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Dossier : 2022‑848(GST)I

ENTRE :

UN1QUE PRODUCTIONS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 6 novembre 2023, à Toronto (Ontario).

Devant : l’honorable juge Robert J. Hogan.


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Sean Christie

Avocats de l’intimé :

Me Christopher VanBerkum

Me Craig Maw

 

JUGEMENT

Selon les motifs du jugement ci‑joints, l’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise pour la période de déclaration allant du 1er janvier 2015 au 30 septembre 2015, du 1er juillet 2016 au 30 septembre 2016, du 1er juillet 2017 au 30 septembre 2017 et du 1er janvier 2019 au 30 septembre 2019 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 2024.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

 


Référence : 2024 CCI 7

Date : 20240116

Dossier : 2022‑848(GST)I

ENTRE :

UN1QUE PRODUCTIONS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

[1] Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »)[1] refusant les crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») d’un montant de 6 690 $ demandés par l’appelante, Un1que Productions Inc. (« UPI »), pour les périodes de déclaration allant du 1er janvier 2015 au 30 septembre 2015, du 1er juillet 2016 au 30 septembre 2016, du 1er juillet 2017 au 30 septembre 2017 et du 1er janvier 2019 au 30 septembre 2019 (les « périodes pertinentes »).

[2] Le ministre a refusé les CTI aux motifs, entre autres, que, pendant les périodes pertinentes, (i) l’appelante n’exerçait aucune activité commerciale; (ii) les demandes concernaient des dépenses personnelles de M. Christie, l’actionnaire unique et dirigeant d’UPI; et (iii) l’appelante n’avait pas obtenu et conservé les documents à l’appui des demandes de CTI, contrairement à ce que le paragraphe 169(4) de la Loi et le règlement applicable prévoient.

[3] UPI défend la thèse contraire.

[4] M. Christie a agi à titre de représentant d’UPI aux fins de son appel et a également comparu en tant que son seul témoin.

[5] À titre de renseignement général, M. Christie a expliqué la façon dont UPI a été créée vers 2013. À l’origine, l’objectif de M. Christie était de gagner sa vie dans l’industrie de la musique. Sa première expérience a été décevante. Selon le témoignage de M. Christie, il a rencontré des particuliers peu recommandables qui ont tenté de profiter de son manque d’expérience. M. Christie allègue qu’il avait décidé de constituer UPI en personne morale afin de se protéger de toute responsabilité personnelle et d’explorer des moyens de gagner un revenu d’un secteur d’activités plus vaste.

[6] M. Christie a expliqué que, pendant toute la période pertinente, sa seule source de revenus était limitée à l’argent et aux avantages sociaux qu’il touche dans le cadre du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (« POSPH »). Depuis sa création jusqu’à ce jour, UPI n’a gagné aucun revenu. Malgré tous les efforts déployés par M. Christie, UPI n’a pas été en mesure de lever des capitaux ni d’obtenir un financement de tiers pour financer ses activités. M. Christie cherche à financer les activités d’UPI au moyen des demandes de remboursement au titre de CTI qui ont été présentées, mais qui ont été refusées.

[7] M. Christie a affirmé qu’il considère UPI comme son alter ego parce que tout ce qu’il fait, de façon générale, profitera à UPI à long terme. De plus, il a été franc pendant son interrogatoire direct, reconnaissant que bon nombre des dépenses engagées pour des marchandises pouvaient effectivement servir à satisfaire ses besoins personnels[2]. Par exemple, en contre‑interrogatoire, à la question de savoir pourquoi il a présenté une demande de CTI à l’égard des coûts des vêtements, de la nourriture et des collations, M. Christie a expliqué qu’on ne peut pas exercer activement des activités commerciales sans les vêtements appropriés[3].

[8] Au début de l’audience, j’ai fait remarquer à M. Christie qu’en vertu de l’alinéa 169(1)b) de la Loi, les CTI ne peuvent être demandés que dans la mesure où un inscrit a acquis les biens ou les services aux fins de consommation, d’utilisation ou de fourniture dans le cadre d’une activité commerciale.

[9] L’expression « activité commerciale » est ainsi définie au paragraphe 123(1) de la Loi :

[…]

activité commerciale Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

b) les projets à risque et les affaires de caractère commercial (à l’exception de quelque projet ou affaire qu’entreprend, sans attente raisonnable de profit, un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où le projet ou l’affaire comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

c) la réalisation d’une fourniture, sauf une fourniture exonérée, d’un immeuble de la personne, y compris les actes qu’elle accomplit dans le cadre ou à l’occasion de la fourniture.

[Non souligné dans l’original.]

[10] La définition suivante d’une « entreprise » figure au paragraphe 123(1) de la Loi :

entrepriseSont compris parmi les entreprises les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

[Non souligné dans l’original.]

[11] L’utilisation de l’expression « sont compris » signifie que la définition d’une entreprise n’est pas exhaustive. La détermination de ce que constitue l’exploitation d’une entreprise dans le cadre d’une activité commerciale est une détermination intrinsèquement factuelle. C’est pourquoi la Loi ne prévoit pas une définition exhaustive de ce que constitue une entreprise. Pour une raison semblable, la Loi ne prévoit aucune définition de ce que constitue un projet à risque ou une affaire de caractère commercial. Le législateur s’en est remis aux tribunaux pour établir les facteurs pertinents qui permettent de déterminer s’il existe ou non une entreprise, un projet à risque ou une affaire de caractère commercial.

[12] Le législateur a adopté la même approche en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») aux fins de déterminer si une entreprise est exploitée comme source de revenus. La définition d’une entreprise utilise l’expression « sont compris », ce qui laisse entendre que la définition n’est pas exhaustive[4]. Le paragraphe 9(1) de la LIR prévoit que le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise est le bénéfice qu’il en tire pour cette année. De même, l’alinéa 18(1)a) de la LIR prévoit qu’une dépense ne peut être déduite, dans la mesure où elle a été engagée ou effectuée en vue de tirer un revenu. Étant donné que le concept d’une « entreprise » n’est pas exhaustif, les tribunaux ont établi un certain nombre de facteurs à prendre en considération pour déterminer si des actions ou des activités comportant un élément personnel constituent l’exploitation d’une entreprise pour l’application du paragraphe 9(1) et de l’alinéa 18(1)a) de la LIR. Ces facteurs sont appliqués dans la plupart des cas lorsque des activités sont exercées directement par un particulier. En règle générale, les sociétés sont considérées comme exerçant des activités commerciales. Cela dit, les actionnaires propriétaires traitent souvent les sociétés comme leur alter ego. Ils ont de la difficulté à distinguer les dépenses et activités personnelles des dépenses et activités commerciales.

[13] Dans l’arrêt Stewart c. Canada[5], la Cour suprême du Canada (« CSC ») a examiné et écarté le concept d’une « attente raisonnable de profit[6] » en tant que facteur à prendre en considération pour déterminer si une entreprise existe et si les dépenses ou les pertes peuvent être déduites des sources de revenu net. Ce concept a été élaboré dans l’arrêt Moldowan c. La Reine[7], une décision antérieure de la CSC. Dans l’arrêt Stewart, la CSC a confirmé que les autres facteurs énoncés dans l’arrêt Moldowan devraient être pris en considération pour déterminer si des actions et des activités comportant un élément personnel constituent l’exploitation d’une entreprise en tant que source de revenus pour l’application de la LIR.

[14] Les facteurs pertinents pour distinguer les éléments de nature personnelle des activités qui sont exercées dans le cadre d’une entreprise comprennent : (1) l’état des profits et pertes pour les années antérieures; (2) la formation du contribuable; (3) la voie sur laquelle il entend s’engager; et (4) la capacité de l’entreprise de réaliser un profit[8]. Dans l’arrêt Stewart, la CSC a fait remarquer que ces facteurs ne sont pas exhaustifs et que les facteurs diffèrent selon la nature et l’importance des activités.

[15] Je prends en considération les facteurs susmentionnés en l’espèce, car ils sont utiles pour déterminer si les actions visées par la demande de M. Christie étaient des activités personnelles de lui‑même plutôt que des activités commerciales de l’appelante.

[16] Je choisis de me concentrer sur les actions et les activités de M. Christie, car il est la seule personne qui aurait agi au nom d’UPI. Il ne fait aucun doute que l’intérêt de M. Christie relève du domaine de la musique, du cinéma ainsi que de la production et de la présentation audiovisuelles, voire au‑delà de ces activités. Les personnes peuvent exercer ces activités parce qu’elles les apprécient. Ces mêmes activités peuvent également être entreprises dans le contexte d’une entreprise exploitée personnellement ou par l’intermédiaire d’une société.

[17] Je reconnais qu’une entreprise peut exister bien avant la date à laquelle des recettes ne soient tirées. Toutes les entreprises ont une phase de démarrage, qui peut être courte ou longue, selon la nature de l’entreprise. De façon générale, les personnes qui participent à la phase de démarrage d’une entreprise ont un plan d’affaires bien réfléchi, ont déterminé les produits ou les services particuliers qui seront commercialisés et vendus et ont déterminé un public cible pour leurs services et produits. De même, elles entreprendront des activités pour financer leurs activités.

[18] En refusant les demandes de CTI de l’appelante au motif qu’UPI n’a pas exercé d’activité commerciale au cours des périodes pertinentes, le ministre s’est appuyé, entre autres, sur les hypothèses de fait suivantes : (i) l’appelante n’a pas de secteur d’activités cible, de clients ou d’attente de recevoir des recettes; (ii) l’appelante n’a pris aucune mesure pour commercialiser un produit aux fins de vente; et (iii) l’appelante n’a déclaré aucun revenu ni aucune dépense dans ses déclarations de revenus T2[9].

[19] Les éléments de preuve présentés par l’appelante sont loin d’établir que l’une des mesures susmentionnées a été prise par M. Christie au nom de l’appelante avant et pendant la période pertinente. À mon avis, les actions et les activités de M. Christie semblent relever du domaine personnel. Ses actions, au mieux, reviennent à explorer la façon dont les activités d’intérêt personnel pour lui peuvent un jour être exercées par UPI en tant qu’entreprise.

[20] Je suis également d’avis que les dépenses présentées par l’appelante à l’appui de ses CTI constituent des dépenses personnelles de M. Christie[10]. Le ministre a supposé qu’il en était ainsi lorsqu’il a refusé les demandes de CTI de l’appelante[11]. L’appelante n’a pas établi que l’hypothèse de fait du ministre à cet égard est erronée. Un inscrit ne peut pas demander des CTI à l’égard d’une dépense personnelle de son dirigeant et actionnaire unique[12].

[21] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 2024.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

 


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 7

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2022‑848(GST)I

INTITULÉ :

Un1que Productions Inc. c. Sa Majesté le Roi

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 novembre 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 janvier 2024

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Sean Christie

Avocats de l’intimé :

Me Christopher VanBerkum

Me Craig Maw

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Blank / En Blanc

 

Cabinet :

Blank / En Blanc

Pour l’intimé :

Shalene Curtis‑Micallef
Sous‑procureure générale du Canada
Ottawa, Canada

 



[1] Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15, dans sa version modifiée.

[2] Transcription de l’audience (le 6 novembre 2023), p. 12 à 28.

[3] Transcription de l’audience (le 6 novembre 2023), p. 57 à 63.

[4] Paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée.

[5] [2002] 2 R.C.S. 645, 2002 CSC 46 [Stewart].

[6] Ce concept n’est pertinent en vertu de la Loi que pour les particuliers.

[7] [1978] 1 R.C.S. 480 [Moldowan].

[8] Précité à la note 4, par. 55.

[9] Réponse à l’avis d’appel, au paragraphe 3.

[10] Transcription de l’audience (le 6 novembre 2023), p. 29 aux lignes 26 à 28, et p. 34 aux lignes 14 à 21. L’appelante et l’intimé ont tous les deux produit les six mêmes factures présentées par l’appelante pour justifier ses demandes de CTI. Les factures provenaient de Postes Canada pour des colis non indiqués; de Washland pour des services de nettoyage à sec; de Walmart pour le détergent à lessive et d’autres articles; de Scarborough Passport Center pour un ensemble de photos Visa pour les États‑Unis; de Cuccina Moda pour des articles non indiqués; d’Urban Planet pour des chaussures, du denim et des t‑shirts graphiques; et de Jewellery City qui semble être pour des bijoux de 395 $ payés en argent comptant. Tous ces achats semblent concerner des biens de nature personnelle.

[11] Réponse à l’avis d’appel, au paragraphe 3.

[12] En vertu des articles 169, 141 et 141.01, des CTI ne peuvent pas être demandés par une société à l’égard des dépenses personnelles de son actionnaire ou propriétaire.

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