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Dossier : 2020-1619(IT)G

ENTRE :

JOSEPH TANGA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu les 24 et 25 avril 2024, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Jean Marc Gagnon


Comparutions :

Pour de l'appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l'intimé:

Me Olivier Charbonneau-Saulnier

 

JUGEMENT

Les appels des avis de nouvelle détermination (i) concernant le crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée concernant les années de base 2015 et 2016 de l’appelant datés du 5 mars 2019 et l’année de base 2017 de l’appelant daté du 3 mai 2019 et (ii) concernant l’allocation canadienne pour enfants concernant les années de base 2015, 2016 et 2017 de l’appelant datés du 20 mars 2019, sont rejetés.

Le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2024.

« J. M. Gagnon »

Juge Gagnon


Référence : 2024 CCI 80

Date : 20240531

Dossier : 2020-1619(IT)G

ENTRE :

JOSEPH TANGA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Gagnon

I. Contexte

[1] L’appelant interjette appel d’une série de trois avis de nouvelle détermination visant le crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (CTPS) et d’une série de trois avis de nouvelle détermination visant l’allocation canadienne pour enfants (ACE). Chacune de ces séries a été établie en vertu de la Loi [1] à l’égard des années de base 2015, 2016 et 2017 de l’appelant. La ministre du Revenu national (Ministre) a révisé à la baisse le CTPS de l’appelant à la hauteur du crédit de base de 276$ et 280$ pour ses années de base 2015 et 2016 respectivement considérant l'inadmissibilité des enfants à charge, et finalement a déterminé que l’appelant n’était pas lui-même admissible au CTPS pour son année de base 2017 en raison d’un statut de non-résident du Canada. Aussi, la Ministre a déterminé que l’appelant n’était pas admissible à l’ACE pour ses années de base 2015, 2016 et 2017 en raison de l’inadmissibilité des enfants à charge.

[2] La Cour juge approprier de rappeler les périodes pertinentes pour les versements et l’admissibilité au CTPS et à l’ACE. Le CTPS est un crédit annuel calculé pour une année de base et remis en quatre versements égaux tous les trois mois. Par exemple, pour l’année de base 2015, la période de versement est de juillet 2016 à juin 2017 et les versements sont juillet 2016, octobre 2016, janvier 2017 et avril 2017. Quant à l’ACE, le crédit est calculé pour une année de base et remis mensuellement. Similairement au CTPS, pour l’année de base 2015, la période de versement de l’ACE est de juillet 2016 à juin 2017. L’admissibilité au CTPS est déterminée au début du mois où l’Agence du revenu du Canada (ARC) fait le versement, soit le 1er juillet, le 1er octobre, le 1er janvier et le 1er avril. Cependant, l’admissibilité à l’ACE est déterminée au début de chaque mois de l’année où il y a un versement. Autrement dit, la période de versement est la même pour le CTPS et l’ACE, soit de juillet d’une année à juin de l’année suivante, mais la date des versements et le moment où l’admissibilité est déterminée diffère.

[3] Les avis de nouvelle détermination de la Ministre en appel pour le CTPS pour chacune des années de base 2015, 2016 et 2017 de l’appelant couvrent d’octobre 2016 à avril 2017, de juillet 2017 à avril 2018 et de juillet 2018 à avril 2019, respectivement. Aux mêmes fins, l’avis de nouvelle détermination de la Ministre en appel pour l’ACE pour chacune des années de base 2015, 2016 et 2017 de l’appelant couvre du mois d’août 2016 au mois de juin 2017, de juillet 2017 à juin 2018 et du mois de juillet 2018 au mois de février 2019, respectivement. En conséquence, la période totale du 1er août 2016 au 30 avril 2019 est la période totale en litige (Période en litige).

II. Situation factuelle

[4] L’appelant est originaire du Cameroun (région de l’Ouest). En juin 2008, à l’âge de 34 ans, il émigre seul au Canada. Il devient citoyen canadien en mars 2014. À cette période, la preuve ne supporte pas que l’appelant a une conjointe. En février 2015, l’appelant est victime d’un accident grave de la route. Des blessures physiques et un stress post-traumatique s’ensuivent. Cet accident laisse l’appelant face à une longue période de réhabilitation durant laquelle il est indemnisé par la Société d’assurance automobile du Québec.

[5] Le ou vers le 13 juin 2016, l’appelant se rend au Cameroun. Un certain nombre d’évènements s’y produit notamment :

a. Le 30 juin 2016, l’appelant et Madame Tanga Natalie née Ilemes, signent un bail de location d’une maison de 4 chambres, salon, douche, cuisine, située à proximité du quartier Nkoabang, Yaoundé, Cameroun. La preuve déposée au soutien de l’existence de ce bail ne précise pas la durée du bail mais confirme un loyer mensuel qui s’élève alors à 135 000 FCFA.

b. Le 5 juillet 2016, l’appelant épouse Madame Tanga Natalie née Ilemes. La conjointe de l’appelant est alors la mère biologique de trois enfants mineurs nés en 2000, 2004 et 2012 dont elle assure la garde. L’appelant n’est pas le père biologique des enfants mineurs de sa conjointe.

c. Dans les jours qui suivent la célébration du mariage, l’appelant rencontre la travailleuse sociale désignée et chargée d’assurer le bien-être des trois enfants mineurs d’un frère de l’appelant. Au cours d’une rencontre subséquente avec la travailleuse sociale et un notaire, il est question que l’appelant obtienne la tutelle des trois enfants mineurs de son frère alors nés en 2000, 2007 et 2008. Les enfants habiteront dorénavant avec la famille dans la maison louée.

d. À son retour au Canada, le ou vers le 7 juillet 2016, l’appelant formalise la tutelle des trois enfants de son frère. Le 8 juillet 2016, la tutelle est officialisée au Cameroun et l’appelant assume dorénavant les responsabilités de soins et d’éducation des trois enfants mineurs de son frère.

[6] En aucun moment au cours de la Période en litige, la conjointe de l’appelant, les enfants de cette dernière, et les enfants de son frère ne résiderons au Canada, ne séjournerons au Canada ou ne visiterons l’appelant au Canada.

[7] L’appelant et sa conjointe seront éventuellement les parents biologiques d’autres enfants mais subséquemment à la Période en litige.

[8] Depuis son retour le 7 juillet 2016, l’appelant poursuit seul sa résidence au Canada dans un logement qui l’occupe depuis quelques années Avenue Hector à Montréal. En février 2017, la santé de sa mère au Cameroun se détériore. Il se rend au Cameroun. Le billet d’avion déposé en preuve indique un départ le 8 février 2017 et un retour le 1er avril 2017. Il explique qu’il a alors tenté de rapprocher sa mère de sa conjointe et de sa famille en acquérant une parcelle de terrain de 500m2 vacant près de la maison louée pour y construire une résidence pouvant accueillir sa mère, mais le projet n’est pas concrétisé avant le décès de sa mère en 2017. Il conserve le lot acquis. Au Canada, au cours de la même période en 2017, l’employeur de l’appelant officialise la fin de son emploi que l’accident de voiture a privé de maintenir.

[9] En 2016 et 2017, la santé mentale de l’appelant se dégrade. Son médecin traitant l’incite à consulter un psychiatre. La situation de sa mère le préoccupe. Début 2018, le psychiatre de l’appelant lui recommande un retour prolongé auprès de sa famille au Cameroun. Toutefois, c’est le médecin traitant qui confirme par billet médical un départ de l’appelant pour le Cameroun d’une durée d’au moins 24 mois. Le billet médical daté du 12 février 2018 et déposé en preuve est succinct et ne mentionne qu’un départ pour une durée d’au moins 24 mois. Le billet ne précise pas le diagnostic, le traitement ou le pronostic concernant l’appelant.

[10] En prévision de son départ au Cameroun en avril 2018, l’appelant confirme à son locateur Avenue Hector son intention de renouveler le bail d’une autre année de juillet 2018 à juin 2019. Un bail signé des deux parties le 5 février 2018 couvrant cette période est déposé en preuve. La preuve confirme qu’au même moment il est convenu entre le propriétaire et le locataire que l’appelant désire sous-loué le logement considérant son départ imminent pour le Cameroun. Ultimement, le locateur sera en mesure de trouver un sous-locataire à compter du 1er juin 2018. Le dernier mois de loyer assumé par l’appelant pour le logement de l’Avenue Hector est mai 2018. Avant son départ pour le Cameroun, l’appelant retire ses meubles du logement qui l’entrepose au sous-sol de connaissances. Après son départ pour le Cameroun en avril 2018, l’appelant ne retournera plus au logement de l’Avenue Hector.

[11] Le ou vers le 19 avril 2018, l’appelant quitte le Canada pour rejoindre sa famille au Cameroun. Contrairement à son billet d’avion déposé en preuve concernant son voyage en février 2017, le billet d’avion du 19 avril 2018 déposé en preuve à destination du Cameroun ne contient pas de billet de retour. La preuve indique qu’au moment de son départ l’appelant conserve son compte bancaire et sa marge de crédit au Canada dont les soldes ne sont pas matériels, des meubles entreposés, un lien financier avec la Société d’assurance automobile du Québec suite à l’accident de voiture survenu en février 2015. Aucun autre actif financier notable ne se trouve au Canada. Il conserve aussi chez un ami deux valises dans lesquelles des vêtements se trouvent. L’ami permet aussi à l’appelant d’indiquer son domicile comme adresse de correspondance. Aucun contrat de location ou d’habitation formel n’intervient entre l’appelant et l’ami. L’appelant n’occupe aucun emploi au Canada à son départ.

[12] Alors au Cameroun depuis avril 2018, l’appelant dépose une première demande d’ACE le ou vers le 17 août 2018 visant l’admissibilité au programme des six enfants en charge.

[13] Au cours de la période du 5 octobre 2018 au 3 mai 2019, la Ministre procèdera à des déterminations et des nouvelles déterminations concernant le CTPS et l’ACE de l’appelant. Au final, le 5 mars 2019, la Ministre détermine que seul l’appelant est admissible à un CTPS au montant de 276$ et 280$ pour les mois d’octobre 2016 à avril 2017 (année de base 2015) et de juillet 2017 à avril 2018 (année de base 2016) respectivement, en raison de l’inadmissibilité des enfants. Et le 3 mai 2019, la Ministre détermine que l’appelant n’est pas admissible au CTPS pour les mois de juillet 2018 à avril 2019 (année de base 2017) en raison du manquement à l’exigence de résidence au Canada au cours de cette période.

[14] Le 20 mars 2019, la Ministre détermine que l’appelant n’est pas admissible à l’ACE pour les mois d’août 2016 à juin 2017 (année de base 2015), de juillet 2017 à juin 2018 (année de base 2016) et de juillet 2018 à février 2019 (année de base 2017), en raison de la situation des enfants.

[15] L’appelant reviens au Canada suite à son séjour au Cameroun le ou vers le 17 avril 2019 animé d’une volonté de contester les positions de la Ministre.

III. Questions en litige

[16] Les questions en litige sont de déterminer (i) si l’appelant est au cours de la période du 1er août 2016 au 28 février 2019 un particulier admissible aux fins du programme de l’ACE prévu à l’article 122.6 de la Loi, et (ii) si l’appelant pour les mois déterminés de juillet et octobre 2018 et janvier et avril 2019 (donc la période du 1er juillet 2018 au 30 avril 2019) et les enfants à charge mineurs de l’appelant pour les mois déterminés compris dans la Période en litige et pour lesquels un CTPS est réclamé un particulier admissible et des personnes à charge admissibles, respectivement, aux fins du programme de CTPS prévu à l’article 122.5 de la Loi.

[17] Relativement à ces questions, seules les conditions spécifiques identifiées à la position de l’intimé ci-après peuvent faire échec à l’admissibilité de l’appelant et des enfants mineurs aux fins des programmes de l’ACE et de CTPS.

IV. Position des parties

[18] L’intimé soutient essentiellement que, par rapport aux mois déterminés de juillet et octobre 2018 et janvier et avril 2019 (la période du 1er juillet 2018 au 30 avril 2019), l’appelant, et par rapport à l’ensemble des mois déterminés de la Période en litige, les enfants à charge, aucun ne satisfait à la définition de particulier admissible et de personne à charge admissible, respectivement, aux fins du CTPS en raison de l’alinéa 122.5(2)c) de la Loi. L’intimé soutient qu’aucun d’entre eux ne réside au Canada pendant la période pertinente.

[19] L’intimé cite la décision Goldstein [2] de la Cour d’appel fédérale qui détermine que la résidence d’un contribuable est l’endroit où « dans sa vie de tous les jours, y habite d’une manière régulière, normale ou habituelle » par opposition à « quelqu’un qui y demeurerait exceptionnellement, occasionnellement ou par intermittence ». D’après l’intimé, l’appelant n’a pas suffisamment de liens avec le Canada pour la période débutant à son départ pour le Cameroun en 2018 pour conserver la résidence fiscale canadienne.

[20] L’intimé soutient sommairement que l’appelant pour la période du 1er août 2016 au 28 février 2019 ne satisfait pas la définition de particulier admissible aux fins de l’ACE en raison des alinéas 122.6(1)a) et c), et du sous-alinéa 122.6(1)b)(i) de la définition de particulier admissible telle qu’interprétée aux alinéas f) et h) de la même définition.

[21] L’appelant soutient que toutes ces conditions ont été satisfaites. Que les programmes dont il a réclamé l’application incluent la situation qui le concerne. Il a été reçu citoyen canadien, le Canada est sa maison, il a toujours fait les choses comme il se doit dans ses déclarations de revenus et son devoir est de subvenir aux besoins de sa famille. Puisqu’il contribue financièrement pour l’éducation et le soin de ses enfants; il soumet avoir droit à l’ACE et le CTPS pour ses enfants à charge. Seules des circonstances particulières l’ont forcé à s’éloigner du Canada pour une période à la fois et qu’il est revenu au Canada à chacune de ces occasions. Il a même écrit à l’ARC avant son déplacement au Cameroun pour se renseigner. L’ARC n’est pas en droit de s’acharner sur sa situation. Il a été accepté aux programmes par l’ARC initialement et rien ne justifie de s’écarter de cette décision, et encore moins d’exercer des mesures de recouvrement alors que son dossier est devant la Cour canadienne de l’impôt. L’appelant plaide que le renversement de la décision était discriminatoire et que l’ARC a bafoué ces droits.

[22] À titre de rappel, le fardeau de la preuve, en matière fiscale, appartient généralement à l’appelant. L’appelant a le fardeau de démolir les présomptions de fait que la Ministre a présumé dans le cadre de l’établissement de la cotisation, et prouver, selon la balance des probabilités, les faits qui supportent sa position que la détermination est mal fondée [3]. C’est ce même fardeau que l’appelant doit assumer dans le présent appel et démontrer, selon la balance des probabilités, que les nouvelles déterminations sont mal fondées relativement aux conditions soulevées par l’intimé.

V. Témoignages

[23] Deux témoins ont été entendus. L’appelant a fait témoigné monsieur Eric Deumeni et lui-même. L’intimé a contre-interrogé les deux témoins mais n’a présenté aucun témoin en interrogatoire principal.

[24] M. Deumeni a fait la connaissance de l’appelant en 2013, peu de temps après son arrivée au Canada. Il a rencontré l’appelant alors qu’ils occupaient chacun un emploi chez American Iron & Metal (AIM).

[25] M. Deumeni a témoigné qu’avant le départ de l’appelant au Cameroun au cours du mois d’avril 2018, l’appelant a transféré son adresse chez lui et a laissé sur place des valises contenant des objets personnels. Par contre, il ne confirme pas clairement qu’une entente formelle de location était alors intervenue entre eux :

M. TANGA: Avez-vous été… avez-vous…en 2018, avant l’appel… avant le départ de M. Tanga pour le Cameroun, avez-vous eu une entente de cohabitation?

M. DEUMENI: En fait, on n’a pas eu une entente de cohabitation, mais puisque vous ne devez pas être au Cameroun, vous avez, je crois, vous avez transféré votre adresse chez moi, puisque c’est moi qui recevait vos documents officiels, tous les documents officiels que je vous les scannais de façon numérique. Et puis la plupart des documents que moi j’ai… je vous les ai remis de façon physique, puisque je me suis rendu au Cameroun en 2018. En aout 2018, c’était pendant ma période de mariage. Je me suis déplacé dans la ville de Yaoundé pour remettre officiellement tous les documents que je vous avais scannés de façon numérique dans votre famille, puisque vous étiez là avec madame et les enfants. C’est ce que j’ai fait.

[26] Cependant le témoin reconnaît avoir reçu des sommes de l’appelant pendant son séjour d’avril 2018 à avril 2019 au Cameroun :

M. TANGA: Est-ce que pendant cette période de 2018, période du départ de M. Tanga pour le Cameroun, période à laquelle vous receviez ces documents, ces courriers, et autres, est-ce que M. Tanga contribuait financièrement?

DEUMENI: Oui. Il arrivait que de petits (inaudible) soient faits pour me permettre aussi de payer les charges qui m’étaient incombées.

[27] Au cours de l’absence de l’appelant du Canada pendant un an, le témoin aura reçu de l’appelant 1 290$ soit deux paiements totalisant 275$ en juin 2018, deux paiements totalisant 615$ en juillet 2018 et finalement 400$ en janvier 2019 (Pièce A-1).

[28] Lors du retour au Canada de l’appelant en avril 2019, M. Deumeni et l’appelant ont vécu ensemble brièvement le temps que ce dernier se retrouve un nouveau logement. M. Deumeni a témoigné avoir rédigé une lettre pour confirmer qu’il y avait eu entente de colocation (Pièce A-2). Le témoin a confirmé que cette lettre avait été rédigée par lui à la demande de l’appelant. La courte lettre d’une page n’est pas datée, et le témoin n’a pas formellement confirmé celle-ci. Cependant, la Cour remarque que les temps de verbe utilisés sont passés. En contre-interrogatoire le témoin affirmera :

ME CHARBONNEAU-SAULNIER: Et M. Tanga vous a expliqué que cette preuve-là était requise dans le cadre de sa demande d’allocation canadienne pour enfant avec l’Agence du revenu du Canada?

M. DEUMENI: Non. Il m’avait juste demandé si je pouvais lui rédiger une lettre confirmant qu’il a été colocataire pendant cette période. C’est tout. Pour les autres, je ne… c’est ça.

[29] Le témoignage de M. Deumeni ne confirme aucune somme d’argent (à titre de loyer ou autrement, en vertu d’une entente ou non) qui lui aurait été remise par l’appelant depuis son retour au Canada en avril 2019 jusqu’au cours du mois de juin 2019 au moment où l’appelant s’installe dans un nouveau logement.

[30] Lors de la période débutant en avril 2018 alors que l’appelant se trouvait au Cameroun, M. Deumeni recevait la poste de l’appelant, et selon la nature des documents reçus, soit il les numérisait pour les envoyer électroniquement, soit il lui avait remis en main propre lors de son séjour au Cameroun en 2018.

[31] Le témoignage de l’appelant confirme la situation factuelle décrite plus haut. Certains éléments s’y ajoutent :

a. À son arrivée au Québec en 2008, il a été pour un temps recruteur de joueurs pour des ligues de soccer. Il a également créé, en 2010, l’Association Humanitaires Jeunesse et Avenir (l’Association) qui œuvrait au Québec avec le but de combattre la pauvreté au Cameroun. L’appelant était l’administrateur principal de l’Association. À l’aide de l’Association, les donateurs envoyaient des livres au Cameroun pour fournir des bibliothèques municipales.

b. Il a soutenu ne plus être un citoyen camerounais, il a un passeport canadien et est détenteur d’une carte d’assurance maladie du Québec.

c. L’appelant a expliqué avoir subi un accident de la route violent en février 2015 et les séquelles qui en sont suivies. Il recevait des indemnités de la Société d’assurance automobile du Québec suite à cet accident.

d. Il a aussi témoigné du décès de sa mère en 2017 et de la dégradation subséquente de sa santé mentale liée à ce décès et à son arrêt de travail. Ne pouvant plus retourner à son emploi considérant son incapacité physique, AIM a mis fin à son contrat d’emploi en février 2018. À son retour au Canada en avril 2019, il a trouvé un autre emploi dans une résidence pour personnes âgées qu’il occupe toujours.

e. L’appelant a ensuite témoigné qu’à son retour au Québec en avril 2019, il avait une entente avec M. Deumeni qu’il vivrait au 8575 avec ce dernier.

f. Il a témoigné longuement des échanges qu’il a eus avec l’ARC et le sentiment de se faire persécuter que celle-ci lui a fait vivre. L’appelant a fait part d’avoir fourni de nombreux documents et information à l’ARC.

g. L’appelant a expliqué que ses six enfants à charge ne sont pas venus au Canada pendant la période en litige, car les éduquer au Cameroun était plus simple et abordable.

h. Enfin, l’appelant a ajouté eu égard aux soins qu’il procure aux enfants à sa charge. Il a souscrit une assurance de santé pour certains des enfants et il envoie des fonds pour leur entretien et éducation. Il a renseigné la Cour à propos des sacrifices financiers qu’il a faits pour les enfants étant à lui seul responsable financièrement de la famille, sa femme étant sans emploi. Toutes les factures au Cameroun étaient à son nom. Il a témoigné en détail du bien-être des enfants et de la relation qu’il a avec eux.

VI. Analyse

A. Dispositions pertinentes de la Loi

[32] Aux fins de déterminer l’admissibilité de l’appelant au CTPS, la disposition législative centrale dans le présent litige se trouve au paragraphe 122.5(2) de la Loi. Il s’agit de l’unique disposition qu’invoque l’intimé pour soutenir que, au cours des périodes décrites au paragraphe 18, l’appelant n’est pas un particulier admissible et ses enfants à charges mineurs ne sont pas des personnes à charge admissibles telles que ces expressions sont définies aux fins du CTPS. Les passages pertinents des paragraphes 122.5(2) et accessoirement (4) de la Loi se lisent comme suit :

(2) Malgré le paragraphe (1), n’est ni un particulier admissible, ni un proche admissible, ni une personne à charge admissible, par rapport à un mois déterminé d’une année d’imposition, la personne qui, selon le cas :

(…)

c) est une personne non-résidente au début de ce mois, à l’exception d’une personne non-résidente qui, à la fois :

(i) est, à ce moment, l’époux ou le conjoint de fait visé d’une personne qui est réputée, par le paragraphe 250(1), résider au Canada tout au long de l’année d’imposition qui comprend le premier jour de ce mois,

(ii) a résidé au Canada à un moment antérieur à ce mois;

(…)

(4) Pour l’application du présent article, les mois déterminés d’une année d’imposition sont juillet et octobre de l’année d’imposition suivante et janvier et avril de la deuxième année d’imposition suivante.

(notre soulignement)

[33] Aux fins de déterminer l’admissibilité de l’appelant à l’ACE, la disposition législative pertinente au litige se trouve au paragraphe 122.6(1) de la Loi. Il s’agit de l’unique disposition qu’invoque l’intimé pour soutenir que l’appelant n’est pas un particulier admissible tel que défini aux fins de l’ACE au cours de la période décrite au paragraphe 20. Les extraits pertinents de la définition de particulier admissible au paragraphe 122.6(1) se lisent comme suit :

(1) particulier admissible S’agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l’égard d’une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

a) elle réside avec la personne à charge;

b) elle est la personne — père ou mère de la personne à charge — qui :

(i) assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge et qui n’est pas un parent ayant la garde partagée à l’égard de celle-ci,

(…)

c) elle réside au Canada ou, si elle est l’époux ou conjoint de fait visé d’une personne qui est réputée, par le paragraphe 250(1), résider au Canada tout au long de l’année d’imposition qui comprend ce moment, y a résidé au cours d’une année d’imposition antérieure;

(…)

Pour l’application de la présente définition :

f) si la personne à charge réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge est présumée être la mère;

(…)

h) les critères prévus par règlement serviront à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne;

(…)

(notre soulignement)

[34] Le statut des enfants à titre de personnes à charge admissibles aux fins de l’ACE n’est pas contesté. Par contre, le défaut de l’appelant de satisfaire à un seul des alinéas a), b) et c) de la définition de particulier admissible suffira à faire échec à la qualification de l’appelant à titre de particulier admissible aux fins de l’ACE. En effet, toutes les conditions de la définition doivent être satisfaites pour être reconnu un particulier admissible.

B. Statut aux fins du CTPS

[35] Aux fins du CTPS, les enfants de l’appelant ne peuvent être qualifiés de personnes à charge admissibles considérant l’alinéa 122.5(1)c) de la Loi. La Loi ne contient aucune disposition permettant de présumer qu’ils sont résidents du Canada aux fins de la Loi ou même aux fins d’une ou série de dispositions nommées. Les critères retenus par les tribunaux pour établir un statut de résident au Canada aux fins de la Loi ne sont pas non plus utiles dans les circonstances. En effet, les enfants n’ont jamais visités ou séjournés au Canada durant la Période en litige ou même avant. Ce contexte à lui seul met fin à toute possibilité de qualifier à quelque moment durant la Période en litige les enfants de personnes à charge admissibles aux fins du CTPS de l’appelant.

[36] Le statut des enfants étant déterminé, l’unique question en suspens aux fins du CTPS est de déterminer, considérant la nouvelle détermination effectuée par la Ministre le 3 mai 2019 (Pièce I-31), si l’appelant était un résident du Canada au cours des mois déterminés de son année de base 2017. Le paragraphe 122.5(4) de la Loi fixe les mois déterminés pertinents au mois de juillet et octobre 2018, et janvier et avril 2019, et donc la période examinée pertinente aux fins de l’ACE est du 1er juillet 2018 au 30 avril 2019.

a) Critères de résidence au Canada

[37] La décision Thomson [4] constitue un arrêt-clé en ce qui concerne la détermination du lieu de résidence d'une personne qui a quitté le Canada [5].

[38] La décision Thomson nous enseigne que la question à trancher consiste à déterminer l'endroit où le contribuable vit régulièrement, normalement ou ordinairement dans le cadre de son mode de vie ordinaire. On doit examiner le degré auquel une personne s'installe mentalement et en fait, à un endroit, y maintien ou y centralise son mode de vie habituel, y compris les relations sociales, les intérêts et les commodités. Le juge Rand formulent les conclusions suivantes :

[TRADUCTION]

L'établissement de degrés concernant le temps, l'objet, l'intention, la continuité et d'autres circonstances pertinentes montre, je pense, qu'en langage ordinaire le mot "résider" ne correspond pas à des éléments invariables devant tous être présents dans chaque cas. Il est tout à fait impossible d'en donner une définition précise et exhaustive. C'est un mot très souple dont les nombreuses nuances de sens varient non seulement selon le contexte de diverses causes, mais aussi selon différents aspects de la même cause. Dans un cas, certains éléments seront suffisants et, dans un autre cas, des éléments supplémentaires devront être présents.

L'expression "résident habituel" véhicule un sens restreint et, bien que la première impression soit que le facteur temps est prépondérant, les décisions portant sur la loi anglaise rejettent ce point de vue. Il a été statué que le fait d'être "résident habituel" d'un lieu s'inscrit dans le mode de vie habituel de la personne concernée et est différent du fait de résider exceptionnellement ou occasionnellement à un endroit. Le mode de vie général est donc pertinent quant à l'application de cette expression.

Aux fins des lois en matière d'impôt sur le revenu, il faut présumer que toute personne a une résidence en tout temps. Il n'est pas nécessaire que ce soit une maison, un lieu d'habitation particulier ou même un abri. Une personne peut coucher en plein air. Il importe seulement de déterminer les limites spatiales dans lesquelles une personne passe sa vie ou auxquelles est lié le mode de vie coutumier d'une personne. La meilleure façon de déterminer la résidence habituelle est de la comparer avec une résidence occasionnelle ou fortuite. Dans ce dernier cas, il semble nettement s'agir d'une résidence temporaire et exceptionnelle, ayant également une connotation transitoire avant le retour.

Toutefois, dans les diverses situations où il est question de résidence "permanente", "temporaire", "habituelle", "principale", etc., les adjectifs utilisés ne changent rien au fait qu'il s'agit dans tous les cas d'une résidence; cette qualité tient principalement au degré auquel une personne s'installe mentalement et en fait à un endroit ou y maintient ou y centralise son mode de vie habituel, y compris les relations sociales, les intérêts et les commodités. Une résidence peut être limitée dans le temps dès le départ ou peut être indéfinie ou considérée comme illimitée. Secondairement, les diverses sortes de résidences doivent être distinguées des lieux de "séjour" ou de "visite", tout comme c'est le cas à mon avis dans le langage ordinaire.

[39] La Cour d’appel fédérale dans deux décisions [6] entérine la position voulant que le test légal pour établir la résidence est à savoir qu’est un résident dans un pays un contribuable qui, dans sa vie de tous les jours, y habite de manière régulière, normale ou habituelle, par opposition à quelqu’un qui y demeurerait exceptionnellement, occasionnellement ou par intermittence.

[40] Les liens que le contribuable entretient avec le Canada au moment de son départ sont les indicateurs permettant de déterminer s’il a conservé ou non sa résidence aux fins de la Loi. Dans l’un de ses folios [7], qui est utile mais non contraignant, l’ARC divise ces liens entre le primaire et le secondaire, le primaire étant le plus important. Les liens principaux sont un logement, un conjoint ou une personne à charge. Les liens secondaires sont plus variés et vont de liens économiques tels qu’un emploi, des biens personnels, passeport canadien, protection d’un régime de santé provincial, etc.

[41] L’ARC considère que si un particulier quitte le Canada, mais y conserve un logement (dont il est propriétaire ou qu'il loue) qui lui demeure disponible, ce logement est considéré comme un lien de résidence important avec le Canada pendant la durée de son séjour à l'étranger. L’ARC ajoute :

Toutefois, si le particulier loue un logement situé au Canada à un tiers à des conditions de pleine concurrence, l'ARC soupèsera tous les faits en cause (notamment la relation qui existe entre le particulier et le tiers, le marché immobilier au moment où le particulier quitte le Canada et le but du séjour à l'étranger). L'ARC pourrait alors considérer que le logement ne constitue pas un lien de résidence important avec le Canada, sauf lorsqu'on le prend en compte avec l'ensemble d'autres liens de résidence.

[42] Au sujet des liens secondaires notés plus haut, l’ARC ajoute que de manière générale, on doit considérer les liens de résidence secondaires dans leur ensemble afin d'évaluer l'importance de chacun de ceux-ci. Il serait inhabituel qu'un seul lien de résidence secondaire avec le Canada soit considéré comme étant suffisamment important en soi pour conclure que le particulier est un résident de fait du Canada pendant qu'il est à l'étranger.

[43] Enfin, l’ARC souligne que les tribunaux ont considéré d’autres critères pour déterminer le statut de résidence d'un particulier pendant son absence du Canada et que l'ARC pourrait, elle aussi, prendre en compte, mentionnons : une adresse postale, un casier postal ou encore un coffre bancaire au Canada, un numéro de téléphone au Canada ainsi qu'un abonnement à des revues et journaux locaux (canadiens).

[44] L’affaire Reeder [8] a élaboré une liste de critères factuels pour déterminer la résidence :

13 …., les éléments qui servaient dans ces arrêts à déterminer la question de fait de la résidence fiscale, s'appliquent aussi en l'espèce. Ces éléments sont notamment:

a. le genre de vie passé ou présent;

b. la régularité et la durée des séjours dans le ressort de la juridiction de la résidence;

c. les liens dans le ressort de cette juridiction;

d. les liens en d'autres lieux;

e. le caractère permanent ou autre des séjours à l'étranger.

La question des liens dans le ressort de la juridiction de résidence et en d'autres lieux englobe toute la gamme des rapports et des engagements d'une personne: biens et placements, emploi, famille, affaires, liens culturels et mondains en sont des exemples. Tous les éléments ne seront pas retenus dans chaque cas. Ils doivent être considérés à la lumière du postulat que chacun doit avoir une résidence fiscale et qu'un individu peut avoir simultanément plus d'une résidence du point de vue fiscal.

[45] Il est bien établi par la jurisprudence que la question de la résidence doit être déterminée selon les faits de chaque affaire. Ceci étant, il y a amplement de jurisprudence qui considère les liens primaires et secondaire dont la durée des séjours, les liens sociaux, familiaux et économiques [9].

[46] Au final, dans une situation de pays conventionnés comme dans le cas présent, si chaque pays considère le contribuable comme résident selon son droit interne, c’est la convention fiscale qui déterminera le sort de la résidence dudit contribuable [10].

[47] La matrice offerte par le juge Boyle dans l’affaire Dysert [11] afin de déterminer la résidence fiscale d’un contribuable peuvent aux fins du cas présent se résumer ainsi :

A. Le premier point est de savoir si l’appelant était un résident du Canada pour l’application de la Loi. Deux volets sont à considérer à cette fin:

(i) Était‑il de fait un résident du Canada selon le sens donné à ce mot pour l’application de la Loi?

(ii) Alternativement, l’appelant est-il réputé avoir résidé au Canada selon l’alinéa 250(1)a) de la Loi, applicable aux personnes qui séjournent au Canada durant au moins 183 jours au cours d’une année?

B. Si l’on conclut que l’appelant a résidé au Canada pour l’application de la Loi, et que ce dernier réside également au Cameroun, l’analyse doit alors porter sur la Convention, et en particulier le paragraphe 4(2).

b) Résidence de l’appelant

[48] Dans le cas présent, la période examinée est du 1er juillet 2018 au 30 avril 2019 (10 mois). Tel qu’énoncé plus haut, des problèmes de santé seraient à l’origine du départ de l’appelant pour le Cameroun. L’appelant a rejoint sa famille au Cameroun depuis le ou vers le 19 avril 2018 et reviendra au Canada le ou vers le 17 avril 2019.

[49] La situation de la résidence fiscale au Canada de l’appelant s’est modifiée depuis l’été 2016 où l’appelant a célébré son mariage au Cameroun et l’arrivée de 6 enfants mineurs à charge. L’appelant est revenu vivre au Canada bien que des liens importants étaient maintenant tissés avec le Cameroun alors notamment que sa conjointe et les enfants sont demeurés sur place sans jamais visiter ce dernier.

[50] Lorsqu’au printemps 2018 la décision de l’appelant est prise sur recommandation de son médecin de rejoindre sa famille au Cameroun pour se refaire une santé, ses liens avec le Canada sont en quelques sortes réorganisés pour le départ. Il conserve des liens économiques bien qu’ils ne soient pas matériels mais ces liens ne semblent pas nécessairement différents que lorsqu’il est présent au Canada. Il sous-loue son logement et entrepose des biens meubles. Le renouvellement de son contrat de bail couvrant la première année de son départ a un faible impact car il a autorisé une sous-location pour toute la durée du terme du bail. Toutefois, il prend des mesures auprès de son ami M. Deumeni pour conserver un pied à terre, y laisse des biens personnels, et effectue des changements d’adresse à cette nouvelle adresse. Il fait parvenir à M. Deumeni quelques versements bancaires au cours des 5-6 premiers mois d’absence pour couvrir des dépenses bien que la preuve ne supporte aucun contrat de location écrit intervenu entre les parties. Cependant, cette situation est confirmée par M. Deumeni lors de son témoignage. Par contre, rien n’est déposé en preuve depuis son retour au Canada en avril 2019.

[51] La preuve à l’audition supporte que l’appelant mène au Canada une vie somme toute simple, qui accepte et apprécie ce que la vie lui présente, bien que comme tous il cherche à améliorer son sort. Il s’occupe, il travail, fréquente ses connaissances. La preuve n’a pas soutenu un mode de vie élevé avec de multiples facettes. Donc, les liens de résidence avec le Canada n’ont jamais été très étendus même durant la période acceptée par la Ministre.

[52] L’avis de nouvelle détermination daté du 3 mai 2019 visant l’année de base 2017 est l’unique avis invoquant que l’exigence en matière de résidence n’a pas été satisfaite. 10 mois au total que couvrent l’avis de nouvelle détermination sont relativement courts pour déterminer si la résidence fiscale canadienne jusque-là acceptée par la Ministre doit être modifiée.

[53] Après avoir soupesé les liens conservés au Canada, la façon dont ces liens ont été maintenus (adresse, liens économiques, demandes auprès des autorités, assurance-maladie), les liens que l’appelant a accumulés au Cameroun depuis son mariage, la Cour considère ne pas être en mesure de conclure de façon définitive que l’appelant a cessé de résider au Canada au cours de ces 10 mois sous examens. La situation de l’appelant au Canada est certes plus précaire au cours de cette période mais les raisons primaires pour expliquer le séjour, les liens qui demeurent au Canada et les circonstances exposées à l’audition militent, selon la balance des probabilités, au soutien d’un lien de résidence au Canada aux fins de la Loi au cours de cette période [12]. Chaque cas est un cas d’espèce.

[54] De plus, il ne doit pas être oublié d’apporter la considération, dans le cas présent, que demande l’alinéa 250(1)a) de la Loi :

Personne réputée résider au Canada

250 (1) Pour l’application de la présente loi, une personne est réputée, sous réserve du paragraphe (2), avoir résidé au Canada tout au long d’une année d’imposition si :

  • a)elle a séjourné au Canada au cours de l’année pendant une période ou des périodes dont l’ensemble est de 183 jours ou plus;

(…)

[55] Cette présomption n’a pas d’impact pour l’année d’imposition 2018 de l’appelant considérant le nombre de jours séjourné au Cameroun au cours de cette année. Toutefois, pour l’année d’imposition 2019, la situation est différente puisque l’appelant est revenu au Canada en avril 2019 et y a séjourné plus de 183 jours [13]. Cette présomption le répute, pour l’application de l’ensemble des dispositions de la Loi, avoir résidé au Canada tout au long de l’année d’imposition 2019.

[56] Ceci dit, une autre question se pose et la réponse à cette question pourrait avoir comme effet de renverser la qualification de résidence au Canada puisque le paragraphe 250(5) de la Loi empêche dans un contexte où une convention fiscale existe qu’un individu considéré résident du pays étranger aux fins de ladite convention soit également un résident du Canada aux fins de la Loi.

[57] La Cour note que la teneur du droit camerounais n’a pas été établie à l’audition. En vertu des dispositions de l’article 40 de la Loi sur la preuve au Canada [14], l’article 2809 du Code civil du Québec [15], faisant partie du Livre septième - De la preuve, s’applique à la présente affaire :

Le tribunal peut prendre connaissance d’office du droit des autres provinces ou territoires du Canada et du droit d’un État étranger, pourvu qu’il ait été allégué. Il peut aussi demander que la preuve en soit faite, laquelle peut l’être, entre autres, par le témoignage d’un expert ou par la production d’un certificat établi par un jurisconsulte.

Lorsque ce droit n’a pas été allégué ou que sa teneur n’a pas été établie, il applique le droit en vigueur au Québec.

(notre soulignement)

[58] Dans ce contexte, les mêmes critères et dispositions législatives aux fins de déterminer la résidence fiscale d’une personne physique au Canada peuvent donc être considérer dans les circonstances pour déterminer si l’appelant peut également être un résident fiscal du Cameroun aux fins de la Convention [16]. Si l’appelant détient également une résidence fiscale au Cameroun, la Cour devra également déterminer si la règle décisive de la détermination du statut de résidence fiscale du paragraphe 4(2) de la Convention le reconnaît un résident fiscal du Cameroun aux fins de la Convention de sorte que par l’effet du paragraphe 250(5) de la Loi l’appelant sera au final considéré un non-résident du Canada aux fins de la Loi.

[59] Après l’examen de la situation dans lequel se trouve l’appelant au cours de la période en appel, les dispositions de l’alinéa 250(1)a) de la Loi et les critères déterminants une résidence fiscale factuelle militent en faveur d’un résidence fiscale de l’appelant au Cameroun plus particulièrement aux fins de la période du 1er juillet 2018 au 30 avril 2019. Certes la durée du séjour de l’appelant au Cameroun excédant 183 jours en 2018 permet conformément à l’alinéa 250(1)a) de constater un statut de résident fiscal au Cameroun pour 2018, mais le même constat est retenu pour la durée totale du séjour au Cameroun en 2018 et 2019 en raison des règles de résidence factuelle applicables aux fins fiscales canadiennes. Les facteurs retenues cette fois par la Cour à la question de déterminer la résidence factuelle de l’appelant durant la période sont les liens qui ont pris naissance depuis le mariage de l’appelant en juillet 2016 au Cameroun, la présence continue de sa conjointe et des enfants à charge à tout moment pertinent au Cameroun, les liens économiques qu’il a créés au Cameroun (location, achat d’un lot de terre, la responsabilité des dépenses d’entretien et d’usage de la résidence familiale au Cameroun, la présence continue d’un foyer au Cameroun avec la famille), et du même coup les liens factuels réduits au Canada.

[60] La détermination du statut fiscal aux fins canadiennes et camerounaises aux fins du présent appel fait en sorte qu’un statut de résidence fiscale dans les deux pays coexiste. La situation n’a pas lieu d’être et doit donc être tranchée en vertu des dispositions applicables de la Convention.

[61] L’article 4 de la Convention contient une règle décisive de la détermination du statut de résidence fiscale d’un individu :

Article 4

Résident

  1. Au sens de la présente Convention, l’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue.

  2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante :

  1. cette personne est considérée comme un résident de l’État où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent; si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux États, elle est considérée comme un résident de l’État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

  2. si l’État où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l’État où elle séjourne de façon habituelle;

(…)

[62] Le paragraphe 4(2) de la Convention entre en jeu lorsque l’individu est un résident des deux États contractants aux fins de la convention applicable.

[63] Les commentaires sur l’article 4 du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (version 2017) de l’OCDE, sur lequel est fondé l’article 4 de la Convention, incluent les points suivants :

4. Les conventions de double imposition ne se préoccupent pas en général des législations internes des États contractants ayant pour objet de définir les conditions dans lesquelles une personne est reconnue, au point de vue fiscal, comme « résident » d’un État et est par conséquent assujettie intégralement à l’impôt dans cet État. Ces conventions ne précisent pas les critères auxquels doivent répondre les dispositions des législations internes sur la « résidence » pour que les États contractants reconnaissent à l’un d’entre eux le droit d’assujettissement intégral. À cet égard, les États arrêtent leur position en se fondant uniquement sur leur législation interne.

5. On peut facilement s’en rendre compte lorsqu’il y a conflit non pas entre deux résidences, mais entre la résidence et la source ou le situs. Toutefois, les mêmes considérations s’appliquent en cas de conflit entre deux résidences. Dans ce dernier cas, il faut cependant noter que l’on ne peut parvenir à une solution du conflit en se référant à la notion de résidence adoptée par la législation interne des États considérés. Des clauses spéciales doivent être insérées dans la Convention pour déterminer à laquelle des deux notions de résidence il convient d’accorder la préférence.

6. Un exemple permettra de mieux comprendre la situation. L’intéressé possède un foyer d’habitation permanent dans l’État A où vivent sa femme et ses enfants. Il a séjourné plus de six mois dans l’État B où, en vertu du droit interne dudit État, il est, en raison de la durée de son séjour, imposable, car considéré comme étant un résident de cet État. Deux États revendiquent alors le droit de l’assujettir intégralement à l’impôt. Ce conflit doit être tranché par la Convention.

7. Dans ce cas particulier, l’article (en vertu des dispositions du paragraphe 2) donne la préférence à l’État A. Il ne faut toutefois pas en déduire que l’article pose des règles spéciales sur la « résidence » et qu’on ne tient pas compte de la législation interne de l’État B du fait qu’elle est incompatible avec ces règles. En réalité, dans un conflit de ce genre, il importe évidemment de faire droit à l’une des deux revendications, et c’est à ce sujet que l’article propose des règles spéciales.

[…]

9. Le paragraphe [le paragraphe 4(2)] vise le cas où, en vertu des dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux États contractants.

10. Pour résoudre ce conflit, il faut établir des règles spéciales qui donnent la prépondérance aux liens rattachant le contribuable à un État plutôt qu’à l’autre. Dans la mesure du possible, le critère de référence doit être tel qu’il ne fasse pas de doute que l’intéressé ne remplit les conditions requises que dans un État seulement; en même temps, le critère devra être tel que le lien retenu fasse paraître normale l’attribution à l’État considéré du droit de lever l’impôt. Les faits auxquels s’appliqueront les règles spéciales sont ceux qui prévalent au cours de la période pendant laquelle la résidence du contribuable a une incidence sur son assujettissement à l’impôt, période qui peut être d’une durée moindre que celle d’une période d’imposition entière. Par exemple, au cours d’une année civile, un particulier réside dans un État A, selon la législation fiscale de cet État du 1er janvier au 31 mars, puis il se rend dans l’État B. Comme il réside dans l’État B plus de 183 jours, il est considéré par la législation fiscale de l’État B comme résident de cet État pendant l’année entière. Si l’on applique les règles spéciales pour la période du 1er janvier au 31 mars, le particulier était résident de l’État A. Par conséquent, l’État A comme l’État B devraient traiter ce particulier comme un résident de l’État A pour cette période, et comme un résident de l’État B du 1er avril au 31 décembre.

11. L’article accorde la préférence à l’État contractant où l’intéressé dispose d’un foyer d’habitation permanent. Ce critère suffira souvent pour résoudre le conflit résultant du fait qu’une personne qui a un foyer permanent dans un État contractant a seulement effectué un séjour d’une certaine durée dans l’autre État contractant.

12. L’alinéa a) veut donc dire que, pour l’application de la Convention (donc lorsqu’il y a conflit entre les législations des deux États) on considère que la résidence de la personne physique se trouve là où celle‑ci a la possession ou la jouissance d’un foyer d’habitation, à condition que ce dernier soit permanent, c’est‑à‑dire que la personne l’ait aménagé et réservé à son usage d’une manière durable, par opposition au fait du séjour à un certain endroit dans des conditions telles que ce séjour apparaisse comme devant être limité à une courte durée.

13. Au sujet de la notion de foyer d’habitation, il faut observer que toute forme d’habitation peut être prise en considération (maison ou appartement qui est la propriété de l’intéressé ou pris en location, chambre meublée louée). Mais la permanence de l’habitation est essentielle, ce qui signifie que l’intéressé fait le nécessaire pour avoir le logement à sa disposition en tout temps, d’une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour qui, compte tenu des raisons qui le motivaient, est nécessairement lié à une courte durée (voyage d’agrément, voyage d’affaires, voyage d’études, stage dans une école, etc.).

14. Si la personne physique possède un foyer d’habitation permanent dans les deux États contractants, le paragraphe 2 donne la préférence à l’État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits, c’est‑à‑dire à l’État dans lequel se trouve le centre des intérêts vitaux de l’intéressé. Lorsqu’il est impossible de déterminer la résidence en se référant aux dispositions mentionnées ci‑dessus, le paragraphe 2 prévoit des critères secondaires qui sont d’abord le séjour habituel, ensuite la nationalité. Si une personne physique possède la nationalité des deux États ou n’a la nationalité d’aucun d’eux, la question devra être tranchée d’un commun accord entre les administrations intéressées, conformément aux dispositions de l’article 25.

15. Lorsque la personne physique a un foyer d’habitation permanent dans les deux États contractants, il y a lieu de rechercher dans les faits celui des deux États avec lequel les liens personnels et économiques sont les plus étroits. Seront ainsi pris en considération les relations familiales et sociales de l’intéressé, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires, le lieu d’où il administre ses biens, etc. Les circonstances doivent être examinées dans leur ensemble ; mais il est évident cependant que les considérations tirées du comportement personnel de l’intéressé doivent spécialement retenir l’attention. Si une personne qui a une habitation dans un État établit une deuxième habitation dans un autre État, tout en conservant la première, le fait que l’intéressé conserve cette première habitation dans le milieu où il a toujours vécu, où il a travaillé et où il garde sa famille et ses biens peut, avec d’autres éléments, contribuer à démontrer qu’il a conservé le centre de ses intérêts vitaux dans le premier État.

[64] Le premier critère est donc de déterminer si l’appelant dispose d’un foyer d’habitation permanent. Aux fins d’appliquer le test de la Convention à cette fin, les commentaires de l’OCDE au paragraphe 13 plus haut attirent l’attention sur le caractère que le foyer d’habitation doit avoir, la permanence de l’habitation est essentielle, ce qui signifie que l’intéressé fait le nécessaire pour avoir le logement à sa disposition en tout temps, d’une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour. Cette caractéristique est primordiale.

[65] Dans le cas présent, bien que l’appelant ait pu obtenir une adresse au Canada pendant son séjour au Cameroun, la Cour n’est pas convaincu que la façon dont l’arrangement avec M. Deumeni a été décrit à l’audition permet d’assurer l’idée de permanence de l’habitation au Canada tel que définie aux fins de la Convention à savoir pouvoir disposer du logement en tout temps, d’une manière continue, plutôt qu’occasionnellement durant la période considérée. L’appelant n’a pas de contrat de location formel avec M. Deumeni, il n’a pas été question de permettre à l’appelant d’habiter en permanence avec M. Deumeni ou sur une base régulière pendant une durée déterminée ou encore disposer à sa convenance des lieus loués de M. Deumeni. En fait, l’appelant a effectué 6 versements bancaires irrégulier au total, et n’a commencé en fait à habiter avec M. Deumeni qu’à son retour en avril 2019 jusqu’à son départ en juin de la même année. Pour la Cour rien n’est moins certain que malgré la bonne volonté de M. Deumeni que l’arrangement offrait quelque garantie à l’appelant d’habiter les lieux en tout temps, d’une manière continue, plutôt qu’occasionnellement durant la période considérée. Au final, aux fins du test de la Convention, la Cour n’est pas convaincue de l’aspect permanent dont pouvait disposer l’appelant au Canada.

[66] Si la Cour devait être erronée quant à ce critère, la Convention requiert de déterminer où se trouve le centre des intérêts vitaux de l’appelant durant la période pertinente. Le pays avec lequel les liens personnels et économiques de l’intéressé sont les plus étroits est défini comme le centre des intérêts vitaux du contribuable. À cette fin, la Cour partage la conclusion du juge Boyle dans l’affaire Dysert à savoir que le contribuable ne peut avoir à cette fin plus d’un centre de ses intérêts vitaux compte tenu de l’expression « les plus étroits », même si, dans un cas ou un autre, ce centre n’est peut‑être pas vérifiable. Le juge Boyle ajoute :

[72] Il est clair que les mots « les liens les plus étroits » ne signifient pas « les liens les plus nombreux ». Il s’agit ici d’une notion relative, et non d’une notion mécanique ou arithmétique. L’étroitesse des liens existants exige qu’une attention particulière soit portée à l’étendue et à la nature des liens personnels et économiques. Cette idée trouve un appui explicite au paragraphe 15 des Commentaires de l’OCDE, en particulier si l’on considère l’exemple donné dans la dernière phrase de ce paragraphe.

[73] Dans la décision Hertel v. Minister of National Revenue, 93 DTC 721, le juge Sobier s’est exprimé ainsi :

14 Pour déterminer le centre des intérêts vitaux, il ne suffit pas de soupeser ou de dénombrer les facteurs où les liens dans chaque État. Il faut chercher à savoir, et cela importe plus que le nombre, avec quel État la personne a les liens les plus étroits.

Ce passage a été cité et approuvé par le juge O’Connor, de la Cour canadienne de l’impôt, dans la décision Yoon c. La Reine, 2005 CCI 366.

[67] Aux fins de cette détermination, la Cour retient dans le cas présent que l’appelant a des liens personnels forts avec le Cameroun et cela se comprend par la présence dans ce pays de sa famille où elle vit en permanence et dont il est très fier. Au Cameroun, il détient notamment un bail (aucune preuve contraire quant à la durée du bail n’a été établie, a fortiori sa famille s’y trouve toujours) et un lot. Sans nier que l’appelant a des liens personnels et économiques au Canada durant la période, le Cameroun présente l’endroit où ces liens sont les plus étroits. La preuve supporte sur la balance des probabilités cette conclusion. Un seul pays peut l’emporter aux fins du test, et il s’agit ici d’une notion relative, et non d’une notion mécanique ou arithmétique.

[68] La Cour rappelle que le test ou la procédure à suivre de la Convention appliqué plus haut n’a pas pour but de trancher le dilemme de la résidence à partir des mêmes règles et critères qui ont permis d’établir une résidence fiscale aux fins domestiques. Le test retenu par la Convention est en soi élaboré afin de trancher définitivement et sur de nouvelles bases la résidence d’un individu entre les deux pays. En finalité, les critères retenus aux fins de cette détermination n’offrent pas d’incertitude sur la détermination à retenir. La recherche d’une détermination unique de la résidence entre les 2 pays est clairement visée, et une fois déterminée les conséquences fiscales domestiques à cet égard en découlent.

[69] Considérant l’analyse qui précède, la Cour est d’avis que les dispositions du paragraphe 250(5) de la Loi s’applique et répute l’appelant ne pas résider au Canada au cours de la période pertinente et plus particulièrement la période du 1er juillet 2018 au 30 avril 2019 visée par l’avis de nouvelle détermination daté du 3 mai 2019.

C. Statut aux fins de l’ACE

[70] Aux fins de l’ACE, la question en litige vise à déterminer si l’appelant a satisfait aux alinéas 122.6(1)a), b) et c) de la Loi de la définition de particulier admissible au cours de la Période en litige. Le 20 mars 2019, la Ministre a déterminé que l’appelant n’est pas admissible à l’ACE pour les mois d’août 2016 à juin 2017 (année de base 2015), de juillet 2017 à juin 2018 (année de base 2016) et de juillet 2018 à février 2019 (année de base 2017). Considérant que la Ministre a déterminé que l’appelant est déjà résident au Canada aux fins des années de base 2015 et 2016 puisque le CTPS de base lui a été confirmé aux avis de nouvelle détermination daté du 5 mars 2019, il semble plus approprié de considérer les alinéas 122.6(1)a) et b) de la définition de particulier admissible dans un premier temps puisque ces conditions visent toute la durée d’août 2016 à février 2019, et que le défaut de rencontrer l’une d’entre elle suffit à disposer de la question en litige.

[71] L’alinéa 122.6(1)a) de la définition de particulier admissible, qui requiert que l’appelant réside avec les enfants à charge, établit un lien étroit avec l’alinéa 122.6(1)c) de la même définition qui lui requiert que l’appelant réside au Canada. En effet, bien que l’alinéa a) ne réfère pas à « réside au Canada » tout comme à l’alinéa c), il apparaît clair d’accorder à l’action de « résider » le même sens aux fins des alinéas a) et c) de la définition. À cet égard, l’alinéa c) ne fait qu’ajouter le lieu où l’action de résider doit s’établir. Et une fois de plus, rappelons que tous les alinéas de la définition doivent être rencontrés au même moment.

[72] En conséquence, considérant que l’alinéa c) de la définition de particulier admissible oblige clairement l’appelant à résider au Canada, ce dernier ne peut donc rencontrer la condition de l’alinéa a) qu’en résidant au Canada avec les enfants. Lors de son introduction le 24 février 1998, l’alinéa c) ne mentionnait que les mots « elle [la personne] réside au Canada ». Les amendements subséquents à l’alinéa c) n’ont pas modifiés cette exigence. Des notes techniques déposées en mars 1999 par le ministère des Finances du Canada concernant l’article 122.6 de la Loi indiquait au sujet du sens à donner au particulier admissible :

An “eligible individual” in respect of a qualified dependant is generally the person who resides with the dependant in Canada and is the dependant's principal care provider. It is presumed that the female parent of a qualified dependant is the eligible individual if she resides with the dependant.

(notre soulignement)

[73] Aussi, quant à la portée de l’alinéa c) de la définition de particulier admissible, il doit être noté que le paragraphe 250(5) de la Loi stipule qu’un résidant du Canada ne peut à la fois résider au Canada aux fins de la Loi et résider dans un pays conventionné lorsqu’en vertu des dispositions de la convention fiscale intervenue entre le Canada et ce pays les règles décisives qui y sont contenues établissent qu’il est un résident de ce pays aux fins de la convention. En d’autres mots, le paragraphe 250(5) ne permet pas à un individu de pouvoir déclarer être résident au Canada aux fins fiscales canadiennes alors qu’une convention fiscale intervenue entre le Canada et un pays tiers détermine définitivement qu’il est un résident fiscal de l’autre pays.

[74] La revue de la condition de la définition de particulier admissible à l’alinéa 122.6(1)c) présente donc dans le cas présent une dichotomie avec l’alinéa a) car si la condition à l’alinéa 122.6(1)a) discutée plus haut est satisfaite la situation signifie que l’appelant était un résident du Cameroun aux fins de la Convention, car la résidence des enfants n’a jamais cessé d’être au Cameroun. Dans un tel cas, l’appelant est forclos de réclamer un statut de résident au Canada en raison du paragraphe 250(5) de la Loi aux fins de satisfaire la condition de l’alinéa 122.6(1)c) de la définition de particulier admissible. Cette situation fait en sorte qu’il n’y a pas d’issue favorable pour l’appelant à déterminer de façon définitive le statut de résidence aux fins de l’alinéa c) et de l’admissibilité à l’ACE.

[75] L’action de résider ensemble ou encore avec l’autre infère que ceux et celles visés par l’action satisfont à la condition à partir généralement d’un même situs. Dans ce cas-ci, ce situs ne peut être qu’au Canada ou au Cameroun. Et il y a peu de place à l’ambigüité puisque les enfants sont en tout temps physiquement sous le même toit au Cameroun, et en aucun temps ou moment au Canada. À cet égard, la preuve soutient que l’appelant ne peut prétendre qu’il résidait avec les enfants que lorsqu’il se trouvait au Cameroun avec eux, les enfants n’ayant jamais quitté le Cameroun pour le Canada pour quelque durée que ce soit avant ou au cours de la Période en litige. La résidence requiert une certaine constance, une certaine régularité ou encore d'une manière habituelle [17]. Ici aucune ambigüité n’existe, les enfants résident au Cameroun.

[76] Si l’appelant est à bon droit comme il le prétend un résidant au Canada aux fins de la Loi et de la Convention tout au long de la Période en litige, incluant au moment de sa présence au Cameroun d’avril 2018 à avril 2019, sa présence au Cameroun ne ferait pas de lui un résident du Cameroun aux fins la convention fiscale Canada-Cameroun. Dans un tel cas, il séjourne au Cameroun certes mais sans modifier son statut de résidence fiscale. Par conséquent, si l’appelant réside au Canada aux fins de l’alinéa c) de la définition de particulier admissible, il n’est pas en mesure de satisfaire à l’alinéa a) sur ces mêmes assises et résider avec les enfants puisqu’ils ne sont jamais entrés au Canada. L’inverse est aussi vrai. Si l’appelant devait s’avérer un résident du Cameroun aux fins de la Convention fiscale Canada-Cameroun, le paragraphe 250(5) de la Loi répute l’appelant un non-résident du Canada, et donc dans ce cas c’est l’alinéa c) qui fait défaut.

[77] En d’autres mots, l’appelant se retrouve dans une situation où il est dans l’impossibilité de rencontrer à la fois l’alinéa a) et l’alinéa c) de la définition de particulier admissible, sans égard à son statut de résident ou non-résident aux fins de la Loi.

[78] Le statut de l’appelant à titre de particulier admissible aux fins de l’ACE cause donc un problème à l’alinéa 122.6(1)a) de la définition prévue à cet effet, puisqu’ultimement l’unique endroit où la condition peut être satisfaite est au Cameroun.

[79] De plus, l’alinéa b) de la définition de particulier admissible cause également un problème. La Cour n’est pas convaincue que l’appelant a réussi par prépondérance des probabilités à renverser la présomption de l’alinéa f) de la même définition qui établit que si l’enfant réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de la personne à charge est présumée être la mère. Les parties ont limités la contestation de l’alinéa b) de la définition à déterminer qui de l’appelant ou de sa conjointe assumait principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des six enfants vivants avec la conjointe au Cameroun. Il n’a pas établi qu’une personne autre que l’appelant a présenté une demande d’ACE. De plus, la Cour retient de la position de l’appelant que sa participation à la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants est essentiellement monétaire : il effectue des virements bancaires à sa conjointe au Cameroun pour subvenir aux besoins et aux soins de la famille.

[80] Pour satisfaire la condition de l’alinéa b) de la définition de particulier admissible, la Cour ne croit pas que la preuve a contredit la contribution financière de l’appelant. Une lettre de la conjointe confirmant le soutien financier de l’appelant a été déposée en preuve. Cette lettre non-contredite confirme également que la conjointe est femme au foyer s’occupant du suivi des enfants. La contribution économique demeure réelle et soutenue. Toutefois, suffit-elle dans les circonstances lorsque les enfants sont constamment avec la conjointe de l’appelant, qu’elle s’occupe des enfants, pose les gestes quotidiens, s’assure de prodiguer une sécurité et une présence quotidienne à l’écoute des enfants? Autant de gestes que l’appelant ne peut assumer considérant les circonstances.

[81] La contribution financière de l’appelant est certes non négligeable et justifie une contribution à l’éducation et au soin des enfants. Cependant, l’alinéa 122.6(1)h) de la définition de particulier admissible dicte que pour les fins de déterminer en quoi consiste le soin et l’éducation d’une personne l’article 6302 du Règlement de l’impôt sur le revenu, CRC, c 945 (Règlement) détermine les critères à retenir :

6302 Pour l’application de l’alinéa h) de la définition de particulier admissible à l’article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne à charge admissible :

a) le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

b) le maintien d’un milieu sécuritaire là où elle réside;

c) l’obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

d) l’organisation pour elle d’activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

e) le fait de subvenir à ses besoins lorsqu’elle est malade ou a besoin de l’assistance d’une autre personne;

f) le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

g) de façon générale, le fait d’être présent auprès d’elle et de la guider;

h) l’existence d’une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

Notre soulignement

[82] Considérant les circonstances et la preuve telle qu’établie à l’audience, la Cour est d’avis que les paragraphes a), b), c), d), e), f) et g) du Règlement 6302 sont favorables à la position de madame, alors que l’appelant obtient une partie du crédit en vertu des paragraphes b) et c) [18]. Dans ce contexte global, combinée à la portée de la présomption de l’alinéa 122.6(1)f), madame demeure dans le cas présent la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants à charge.

[83] L’appelant n’a pas soumis de décisions qui pouvaient soutenir qu’une interprétation raisonnable de ces critères visait essentiellement l’aspect financier permettant de supporter l’accomplissement des actions qui sont décrites au Règlement 6302. À la face même du libellé des critères énoncés au Règlement 6302, le texte suggère davantage un accent sur la personne qui assure les soins, qui pose les gestes et les actions auprès des enfants. La présence physique de la personne apparaît centrale dans la détermination de la personne qui assume la responsabilité des soins et l’éducation. Ces critères ne sont pas les seuls, et l’aspect financier mérite une considération. Toutefois, après avoir considéré les facteurs et la preuve au dossier il apparaît très difficile pour la Cour de ne pas accorder, selon la balance des probabilités, cette responsabilité à la conjointe de l’appelant. Bien que la présomption à l’alinéa 122.6(1)f) de la Loi soit réfutable [19], l’appelant n’a pas réussi à convaincre la Cour selon la balance des probabilités que l’alinéa 122.6(1)b) de la définition de particulier admissible a été satisfait par ce dernier.

[84] Dans l’affaire Pantelidis [20], le juge Pizzitelli a indiqué que la situation financière respective des parents n’est pas un des facteurs dont il faut directement tenir compte pour déterminer quel parent assume principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation des enfants. Il ne semble pas par ailleurs exister de décision où la seule contribution financière d’un des parents fut suffisante pour pencher la balance en leur faveur.

[85] Dans l’affaire Picard [21], la mère demeurait à 180 km de son enfant qui résidait avec le père, mais c’est elle qui défrayait tous les couts en lien avec l’enfant et elle demeurait une source principale de support morale et spirituelle. Il fut déterminé que cette contribution était insuffisante pour qu’elle soit le parent principalement responsable des soins et de l’éducation de l’enfant puisqu’elle ne résidait pas avec elle.

[86] Dans l’affaire Simard [22], bien que le père ait plus de moyens et contribuait plus financièrement au soin et à l’éducation des enfants, la mère était le particulier admissible puisque c’est chez-elle que les enfants passaient le plus de leur temps libre et c’était leur maison.

[87] En conclusion, l’impossibilité pour l’appelant de rencontrer les conditions d’admissibilité à titre de particulier admissible aux fins de l’ACE durant la Période en litige est réelle. La situation de l’appelant face aux conditions a), b) et c) de la définition de particulier admissible aux fins de l’ACE est telle qu’il ne s’avère pas nécessaire de déterminer autrement le statut de résident fiscal de l’appelant au Canada durant la période pertinente.

VII. Conclusion

[88] Considérant tout ce qui précède, les appels des avis de nouvelle détermination pour les années de base 2015, 2016 et 2017 de l’appelant (i) concernant le crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée et (ii) concernant l’allocation canadienne pour enfants, sont rejetés. Le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2024.

« J. M. Gagnon »

Juge Gagnon


 


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 80

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-1619(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JOSEPH TANGA ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 24 et 25 avril 2024

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Jean Marc Gagnon

DATE DU JUGEMENT :

Le 31 mai 2024

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L’appelant lui-même

Pour l'intimé :

Me Olivier Charbonneau-Saulnier

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

n/a

Cabinet :

n/a

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl), telle que modifiée (Loi).

[2] Goldstein c La Reine, 2013 CCI 165 (conf. 2014 CAF 27) [Goldstein].

[3] Le fardeau de la preuve en matière d’appel fiscal a fait l’objet de discussions récentes dans plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale et la Cour canadienne de l’impôt. Le juge Webb dans Sarmadi v The Queen, 2017 FCA 131 [Sarmadi] a revisité le fardeau de la preuve en matière fiscale sans toutefois recevoir l’aval de ses collègues le juge Stratas et la juge Woods qui ont préféré ne pas se prononcer définitivement sur la question. Dans Eisbrenner v The Queen, 2020 FCA 93 [Eisbrenner], le juge Webb, au nom de la Cour d’appel fédérale, a réitéré la même ligne de commentaires soutenue dans Sarmadi en lien avec le fardeau de la preuve. La demande d’autorisation d’appel de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale a été rejetée le 14 janvier 2021. Depuis la décision Eisbrenner, la position du juge Webb en regard du fardeau de la preuve en matière fiscale a été confirmée ou reprise dans quelques décisions de la Cour d’appel fédérale: Kufsky v Canada, 2022 FCA 66, Chibani v Canada, 2021 FCA 196, European Staffing Inc. v Canada (National Revenue), 2020 FCA 219 et Van der Steen v Canada, 2020 FCA 168. Les principales décisions de la Cour canadienne de l’impôt traitant de cette question récente sont les décisions du juge Owen dans Morrison v The Queen, 2018 TCC 220 et Damis Properties Inc. v The Queen, 2021 TCC 24.

[4] Thomson v Minister of National Revenue, [1946] SCR 209 [Thomson].

[5] Paul Lefebvre, « Le pouvoir d'imposition du Canada : la résidence et l'arrêt Thomson 60 ans plus tard », 54(3) Revue fiscale canadienne 781-801 (2006).

[6] Canada c Laurin, 2008 CAF 58 et Goldstein.

[7] Folio de l’impôt sur le revenu S5-F1-C1, Détermination du statut de résidence d’un particulier.

[8] The Queen v Reeder, 75 DTC 5160 (CF 1ière inst.) [Reeder]; Bower c La Reine, 2013 CCI 183, voir aussi Perlman c La Reine, 2010 TCC 658.

[9] Voir par exemple : Yoon c La Reine, 2005 CCI 366 [Yoon]; Mahmood c La Reine, 2009 CCI 89.

[10] Entre autres, le paragraphe 250(5) de la Loi est pertinent.

[11] Dysert v The Queen, 2013 TCC 57 [Dysert].

[12] La décision Shih v R., 2000 DTC 2072 reflète une situation où le contribuable est séparé de sa famille sans par ailleurs avoir été déterminant dans la décision rendue.

[13] Il ressort clairement des observations de la Cour suprême du Canada dans Thomson que le verbe « séjourner » signifie en général « faire un séjour temporaire en un endroit; visiter, rester ou résider pendant un certain temps ». Un séjour inclut quelque chose d’inhabituel et d’intermittent, et il s’accompagne d’un élément transitoire, puisque celui qui fait le séjour a l’intention de retourner à son lieu habituel de résidence.

[14] Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C-5.

[15] Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991 (Code civil du Québec).

[16] Une règle similaire de Common Law a également été retenue par la Cour. Voir notamment les décisions Yoon et Dysert. Convention entre le Canada et la République Unie du Cameroun tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, F102241 - RTC 1988 No 5 (Convention).

[17] Connolly c La Reine, 2010 CCI 231.

[18] Le jeu des paragraphes 252(1) et (2) de la Loi confère à madame et l’appelant le statut de mère et père des enfants à charge.

[19] Cabot v The Queen, 1998 CanLII 477 (TCC).

[20] Pantelidis c La Reine, 2010 CCI 639 [Pantelidis].

[21] Picard c La Reine, 2005 CCI 509 [Picard].

[22] Simard c La Reine, 2005 CCI 427 [Simard].

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