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Dossier : 2013-146(IT)I

 

ENTRE :

MARION SOTSKI,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu et motifs rendus oralement à l’audience

le 10 septembre 2013, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Valerie Meier

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010 est accueilli, et la nouvelle cotisation datée du 7 novembre 2011 est annulée.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2013.

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de novembre 2013.

 

C. Laroche


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 286

Date : 20130913

Dossier : 2013-146(IT)I

 

ENTRE :

 

MARION SOTSKI,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience

le 10 septembre 2013, à Edmonton (Alberta)).

 

Le juge Pizzitelli

 

[1]             En l’espèce, la seule question que la Cour est appelée à trancher est de savoir si l’appelante peut, au titre de l’alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), déduire la somme de 3 675 $ engagée en 2010 pour l’installation d’un plancher fabriqué en bois franc, dans sa résidence.

 

[2]             Les faits ne sont en général pas contestés. L’époux de l’appelante souffre de la maladie de Parkinson, maladie évolutive et débilitante qui, sans qu’aucune des deux parties ne le conteste, constitue une déficience physique grave et prolongée, qui rend à la fois difficiles et dangereux les déplacements sur des surfaces où l’adhérence est possible, comme les moquettes, en raison des risques de chute. Du fait de la difficulté à lever ses pieds sur une surface qui présente de l’adhérence, comme les moquettes, de sa position penchée vers l’avant à cause de la maladie et du problème supplémentaire de sa polyarthrite psoriasique qui fait que ses orteils sont rentrés vers l’intérieur, l’époux de l’appelante risquait sérieusement de se prendre les pieds dans la moquette et de tomber, et essentiellement de se blesser et de blesser l’appelante, qui est sa pourvoyeuse de soins à domicile, et tout autre fournisseur de soins extérieur qui essaie de l’aider. En conséquence, l’appelante, une personne ayant de l’expérience dans la prestation de soins, s’est rendue à un centre spécialisé dans les revêtements de sol et, après avoir obtenu des conseils d’un vendeur relativement aux besoins de son époux, elle a remplacé la moquette presque neuve de leur maison vieille de cinq ans par un plancher stratifié lisse fabriqué à un prix modique, afin d’éliminer la résistance, et réduire ainsi l’effort physique et la fatigue qui en découle, et le risque de chute pour tous, comme je l’ai déjà précisé.

 

[3]             L’intimée admet que l’appelante a une raison et une justification médicales pour installer le plancher et est d’accord avec l’appelante sur le fait que le nouveau plancher stratifié permettrait à l’époux de l’appelante de mieux se déplacer et accomplir les tâches de la vie quotidienne dans l’habitation, comme l’envisage l’alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi. Le seul différend qui existe entre les parties est la position de l’intimée selon laquelle les deux autres conditions de la disposition précitée n’ont pas été remplies, à savoir, celles énoncées dans la partie de l’alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi qui est en ainsi libellée :

 

l.2)       […] pourvu que ces frais à la fois :

 

(i)         ne soient pas d’un type dont on pourrait normalement s’attendre à ce qu’ils aient pour effet d’augmenter la valeur de l’habitation,

 

(ii)        soient d’un type que n’engagerait pas normalement la personne jouissant d’un développement physique normal ou n’ayant pas un handicap moteur grave et prolongé;

 

[4]             Pour que l’appelante obtienne gain de cause en l’espèce, les deux conditions énoncées ci‑dessus doivent être remplies.

 

[5]             L’intimée avance que l’installation d’un plancher laminé est d’un type de rénovation dont on pourrait normalement s’attendre à ce qu’elle ait pour effet d’augmenter la valeur de l’habitation, et est d’un type que n’engagerait pas normalement la personne jouissant d’un développement physique normal ou n’ayant pas un handicap moteur grave et prolongé, bien qu’elle n’ait produit aucun élément de preuve à cet égard. La charge de réfuter l’hypothèse émise par le ministre du Revenu national (le « ministre ») incombe bien entendu à l’appelante. Celle‑ci a soutenu que, bien que l’installation de planchers en bois franc massif soit d’un type dont on pourrait normalement s’attendre à ce qu’elle ait pour effet d’augmenter la valeur de l’habitation, l’installation de planchers fabriqués achetés à un prix modique ne le serait pas, étant donné que la moquette existante était relativement neuve. L’appelante a également témoigné qu’elle n’avait remplacé que la moquette couvrant la surface de 800 mètres carrés utilisée par son époux, et non le reste des moquettes dans la maison. L’appelante a aussi précisé dans son témoignage qu’elle préférait personnellement une moquette de qualité comme celle qu’elle avait auparavant au plancher stratifié, mais que le plancher stratifié était la seule option abordable dont elle disposait pour répondre aux besoins liés à l’état de santé de son époux. Le témoignage de l’appelante était sincère et cohérent, et j’ai conclu que l’appelante était très crédible.

 

[6]             Sincèrement, j’ai été convaincu par la preuve de l’appelante selon laquelle on ne saurait dire que l’installation d’un plancher stratifié acheté à un prix modique, au lieu d’un plancher en bois franc massif, est d’un type dont on pourrait normalement s’attendre à ce qu’elle augmente la valeur de l’habitation. La question du plancher est, comme l’appelante l’a laissé entendre et que j’accepte comme étant raisonnable, au mieux, une décision de consommation personnelle et, même si je concluais qu’il est raisonnable que le remplacement d’une vieille moquette tâchée augmente vraisemblablement la valeur de l’habitation, je ne puis admettre que le remplacement d’une moquette de qualité presque neuve par un plancher stratifié bas de gamme aboutirait au même résultat. Je dois dire, selon mon expérience personnelle, que le coût d’une moquette de qualité peut être considérablement élevé par rapport à celui de certains types de planchers stratifiés et qu’un plancher fabriqué à l’aide d’un bois de placage est beaucoup moins cher qu’un plancher en bois franc de très grande qualité. À mon avis, l’appelante a démontré qu’elle avait rempli la première condition de l’alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi, et l’intimée n’a présenté aucun élément de preuve contraire.

 

[7]             La deuxième condition que l’appelante doit remplir selon la disposition susmentionnée est plus problématique à mon avis. Il faut que l’appelante démontre que ce type de frais est d’« un type que n’engagerait pas normalement la personne jouissant d’un développement physique normal ou n’ayant pas un handicap moteur grave et prolongé » pour reprendre les termes de la disposition. L’intimée avait soutenu que l’intention du législateur était claire et que l’installation de planchers de bois franc était un de ces types de frais qu’engagerait normalement la personne n’ayant pas le handicap exigé. L’intimée a produit en preuve l’annexe au plan budgétaire de 2005 dans laquelle le ministre des Finances a reconnu, à la page 19, que des décisions récentes de la Cour avaient donné une interprétation plus large de l’ancienne disposition pour inclure dans certains cas, le coût d’un plancher en bois franc ou de l’installation d’une cuve thermale, une expansion qui déborde nettement de l’objectif de la politique du crédit d’impôt pour frais médicaux, parce que :

 

[…] cela revient à subventionner des travaux de rénovation qui accroissent la valeur de l’habitation et à accorder une reconnaissance fiscale à l’égard de dépenses qui présentent un important élément de consommation et de choix personnels. [...]

 

[8]             Pour mettre fin à la reconnaissance à l’égard de telles dépenses, le législateur a ajouté les deux conditions dont il est question ci‑dessus, qui devaient permettre, souligne l’intimée, d’écarter les décisions antérieures de la Cour, lesquelles décisions admettaient le coût d’installation d’un plancher en bois franc et d’une cuve thermale. Bien que les documents budgétaires et les notes explicatives ne soient pas des lois, on devrait leur accorder un poids significatif lorsque le législateur était au courant, au moment où la loi a été adoptée, que le ministère des Finances était au fait de la question et qu’il avait l’intention de la régler.

 

[9]             En se fondant sur les observations précitées, l’intimée déclare que le type de dépenses dont on avait l’intention de refuser la déduction à ce moment‑là était celui concernant l’installation de planchers en bois franc et donc, la demande de déduction de l’appelante devrait être refusée en l’espèce. En outre, l’intimée soutient que les récentes décisions rendues après les modifications législatives, qui étaient entrées en vigueur le 23 février 2005, date de dépôt du budget, appuient sa position. Dans la décision Hendricks c La Reine, 2008 CCI 497, 2008 DTC 4852, le juge Paris a refusé la déduction, à titre de dépenses médicales, du prix payé pour des planchers en bois franc, en faisant référence à l’intention claire du législateur exprimée dans les documents budgétaires et, dans la décision Barnes c La Reine, 2009 CCI 429, 2009 DTC 1282, le juge Boyle, qui a également mentionné l’intention claire du législateur confirmée par les notes explicatives et les documents budgétaires du ministère des Finances accompagnant les modifications législatives apportées en 2005, a refusé la déduction de frais relatifs à l’installation d’une piscine.

 

[10]        Toutefois, l’appelante a soutenu que, conformément à l’intention du législateur, ses frais ne sont pas des frais qui présentent un élément de consommation ou de choix personnels comme cela avait été évoqué dans la mise en garde contenue dans le document budgétaire susmentionné. L’appelante a témoigné qu’elle n’avait simplement pas le choix si elle souhaitait répondre aux besoins liés aux déficiences médicales de son époux dues à la maladie de Parkinson.

 

[11]        Sincèrement, je souscris à la position de l’appelante en l’espèce. Les documents budgétaires et les notes explicatives énoncent clairement que les deux conditions ont été ajoutées pour veiller à ce qu’on ne subventionne pas la consommation et les choix personnels du contribuable. Je suis d’accord avec l’appelante quant au fait que, si la seule option qu’elle avait était d’installer des planchers stratifiés peu coûteux afin de régler les problèmes de santé de son époux, alors, il n’y a pas, en l’espèce, d’élément de consommation ou de choix personnels qu’on demande au contribuable de financer. Je tiens aussi à souligner que, dans la décision Hendricks précitée, aux paragraphes 8 et 9, le juge Paris a conclu que l’appelant n’avait pas réfuté l’hypothèse formulée par le ministre voulant que la pose de planchers en bois franc soit une transformation dont on pourrait normalement s’attendre à ce qu’elle ait pour effet d’augmenter la valeur de l’habitation et que, comme cela est énoncé au paragraphe 9 :

 

9          […] Je voudrais également ajouter que, en toute logique, le remplacement de moquettes vieilles de 23 ans par un plancher neuf en bois franc est à mon avis une transformation d’un type dont on pourrait normalement s’attendre à ce qu’elle ait pour effet d’augmenter la valeur de l’habitation.

 

[12]        Le juge Paris a rendu sa décision dans cette affaire en se fondant sur le fait que la première condition n’avait pas été remplie.

 

[13]        En l’espèce, nous sommes en présence d’une situation où l’appelante a remplacé une moquette presque neuve, qui n’avait que cinq ans, dans une partie de la maison seulement que son époux handicapé utilise, par un plancher stratifié fabriqué, bas de gamme, non par un plancher en bois franc, et j’ai conclu que la première condition avait été remplie.

 

[14]        En outre, lorsqu’il s’était penché sur la deuxième condition, le juge Boyle avait fait l’observation suivante, au paragraphe 13 de la décision Barnes précitée :

 

13        Cela ne veut pas dire que, dans des circonstances appropriées, une piscine conçue ou modifiée spécialement pour une personne à des fins de physiothérapie thérapeutique ne pourra pas constituer une dépense admissible.

 

[15]        En conséquence, le juge Boyle a reconnu que la loi n’est pas uniquement conçue pour interdire la déduction de « types » de dépenses comme l’intimée le soutient, mais des types de dépenses qui ne répondent pas à la condition exprimée par le législateur eu égard à la politique qu’il a énoncée. À mon avis, si, comme l’a fait observer le juge Boyle, une piscine spécialement conçue pour l’appelante handicapée dans cette affaire-la, aurait pu constituer une dépense admissible, je ne vois pas pourquoi un plancher dont la conception n’exige rien de spécial, mais qui répond aux exigences, acheté et installé sans fioritures, pour ainsi dire, ne devrait pas l’être. En effet, le résultat semblerait absurde si, en l’espèce, l’appelante avait engagé un ingénieur pour concevoir un plancher en béton très lisse ou un [traduction] « plancher médical », pour reprendre l’expression de l’intimée, ne présentant aucune résistance afin de répondre spécialement aux besoins de l’appelante, et ce, à grands frais, et que cette dépense était admissible, alors que celle liée à l’utilisation des moyens les plus modestes pour parvenir au même résultat ne le serait pas.

 

[16]        Pour interpréter les dispositions de l’alinéa précité, il ne faut pas perdre de vue les politiques énoncées par le législateur, aussi bien dans les dispositions qu’il a édictées concernant le crédit d’impôt pour frais médicaux que dans les modifications qu’il y a apportées. Les crédits d’impôt pour frais médicaux ont été conçus pour accorder un allègement à des contribuables qui ont une déficience grave et prolongée des fonctions physiques ou mentales, afin de les aider à faire face aux coûts supplémentaires qu’ils doivent supporter en raison de leur état de santé. Les modifications législatives de 2005 visaient à éviter les abus à l’égard de ces dispositions. En l’espèce, l’intimée ne conteste pas l’existence des handicaps de l’époux de l’appelante et reconnaît même que l’installation du plancher stratifié fabriqué aide à soulager ses symptômes et à régler les problèmes liés à son état de santé. L’intimée ne conteste pas le but et l’intention de l’appelante de faire poser un plancher, afin d’aider son époux à se déplacer et à réduire la fatigue et les risques de blessures, par l’obtention d’une surface offrant moins de résistance dans son habitation, des exigences qui sont énoncées au paragraphe 118.2(2) de la Loi. L’intimée se fonde uniquement sur l’interprétation technique qu’elle a faite des deux conditions prévues à l’alinéa 118.2(2)1.2) de la Loi, mentionnant les documents budgétaires et les notes explicatives pour laisser entendre que l’intention du législateur était de catégoriser les types de dépenses en général, y compris tous les planchers en bois franc. Je ne peux simplement pas souscrire à cet argument.

 

[17]        Le législateur, en tenant compte de sa politique visant à éviter des abus en matière de dépenses médicales, a énoncé deux conditions conçues pour éviter les abus. Il n’a pas précisément catégorisé les dépenses comme les planchers en bois franc, les cuves thermales ou les piscines comme étant prohibés dans le texte de loi et, alors que les documents budgétaires et les notes explicatives ont mentionné ces types d’abus, il s’agissait des types d’abus donnés comme exemples, parce qu’ils faisaient l’objet des cas que le ministère des Finances avait contestés comme étant abusifs dans ces circonstances‑là. En l’espèce, je ne suis pas d’avis que le remplacement d’une moquette de qualité installée depuis seulement cinq ans par un plancher stratifié fabriqué, à prix modique, au lieu d’un plancher en bois franc massif, à un prix plus élevé, est abusif. L’appelante n’a pas tenté d’acheter un plancher de luxe ou d’améliorer la qualité de son habitation en installant le plancher qu’elle a choisi de poser. Elle n’a plutôt fait que ce qui était nécessaire, sans l’intention ou l’attente d’obtenir que le contribuable finance ses choix de consommation personnels. Si elle avait installé, disons, un plancher haut de gamme en bois massif d’acajou au lieu d’un plancher fabriqué, bas de gamme, on pourrait se poser des questions sur ses motivations et en arriver à une conclusion raisonnable que non seulement cela augmenterait la valeur de son habitation, mais aussi serait également le type de matériau haut de gamme que la plupart des contribuables seraient sans doute contents de voir les autres contribuables financer pour eux. Telle n’était pas la situation en l’espèce. Il n’y a pas d’abus; les conditions énoncées à l’alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi, interprétées à la lumière des politiques du législateur, ont été remplies, de sorte que l’appel est accueilli en totalité.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2013.

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de novembre 2013.

 

C. Laroche


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 286

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2013-146(IT)I

                                                         

INTITULÉ :                                      MARION SOTSKI c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 septembre 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 13 septembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Valerie Meier

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

            Nom :                                    s/o              

 

            Cabinet :                              

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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