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Dossier : 2019-2367(IT)I

ENTRE :

RAJESH RAMROOP,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Appel entendu le 29 février 2024, à Hamilton (Ontario)

Devant : l’honorable juge John C. Yuan

Comparutions :

Représentant de l’appelant :

Tim Okafor

Avocate de l’intimé :

Christopher Ware

Tiffany Farrugia (stagiaire en droit)

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints;

L’appel d’une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant est rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mars 2024.

« John C. Yuan »

Le juge Yuan

 


Référence : 2024 CCI 39

Date : 20240326

Dossier : 2019-2367(IT)I

ENTRE :

RAJESH RAMROOP,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Yuan

[1] Il s’agit de l’appel d’une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant, tel qu’indiqué dans un avis de nouvelle cotisation daté du 14 mars 2016.

[2] Par la nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a modifié l’obligation de l’appelant en vertu de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « LIR ») pour refuser la demande de crédit d’impôt pour dons de bienfaisance faite par l’appelant en vertu du paragraphe 118.1(3) et concernant des dons effectués en 2006 à The Mega Church International (« Mega Church »). Le ministre avait précédemment accueilli cette demande en procédant à la cotisation de la déclaration de revenus 2006 de l’appelant, telle que produite.

[3] La période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant a expiré en 2010. Par conséquent, le ministre s’est appuyé sur l’alinéa 152(4)a) de la LIR pour procéder à une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation.

[4] À la lumière de ce qui précède, les deux questions soulevées en l’espèce sont :

  • Est-ce que le ministre pouvait invoquer l’alinéa 152(4)a) de la LIR pour procéder à une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation?

  • Si le ministre était autorisé à établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006, est-ce que l’appelant avait droit aux crédits d’impôt demandés pour les dons faits à Mega Church?

I. CONTEXTE

[5] Vers 2006, l’appelant était mécanicien automobile et travaillait pour différents concessionnaires automobiles dans le sud de l’Ontario. Pendant cette période, il a également habité diverses résidences dans le sud de l’Ontario.

[6] Lorsqu’il a produit sa déclaration de revenus pour l’année 2006, il a déclaré un don de bienfaisance d’un montant de 6 000 $ fait à Mega Church, et il a joint à sa déclaration un reçu fiscal délivré par le donataire.

[7] Au cours de chacune des trois années précédant 2006, l’appelant a fait des dons de bienfaisance qui étaient, dans l’ensemble, comparables au don de 6 000 $ qu’il a déclaré avoir fait à Mega Church pour l’année 2006. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, rejetant l’intégralité des déductions demandées antérieurement pour dons de bienfaisance, principalement parce que l’appelant n’a pas été en mesure de fournir la preuve du transfert de fonds aux organismes de bienfaisance en question lors d’une vérification par l’Agence du revenu du Canada de ses déclarations de revenus pour les années visées. (La pratique de l’appelant consistant à déclarer des dons d’environ 6 000 $ dans sa déclaration de revenus pour une année donnée, pour voir ensuite le ministre établir une nouvelle cotisation et rejeter l’intégralité des déductions demandées s’est répétée de 2008 à 2010. Cependant, les détails concernant les dons déclarés pour cette période et les raisons pour lesquelles le ministre a rejeté ces demandes de crédit d’impôt n’ont pas été présentés en preuve par l’une ou l’autre des parties.)

[8] Pour la période allant de 2003 à 2006, l’appelant a déclaré des revenus d’emploi annuels compris entre 30 447 $ et 47 538 $, et un revenu net annuel compris entre 22 936 $ et 47 538 $.

II. FARDEAU DE LA PREUVE

[9] Il est bien établi que le fardeau de la preuve incombe au ministre lorsque ce dernier veut se prévaloir de l’alinéa 152(4)a) de la LIR pour procéder à une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation. Toutefois, lorsque le ministre s’acquitte de ce fardeau et que le véritable fond du différend porte sur le droit à un crédit d’impôt demandé, le fardeau passe au contribuable en ce qui a trait aux montants demandés : voir, par exemple, Calphin, 2015 CCI 158.

[10] Lors de l’audition de l’appel, le représentant de l’appelant a pris la décision tactique de ne présenter aucune preuve au dossier, à l’exception du contre-interrogatoire des témoins cités par l’intimé. Ce faisant, le représentant de l’appelant a pour ainsi dire limité l’action de l’appelant dans le présent appel aux conclusions de la Cour quant à savoir si le ministre avait le droit d’établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant au-delà de la période normale de nouvelle cotisation. Cette situation s’explique par le fait qu’il incomberait à l’appelant de prouver qu’il a droit aux crédits d’impôt si le ministre avait gain de cause sur la première question; toutefois, l’appelant n’a présenté aucune preuve démontrant qu’il répondait aux exigences pour demander un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance au titre du paragraphe 118.1(3) de la LIR pour un don à Mega Church.

III. ÉTABLISSEMENT D’UNE NOUVELLE COTISATION APRÈS LA PÉRIODE NORMALE DE NOUVELLE COTISATION

[11] Les dispositions pertinentes de l’alinéa 152(4)a) de la LIR prévoient :

(4) Cotisation et nouvelle cotisation – Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition […] qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie […]. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi […].

[12] Lorsque le ministre cherche à invoquer une fausse déclaration du contribuable dans une déclaration de revenus qui l’autoriserait à établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition en question, il doit démontrer (i) qu’il y a eu une fausse déclaration dans la déclaration de revenus et (ii) que la fausse déclaration était imputable à une négligence, à une inattention ou à une omission volontaire.

[13] En l’espèce, le ministre a allégué que deux fausses déclarations faites par l’appelant dans sa déclaration de revenus de 2006 justifiaient d’établissement d’une nouvelle cotisation pour cette même année d’imposition. La première fausse déclaration alléguée est la déclaration, à l’annexe 9 du formulaire T1 de 2006 rempli par l’appelant, d’un don de bienfaisance de 6 000 $ à Mega Church dans le but de bénéficier d’un crédit d’impôt. La deuxième fausse déclaration alléguée est l’omission par l’appelant d’inclure le nom et l’adresse de M. Nathaniel Okoroafor à la case 490 du formulaire T1 de sa déclaration de revenus pour l’année 2006, afin d’identifier le professionnel qui a préparé la déclaration.

(1) Déduction pour un don de bienfaisance de 6 000 $ dans le formulaire de déclaration T1

[14] Le principal argument avancé par le ministre pour justifier l’établissement d’une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation est que les éléments de preuve permettent de conclure que l’appelant n’a fait aucun paiement à l’ordre de Mega Church en 2006. Par conséquent, selon cet argument, l’appelant a fait une fausse déclaration par négligence, inattention ou omission volontaire en déclarant dans le formulaire T1 de sa déclaration de 2006 avoir fait un don de 6 000 $, alors qu’il n’a effectué aucun paiement ou fait d’autre contribution à l’entité en question au cours de l’année.

[15] Lors de l’audience, peu de preuves directes ont été présentées concernant les paiements sur lesquels l’appelant s’appuyait pour justifier sa réclamation au titre d’un don de 6 000 $ fait à Mega Church en 2006. Les quelques éléments de preuve en question ont été fournis par l’appelant, lequel a été appelé à témoigner dans le cadre de la procédure engagée par l’intimé.

[16] Selon le témoignage de l’appelant, il se serait rendu à plusieurs reprises, accompagné de son frère, dans les locaux de Mega Church en 2006; chaque fois, il aurait fait un don au pasteur en lui donnant une traite bancaire à l’ordre de Mega Church.

[17] Lorsque j’ai entendu le témoignage de l’appelant, j’ai eu l’impression qu’il n’avait probablement pas cherché à se rafraîchir la mémoire dans les jours précédant l’audience par rapport aux dons faits à Mega Church en 2006 et aux circonstances de l’espèce. J’étais prêt à accepter que son incapacité à relater avec précision certains détails secondaires soit imputable au passage du temps et à la possibilité qu’il n’ait pas pris la peine de se rafraîchir la mémoire. Par exemple, il a déclaré avoir obtenu des reçus fiscaux de Mega Church au moment où était effectué chaque paiement, mais ce témoignage est incompatible avec le fait qu’il a joint à sa déclaration de revenus de 2006 un seul reçu de Mega Church pour un montant total de 6 000 $. J’ai expliqué cette divergence en me basant sur le fait que l’appelant aurait pu confondre, au cours de son témoignage, les reçus fiscaux délivrés par un organisme de bienfaisance et la copie d’une traite bancaire détenue par l’acheteur.

[18] Cependant, je n’ai pas été en mesure de résoudre les incohérences dans le témoignage de l’appelant concernant la fréquence de ses visites dans les locaux de Mega Church, compte tenu de l’impact que les différentes versions auraient eu sur le nombre et la valeur nominale des traites bancaires achetées par l’appelant pour les dons faits à Mega Church en 2006, et sur le nombre de fois où il aurait dû se rendre à sa banque pour acheter ces traites.

[19] L’intimé a d’abord demandé à l’appelant cité à la barre des témoins s’il fréquentait Mega Church chaque semaine; l’appelant a répondu que ses visites n’étaient pas hebdomadaires mais qu’elles devaient probablement avoir lieu deux fois par mois. Cela correspond à environ 24 visites à Mega Church en 2006. Plus tard, l’appelant a déclaré s’être rendu trois fois dans les locaux de Mega Church en 2006 et qu’à chaque fois, il avait fait un don de 2 000 $ à l’église au moyen d’une traite bancaire. Cette version des faits est celle qu’il a donnée quasiment tout au long de son témoignage. Toutefois, lorsque l’intimé a de nouveau parlé de Mega Church, plus tard durant l’interrogatoire, l’appelant a déclaré qu’il s’y rendait avec son frère tous les dimanches, ce qui correspondrait à 52 visites en 2006.

[20] Si l’appelant avait fréquenté Mega Church deux fois par mois, comme il l’a déclaré initialement, il y aurait eu 24 traites bancaires d’une valeur moyenne de 250 $ chacune. Lorsqu’il a déclaré avoir fréquenté Mega Church à trois reprises en 2006, il a également précisé que trois traites bancaires d’un montant de 2 000 $ chacune avaient été émises. De plus, si l’appelant avait fréquenté Mega Church chaque semaine, comme il l’a déclaré par la suite, il y aurait eu 52 traites bancaires d’un montant moyen de 115 $ chacune. Il est important de noter qu’avant chacune de ses visites à Mega Church, l’appelant aurait dû se rendre à sa banque pour acheter une traite bancaire en vue cette visite.

[21] Je ne parviens pas à comprendre comment il est possible que l’appelant témoigne de ses propres activités par rapport à Mega Church en 2006 et que, dans le même témoignage, il apporte des preuves qui suggèrent des versions différentes des mêmes événements. Selon l’une des versions, il se serait rendu à sa banque à 52 reprises pour acheter chaque fois une traite bancaire d’une valeur d’environ 115 $ et, selon une autre version, il s’y serait présenté à trois reprises pour acheter une traite bancaire d’environ 2 000 $. Pour cette raison, j’estime que le témoignage de l’appelant concernant ses visites à Mega Church et les dons qu’il aurait faits à l’ordre de l’église n’est ni crédible ni fiable.

[22] Bien que je rejette le témoignage de l’appelant concernant sa participation et ses dons à Mega Church en 2006 pour les raisons susmentionnées, je ne suis pas convaincu que le rejet du témoignage de l’appelant concernant la remise de traites bancaires à Mega Church soit suffisant pour me permettre de conclure que le ministre a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant n’a pas effectué de paiements totalisant 6 000 $ à Mega Church en 2006.

[23] Je reconnais qu’il y a certains défis supplémentaires à relever en matière de preuve lorsqu’on tente de prouver l’inexistence d’un fait – en l’occurrence que les paiements qui auraient été effectués ne l’ont pas été – mais je pense que l’intimé avait la possibilité, en l’espèce, de présenter des preuves prima facie démontrant que l’appelant n’aurait pas pu faire un don à Mega Church totalisant 6 000 $ en 2006, en se basant sur une analyse de ses sources de financement connues et de ses dépenses probables pour l’année 2006, ce qui est similaire à l’approche employée par le ministre dans le cas d’une cotisation de valeur nette. Peut-être que l’intimé ne disposait pas des données financières nécessaires pour préparer une telle analyse, mais quelle qu’en soit la raison, l’intimé n’a présenté à la Cour aucune preuve appuyant la version du ministre sur la situation financière de l’appelant en 2006 et sur l’improbabilité que ce dernier ait pu faire des dons à Mega Church totalisant 6 000 $ cette année-là.

[24] L’intimé a produit en preuve des données financières tirées des déclarations de revenus de l’appelant pour les années 2001 à 2011 et a invité la Cour à tenir compte des constantes en matière de dons de bienfaisance pouvant être observées dans ces déclarations pour étayer sa conclusion voulant que l’appelant n’ait pas remis des traites bancaires totalisant 6 000 $ à Mega Church en 2006. Plus précisément, l’intimé a attiré l’attention de la Cour sur le fait que le montant de 6 000 $ déclaré par l’appelant comme un don à Mega Church pour l’année 2006 représentait 12,62 % du revenu net de l’appelant pour cette même année d’imposition et que, par exemple, les dons de bienfaisance déclarés pour les années 2003 à 2005 (qui ont également été rejetés par le ministre) représentaient entre 17,77 % et 26,16 % du revenu net de l’appelant pour ces années-là. L’intimé a passé beaucoup de temps à examiner ces données lorsqu’il les a présentées en preuve et lors de sa plaidoirie. De toute évidence, il ne s’agit pas en soi d’une preuve appuyant directement la thèse selon laquelle l’appelant n’était pas en mesure d’acheter des traites bancaires totalisant un montant de 6 000 $ pour en faire don à Mega Church en 2006, étant donné que le montant des dons de bienfaisance déclarés en 2006 et des dons importants déclarés pour les autres années était toujours considérablement inférieur au revenu net de l’appelant pour l’année en question. À mon avis, les mesures statistiques du ratio entre les dons de bienfaisance effectués au cours d’une année par rapport au revenu net de cette même année sont des outils de vérification utiles pour permettre au ministre d’identifier les contribuables qui sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle plus rigoureux de leurs dons de bienfaisance. Toutefois, si ce que l’intimé cherchait finalement à prouver était que l’appelant n’avait pas avoir les ressources financières nécessaires pour effectuer les paiements aux organismes de bienfaisance, il lui fallait alors présenter plus de preuves quant à l’utilisation des revenus de l’appelant en 2006 et exclure la possibilité que celui-ci ait eu d’autres sources de financement non imposables lui permettant d’effectuer les dons.

[25] L’intimé m’a également invité à tenir compte du fait que l’appelant n’a pas produit de copies des traites bancaires ou des relevés bancaires pertinents lors de l’audience, et à tirer une conclusion défavorable du fait que ces documents n’ont pas été produits en preuve. L’intimé a surtout insisté sur le fait que l’appelant n’avait pas produit de copies des traites bancaires achetées en 2006 et établies à l’ordre de Mega Church. Il a aussi souligné le fait que l’ARC avait envoyé à l’appelant, en 2006, une correspondance exigeant la preuve du paiement des dons dans le cadre de sa vérification des dons de bienfaisance déclarés pour 2003, 2004 et 2005 et que, par conséquent, l’appelant aurait dû savoir qu’il devait obtenir ou conserver des copies de toutes les traites bancaires achetées en 2006 dans le but de faire des dons à Mega Church. Je présume que le souhait de l’intimé était que je tire les conclusions défavorables suivantes : (i) les copies des traites bancaires établies à l’ordre de Mega Church n’ont pas été produites en raison du fait qu’elles n’ont pas été achetées; et (ii) les relevés bancaires pertinents de 2006 ne contiennent aucune entrée correspondant à l’achat de traites bancaires payables à Mega Church. J’ai décidé qu’il n’était pas justifié de tirer ces conclusions défavorables dans les circonstances. Tout d’abord, la jurisprudence établit qu’une conclusion défavorable ne doit être tirée que si la partie à laquelle incombe le fardeau de la preuve présente une preuve prima facie (voir : Sopinka, Lederman & Bryant, The Law of Evidence in Canada, 6e éd., Toronto, ON : Lexis Nexis Canada, Inc., 2022, par. 6.511). En l’espèce, il incombait au ministre de prouver que l’appelant n’avait pas pu faire des dons à Mega Church pour un montant total de 6 000 $ en 2006; pourtant, je ne pense pas que l’intimé a présenté une preuve prima facie appuyant cette thèse. En second lieu, il serait inapproprié de tirer une conclusion défavorable dans des circonstances où la partie au détriment de laquelle cette conclusion serait tirée peut expliquer de façon crédible pourquoi la preuve n’a pas été fournie. En l’espèce, l’explication de l’appelant est que les documents n’existent pas parce qu’il ne les a pas conservés et parce que les banques ne conservent pas les données et documents aussi longtemps. Je serais plus enclin à rejeter la raison donnée par l’appelant pour n’avoir pas conservé ou obtenu les documents bancaires si l’intimé était en mesure de démontrer qu’il y a eu correspondance avec l’appelant concernant la preuve du paiement du don de bienfaisance déclaré en 2006, qui a dû avoir lieu bien avant la fin de la période pendant laquelle les banques étaient censées conserver des traces des transactions de leurs clients effectuées en 2006. Cependant, telle n’était pas la nature de la preuve présentée par l’intimé pour appuyer son argument voulant que l’appelant [traduction]« a[it] été mis au courant ». Je ne considère donc pas que la correspondance de l’ARC relative à la vérification des déclarations de 2003, 2004 et 2005 justifie de tirer une conclusion défavorable du fait que l’appelant n’a pas produit de copies des traites bancaires pour attester du paiement de dons à Mega Church en 2006.

[26] Enfin, l’intimé m’a demandé de conclure que l’appelant n’a probablement pas versé 6 000 $ à Mega Church en 2006 parce que cette dernière, de même que tous les autres organismes de bienfaisance auxquels il a fait des dons entre 2003 et 2006, a vu son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance révoqué par le ministre au cours des années postérieures à 2006. Je ne vois pas comment la révocation du statut d’organisme de bienfaisance par le ministre, effectuée après l’année pour laquelle le don en question a été déclaré, peut être considérée comme remettant en question le fait que l’appelant a effectué des paiements à l’ordre de Mega Church ou de l’un des autres organismes de bienfaisance auxquels il a dit avoir fait des dons entre 2003 et 2006. Même si l’appelant savait que le ministre vérifiait certains éléments en rapport avec ces entités avant la révocation de leur enregistrement en tant qu’organisme de bienfaisance – et rappelons qu’aucun élément de preuve n’indique que l’appelant était au courant – sa connaissance de ces informations pourrait nous renseigner sur les motivations qui l’ont poussé à faire les dons, mais pas sur l’existence réelle des paiements qu’il aurait faits à ces entités au cours des années pour lesquelles les dons ont été déclarés. Là encore, il incombait au ministre de démontrer que les paiements n’avaient pas été effectués. En l’espèce, le fait que le ministre ait révoqué le statut d’organisme de bienfaisance de ces entités postérieurement aux faits n’est pas pertinent à cet égard.

[27] Cependant, même si je ne souscris pas aux arguments de l’intimé sur l’importance de cette autre preuve, je suis amené à résoudre la question en me penchant sur l’incohérence du témoignage de l’appelant concernant ses visites à Mega Church en 2006. Précédemment, j’ai dit que l’incapacité de l’appelant à fournir un compte rendu cohérent de ses habitudes de transaction avec Mega Church pour l’année 2006 m’avait conduit à rejeter son témoignage comme preuve de la fréquence de ses dons à Mega Church en 2006 et du montant payé à chaque fois. Toutefois, l’incohérence de son témoignage sur ce point à une portée bien plus grande. Pour n’importe quel individu, 6 000 $ représente une somme importante et il est inconcevable qu’une personne puisse prétendre avoir effectué des transactions auprès de Mega Church et de sa banque pour des montants de cette ampleur sans se souvenir clairement si cela a nécessité trois, 24 ou 52 visites, ou si la valeur nominale des traites bancaires était de 2 000 $, 250 $ ou 115 $. Même si j’étais prêt à accepter certaines imprécisions ou de petites incohérences dans les souvenirs de l’appelant concernant ses visites à Mega Church en 2006 et la remise de traites bancaires à chacune de ces visites, j’estime que le fait qu’il ait donné des versions tout à fait incohérentes de ses visites à Mega Church en 2006 et, indirectement, de ses visites à sa banque pour acheter des traites bancaires à l’intention de Mega Church, permet de conclure que le montant total des traites bancaires qu’il a remises à Mega Church ne pouvait pas être 6 000 $. Par conséquent, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant n’a pas acheté et remis des traites bancaires à l’ordre de Mega Church en 2006 pour un montant totalisant 6 000 $.

[28] Ainsi, le ministre est en droit d’invoquer l’alinéa 152(4)a) de la LIR au titre de la fausse déclaration volontaire faite par l’appelant dans le formulaire T1 de sa déclaration pour l’année 2006, où il indique avoir fait des dons totaux de 6 000 $ à Mega Church en 2016.

IV. DÉFAUT D’IDENTIFIER M. OKOROAFOR EN TANT QUE PROFESSIONNEL SPÉCIALISTE EN DÉCLARATIONS DE REVENUS SUR LE FORMULAIRE T1

[29] Ayant établi ci-dessus que le ministre était en droit d’établir une nouvelle cotisation en vertu de l’alinéa 152(4)a) de la LIR au motif que l’appelant avait fait une fausse déclaration concernant le montant de son don à Mega Church, je n’ai pas à me pencher sur l’argument secondaire du ministre, selon lequel il pouvait établir une nouvelle cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation prévue pour l’année 2006 en raison du défaut de l’appelant d’inscrire, à la case 490 du formulaire T1 de 2006, le nom et l’adresse du professionnel qui a préparé la déclaration de revenus. Or, si j’avais dû me pencher sur la question, j’aurais conclu que le ministre ne pouvait pas s’appuyer sur ce type de fausse déclaration pour justifier une nouvelle cotisation rejetant les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance.

[30] À première vue, la case 490 du formulaire T1 de la déclaration 2006 ne précise pas quelles sont les caractéristiques d’une personne qui devrait être considérée comme un « spécialiste en déclarations de revenus professionnel » à cette fin. En outre, l’intimé ne m’a présenté aucune preuve concernant les qualifications professionnelles de M. Okoroafor et les éventuelles indications fournies par l’ARC pour remplir la case 490, dans son guide publié pour la production du formulaire T1 et de la déclaration de 2006. Dès lors, je ne suis pas convaincu qu’il existe une base factuelle permettant de conclure que l’appelant a fait une fausse déclaration par négligence, inattention ou omission volontaire en n’inscrivant pas le nom et l’adresse de M. Okoroafor à la case 490.

[31] Toutefois, même si je devais conclure que l’appelant a fait une fausse déclaration par négligence, inattention ou omission volontaire en n’identifiant pas son spécialiste en déclarations de revenus, j’ai conclu que le sous-alinéa 152(4.01)a)(i) s’appliquerait pour empêcher le ministre d’invoquer l’alinéa 152(4)a) dans le but d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, de manière à rejeter la demande de crédit d’impôt pour dons de bienfaisance relative à un don fait à Mega Church.

[32] La version pertinente du sous-paragraphe 152(4.01)a)(i) est libellé ainsi :

(4.01) Cotisation à laquelle s’applique l’alinéa 152(4)a) ou b) : Malgré les paragraphes [152](4) et [152](5), la cotisation, la nouvelle cotisation ou la cotisation supplémentaire à laquelle s’appliquent l’un des alinéas (4)a) à b.1) ou b.3) à c) relativement à un contribuable pour une année d’imposition ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans la mesure où il est raisonnable de considérer qu’elle se rapporte à l’un des éléments suivants :

a) en cas d’application de l’alinéa (4)a) :

(i) une présentation erronée des faits par le contribuable […] effectuée par négligence, inattention ou omission volontaire ou attribuable à quelque fraude commise par le contribuable […] lors de la production de la déclaration ou de la communication de quelque renseignement sous le régime de la présente loi […].

[33] Ainsi, alors que l’alinéa 152(4)a) établit les circonstances dans lesquelles le ministre peut établir une nouvelle cotisation pour la déclaration du contribuable frappée de prescription, l’alinéa 152(4.01)a) limite la possibilité de recourir à une nouvelle cotisation en vertu de l’alinéa 152(4)a) en exigeant que les modifications dans la nouvelle cotisation puissent être raisonnablement considérées comme se rapportant à la fausse déclaration du contribuable. À mon avis, le refus du ministre d’accorder un crédit d’impôt au titre du don de bienfaisance fait à Mega Church n’est pas une modification qui peut être raisonnablement considérée comme se rapportant au fait que l’appelant a omis d’indiquer le nom et l’adresse de M. Okoroafor à la case 490 du formulaire T1 de la déclaration de revenus produite par l’appelant pour l’année 2006.

V. DROIT AU CRÉDIT D’IMPÔT POUR DONS DE BIENFAISANCE

[34] Ayant déterminé que le ministre était en droit d’invoquer l’alinéa 152(4)a) et d’établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, au motif que l’appelant a fait une fausse déclaration au sujet de ses dons de bienfaisance pour 2006, je me pencherai maintenant sur la question de savoir si l’appelant a droit à un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance en vertu du paragraphe 118.1(3) de la LIR pour le montant en cause.

[35] Sur ce point, il incombe à l’appelant de démontrer qu’il a satisfait aux exigences et était en droit de demander le crédit d’impôt en vertu du paragraphe 118.1(3) de la LIR pour un don fait à Mega Church en 2006.

[36] Je suis d’accord avec l’intimé pour dire que le reçu non daté portant le numéro 61833, délivré à l’appelant par Mega Church, n’est pas conforme aux exigences prescrites par le paragraphe 3501(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu. Plus précisément, le reçu n’indique pas le lieu où il a été délivré (comme prévu à l’alinéa 3501(1)d)); en outre, dans la mesure où l’appelant a déclaré que son don avait été effectué sous forme de traites bancaires plutôt qu’en espèces, le reçu ne porte ni les dates où les dons ont été reçus ni une brève description des biens (comme prévu à l’alinéa 3501(1)e.1)). En vertu de l’alinéa 118.1(2)a), un reçu pour don de bienfaisance qui ne contient pas les renseignements prescrits par le Règlement de l’impôt sur le revenu ne peut être inclus dans la somme des dons pour lesquels un contribuable peut demander un crédit d’impôt en vertu du paragraphe 118.1(3), comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kueviakoe, 2021 CAF 64.

[37] Par conséquent, le fait que le reçu de Mega Church ne réponde pas aux exigences du paragraphe 3501(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu est déterminant et prive l’appelant de son droit à recevoir un crédit d’impôt en vertu du paragraphe 118.1(3) pour tout don fait à Mega Church en 2006 et attesté par ce reçu.

VI. CONCLUSION

[38] Je conclus que le ministre était en droit d’établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant au-delà de la période normale de nouvelle cotisation en vertu de l’alinéa 152(4)a) de la LIR, et qu’aux fins de cette nouvelle cotisation, le ministre a eu raison de rejeter la demande de crédits d’impôt faite par l’appelant en vertu du paragraphe 118.1(3) pour les dons faits en 2006 à Mega Church et visés par le reçu numéro 61833.

[39] L’appel sera rejeté. Aucuns dépens ne sont adjugés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mars 2024.

« John C. Yuan »

Le juge Yuan

 


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 39

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-2367(IT)I

INTITULÉ :

RAJESH RAMROOP c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 février 2024

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge John C. Yuan

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 mars 2024

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelant :

Tim Okafor

Avocats de l’intimé :

Christopher Ware

Tiffany Farrugia (stagiaire en droit)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

S.o.

 

Cabinet :

S.o.

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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