, compagnie d’assurance vie[11] :

[37] La définition du mot anglais « reasonable » (raisonnable) dans le dictionnaire Oxford English Dictionary (deuxième édition) qui est, selon moi, la plus appropriée est énoncée à A.2.a : [TRADUCTION] « Faire preuve d’un jugement équilibré; rationnel, sain d’esprit […] Aussi, ne pas être trop exigeant. » L’utilisation du mot « raisonnables » dans la version française de la disposition appuie cette interprétation.

[38] L’exigence concernant le caractère raisonnable dans les lois fiscales a été prise en compte dans d’autres contextes. Dans la décision Bailey v. M.N.R., [1989] T.C.J. No. 602 (QL), 89 D.T.C. 416, la Cour a déclaré ce qui suit (à la page 420) :

[TRADUCTION] Ce n’est pas l’opinion subjective de l’appelant ou de l’intimé sur ce qui est « raisonnable » qui importe, mais plutôt celle d’un observateur impartial qui aurait une connaissance de tous les faits pertinents : Canadian Propane Gas & Oil Limited v. M.N.R., 73 DTC 5019, le juge Cattanach, à la page 5028.

[39] Dans la décision Maege c. La Reine, 2006 CCI 117, la Cour a adopté l’approche générale visant à déterminer le caractère raisonnable qui avait été énoncée dans la décision Tsiantoulas c. Canada, [1994] A.C.I. no 984 (QL) (C.C.I.), où la Cour a affirmé ce qui suit, au paragraphe 11 :

[…] Le caractère raisonnable est une question de fait et il requiert que l’on fasse preuve de jugement et de bon sens. […]

[59] Pour l’application du paragraphe 103(1), le caractère raisonnable est une question de fait qui nécessite le recours à un certain jugement et au bon sens. Le paragraphe prévoit que, pour trancher cette question de fait, il faut tenir compte des circonstances.

[60] En bref, je dois examiner tous les faits pertinents présentés à la Cour, puis prendre une décision en qualité d’observateur impartial.

Position des parties

[61] L’appelante avance que la Cour devrait concentrer son analyse sur l’appelante et Taylor. Elle admet que Meston n’a guère contribué aux activités de la société.

[62] L’appelante soutient que l’un des principes fondateurs de la Loi est que le contribuable paie des impôts sur son propre revenu, et non sur celui d’autrui. Dans le présent appel, le revenu de l’appelante vient exclusivement de sa participation de 5 %.

[63] L’intention du groupe Pinnacle était de toute évidence que M. De Cotiis accomplisse les actes nécessaires à l’aménagement du projet Taylor pour le compte de Taylor, et non pour le compte de l’appelante.

[64] De l’avis de l’appelante, le travail accompli est le facteur clef dans le présent appel. L’appelante n’a joué qu’un rôle administratif dans la société; le travail de [traduction] « promoteur » a été effectué par M. De Cotiis pour le compte de Taylor. Par conséquent, la Cour doit faire droit à l’attribution de 95 % du bénéfice à Taylor.

[65] L’intimé prétend que le seul partage raisonnable du profit de la société serait l’attribution des honoraires à Meston et du reste à l’appelante étant donné la réalité économique : Meston a reçu des honoraires pour son unique contribution à la société, c’est-à-dire ses pertes, et le groupe Pinnacle a conservé le reste du profit.

[66] L’intimé affirme que la Cour ne devrait pas tenir compte de Taylor pour décider du partage raisonnable en application du paragraphe 103(1), puisque Taylor n’était pas une associée au 31 octobre 2006, date de clôture de l’exercice de la société. Le paragraphe 103(1) ne s’applique qu’au partage raisonnable entre l’appelante et Meston.

[67] Toutefois, le partage préconisé par le ministre demeure correct même si l’on tient compte de Taylor. Taylor n’a pas apporté de contribution importante à la société, et n’aurait pas pu le faire.

Décision sur l’appel

[68] Il ressort clairement des éléments de preuve qui m’ont été présentés que l’attribution à Meston de 95 % du revenu gagné par la société au cours de son exercice clos le 31 octobre 2006 et de 95 % du bénéfice tiré de la vente de la dernière unité condominiale n’est pas raisonnable.

[69] Meston est admise dans la société vers le 24 octobre 2006, après que la société a achevé l’aménagement du projet Taylor, son seul actif, et après la vente de toutes les unités condominiales, sauf une. À cette date, la société a réalisé plus de 99 % de son profit.

[70] Meston n’est pas une associée de la société pendant la période où elle exécute les activités à l’origine du bénéfice. Il semble que la seule activité exécutée par la société après que Meston est devenue associée est la vente de la dernière unité condominiale.

[71] Meston ne touche aucune part du profit d’environ 11,6 millions de dollars réalisé par la société, à l’exception des honoraires de 829 625 $. Une fois toutes les opérations décrites achevées, 95 % du profit réalisé par la société, moins les honoraires, revient indirectement à PIRG, tandis que le 5 % restants est versé à l’appelante.

[72] De plus, pendant la courte période où elle est une associée de la société, Meston ne supporte virtuellement aucun risque relié aux activités de la société. Le capital qu’elle met en jeu se limite aux 95 $ qu’elle a obtenus de Taylor. Le vaste engagement d’indemnisation pris par le groupe Pinnacle et garanti personnellement par M. De Cotiis couvre la plupart des risques auxquels Meston s’expose en tant qu’associée de la société.

[73] Vu ces circonstances, il est, dans les faits, déraisonnable d’attribuer 95 % du bénéfice à Meston.

[74] Il faut donc maintenant déterminer à qui il aurait fallu attribuer 95 % du bénéfice : l’appelante, Taylor, ou une combinaison des deux.

[75] Je conviens avec l’appelante que l’analyse relative à l’application du paragraphe 103(1) doit prendre en compte tous ceux qui étaient des associés au cours de l’exercice en cause de la société. La Cour d’appel fédérale l’affirme clairement au paragraphe 63 de l’arrêt 594710 British Columbia Ltd.[12] :

La Cour de l’impôt a déterminé dans sa décision qu’exiger une redistribution des revenus entre les associés actuels et anciens ne relève pas de l’objet ou de l’esprit du paragraphe 103(1). À mon avis, cette conclusion ne tient pas dûment compte de la portée du libellé utilisé dans cette disposition. Le paragraphe 103(1) s’applique lorsque les associés conviennent de partager les revenus d’une manière particulière. Étant donné que l’attribution du revenu d’une société a lieu à la fin d’un exercice en fonction de son revenu pour cette période, le paragraphe 103(1) doit éventuellement s’appliquer à toutes les personnes qui sont associées au cours de l’exercice de la société. En conséquence, selon les circonstances, il peut être déraisonnable, pour l’application du paragraphe 103(1), qu’un contrat de société attribue la totalité du revenu pour un exercice à un associé actuel à l’exclusion d’un ancien associé.

[76] Contrairement à Taylor, l’appelante est une véritable société. Durant la période en cause, elle compte entre 21 et 32 employés. De sa création à 2006, elle prend part à 16 projets d’aménagement immobilier (sans compter le projet Taylor).

[77] Il est établi devant notre Cour que l’appelante et ses employés participent activement à l’aménagement du projet Taylor et à la vente des unités condominiales.

[78] Sa première mesure d’importance est le prêt d’environ 2,2 millions de dollars consenti à la société pour financer l’acquisition des terrains. Elle participe ensuite à l’aménagement du projet Taylor et à la vente des unités condominiales.

[79] Les clauses 8.3, 8.4 et 8.6 du contrat de société énoncent certaines des obligations de l’appelante envers la société. M. Fovenyi qualifie les services fournis par l’appelante à la société de services administratifs; il témoigne que l’appelante coordonne les aspects administratifs de certaines fonctions internes du projet. Je ne suis pas d’accord. Les éléments de preuve présentés à la Cour démontrent que les activités de l’appelante en lien avec le projet Taylor débordent largement le cadre des services administratifs, car ses employés participent activement à la gestion de l’aménagement du projet Taylor et à la vente des unités condominiales.

[80] Les clauses 8.3 et 8.4 du contrat de société traitent des services fournis par l’appelante pendant l’aménagement et la construction du projet Taylor, puis pendant la vente des unités condominiales. Les employés de l’appelante fournissent les services indiqués aux clauses 8.3 et 8.4 du contrat de société[13]. Aux termes de la clause 8.6, l’appelante est tenue de fournir les espaces de bureau et le personnel nécessaires à la réalisation des objectifs de la société.

[81] La clause 8.3 du contrat de société, intitulée [traduction] « Services d’aménagement fournis par Realty [l’appelante] », énonce les tâches échues à l’appelante au stade d’aménagement du projet Taylor, soit notamment :

[traduction]

  • -coordonner les contrats liés à l’aménagement du projet;

  • -coordonner les services de tous les consultants et autres fournisseurs de biens et de services pour le projet;

  • -régler, selon les instructions de Taylor, toutes les primes d’assurance, dettes et obligations en lien avec le projet;

  • -coordonner la préparation de toute l’information nécessaire pour obtenir des avances sur le financement de la construction obtenu pour le projet.

[82] À la lumière des éléments de preuve présentés à la Cour, il semble que [traduction] « coordonner les services de tous les consultants et autres fournisseurs de biens et de services pour le projet » englobe la gestion du projet Taylor par un employé de l’appelante. M. De Cotiis a témoigné qu’un employé de l’appelante, M. Carlos Meloa, était le gestionnaire du projet Taylor.

[83] La plupart, voire la totalité, des travaux de construction du projet Taylor sont effectués par des sous-traitants, qui sont engagés par la société selon les directives de Mondiale. Comme l’appelante était responsable de la coordination des services de tous les consultants et autres fournisseurs de biens et de services pour le projet, je tiens pour acquis qu’il lui incombait de diriger et de superviser tous les sous-traitants. Ma conclusion concorde avec le fait que le projet était géré par l’un des employés de l’appelante. En outre, les éléments de preuve présentés à la Cour amènent à conclure que l’appelante était la seule participante au projet Taylor qui disposait des ressources financières et humaines nécessaires pour assurer la direction et la gestion du projet, des consultants et des sous-traitants.

[84] La clause 8.4 du contrat de société énonce les tâches que l’appelante doit accomplir en lien avec la commercialisation de la vente des unités condominales, notamment :

[traduction]

  • -Superviser la commercialisation et la vente des unités condominiales conformément au programme de commercialisation établi;

  • -Coordonner la conclusion de la vente de chaque unité condominiale, ce qui comprend la supervision et la direction des avocats de la société;

  • -Assurer la liaison avec l’association condominiale établie pour le projet Taylor;

  • -S’il y a lieu, coordonner la correction de tout défaut et l’achèvement de tous les travaux relevant de la garantie.

[85] M. De Cotiis témoigne qu’il dirige les activités de commercialisation en étroite collaboration avec Anson Realty, un tiers engagé par la société. Le fait qu’il incombe à l’appelante, aux termes du contrat de société, de superviser la commercialisation et la vente des unités m’amène à conclure que M. De Cotiis dirige les activités de commercialisation pour le compte de l’appelante, ou en qualité d’employé de l’appelante.

[86] De toute évidence, M. De Cotiis est un employé de l’appelante. Entre 2002 et 2006, l’appelante lui verse 17,8 millions de dollars en salaire, dont 16,7 millions entre 2004 et 2006.

[87] Il ressort des éléments de preuve que d’autres employés de l’appelante supervisent également la commercialisation et la vente des unités, notamment la conclusion de la vente de chaque unité.

[88] L’appelante tient les livres et registres de la société, comme l’exige la clause 9.1 du contrat de société.

[89] En outre, le projet Taylor expose l’appelante à un risque important. Elle a prêté 2,2 millions de dollars pour l’acquisition des terrains et est l’un des auteurs de l’engagement pris à l’endroit du prêt à la construction consenti par la BMO. En qualité d’associée de la société, elle peut être tenue responsable des activités de la société. Les parties n’ont pas fourni à la Cour de détails sur l’actif de l’appelante, mais ils sont manifestement substantiels, puisqu’elle a les moyens de prêter 2,2 millions de dollars et de verser un salaire de plusieurs millions de dollars à M. De Cotiis.

[90] L’autre associée de la société, Taylor, était une coquille vide, soit une société de portefeuille constituée pour atténuer les risques que pose l’aménagement pour la société mère (PIRG). Pendant l’aménagement du projet Taylor et la vente des unités condominiales, Taylor n’a ni éléments d’actif physiques, ni employés, ni comptes bancaires. Son unique actif est sa participation dans la société.

[91] Taylor ne fait aucun apport en capital subséquent à la société. Tous les fonds de la société proviennent de prêts consentis par d’autres sociétés du groupe Pinnacle ou par la BMO. Le prêt à la construction accordé par la BMO est garanti par M. De Cotiis à titre personnel, par PIRG, et par une autre société du groupe Pinnacle, Pacific Star Properties Inc.

[92] Le contrat de société confère à Taylor de vastes pouvoirs pour mener à bien l’aménagement du projet Taylor et la vente des unités condominiales, notamment en ce qui concerne :

- la conclusion de l’achat des terrains;

- les budgets;

- la construction et l’aménagement du projet Taylor;

- le programme de commercialisation du projet;

- le financement (y compris le refinancement) du projet et le paiement des architectes, ingénieurs et autres consultants fournissant des services à la société.

[93] Cependant, Taylor n’a aucun employé ni élément d’actif physique lui permettant de mener à bien l’aménagement du projet Taylor. Elle dépend entièrement de M. De Cotiis pour ce faire. M. De Cotiis témoigne que la construction et l’aménagement du projet Taylor sont le fait de Taylor, et que toutes les tâches qu’il a accomplies l’étaient pour le compte de Taylor (essentiellement en qualité d’âme dirigeante). Le témoignage de M. Fovenyi va dans le même sens.

[94] Je ne suis pas convaincu que M. De Cotiis a accompli toutes ces tâches. Il avait peut-être le dernier mot sur les décisions stratégiques en matière de construction et d’aménagement du projet Taylor, mais je conclus, à la lumière des éléments de preuve qui m’ont été présentés, que des membres du groupe Pinnacle autres que Taylor, des employés de l’appelante, et des consultants et sous-traitants ont exécuté la majeure partie du travail.

[95] Comme je l’explique ci-dessus, je conclus que des employés de l’appelante ont dirigé et supervisé les consultants et sous-traitants tiers.

[96] M. De Cotiis assume plusieurs fonctions; il affirme que le groupe Pinnacle, c’est lui, et qu’il en dirige toutes les entités. De toute évidence, la supervision des activités de ces diverses entités occupe la quasi-totalité de son temps. L’organigramme du groupe Pinnacle (Pièce R-6) compte plus de 50 sociétés.

[97] Lorsqu’on lui demande pourquoi Taylor n’a pas d’employés, M. De Cotiis donne la réponse suivante :

[traduction]

Il n’y a pas vraiment besoin d’employés […]. Je m’occupe de toute la planification. Ici encore, je collabore très étroitement avec mes architectes, paysagistes, ingénieurs […]. Je fais tout ça. Je modifie les plans, […] vous savez, selon les idées et les programmes des architectes et du personnel du marketing. Je connais tous les sous-traitants et les entrepreneurs. […] J’ai recours à mon personnel administratif uniquement pour payer les factures et, vous savez, pour les activités courantes[14].

[98] Je ne doute pas que M. De Cotiis ait participé activement au projet Taylor, mais je rejette l’affirmation selon laquelle il a accompli toutes les tâches nécessaires à son exécution. Il lui fallait des employés pour réaliser ces tâches; c’est l’appelante qui les a fournis.

[99] Comme je le mentionne plus haut, je conclus, à la lumière des éléments de preuve qui m’ont été présentés, que le projet Taylor a été réalisé en majeure partie par des consultants et sous-traitants. Des employés de l’appelante les supervisaient, ce qui signifie que l’appelante a supervisé la construction du projet Taylor et la vente des unités condominiales. Une telle supervision ne constitue pas une tâche administrative.

[100] À titre d’exemple, M. De Cotiis admet en contre-interrogatoire qu’un employé de l’appelante était gestionnaire du projet Taylor. Un gestionnaire de projet n’est pas un membre du personnel administratif qui s’occupe exclusivement de [traduction] « payer les factures » et des « activités courantes ».

[101] Les éléments de preuve qui m’ont été présentés étayent la conclusion selon laquelle, dans l’exécution de ses tâches, M. De Cotiis était, au moins une partie du temps, un employé de l’appelante, soit la société de son groupe qui supervisait la construction et la vente des unités condominiales par des entrepreneurs tiers. Le versement par l’appelante d’un salaire de plusieurs millions de dollars à M. De Cotiis pendant les périodes en cause corrobore ma conclusion. Taylor n’a versé aucun salaire à M. De Cotiis au cours de cette même période.

[102] En résumé, l’appelante, par l’intermédiaire de ses employés, dont M. De Cotiis, est l’entité dont le groupe Pinnacle se sert pour mener à bien ses projets d’aménagement, dont le projet Taylor. Pour réaliser ce projet, la société a eu recours aux employés, aux comptes bancaires, aux locaux et à l’expérience de l’appelante, laquelle a participé à 16 projets. Elle n’a pas eu recours à Taylor.

[103] Taylor était une coquille vide, sans présence physique, employés, ni comptes bancaires. Elle a été insérée dans la société dans le seul but de protéger PIRG (la société mère), l’appelante, et les autres sociétés du groupe Pinnacle.

[104] Malgré ce but, Taylor ne s’exposait à virtuellement aucun risque pendant l’aménagement du projet Taylor pour la simple raison qu’elle ne possédait aucun élément d’actif susceptible d’être à risque si ce n’est son apport de 95 $ à la société.

[105] Le principal risque du projet Taylor pour le groupe Pinnacle résidait dans les garanties des prêts de la BMO consenties par M. De Cotiis, PIRG, l’appelante et Pacific Star Properties Inc.

[106] Un autre facteur pertinent, bien que non déterminant, est que Taylor n’était pas membre du groupe Pinnacle au 31 octobre 2006, date de clôture de l’exercice de la société. À cette date, elle était une filiale de Meston. Comme il est indiqué plus haut, Meston n’a pas participé au projet Taylor.

[107] Dès lors que le paragraphe 103(1) s’applique, la Loi crée une fiction légale. Les profits de la société ne sont pas répartis de la manière prévue dans le contrat de société, mais plutôt selon ce qui est raisonnable compte tenu des circonstances.

[108] Après avoir examiné l’ensemble des faits en l’espèce, je conclus, en application du paragraphe 103(1), que la répartition raisonnable des profits de la société est celle faite par le ministre, à savoir l’attribution à l’appelante de 95 % du revenu de la société, moins les honoraires. En somme, la grande majorité des profits est attribuée à la seule associée qui a participé activement au projet Taylor.

[109] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté avec dépens.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 30e jour de novembre 2023.

« S. D’arcy »

Le juge D’Arcy

Traduction certifiée conforme

ce jour 13e jour de juin 2025

Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste

ANNEXE A


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 161

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-231(IT)G

INTITULÉ :

PINNACLE INTERNATIONAL REALTY GROUP II INC. C. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DE L’AUDIENCE :

Du 7 au 9 novembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Steven K. D’Arcy

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 novembre 2023

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

Me S. Natasha Kisilevsky

Me Chris Canning

Avocats de l’intimé :

Me Whitney Dunn

Me Alexander Wind

Me Erin Krawchuk

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

Me S. Natasha Kisilevsky

Me Chris Canning

Cabinet :

Thorsteinssons LLP, Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Procureure générale adjointe du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Pièce R-1.

[2] Voir pièce A/R-1, onglet 5. L’onglet 4 contient une proposition de répartition des types d’unités.

[3] Pièce/R-1, onglet 7.

[4] Voir exposé conjoint, par. 48, et Pièce A/R-1, onglet 13.

[5] Voir pièce A/R-1, onglet 36

[6] Voir pièce A/R-1, onglet 63

[7] Voir pièce A/R-1, onglet 58.

[8] Voir Pièce R-3.

[9] Voir les transcriptions de l’instance du 7 novembre 2022, page 106, et du 8 novembre 2022, page 167, ainsi que la Pièce A/R-1, onglet 70.

[10] Canada c. 594710 British Columbia Ltd., 2018 CAF 166, par. 60.

[11] Sun Life du Canada, compagnie d’assurance vie c. La Reine, 2015 CCI 37, par. 37 à 39.

[12] Précité, note de bas de page 10.

[13] Transcription de l’audience, 7 novembre 2022, page 60.

[14] Transcription de l’audience, 8 novembre 2022, page 130.

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