ENTRE :
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Appel entendu le 12 décembre 2022, à Calgary (Alberta).
Devant : l’honorable juge Susan Wong.
Comparutions :
JUGEMENT
L’appel interjeté en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu de la cotisation datée du 5 mars 2018 et portant le numéro 4850722 est rejeté avec dépens.
Les parties ont jusqu’au 2 avril 2024 pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi l’intimé devra déposer des observations écrites au plus tard le 15 mai 2024 et l’appelante devra déposer ses observations écrites en réponse au plus tard le 17 juin 2024. Ces observations ne devront pas excéder dix pages. Si les parties n’avisent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et si celle-ci n’a pas reçu d’observations à ces dates, les dépens seront adjugés à l’intimé conformément au tarif B.
Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2024.
Traduction certifiée conforme
ce 24e jour de juillet 2024.
Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste
ENTRE :
MARITES PACHECO,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DU JUGEMENT
I. Introduction et vue d’ensemble
[1] L’appelante a reçu sur son compte bancaire une série de dépôts faits par son mari alors que celui-ci avait une dette fiscale impayée. Le ministre du Revenu national a établi à son égard une cotisation pour le transfert entre personnes ayant un lien de dépendance, au motif que ces sommes auraient dû lui être versées.
II. Question en litige
[2] La question à trancher en l’espèce est de savoir si le ministre a correctement établi la cotisation à l’égard de l’appelante en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour la somme de 82 055,08 $ qu’elle a reçue de son mari entre le 6 janvier 2014 et le 29 avril 2015 (la « période de transfert »
).
[3] Au début de l’audience, l’avocat de l’appelante a indiqué que sa cliente contestait toujours une partie du montant des transferts représentant 47 750 $, mais qu’elle était prête à concéder la différence, soit une somme de 34 305,08 $.
[4] L’appelante affirme que la somme de 47 750 $ constitue un remboursement de prêts d’actionnaires et ne répond donc pas aux critères énoncés à l’article 160.
III. Cadre législatif
[5] Le paragraphe 160(1) prévoit que, lorsqu’une personne transfère directement ou indirectement un bien à son époux ou à son conjoint de fait (ou à toute autre personne avec laquelle elle a un lien de dépendance) pour une contrepartie insuffisante, ces deux personnes sont solidairement responsables du paiement d’un montant égal au moins élevé des montants suivants : (i) la juste valeur marchande du bien, moins la contrepartie; (ii) la dette fiscale que l’auteur du transfert a contractée jusqu’à l’année du transfert, inclusivement. Le transfert peut être effectué au moyen d’une fiducie ou « de toute autre façon »
[1].
[6] Cette disposition a pour but d’interdire à une personne ayant une dette fiscale d’éviter les mesures de recouvrement d’impôts en cédant des biens à une personne ayant un lien de dépendance sans contrepartie suffisante[2]. Elle s’applique même si l’auteur ou le bénéficiaire du transfert ignoraient l’existence de la dette fiscale au moment du transfert[3].
IV. Contexte factuel
[7] Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits. L’appelante n’a pas assisté à l’audience; son mari, Emil Remtulla, a témoigné en leur nom à tous les deux.
[8] L’appelante est l’unique actionnaire de Chrisalex Corporation. M. Remtulla a déclaré qu’elle fournissait des services de comptabilité aux clients de Chrisalex. À titre de rétribution, Chrisalex lui a versé des honoraires de gestion qui, selon M. Remtulla, s’élevaient à environ 43 500 $ pour chacune des années 2013 et 2014.
[9] M. Remtulla est comptable de profession; il a déclaré qu’il s’occupait des opérations bancaires de Chrisalex et de la préparation des états financiers de la société, de même que des déclarations de revenus de la société et de l’appelante. Il a expliqué que Chrisalex rémunérait l’appelante en versant les honoraires de gestion sur son compte de prêt d’actionnaire et que celle-ci puisait dans ce compte pour subvenir à ses besoins. Il a reconnu qu’il n’existait pas d’entente écrite attestant cet arrangement entre Chrisalex et l’appelante.
[10] Entre janvier 2013 et mai 2014 environ, Chrisalex a émis dix chèques à l’ordre de M. Remtulla pour un total de 47 750 $. Des copies de deux chèques annulés émis par Chrisalex et datant de mars et d’avril 2014 montrent que M. Remtulla est le bénéficiaire et que l’appelante est la signataire au nom de la société[4]. Des copies de dix talons de chèques remplis par M. Remtulla ont été produites en preuve de l’émission des dix chèques de Chrisalex[5]. Les talons ne portent ni le nom ni le numéro de compte de Chrisalex, mais les numéros de deux d’entre eux correspondent aux deux chèques annulés. M. Remtulla a expliqué que les autres documents relatifs à ces chèques ont été détruits par une série d’inondations s’étant produites dans la zone de rangement du sous-sol de leur immeuble.
[11] Les talons montrent que les montants des chèques allaient de 300 $ à 13 900 $[6]. M. Remtulla a expliqué que ces chèques étaient en fait des prêts que l’appelante lui avait accordés en utilisant les fonds contenus dans son compte de prêt d’actionnaire; autrement dit, elle a prélevé des fonds sur les honoraires de gestion de Chrisalex conservés dans son compte de prêt d’actionnaire qu’elle a ensuite prêtés à M. Remtulla en émettant des chèques au nom de la société. M. Remtulla a indiqué avoir utilisé les fonds pour payer des dépenses dont l’appelante était responsable, comme des frais de condominium, des paiements hypothécaires et des taxes foncières. Aucun élément de preuve permettant de préciser la nature de ces dépenses n’a été produit.
[12] M. Remtulla a dit avoir ensuite remboursé les prêts dans leur intégralité en déposant des fonds sur le compte de l’appelante à la Banque Royale[7] au cours de la période de transfert. Il a ajouté qu’étant donné qu’il y avait entre six et huit opérations se rapportant aux dépenses chaque mois, il aurait été peu commode de préparer un billet à ordre pour chaque prêt. Il a déclaré que lui et l’appelante étaient mariés depuis 30 ans et qu’ils n’avaient aucun doute quant au respect de leurs obligations respectives, sans qu’il soit nécessaire de conclure des accords écrits.
[13] Les parties ont convenu qu’au cours de la période de transfert, la dette fiscale de M. Remtulla était supérieure à 82 050 $[8].
V. Analyse et discussion
[14] Il faut satisfaire à quatre critères[9] pour que s’applique le paragraphe 160(1) :
a. L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert;
b. Il doit y avoir eu transfert de biens;
c. Le bénéficiaire du transfert doit être une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance ou un autre bénéficiaire désigné;
d. La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.
[15] C’est le quatrième critère qui est en cause en l’espèce.
[16] En me fondant sur les éléments de preuve dont je dispose, je conviens que les dix chèques de Chrisalex totalisant 47 750 $ ont été émis et libellés à l’ordre de M. Remtulla. Je conviens également qu’au cours de la période de transfert, ce dernier a effectué des dépôts se rapportant à ces chèques sur le compte bancaire de l’appelante. Toutefois, le témoignage oral de M. Remtulla et les rares éléments de preuve documentaire ne me permettent pas de conclure que les chèques constituaient des prêts consentis par l’appelante à son intention, ni que les dépôts qu’il a effectués dans le compte bancaire de celle-ci constituaient des remboursements de ces prêts.
[17] L’arrangement qui consistait à verser les honoraires de gestion de l’appelante sur son compte de prêt d’actionnaire est plausible, étant donné qu’elle est l’unique actionnaire de Chrisalex. Cependant, il y a un manque flagrant d’éléments de preuve documentaire pour étayer l’affirmation de l’appelante selon laquelle les dépôts faits sur son compte bancaire étaient des remboursements de prêts de la part de M. Remtulla.
[18] L’affirmation selon laquelle l’appelante a autorisé sa société à prêter de l’argent à son mari pour payer ses propres dépenses plutôt que de les payer elle-même, ou a commandé à sa société de les payer, est suffisamment atypique pour que des éléments de preuve documentaire fiables soient nécessaires.
[19] En l’absence d’éléments de preuve documentaire, il aurait été utile que l’appelante témoigne elle-même au sujet de l’arrangement, plutôt que M. Remtulla uniquement. M. Remtulla semble s’occuper de la plupart des affaires financières de Chrisalex et de l’appelante, mais la plausibilité de l’arrangement aurait été renforcée si l’appelante l’avait expliqué dans ses propres mots. Je tire une conclusion défavorable de son absence, à savoir que son témoignage n’aurait probablement pas été utile à sa cause.
VI. Conclusion
[20] L’appel est rejeté avec dépens.
[21] Les parties ont jusqu’au 2 avril 2024 pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi l’intimé devra déposer des observations écrites au plus tard le 15 mai 2024 et l’appelante devra déposer ses observations écrites en réponse au plus tard le 17 juin 2024. Ces observations ne devront pas excéder dix pages. Si les parties n’avisent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et si celle-ci n’a pas reçu d’observations à ces dates, les dépens seront adjugés à l’intimé conformément au tarif B.
Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2024.
« Susan Wong »
La juge Wong
Traduction certifiée conforme
ce 24e jour de juillet 2024.
Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste
RÉFÉRENCE :
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NO DU DOSSIER DE LA COUR :
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INTITULÉ :
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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DATE DE L’AUDIENCE :
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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DATE DU JUGEMENT :
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Avocat de l’appelante :
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Me Matthew Clark
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Avocat de l’intimé :
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Me Daniel Segal
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nom :
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Cabinet :
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Clark Tax Law
Calgary (Alberta)
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Pour l’intimé :
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Shalene Curtis-Micallef |
[2] Canada c. 594710 British Columbia Ltd, 2018 CAF 166, par. 3; Eyeball Networks Inc c. Canada, 2021 CAF 17, par. 44 et 60
[3] Eyeball Networks Inc c. Canada, 2021 CAF 17, par. 2; Canada c. 9101-2310 Québec Inc., 2013 CAF 241, par. 60
[4] Pièce A-3
[5] Pièce A-2
[6] Pièces A-2 et R-1
[7] Exposé conjoint partiel des faits, par. 4 et 5
[8] Exposé conjoint partiel des faits, par. 7
[9] Eyeball Networks Inc. c. Canada, 2021 CAF 17, par. 44; Canada c. Livingston, 2008 CAF 89, par. 17