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Dossier : 2022-931(CPP)

ENTRE :

SiGMA-TEX INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu examiné sur preuve commune avec l’appel de

SiGMA-Tex Inc. – 2022-932 (EI) le 29 mai 2023, à Toronto (Ontario), avec observations écrites reçues des parties

le 30 juin 2023 et le 26 juillet 2023

Devant : l’honorable juge David E. Spiro


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Stanko Kacar

Avocate de l’intimé :

Me D’ette Bourchier

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la décision de l’intimé rendue en vertu du paragraphe 27.2 (3) du Régime de pensions du Canada le 15 mars 2022 est rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2023.

« David E. Spiro »

Le juge Spiro

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2024.

Liette Girard


Dossier : 2022-932(EI)

ENTRE :

SiGMA-TEX INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

SiGMA-Tex Inc. – 2022-932 (EI) le 29 mai 2023, à Toronto (Ontario), avec observations écrites reçues des parties

le 30 juin 2023 et le 26 juillet 2023

Devant : l’honorable juge David E. Spiro

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Stanko Kacar

Avocate de l’intimé :

Me D’ette Bourchier

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la décision de l’intimé rendue en vertu du paragraphe 27.2(3) du Régime de pensions du Canada le 15 mars 2022 est rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2023.

« David E. Spiro »

Le juge Spiro

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2024.

Liette Girard


Référence : 2023 CCI 175

Date : 20231221

Dossiers : 2022-931(CPP)

2022-932(EI)

ENTRE :

SiGMA-TEX INC.,

appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Spiro

Aperçu

[1] L’appelante, SiGMA-Tex Inc., a interjeté appel des décisions rendues par le ministre du Revenu national (le « ministre ») le 15 mars 2022. Ces décisions ont effectivement confirmé les décisions du ministre selon lesquelles l’appelante devait retenir et de verser des cotisations en vertu du Régime de pensions du Canada (« RPC ») et des cotisations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (« Loi sur l’AE ») en 2018. Les montants en litige dans les présents appels sont de 10 235 $ en cotisations au RPC et de 4 735 $ en cotisations d’AE évaluées pour l’appelante pour 2018.

[2] Les présents appels soulèvent deux questions. La première question en litige consiste à déterminer si l’appelante a agi à titre d’« agence de placement » lorsqu’elle a placé Jerome Arrieta, Edi Friscic, Hanan Metry, Gurpreet Singh Sohal et Valeri Yanev (les « ingénieurs ») à RCM Technologies Canada Corp (« RCM ») en 2018. RCM est une importante société américaine d’ingénierie spécialisée dans l’ingénierie de centrales électriques.

[3] La deuxième question en litige consiste à déterminer si les ingénieurs étaient des employés de RCM en 2018. Les décisions de l’intimé étaient fondées sur l’hypothèse que l’appelante était une « agence de placement » et que les ingénieurs étaient des employés RCM.

[4] Les appels ont été entendus sur preuve commune. L’unique actionnaire de l’appelante, M. Stanko Kacar, a témoigné au procès de même qu’un des ingénieurs, M. Arietta. J’ai considéré que le témoignage de M. Arietta serait identique à celui des quatre autres ingénieurs.

Première question en litige

Faits – L’appelante était-elle une « agence de placement »?

[5] L’appelante a été constituée en société en 2002 par M. Kacar, ingénieur électrique spécialisé en automatisation de centrales électriques et en protection de relais.

[6] À un certain moment en 2018, l’appelante a commencé à fournir des services à RCM et à gagner un revenu selon l’entente de commission de 4 % dont il sera question plus loin. La première question consiste à se demander si ces services étaient ceux d’une « agence de placement ».

[7] Un gestionnaire de RCM a communiqué avec M. Kacar pour lui demander s’il connaissait quelqu’un qui pourrait aider RCM à prendre de l’expansion au Canada. RCM cherchait des entrepreneurs indépendants dont elle pouvait évaluer le rendement avant de décider si elle devait en faire des employés permanents. L’appelante a accepté d’aider RCM dans cette démarche.

[8] L’entente entre l’appelante et RCM était une entente verbale indiquant ce qui suit :

RCM verserait à l’appelante 4 % de la rémunération de chaque ingénieur en contrepartie :

  • l’appelante suggérerait et d’interviewerait des candidats potentiels;

  • l’appelante rédigerait une entente entre les ingénieurs et RCM;

  • l’appelante facturerait et faciliterait le paiement de RCM à chaque ingénieur.

[9] Les deux dernières activités étaient accessoires à la première.

[10] L’appelante a trouvé les ingénieurs à différents endroits, y compris lors d’événements sociaux et sur un site Web sur lequel des offres d’emploi d’ingénieur étaient publiées. M. Kacar interviewait les candidats par téléphone ou par vidéo pour déterminer s’ils étaient qualifiés pour faire le travail pour RCM.

[11] À l’expiration du contrat d’un ingénieur, l’engagement de l’appelante auprès de RCM à l’égard de cet ingénieur était terminé et l’appelante ne facturait plus ses services à RCM. Après que les ingénieurs eurent terminé leur travail, trois d’entre eux ont quitté RCM et deux d’entre eux (Valerie Yanev et Edi Friscic) ont été officiellement engagés comme employés de RCM.

[12] L’appelante a trouvé du travail pour un autre ingénieur dans une entreprise autre que RCM. Le client de l’appelante dans ce cas était BM Engineering. BM Engineering a versé à l’appelante une commission d’intermédiaire de 2 500 $. L’ingénieur a commencé à travailler dans le cadre d’un contrat de trois mois et a été officiellement embauché comme employé de BM Engineering en 2017 ou en 2018.

Droit et analyse – L’appelante était-elle une « agence de placement »?

[13] Le Règlement sur le Régime de pensions du Canada (le « Règlement sur le RPC ») comprend une définition de l’expression « agence de placement », mais ni la Loi sur l’AE ni le Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement sur l’AE ») n’incluent une telle définition. Dans Wholistic Child and Family Services Inc. c. MRN, 2016 CCI 34, la Cour a statué que le sens d’« agence de placement » aux fins du Règlement sur le RPC s’applique également au Règlement sur l’AE.

[14] Le paragraphe 34(2) du Règlement sur le RPC définit « agence de placement » comme une organisation qui place des personnes dans une situation de travail moyennant « des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération » :

34(1) Lorsqu’une personne est placée par une agence de placement pour la fourniture de services ou dans un emploi auprès d’un client de l’agence, et que les modalités régissant la fourniture des services et le paiement de la rémunération constituent un contrat de louage de services ou y correspondent, la fourniture des services est incluse dans l’emploi ouvrant droit à pension, et l’agence ou le client, quel que soit celui qui verse la rémunération, est réputé être l’employeur de la personne en ce qui a trait à la tenue de dossiers, la production des déclarations, le paiement, la déduction et le versement des cotisations payables, selon la Loi et le présent règlement, par la personne et en son nom..

34(2) Une agence de placement comprend toute personne ou organisme s’occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

[15] La question à trancher est celle de savoir si l’appelante devait fournir des services en plus de fournir du personnel. Dans la décision Supreme Tractor Services c. MRN, 2001 CanLII 748 (CCI), notre Cour a déclaré :

[13] Je considère qu’il s’agit surtout de savoir non pas qui est le bénéficiaire ultime du travail ou des services fournis, ce qui couvrirait toutes les situations de sous-traitance possibles, mais plutôt qui a l’obligation de fournir le service. Si la prétendue agence de placement a l’obligation d’assurer un service en plus de la fourniture de personnel, c’est une entité qui fournit ce service plutôt que de placer des gens et qui n’est pas visée par les Règlements.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Dans l’affaire Supreme Tractor Services, il a été décidé que la société appelante n’était pas une agence de placement puisqu’elle devait fournir les services prévus au contrat lorsque le travailleur n’était pas disponible. La Cour a conclu que la société appelante :

[38] […] ne s’occupait pas de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération. Son entreprise consistait à fournir des services dans le domaine de la construction et de l’entretien de routes. Elle sollicitait des contrats pour avoir du travail. Elle avait la responsabilité de se conformer aux modalités de ces contrats et de fournir le service prévu au contrat. Pour l’exécution de ce travail, elle faisait souvent appel à des employés réguliers et, parfois, à des entrepreneurs indépendants. Elle s’engageait par contrat à exécuter le travail et non pas simplement à fournir du personnel au DM moyennant des honoraires ou récompenses. Si le travailleur en question n’était pas disponible, elle demeurait juridiquement responsable de continuer à fournir le service. Il me semble que telle est la différence essentielle. Je ne vois aucune différence entre le cas de l’appelante et le cas d’un sous-traitant qui place des employés ou d’autres sous-traitants sur un chantier de construction pour l’exécution du travail. Cela ne fait pas de ce sous-traitant une agence de placement. Le sous-traitant s’engage à fournir les services au propriétaire ou à l’entrepreneur général de manière que les travaux de construction en cause soient exécutés conformément aux dispositions du contrat.

[17] En l’espèce, l’appelante exerçait des activités de placement d’ingénieurs auprès de RCM contre rémunération. L’appelante a conclu des ententes avec les cinq ingénieurs en vertu desquelles l’appelante les a placés chez RCM pour une période déterminée en contrepartie du paiement de 4 % du montant de chaque contrat.

[18] Les faits ne sont pas les mêmes que dans l’affaire Supreme Tractor Services. En l’espèce, l’appelante n’était pas tenue de fournir les services d’ingénierie à RCM en plus de fournir les ingénieurs à RCM. M. Kacar a déclaré que les honoraires de 4 % que l’appelante a reçus de RCM visaient à suggérer des candidats potentiels, à faire les entrevues, à rédiger les ententes ainsi qu’à facturer et à faciliter le paiement aux ingénieurs. M. Kacar a déclaré que si l’on avait exigé davantage de l’appelante, il aurait négocié plus de 4 %.

[19] Le seul ingénieur qui a témoigné, M. Arrieta, a déclaré que lorsqu’il prenait une journée de congé, il en parlait à son gestionnaire à RCM, mais ne le disait pas à M. Kacar. Pourquoi pas? Parce que l’appelante n’était pas responsable de fournir quelqu’un d’autre pour faire le travail.

[20] Pour tous ces motifs, je conclus que l’appelante a agi à titre d’« agence de placement » aux fins du Règlement sur le RPC et du Règlement sur l’AE en 2018.

Deuxième question en litige

Faits – Les ingénieurs étaient-ils des employés de RCM?

[21] L’entente rédigée par M. Kacar entre l’appelante et chaque ingénieur comprenait l’énoncé intéressé suivant :

[traduction]

[…] chaque travailleur engagé en vertu de la présente convention d’entrepreneur est un entrepreneur indépendant de SiGMA-TEX Inc. et chaque sous-traitant n’est pas réputé être un employé de SiGMA-TEX Inc. ou de RCM Technologies[1].

[22] Les ingénieurs devaient suivre les politiques et procédures de l’appelante et de RCM. Un gestionnaire de RCM supervisait les ingénieurs et approuvait et vérifiait leurs heures inscrites sur leurs feuilles de temps. Les ingénieurs devaient rendre compte à leur chef de projet chez RCM, qui supervisait leur travail.

[23] La rémunération des ingénieurs était fondée sur une « semaine normale de travail », c’est-à-dire 40 heures par semaine, du lundi au vendredi, 8 heures par jour. Ils étaient rémunérés à taux horaire fixe pour le nombre d’heures qu’ils effectuaient chaque semaine.

[24] RCM remboursait aux ingénieurs les frais de déplacement ou de repas engagés lorsqu’ils travaillaient à l’extérieur des bureaux de RCM lorsque cette dernière leur demanderait de le faire. RCM versait ces sommes à l’appelante qui les versait, à son tour, aux ingénieurs.

[25] L’entente entre l’appelante et les ingénieurs comportait une clause de confidentialité. Cette disposition empêchait effectivement les ingénieurs d’envoyer quelqu’un d’autre pour les remplacer s’ils étaient incapables de travailler.

[26] M. Arrieta est le seul ingénieur à avoir témoigné. Son entente avec l’appelante s’est échelonnée du 13 novembre 2017 au 16 février 2018. M. Arrieta venait d’obtenir son diplôme universitaire en 2017 lorsqu’il a appris l’existence d’un poste contractuel à RCM par un membre de l’équipe de direction de RCM. En novembre 2017, M. Arrieta est convoqué dans les bureaux de RCM pour une entrevue formelle en personne. Un poste lui a alors été proposé.

[27] Avant de commencer à travailler, M. Arrieta a lu et signé l’entente avec l’appelante[2]. Il n’avait pas entendu parler de l’appelante et n’avait eu aucun contact avec M. Kacar avant de recevoir l’entente à réviser. Après avoir signé, il a transmis l’entente au service des ressources humaines de RCM.

[28] M. Arrieta trouvait étrange que l’entente soit intervenue entre lui et l’appelante puisqu’il croyait qu’il était engagé comme employé de RCM pour un contrat à court terme.

[29] La rémunération horaire de M. Arrieta était de 25 $ lorsqu’il a commencé à travailler pour RCM. Il n’a pas négocié ce taux. Au début de l’année 2018, RCM a légèrement augmenté son taux de salaire. M. Arrieta n’a pas demandé l’augmentation et ne savait pas qui l’avait décidée.

[30] Pour recevoir sa paie, M. Arrieta remplissait une facture pour l’appelante et inscrivait les mêmes renseignements sur le site Web de RCM. Son gestionnaire à RCM lui rappelait de remplir la facture et de soumettre tous les renseignements requis.

[31] Les responsabilités de M. Arrieta comprenaient la rédaction et la préparation de dessins avec l’équipe de conception de RCM à l’aide de MicroStation et d’AutoCAD. À l’occasion, M. Arrieta devait effectuer du travail administratif, notamment l’envoi de courriels, et la gestion de projets, notamment l’utilisation de Microsoft Outlook, de Word et d’Excel.

[32] Les licences de MicroStation, d’AutoCAD et de Microsoft Office sont obligatoires. Elles ont été fournies à M. Arrieta par RCM. M. Arrieta pouvait utiliser les logiciels uniquement aux bureaux de RCM. M. Arrieta effectuait son travail sur un ordinateur appartenant à RCM. S’il avait un problème avec l’ordinateur, c’est RCM qui s’occupait de sa réparation.

[33] M. Arrieta recevait des instructions de son gestionnaire chez RCM et il relevait de ce dernier. De temps à autre, il demandait de l’aide à ses collègues de RCM ou à son gestionnaire.

[34] M. Arrieta a toujours travaillé à l’un des deux bureaux de RCM à moins que cette dernière ne l’envoie hors site. Ses heures de travail étaient de 9 h à 18 h chaque jour avec une pause repas d’une heure. Si M. Arrieta prenait une journée de congé, il n’enregistrait aucune heure pour cette journée sur le registre des factures de l’appelante et sur le site Web de RCM. M. Arrieta devait informer à l’avance son gestionnaire à RCM de ses journées de congé.

[35] Lorsque M. Arrieta a préparé sa déclaration de revenus 2018, il a communiqué avec RCM pour obtenir son T4. RCM lui a dit qu’il n’y avait pas de T4 pour lui. M. Arrieta a alors communiqué avec l’appelante. Il a appris qu’il n’avait pas droit à un feuillet T4 puisqu’il était un entrepreneur indépendant.

Droit et analyse – Les ingénieurs étaient-ils des employés de RCM?

[36] Ce critère est libellé légèrement différemment dans le Règlement sur le RPC et la Loi sur l’AE. Pour l’application du paragraphe 34(1) du Règlement sur le RPC, je dois déterminer si « les modalités régissant la fourniture des services […] constituent un contrat de louage de services ou y correspondent », alors que pour l’application de la Loi sur l’AE, je dois déterminer si les ingénieurs ont été affectés à l’emploi pour fournir des services « sous la direction et le contrôle [du] client ». Comme l’a fait le juge Hogan dans European Staffing Inc. c. MRN, 2019 CCI 59, j’examine d’abord si les ingénieurs ont été placés dans un emploi ouvrant droit à pension en vertu de la disposition déterminative du Règlement sur le RPC. Je me pencherai ensuite sur la question de savoir s’ils ont été placés dans un emploi assurable au sens de la Loi sur l’AE.

Critère du RPC : Les modalités correspondaient-elles à celles d’un contrat de louage de services?

Première étape : Intention subjective

[37] Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’affaire 1392644 Ontario Inc. c. MRN, 2013 CAF 85 [Connor Homes] :

[39] […] l’intention subjective de chacune des parties à la relation. On peut le faire soit d’après le contrat écrit qu’elles ont passé, soit d’après le comportement effectif de chacune d’elles, par exemple en examinant les factures des services rendus, et les points de savoir si la personne physique intéressée s’est enregistrée aux fins de la TPS et produit des déclarations d’impôt en tant que travailleur autonome.

[38] M. Kacar voulait clairement que les ingénieurs travaillent avec RCM à titre d’entrepreneurs indépendants. Il s’était toujours considéré comme un entrepreneur indépendant et croyait que ses confrères ingénieurs devaient être traités de la même façon. C’est ce qui ressort des ententes qu’il a rédigées entre l’appelante et les ingénieurs. Par exemple, les ententes désignent les ingénieurs comme des [traduction] « sous-traitants » ou des [traduction] « entrepreneurs indépendants » et précisent qu’ils ne sont [traduction] « pas réputés être des employés de l’appelante ou de RCM ». M. Arrietta, cependant, était d’avis qu’il était un employé contractuel de courte durée et, à ce titre, s’attendait à recevoir un T‑4.

[39] Il n’y avait manifestement aucune intention subjective commune entre l’appelante et les ingénieurs. Nous devons donc nous en remettre uniquement aux facteurs objectifs.

Deuxième étape : Facteurs objectifs

Niveau de contrôle

[40] À la lumière des faits suivants, le facteur de contrôle suggère fortement un lien d’emploi entre les ingénieurs et RCM :

  • les ingénieurs étaient supervisés par un gestionnaire de RCM;

  • les feuilles de temps des ingénieurs n’étaient approuvées qu’après révision par un gestionnaire de RCM;

  • les ingénieurs étaient tenus de suivre les instructions de RCM en matière de qualité et de travail;

  • les ingénieurs devaient faire leur travail dans le cadre du programme d’assurance qualité de l’appelante et de RCM et devaient réussir une orientation en assurance qualité administrée par cette dernière;

  • M. Arrieta posait des questions à ses collègues ou à son gestionnaire de RCM en lien avec son emploi;

  • Si M. Arrieta prenait une journée de congé, il devait le faire savoir à l’avance à son gestionnaire de RCM;

  • RCM exigeait une clause de confidentialité dans l’entente entre l’appelante et chaque ingénieur prévoyant que ni l’ingénieur ni l’appelante ne pouvaient fournir un remplaçant lorsque l’ingénieur était absent;

  • M. Arrieta devait travailler de 9 h à 18 h du lundi au vendredi avec une pause repas d’une heure – il travaillait 8 heures par jour, 40 heures par semaine sans aucune flexibilité;

  • RCM déterminait les tâches, les priorités et les délais pour chacun des ingénieurs;

  • le lieu de travail des ingénieurs était le bureau de RCM à Mississauga, en Ontario, ou à Pickering, en Ontario, ou tout autre lieu précisé par le gestionnaire des ingénieurs à RCM

  • les ingénieurs recevaient des instructions de RCM sur la manière de réaliser leur travail et un gestionnaire de RCM procédait à un examen de la qualité du travail réalisé par chaque ingénieur.

Outils

[41] Les ingénieurs se fiaient à RCM pour leur fournir les outils nécessaires à l’accomplissement de leur travail. Les outils sur lesquels les ingénieurs se sont appuyés comprenaient un ordinateur et des logiciels tels qu’AutoCAD, MicroStation et Microsoft Office, auxquels ils n’avaient accès que dans les bureaux de RCM. RCM était propriétaire des licences des logiciels et était responsable de l’entretien et de la réparation du matériel sur lequel ils étaient exploités.

[42] Ce facteur suggère fortement un lien d’emploi.

Possibilité d’embaucher d’autres personnes

[43] Les ingénieurs ne pouvaient pas engager d’autres personnes pour les aider à terminer leur travail ou pour les remplacer lorsqu’ils s’absentaient.

[44] Ce facteur suggère fortement un lien d’emploi.

Degré de risque financier (possibilité de profit ou risque de perte)

[45] Dans Wolf c. R, 2002 CAF 96, la Cour d’appel fédérale a souligné ce qui suit :

[86] […] Selon la conception traditionnelle, un entrepreneur indépendant assumait le risque de perte qui découle de l’exécution du travail tandis que, dans le cas d’un employé, c’était à l’employeur de supporter ce fardeau. L’employé n’assumait pas de risque financier puisqu’il recevait le même salaire peu importe les résultats financiers de l’employeur.

[46] En l’espèce, les ingénieurs n’avaient aucune possibilité de profit. En vertu de leurs ententes, toutes les heures travaillées étaient rémunérées au même taux. Aucune preuve n’a été faite qu’ils avaient une possibilité réelle de négocier leur taux horaire.

[47] Les ingénieurs n’assumaient aucun risque financier. RCM réparait le matériel qu’ils utilisaient pour faire leur travail. Les frais de déplacement, de repas et autres frais reliés au travail sur des chantiers éloignés leur étaient remboursés. Ils n’avaient pas de dépenses personnelles liées au travail.

[48] Bien que RCM ne fournissait pas son propre régime d’assurance maladie ou de retraite, les travailleurs ne couraient que peu de risques de coûts ou de dépenses non prévus importants liés à leur travail.

[49] L’ensemble de la preuve à ce sujet laisse croire à un lien d’emploi.

Degré de responsabilité en matière de placement et de gestion

[50] Les ingénieurs n’ont investi aucun de leurs propres capitaux dans les affaires de RCM et n’ont pas non plus contribué à la prise de décisions de gestion de cette dernière.

[51] Ce facteur suggère également un lien d’emploi.

Critère de l’AE : Direction et contrôle

[52] La dernière question à trancher consiste à déterminer si les ingénieurs occupaient un emploi assurable au sens de la Loi sur l’AE. Le critère consiste à déterminer si les ingénieurs ont été placés par l’appelante auprès de RCM pour exécuter des services sous la direction et le contrôle de sa cliente, RCM. Pour les motifs exposés précédemment sous la rubrique « Niveau de contrôle », je conclus que les ingénieurs ont été placés dans un emploi par l’appelante sous la direction et le contrôle de sa cliente, RCM.

Conclusion

[53] Les facteurs objectifs, pris dans leur ensemble, m’amènent à conclure que les ingénieurs étaient des employés de RCM en 2018.

[54] Comme j’ai déjà conclu que l’appelante était une « agence de placement » en 2018, l’appelante est donc tenue de verser les cotisations au RPC et les cotisations d’AE en litige, comme l’a décidé le ministre. L’appel sera rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2023.

« David E. Spiro »

Le juge Spiro

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de janvier 2024.

Liette Girard


RÉFÉRENCE :

2023 TCC 175

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2022-931 (RPC) et 2022-932 (AE)

INTITULÉ :

SIGMA-TEX INC. ET LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 mai 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Spiro

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 décembre 2023

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Stanko Kacar

Avocate de l’intimé :

Me D’ette Bourchier

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

S.O.

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Procureure générale adjointe du Canada Ottawa, Canada

 

 



[1] Pièce A-1.

[2] Pièce A-1.

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