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Dossier : 2020-3(OAS)

ENTRE :

ABDALLAH IBRAHIM,

appelant,

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel tranché sur la base des observations écrites

L’honorable Eugene P. Rossiter, juge en chef


Participants :

Pour l’appelant :

l’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Annie Laflamme

 

JUGEMENT

L’appel interjeté en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse est rejeté conformément aux motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Canada), le 28 septembre 2021.

« E.P. Rossiter »

Le juge en chef Rossiter

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de février 2024

Bernard Olivier, traducteur


Référence : 2021 CCI 64

Date : 20210928

Dossier : 2020-3(OAS)

ENTRE :

ABDALLAH A. IBRAHIM,

appelant,

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Rossiter

[1] Voici les faits pertinents dans la présente affaire :

  • a)En 2009, l’appelant a présenté une demande de pension partielle de la sécurité de la vieillesse (la « pension de vieillesse ») et de supplément de revenu garanti (le « SRG »). Sa demande a été accueillie et il a commencé, en août 2019, à toucher ces prestations au taux de 23/40e, qui a été fixé compte tenu de la déclaration de résidence de l’appelant.

 

  • b)L’appelant est né en Égypte en 1944 et il a atteint l’âge de 65 ans en juillet 2009.

 

  • c)L’appelant est arrivé au Canada en tant qu’immigrant reçu en avril 1975.

 

  • d)Après son arrivée au Canada, l’appelant a travaillé de façon intermittente en Arabie saoudite pendant des périodes de plusieurs années et il a résidé en Égypte avant de revenir au Canada en avril 2009, avant de présenter sa demande de pension de vieillesse.

 

  • e)Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le « ministre ») a suspendu la pension de vieillesse et le SRG de l’appelant deux fois. À chaque occasion, l’appelant avait été absent du Canada depuis plus de six mois, car il était rentré en Égypte. La deuxième fois, il n’a informé le ministre de son absence qu’après son retour au pays. À son retour, le ministre lui a demandé de valider le montant de son revenu, car le revenu qu’il avait déclaré à l’Agence du revenu du Canada ne correspondait pas à celui qu’il avait mentionné dans sa demande de renouvellement du SRG.

 

  • f)Le 31 mars 2017, l’appelant a présenté son formulaire de renouvellement du SRG, dans lequel il déclarait qu’il recevait une pension annuelle de 420 $ en Égypte (35 $ par mois). Le ministre a transmis le dossier de l’appelant à la direction des services d’intégrité aux fins de détermination de la durée exacte de l’absence de l’appelant et du revenu de ce dernier. L’enquête a permis de conclure que l’appelant avait été absent du Canada pendant d’autres périodes et d’obtenir de ce dernier la confirmation qu’il possédait un appartement en Égypte et qu’il y recevait une pension depuis 2009.

 

  • g)La période de résidence au Canada de l’appelant a par la suite été écourtée à 18 ans et 59 jours. L’appelant a alors demandé au ministre de réexaminer son dossier, ce qui a mené à la décision de ce dernier de prolonger la période de résidence au Canada de l’appelant, qui passait alors à 20 ans. L’appelant a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale (le « TSS »), qui a conclu que ce dernier avait résidé au Canada pendant 20 ans. Le ministre a calculé à nouveau le revenu de l’appelant en tenant compte des renseignements de l’ARC et du montant de la pension que ce dernier recevait à l’étranger.

 

  • h)Le 1er avril 2019, l’appelant a interjeté un autre appel devant le TSS.

 

  • i)Le 11 décembre 2019, l’appel a été renvoyé à la Cour canadienne de l’impôt en application du paragraphe 28(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, R.S.C. (1985), ch. O-9 (la « LSV »).

 

  • j)Les périodes en cause dans le présent appel, qui s’étendent de mars 2017 à juin 2017, de juillet 2017 à juin 2018 et de juin 2018 à mars 2019, englobent les années de référence 2015, 2016 et 2017.


 

Positions des parties

[2] L’appelant avance qu’il n’a jamais reçu de pension à l’étranger et que les sommes mensuelles qu’il avait reçues du syndicat des ingénieurs égyptiens constituaient une aide financière modeste versée par un organisme sans but lucratif. Il dit également avoir été victime d’injustice, de retards et d’un comportement répréhensible, notamment de la part de Service Canada, qui aurait porté atteinte à sa vie privée dans le traitement de son dossier.

[3] Pour sa part, l’intimé soutient que la seule question en litige est celle de savoir si le montant de la pension que l’appelant reçoit à l’étranger doit être inclus dans le revenu de l’appelant aux fins de détermination du SRG auquel il a droit.

QUESTION EN LITIGE

[4] La question que la Cour doit trancher est celle de savoir s’il faut tenir compte de la pension que l’appelant reçoit du syndicat des ingénieurs égyptiens dans le calcul de son revenu aux fins de détermination du SRG auquel il a droit.

LE DROIT

(1) La compétence de la Cour canadienne de l’impôt sous le régime de la Loi sur la sécurité de la vieillesse

[5] La Cour canadienne de l’impôt tire sa compétence du paragraphe 28(2) de la LSV.

[6] Il est possible d’interjeter appel des décisions concernant les prestations devant le TSS et de demander le contrôle judiciaire des décisions du TSS concernant les prestations en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch F-7.

[7] Dans la décision Taylor c. Canada, 2005 CCI 496, le juge Bowie a fait remarquer, aux paragraphes 4 et 5, que la compétence de la Cour, telle que le Parlement l’a définie, touche seulement le calcul du revenu. Les autres questions, tels les décisions que prend le ministre suite au réexamen de prestations auxquelles un individu a droit et les efforts de recouvrement de sommes versées à tort à un individu, ne relèvent pas de la compétence de la Cour.

[8] La question qui nous occupe en l’espèce est celle de savoir si la décision du ministre au sujet du revenu de l’appelant ou du revenu de ce dernier tiré d’une ou de plusieurs sources particulières n’était pas fondée.

(2) Inclusion du revenu dans le calcul du SRG

[9] Pour les fins du calcul de la pension de vieillesse d’un individu, le revenu que ce dernier a touché dans une année civile se calcule conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »), compte tenu de certaines exceptions relativement à certains montants obtenus d’un travail de bureau, d’un emploi ou d’un emploi autonome et de certains autres montants précisés.

[10] Les prestations sous le régime de la LSV sont versées du 1er juillet de chaque année au 30 juin de l’année suivante. Le montant des prestations se calcule en fonction de l’année de référence, qui est l’année civile précédant la période de paiement en cours.

[11] Étant donné que le revenu aux fins de détermination de la pension de vieillesse se calcule conformément à la LIR, l’article 3 de cette loi s’applique et l’impôt que le contribuable doit payer se calcule selon son revenu total, peu importe que la source de ce revenu se situe en tout ou en partie au Canada ou à l’étranger. En outre, l’alinéa 56(1)(a) de la LIR prévoit qu’en calculant le revenu d’un contribuable, il faut tenir compte de toute somme qu’il reçoit au titre d’une prestation de retraite ou de pension. Or, pour les fins de l’article 56 de la LIR, le terme « pension » n’est pas défini dans cet article ou à l’article 248 de cette loi.

[12] Dans l’arrêt Bakht c. Canada, 2002 CAF 252, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Bowman, alors juge en chef adjoint, selon laquelle le montant d’une pension étrangère doit être inclus dans le calcul du revenu aux fins de détermination du SRG. En outre, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’avis du juge en chef adjoint Bowman selon lequel l’appelant ne pouvait pas déduire le montant prévu au paragraphe 118(3) de la LIR, car cette disposition ne prévoit pas de déduction dans le calcul du revenu; elle prévoit plutôt une déduction relativement à l’impôt à payer. Or, ni l’arrêt de la Cour d’appel fédérale ni la décision de la Cour canadienne de l’impôt ne précisent s’il s’agissait d’une pension d’un régime privé ou d’un régime public.

[13] Dans la décision Fang c. La Reine, 2016 CCI 166, la Cour canadienne de l’impôt devait trancher la question de savoir si les versements d’assistance sociale reçus de l’Italie par la conjointe de l’appelant devaient être inclus dans le revenu aux fins de détermination de l’admissibilité au SRG auquel ce dernier avait droit. Comme l’a dit le juge Miller, si les versements d’assistance sociale provenant de l’Italie étaient payés dans le cadre d’un mécanisme de retraite étranger non assujetti à l’impôt dans ce pays – et donc visés par la division 56(1)(a)(i)(C.1) de la LIR –, ils ne seraient pas inclus dans le revenu aux fins de détermination de l’admissibilité au SRG. S’ils constituaient plutôt une prestation d’assistance sociale versée compte tenu des ressources, des besoins ou des revenus, les versements seraient alors inclus dans le revenu aux fins de détermination de l’admissibilité au SRG. Le juge Miller a conclu qu’il s’agissait d’une telle prestation, car l’épouse n’avait pas versé de cotisations de pension de retraite et l’admissibilité au programme était déterminée compte tenu des ressources. Les versements devaient donc être inclus dans le calcul du revenu de son époux.

(3) Règles en matière de pensions de la convention fiscale entre le Canada et l’Égypte

[14] Selon la convention fiscale entre le Canada et l’Égypte, les pensions sont imposables tant au Canada qu’en Égypte. L’Article 18 de la convention prévoit d’ailleurs que les pensions et les rentes provenant d’un État contractant et payées à un résident de l’autre État sont imposables dans les deux États contractants. Il y a certes une définition du terme « rentes » à cet article, mais celle-ci ne limite pas l’application de l’article à un certain type de pension.

ANALYSE

(1) La pension étrangère est incluse dans le revenu de l’appelant

[15] La pension que le syndicat des ingénieurs égyptiens verse à l’appelant doit être incluse dans le revenu de ce dernier aux fins de détermination du SRG auquel il a droit.

[16] La compétence de la Cour canadienne de l’impôt dans la présente affaire se rapporte exclusivement au calcul du revenu de l’appelant pour les fins du SRG. Comme c’était le cas dans l’affaire Taylor dont le juge Bowie était saisi, pour l’essentiel, l’appelant conteste la décision que le ministre a prise relativement à ses prestations et il avance que ce dernier a manqué d’équité à son égard. Or, ces questions ne relèvent pas de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt; elles devraient plutôt être soulevées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du TSS.

[17] L’appelant dit lui-même qu’il reçoit [traduction] « une aide financière mensuelle très modeste du syndicat des ingénieurs égyptiens, qui verse chaque mois une aide financière aux ingénieurs à la retraite ». À titre de membre du syndicat, l’appelant était admissible à recevoir cette aide à partir de 60 ans, à condition d’être à la retraite. Or, il appert que la pension que verse ce syndicat n’est pas visée par l’une ou l’autre des exceptions prévues aux divisions (D) à (G) du sous-alinéa 56(1)(a)(i) de la LIR. Il faut donc inclure les sommes versées à ce titre dans le revenu de l’appelant aux fins de détermination du SRG auquel il a droit.

[18] Dans le cas peu probable que ces sommes ne soient pas considérées comme étant une « pension », il est probable qu’elles soient visées par l’article 3 de la LIR et qu’elles soient donc incluses dans le calcul du revenu aux fins de détermination du SRG. Comme le prévoit l’alinéa 3(a) de la LIR, le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition est le total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année dont la source se situe au Canada ou à l’étranger. Dans la décision Bellingham c. Canada, [1996] 1 CF 613, la Cour d’appel fédérale a cité l’arrêt R c. Cranswick, [1982] 1 CF 813, qui énumère les éléments classiques à prendre en compte, en common law (chacun étant pertinent, mais non déterminant), pour décider si un paiement représente un gain fortuit ou imprévisible ou encore un revenu provenant d’une source :

(a) Le contribuable ne possédait aucun droit d’action à l’égard de ce paiement;

(b) Le contribuable n’a fait aucun effort soutenu pour obtenir ce paiement;

(c) Le contribuable n’a ni recherché ni sollicité ce paiement de quelque façon que ce soit;

(d) Le contribuable ne s’attendait pas à recevoir ce paiement ni expressément ni selon l’usage;

(e) Il n’a nullement été prévu que ce paiement aurait une suite;

(f) Ce paiement ne venait pas d’une source habituelle de revenus pour le contribuable;

(g) Ce paiement ne constituait ni la contrepartie ni la reconnaissance de biens, de services ou de quoi que ce fût, fournis ou à fournir par le contribuable; il n’a pas été gagné par le contribuable par suite de quelques activité ou poursuite de profit, ni de quelque autre manière.

[19] Il ressort clairement des renseignements fournis par l’appelant – bien qu’il s’agisse de très peu de renseignements – qu’en sa qualité de membre du syndicat, il avait droit à une pension dès l’âge de 60 ans, à condition d’être à la retraite. Pour appartenir au syndicat, il a versé ce qui constitue essentiellement des cotisations annuelles. Il a fait un effort délibéré afin de recevoir les sommes en question, car il devait en faire la demande. Cela démontre également qu’il souhaitait recevoir cette source de revenus, grâce à laquelle une somme (modeste, il est vrai) lui était versée chaque mois. Il est probable que cela corresponde à l’élément (g), car l’appelant devait être un ingénieur autorisé et il devait verser ses cotisations au syndicat pour avoir droit à la pension. Si modeste soit-elle, la pension satisfait à tous les critères d’un revenu provenant d’une source et elle doit être incluse dans le revenu de l’appelant aux fins de détermination du SRG auquel il a droit.

[20] L’appel interjeté par l’appelant est rejeté.

Signé à Ottawa (Canada), le 28 septembre 2021.

« E.P. Rossiter »

Juge en chef Rossiter

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de février 2024

Bernard Olivier, traducteur


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 64

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-3(OAS)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ABDALLAH IBRAHIM ET LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l’honorable juge en chef Eugene P. Rossiter

DATE DU JUGEMENT :

le 28 septembre 2021

PARTICIPANTS :

Pour l’appelant :

l’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Annie Laflamme

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

s. o.

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Me François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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