ENTRE :
et
Requête écrite de la requérante déposée le 5 juillet 2023
en vertu de l’article 172 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure générale)
Par: L’honorable juge Jean Marc Gagnon
Parties :
Me Christophe Tassé-Breault
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JUGEMENT
APRÈS AVOIR PRIS CONNAISSANCE de l’avis de requête déposé par la requérante en date du 5 juillet 2023, les observations écrites de l’intimé déposées en date du 30 novembre 2023 et la réplique de la requérante déposée en date du 4 décembre 2023 et 4 janvier 2024 :
LA COUR rejette, conformément aux motifs ci-joints, la requête de la requérante, avec dépens de 1 000 $ payables par la requérante à l’intimé dans les 30 jours suivants la date du présent jugement.
Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de janvier 2024.
« J.M. Gagnon »
ENTRE :
FIDUCIE MARIO LAQUERRE,
requérante,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] La requérante a déposé un avis d’appel le 18 avril 2011 visant ses années d’imposition 2001, 2002 et 2004 (Années visées). L’appel des Années visées a été ultimement rejeté par le juge du fond le 16 octobre 2018 (Jugement) sur présentation, à l’ouverture de l’audition de l’appel le 15 octobre 2018, d’une requête préliminaire de l’intimé pour cause de retard en vertu de l’article 64 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure générale), DORS/90-688, telles que modifiées (Règles).
[2] L’article 64 des Règles se lit comme suit :
64 L’intimée qui n’est pas en défaut en vertu des présentes règles ou d’un jugement de la Cour peut demander, par voie de requête, le rejet de l’appel pour cause de retard si l’appelant n’a pas poursuivi l’appel avec promptitude.
[3] Ainsi, les motifs au soutien du rejet de l’appel des Années visées sont en lien avec les circonstances et les délais avec lesquels la requérante a mené son appel devant la Cour. Les motifs de la requérante au soutien de son appel déposé en avril 2011 ne sont pas au cœur du Jugement rendu dont la requérante cherche l’annulation.
[4] Le procès-verbal de l’audition tenue le 15 octobre 2018 fait état du débat qu’a entrainé la requête de l’intimé pour rejet d’appel pour cause de retard. Et suite à ce débat, le Jugement fut rendu en accordant la requête de l’intimé et rejetant l’appel de la requérante visant les Années visées. Le Jugement n’a pas fait l’objet d’un appel par aucune des parties au Jugement.
[5] L’historique du présent dossier de la Cour indique que pendant une durée de plus de sept ans, 4 avocats se sont succédé pour représenter les intérêts de la requérante, les échéanciers amendés, la liste de documents de la requérante déposée le 3 mars 2016, des audiences de justification tenues, un juge gestionnaire désigné, une date d’audition déterminée le 14 novembre 2017 pour audition les 15, 16 et 17 octobre 2018. Et ultimement, le premier jour de l’audition de l’appel une requête pour cessation d’occuper de l’avocat de la requérante est traitée et aucun procureur pour représenter les appelantes (dont la requérante), seul un représentant agissant pour le compte des fiducies au dossier (dont la requérante) présent pour l’unique fin de déposer un document qui demande l’ajournement de tous les dossiers des appelantes (incluant la requérante) devant la Cour.
[6] La requérante a déposé le 5 juillet 2023 une requête en vertu de l’article 172 des Règles (Requête) afin d’annuler le Jugement rejetant l’appel des Années visées, et réfère plus particulièrement à l’alinéa 172(2)a) des Règles. La requérante demande que la Requête soit tranchée sur la base des observations écrites et sans comparution des parties conformément à l’article 69 des Règles.
[7] La Requête indique notamment que :
La requête vise à obtenir la réouverture du dossier 2011-1193(IT)G à la suite de la réception du dossier : Accès à l’Information. Je suis en mesure de démontrer que l’ARC n’a pas analysé la totalité des informations Les procureurs de la Cour Canadienne d’Impôt (sic) ont été induits en erreur à la suite de documents non-divulgué par des représentants(es)de l’ARC et de la Division des enquêtes.
Les documents présentés démontrent clairement un impact négatif majeur sur les jugements rendus. Les procureurs qui le représentaient ont été, par ce fait, induits en erreur.
Selon la règle 172(2)a, le requérant demande l’annulation pour les modifications d’un jugement en raison d’une fraude ou de faits survenus ou découverts après qu’il a été rendu.
[8] L’article 172 des Règles prévoit :
172 (1) Le jugement qui :
a) comporte une erreur découlant d’un lapsus ou d’une omission;
b) doit être modifié relativement à une question sur laquelle la Cour n’a pas statué, peut être modifié par la Cour, sur demande ou de son propre chef.
(2) Une partie peut demander, par voie de requête dans l’instance, selon le cas :
a) l’annulation ou la modification d’un jugement en raison d’une fraude ou de faits survenus ou découverts après qu’il a été rendu;
b) un sursis d’exécution d’un jugement;
c) une mesure de redressement différente de celle qui a déjà été accordée.
[9] La requérante précise que les moyens au soutien de la Requête sont les suivants :
Par suite de la réception de l’Accès à l’information, le requérant est en mesure de démontrer que l’ARC et la Division des enquêtes avaient la preuve depuis 2006 que Fiducie Mario Laquerre n’avait pas omis de déclarer un montant de 261 734,69$ pour l’année d’imposition 2001.
Fiducie Mario Laquerre avait contracté un prêt à Fiducie ML et ce dit prêt, a été remboursé dans un délai de moins de 12 mois à Fiducie ML. Le requérant a reçu un tableau des enquêtes démontrant un encaissement des chèques totalisant 167 000$ du compte de Fiducie ML Banque de Montréal. Cet encaissement provenait de Fiducie Mario Laquerre au compte 3391 pour la période du 1er novembre au 24 décembre 2001.
Le requérant a reçu le dossier jaune de Jeannot Roy démontrant un remboursement additionnel de 250K de Fiducie Mario Laquerre à Fiducie ML de janvier 2002 à novembre 2002.
[10] Il y a lieu de préciser que la Cour ne peut être saisie que de la Requête visant l’annulation du Jugement rendu. Et dans ce contexte, le rôle de la Cour n’est pas de statuer sur le fond ou le bien-fondé de l’appel des Années visées.
[11] La Cour constate également que les moyens invoqués par la requérante sont uniquement en lien avec l’objet ou le bien-fondé de l’appel des Années visées. Aucun des moyens invoqués ne vise le fait que le Jugement suite à une requête en vertu de l’article 64 des Règles ait été rendu en raison d’une fraude ou de faits survenus ou découverts après la date du Jugement, tel que le requiert l’alinéa 172(2)a) des Règles.
[12] L’article 64 des Règles décide uniquement d’une requête pour rejet de l’appel en lien avec le défaut de promptitude dont a pu faire preuve l’appelant à poursuivre son appel. La situation ainsi examinée est postérieure au dépôt de l’appel par l’appelant devant la Cour. Dans le cas qui nous occupe, cette période est postérieure au 18 avril 2011 et ne vise que les agissements de la requérante à faire preuve de promptitude dans la poursuite de son appel devant la Cour.
[13] Le Jugement représente la décision de la Cour quant à l’appréciation de la promptitude dont a fait preuve la requérante à poursuivre son appel. Il ne s’agit pas d’une décision rendue sur le bien-fondé ou le fond de l’appel de la requérante. Un désaccord de la requérante à cet égard aurait justifié un appel devant la Cour d’appel fédérale en conformité avec l’article 27 de la Loi sur les Cours fédérales. Ce qui n’a pas été fait.
[14] Alternativement, une requête peut être présentée en conformité avec l’article 172 des Règles, notamment l’alinéa 172(2)a) comme l’a fait la requérante. Cependant, la Cour d’appel fédérale dans Doussot c. Canada, 2022 CAF 199 souligne que pour réussir sous l’alinéa 172(2)a) :
un requérant doit prouver que l’annulation ou la modification du jugement en cause est justifiée en raison d’une fraude ou de faits survenus ou découverts après que ledit jugement ait été rendu. Cela requiert une preuve, d’où la nécessité d’une requête en bonne et due forme adressée à la CCI.
[15] Les trois moyens soulevés par la requérante visent le fond de l’appel à savoir selon la requérante que l’appel serait bien fondé. Tel que repris au paragraphe 8 plus haut, les moyens invoquent le fait qu’il n’y a pas eu d’omission de déclarer un montant pour l’année d’imposition 2001, qu’un prêt a été contracté et a été remboursé dans un délai de moins de 12 mois, et qu’un remboursement additionnel a été effectué de janvier 2002 à novembre 2002. Aucun de ces moyens n’a été établi comme ayant un lien avec la requête présentée en vertu de l’article 64 des Règles.
[16] La Cour n’est pas persuadée, selon la balance de probabilités, que les moyens invoqués par la requérante au soutien de la Requête établissent qu’il y a eu fraude de la part de l’intimé ou de l’Agence du revenu du Canada en lien avec le Jugement rendu ou que des faits sont survenus ou ont été découverts après la date du Jugement et qui s’avéraient importants aux fins du Jugement rendu en vertu de l’article 64 des Règles ou encore auraient probablement donné lieu à un jugement différent toujours sous l’article 64 s’ils avaient été présentés initialement.
[17] La requérante ne précise pas la date à laquelle elle a reçu les documents suite à la demande d’accès à l’information. Elle réfère la Cour à un document émanant du Commissariat à l’information du Canada en date du 30 mai 2022.
[18] Les pièces au soutien de la Requête contiennent essentiellement une référence aux (i) documents liés au dossier de la Cour concernant l’appel des Années visées, (ii) documents judiciaires impliquant nommément la requérante, monsieur Mario Laquerre personnellement ou l’une ou des parties liées regroupées avec la requérante aux fins de la tenue de l’audition (collectivement Personnes nommées), (iii) documents et bordereaux bancaires des Personnes nommées en lien avec les Années visées, (iv) document préparé par l’Agence du revenu du Canada en lien avec la vérification et les documents bancaires des Personnes nommées aux Années visées, (v) document judiciaire provenant d’un dossier judiciaire impliquant monsieur Mario Laquerre personnellement et des références à des opérations bancaires en 2001, (vi) communication interne de l’Agence du revenu du Canada en lien avec la section du recouvrement, et (vii) courriel auquel est partie monsieur Mario Laquerre.
[19] La réplique de la requérante aux observations écrites de l’intimé réfère à des documents déjà à la Requête et d’autres documents dont (i) des analyses bancaires en lien avec les Années visées, (ii) pièces sur lesquels la requérante tire des conclusions légales concernant la vérification fiscale de la requérante, et (iii) document judiciaire daté de 2006 impliquant monsieur Mario Laquerre personnellement.
[20] Malheureusement, l’examen de toutes ces pièces n’amène pas d’éléments substantiels ou suffisamment pertinents au soutien de la façon dont la requérante a pu poursuivre avec promptitude ou diligence l’appel des Années visées devant la Cour. Cet examen n’est pas davantage concluant pour la Cour aux fins d’établir qu’il y a eu fraude dans le cadre de l’audition ayant mené au Jugement, ni que des faits sont survenus ou ont été découverts après la date du Jugement et présentent une importance telle qu’ils entachent la validité du Jugement.
[21] En fait, la Cour est d’avis que les moyens de la requérante accompagnés des pièces sont essentiellement des motifs que la requérante aurait pu vouloir débattre au fond. Ce débat n’a pu eu lieu considérant le Jugement et le rôle de la Cour n’est pas d’ouvrir ce débat en tranchant la Requête.
[22] Considérant ce qui précède, la Cour est d’avis que la preuve de la requérante au soutien de la Requête n’a pas établi, selon la balance des probabilités, fraude de la part de l’intimé ou de l’Agence du revenu du Canada en lien avec le Jugement rendu ou que des faits sont survenus ou ont été découverts après la date du Jugement et qui s’avéraient importants aux fins du Jugement rendu en vertu de l’article 64 des Règles, ou auraient pu donner lieu à un jugement différent, toujours sous l’article 64, s’ils avaient été présentés initialement.
[23] La Requête est rejetée, avec dépens de 1 000 $ payables par la requérante à l’intimé dans les 30 jours suivants la date des présentes.
Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de janvier 2024.
« J.M. Gagnon »
Juge Gagnon
RÉFÉRENCE :
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Nº DU DOSSIER DE LA COUR :
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INTITULÉ DE LA CAUSE :
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MOTIFS DE JUGEMENT PAR :
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DATE DU JUGEMENT :
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PARTIES :
Me Jean-François Durand
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Avocat de l'intimé :
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Me Anne Poirier
Me Christophe Tassé-Breault
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Shalene Curtis-Micallef
Sous-procureure générale du Canada
Ottawa, Canada |