Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2013 CCI 310

Date : 20140328

Dossier : 2011-952(IT)G

ENTRE :

 

PIÈCES AUTOMOBILES LECAVALIER INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Bédard

 

[1]             Il s’agit d’une nouvelle cotisation relative aux années d’imposition 2002, 2004 et 2005 de l’appelante. Le ministre du Revenu national (« ministre ») a appliqué la disposition générale anti-évitement (« la DGAÉ ») que l’on retrouve à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (« LIR ») à une série d’opérations visant l’achat des actions de Greenleaf Canada Acquisitions Inc. (« Greenleaf ») par l’appelante.

 

[2]             En décembre 2002, la société 3929761 Canada Inc. (qui deviendra par la suite l’appelante) avait acheté de la société Ford U.S. la totalité des actions de sa filiale Greenleaf en contrepartie d’un montant de 1 $ et de la prise en charge d’une dette de 9 742 007 $ due par Greenleaf à sa société mère, Ford U.S. Le montant de la dette due par Greenleaf à Ford U.S. avait préalablement été réduit de 24 369 439 $ à 9 465 163 $ par cette dernière en ce qu’elle avait injecté des fonds dans Greenleaf en souscrivant à des actions ordinaires additionnelles pour un montant total de 14 843 596 $ et, le même jour, Greenleaf avait versé à Ford U.S. ces mêmes fonds à titre de remboursement d’une partie du capital et des intérêts échus sur la dette. En procédant à ces transactions préalablement à la vente des actions de sa filiale, 3929761 Canada Inc. acquerrait la créance de Ford U.S. pour un montant supérieur à 80 % du principal de la dette au moment de l’acquisition. Si 3929761 Canada Inc. avait procédé à l’acquisition des actions et de la dette de Greenleaf sans avoir préalablement réduit la dette, le sous‑alinéa 80.01(6)a)(ii) aurait fait en sorte de qualifier la dette comme étant une « dette déterminée ». Cette dette déterminée aurait alors été considérée comme une dette remisée en vertu du paragraphe 80.01(7) et le régime de remise de dette se serait appliqué à la transaction selon le paragraphe 80.01(8). Cela aurait entraîné la perte des différents attributs fiscaux de Greenleaf en plus d’une inclusion immédiate d’un montant de 5 700 000 $ dans le revenu de l’appelante[1].

 

[3]             En déterminant les attributs fiscaux raisonnables dans les circonstances selon le paragraphe 245(5) de la LIR, le ministre a considéré que l’appelante avait réalisé un gain sur remise de dette de 14 944 275 $ et que ce gain devait être soumis aux règles prévues à l’article 80 de la LIR. Le ministre a donc ajusté les attributs fiscaux de l’appelante, pour l’année 2012, de la façon suivante :

 

Changements apportés en application de l’article 80

Année d’imposition 2002

Réduction du solde de pertes autres qu’en capital (par. 80(3))

414 964 $

Réduction de FNACC (par. 80(5))

2 462 028 $

Réduction du MCIA (par. 80(7) : ¾ x 71 773 $ = 53 830 $)

53 830 $

La moitié du solde (par. 80(13): ½ x 11 995 510 $ = 5 997 755 $)

5 997 755 $

Moins déduction accordée à la demande de l’appelante : (art. 61.3)

(5 997 755 $)

 

[4]             Après avoir apporté des modifications aux attributs fiscaux de Greenleaf en application de l’article 80 de la LIR, le ministre a fait certains ajustements au revenu imposable de l’appelante pour les années d’imposition 2002, 2004 et 2005.

 

Les points en litige

 

[5]             Pour que la DGAÉ s’applique, les conditions suivantes doivent être remplies :

 

i)       il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations;

 

ii)      l’opération doit être une opération d’évitement au sens où il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un ou des objets véritables;

 

iii)     l’opération d’évitement dont découle l’avantage fiscal doit être abusive au sens où il n’est pas raisonnable de conclure que l’obtention de l’avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

 

[6]             En l’espèce, l’appelante reconnaît avoir obtenu un avantage fiscal. Il faut donc déterminer si cet avantage fiscal résulte d’une opération ou d’une série d’opérations d’évitement, et, dans l’affirmative, si l’opération ou la série d’opérations d’évitement entraîne directement ou indirectement un abus.

 

[7]             L’appelante soutient que l’achat des actions de Greenleaf par 3929761 Canada Inc. ne fait pas partie de la même série d’opérations que les opérations d’évitement identifiées par l’intimée parce que les opérations de la série avaient été imposées par Ford U.S. L’appelante soutient également que les opérations d’évitement identifiées par l’intimée avaient été conclues pour des objets véritables, c’est‑à‑dire pour les considérations fiscales et économiques américaines de Ford U.S. L’appelante soutient qu’il s’agit d’une transaction où le vendeur avait établi une structure sans se soucier des conséquences fiscales pour l’acheteur canadien. De plus, l’appelante soutient qu’il n’y a pas eu d’évitement fiscal abusif car la transaction n’allait pas à l’encontre de l’esprit et de l’objet de l’article 80 de la LIR.

 

Le contexte préalablement à l’achat des actions

 

[8]             Pièces Automobiles Lecavalier était à l’origine une société à caractère familial dont Roger Fugère père était actionnaire et administrateur depuis le début des années 1980. Ses fils, dont Roger Fugère fils (« M. Fugère »), jouaient tous un rôle important au sein de la société.

 

[9]             En 1993, à la suite d’un gel successoral, les quatre enfants de Roger Fugère père étaient devenus actionnaires de cette société. M. Fugère agissait alors comme administrateur et directeur général.

 

[10]        En 1999, Ford U.S., parallèlement à la mise en place d’un plan de restructuration de ses activités, avait procédé à l’achat de plusieurs centres de recyclage de pièces automobiles en Amérique du Nord. Le 1er novembre 2000, Ford U.S, par le biais de sa filiale Greenleaf, avait acheté les actions de Gestion Phirobec Inc., la société mère de Pièces Automobiles Lecavalier, pour une somme d’environ 18 600 000 $. À la suite de la vente, M. Fugère avait conservé son poste de directeur général chez Pièces Automobiles Lecavalier.

 

[11]        Au cours de la restructuration de Ford U.S., Greenleaf avait acquis plusieurs sociétés œuvrant dans le même domaine d’activités. Du 1er janvier au 1er mai 2001, les sociétés suivantes avaient fait l’objet d’une fusion avec Greenleaf ou d’une liquidation au profit de celle-ci : Plazek Auto Recycler Ltd., Cumberland Motor Sales Ltd., Cumberland Auto Parts Ltd. et Les entreprises Jules Harbec Inc.

 

[12]        Le 1er mai 2001, Pièces Automobiles Lecavalier et Gestion Phirobec Inc. s’étaient fusionnées, la société résultant de cette fusion ayant alors été liquidée au profit de Greenleaf, puis dissoute. Ford U.S. avait alors procédé à la poursuite de toutes ses activités de recyclage de pièces automobiles au Canada par le biais de Greenleaf.

 

Le processus d’achat des actions de Greenleaf par 3929761 Canada Inc.

 

[13]        En avril 2002, à la suite d’un changement de garde, Ford U.S. avait entrepris des démarches afin de cesser l’exploitation de ses activités de recyclage automobile. M. Fugère y avait alors vu l’occasion de racheter de Ford U.S. la division québécoise de Greenleaf, qui comprenait à ce moment‑là plusieurs sociétés fusionnées, dont Pièces Automobiles Lecavalier.

 

[14]        En septembre 2002, Ford U.S. détenait 13 050 001 actions ordinaires de Greenleaf. Greenleaf était également endettée envers Ford U.S. pour un montant de 24 369 439 $, montant ayant été consenti par Ford U.S. à titre d’avances.

 

[15]        Selon le témoignage de M. Fugère, il y aurait eu une première rencontre entre lui et les représentants de Ford U.S. en avril 2002. Lors de cette rencontre, M. Fugère aurait affirmé vouloir uniquement acheter les actifs liés aux activités de recyclage situées au Québec. Il aurait également mentionné aux représentants de Ford U.S. qu’il ne souhaitait pas faire l’acquisition des actions de Greenleaf car il n’était pas intéressé par les actifs ontariens de cette filiale. Toujours selon lui, Ford U.S. aurait alors plutôt signifié sa ferme intention de se départir de l’ensemble de ses activités canadiennes dans ce domaine en vendant les actions de Greenleaf. Le 25 juillet 2002, M. Fugère aurait fait parvenir à Ford U.S. une offre d’achat pour la totalité des actions de Greenleaf et de sa créance à l’égard de Greenleaf en contrepartie d’un montant de 7 750 000 $. Cette offre aurait été refusée par Ford U.S.

 

[16]        Le 22 août 2002, M. Fugère avait fait parvenir à Ford U.S. une deuxième offre, toujours pour l’achat des actions de Greenleaf et de sa créance à l’égard de Greenleaf. Cette deuxième offre prévoyait deux scénarios de paiement. Selon M. Fugère, ces offres auraient également été rejetées.

 

[17]        Vers le 23 septembre 2002, à la suite de plusieurs séances de négociation, M. Fugère et Ford U.S. se seraient entendus sur le prix d’achat des actions de Greenleaf. Les parties auraient conclu une entente de principe afin qu’une société à être créée, 3929761 Canada Inc. (qui deviendra éventuellement l’appelante Pièces Automobiles Lecavalier), acquière la totalité des actions Greenleaf et de la créance de 24 369 439 $ pour la somme de 9 742 008 $.

 

L’achat des actions de Greenleaf

 

[18]        À la suite de l’entente de principe, les transactions suivantes avaient été effectuées. Ces opérations ont été qualifiées par les parties comme étant les opérations de « nettoyage de la dette » :

 

Le 15 octobre 2002, souscription par Ford U.S. à 1 000 000 d’actions ordinaires additionnelles de Greenleaf pour une contrepartie payée de 14 843 596 $. Ford U.S. détenait alors un total de 14 050 001 actions dans Greenleaf.

 

Le 15 octobre 2002, transfert bancaire pour un montant de 14 944 302 $ à Ford U.S. à titre de remboursement des avances, soit un capital de 12 250 000 $ et des intérêts de 2 694 301 $. À ce moment, le solde total de la dette passait de 24 369 439 $ à 9 465 163 $.

 

 

[19]        Le 2 décembre 2002, Ford U.S. vendait à 3929761 Canada Inc. la totalité des actions de Greenleaf en contrepartie d’un montant de 1 $. Par la même occasion, Ford U.S. vendait à 3929761 Canada Inc. la créance de 9 750 000 $[2] qu’elle détenait dans Greenleaf, pour une contrepartie de 9 742 007 $. La contrepartie totale payée pour l’ensemble des actions et la créance fut de 9 742 008 $, soit le montant négocié aux environs du 23 septembre 2002.

 

La disposition générale anti-évitement (DGAÉ)

 

[20]        Le cadre analytique qui s’applique à la disposition générale anti-évitement que l’on retrouve à l’article 245 de la LIR a été exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada[3] et confirmé dans les arrêts Lipson c. Canada[4] et Copthorne Holdings c. Canada[5]. Sous réserve de l’application éventuelle de la DGAÉ, les contribuables sont en droit d’opter pour des opérations ou des planifications qui sont propres à réduire leurs obligations fiscales, le tout conformément au principe énoncé dans l’arrêt Commissioners of Inland Revenue v. Duke of Westminster[6].

 

[21]        La DGAÉ est un mécanisme juridique par lequel le législateur confie aux tribunaux la tâche inhabituelle d’aller au-delà du texte de la disposition invoquée par le contribuable pour en déterminer l’objet et l’esprit[7]. Il ne faut toutefois pas oublier que la DGAÉ est une « mesure de dernier recours »[8] que le ministre peut invoquer s’il croit que les opérations choisies par le contribuable ne concordent pas avec l’esprit, la raison d’être ou l’objet de ces dispositions et, de ce fait, les contrecarre ou en abuse[9].

 

L’existence d’un avantage fiscal

 

[22]        La première condition d’application de la DGAÉ est celle de l’existence d’un avantage fiscal. C’est au contribuable qu’il incombe habituellement de réfuter la thèse du ministre quant à l’existence de cet avantage[10]. Tel que mentionné précédemment, l’appelante reconnaît avoir obtenu un avantage fiscal, soit la conservation des attributs fiscaux qui auraient autrement été réduits en application de l’article 80 de la LIR. Il faut donc passer à la deuxième condition d’application.

 

L’opération d’évitement : cadre juridique

 

[23]        La deuxième condition d’application de la DGAÉ, telle qu’énoncée dans l’arrêt Trustco[11], est que l’opération qui génère l’avantage fiscal doit être une opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la LIR :

 

(3)        L’opération d’évitement s’entend :

a)                  soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b)                  soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

[24]        Cette condition sert à soustraire à l’application de la DGAÉ les opérations ou les séries d’opérations qui peuvent raisonnablement être considérées comme ayant principalement été effectuées pour un ou des objets non fiscaux[12]. Il appartient au contribuable de réfuter la prétention ou de mettre en doute la présomption de fait du ministre en démontrant que l’opération visait principalement un objet non fiscal véritable[13]. Puisque la détermination de l’existence d’une opération d’évitement est une décision relative aux faits, le fardeau de preuve est le même que dans n’importe quelle instance fiscale où le contribuable conteste la cotisation établie par le ministre, c'est-à-dire la prépondérance des probabilités[14].

 

[25]        Lorsque, comme en l’espèce, le ministre considère que l’avantage fiscal découle d’une série d’opérations et non d’une seule opération, il faut 1) déterminer s’il y a une série, quelles opérations en font partie et si l’avantage fiscal découle de la série[15] et 2) déterminer si l’une ou l’autre des opérations de la série alléguée constitue une opération d’évitement[16]. En effet, la série d’opérations dont découle directement ou indirectement un avantage fiscal sera qualifiée d’opération d’évitement, sauf s’il est raisonnable de considérer que chacune des opérations de la série est principalement effectuée pour des objets véritables, l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable[17]. Finalement, il n’est pas nécessaire que la personne qui effectue l’opération d’évitement soit la même que celle qui bénéficie de l’avantage fiscal[18].

 

L’opération d’évitement : analyse

 

[26]        Le ministre allègue que les deux transactions de nettoyage de la dette effectuées le 15 octobre 2002, à savoir la souscription d’actions par Ford U.S. et l’utilisation par Greenleaf du montant de la souscription pour rembourser une partie de la dette, constituent des opérations d’évitement car elles n’avaient aucun objet véritable et n’avaient été réalisées que pour obtenir un avantage fiscal, soit la conservation des attributs fiscaux. De concert avec la vente des actions, ces opérations constituaient, selon le ministre, la série d’opérations dont découlait cet avantage fiscal.

 

[27]        Pour sa part, l’appelante allègue que l’achat des actions de Greenleaf par 3929761 Canada Inc. ne faisait pas partie de la même série d’opérations que les deux opérations de nettoyage de la dette car ces opérations auraient été imposées par Ford U.S., le tout sans égard aux motivations de l’appelante.

 

[28]        En ce qui a trait à l’objet véritable des opérations alléguées comme opérations d’évitement, l’appelante soutient qu’elles avaient été conclues pour des raisons propres à Ford U.S. ainsi que pour des raisons fiscales américaines. L’appelante soutient qu’il s’agissait là d’objets véritables.

 

L’existence d’une série d’opérations

 

[29]        Dans l’arrêt Copthorne, la Cour suprême du Canada a confirmé la position prise dans l’arrêt Trustco relativement au concept de série d’opérations. Cette position était elle-même basée sur l’opinion majoritaire des juges de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt OSFC. Dans la détermination de l’existence d’une série d’opérations, le point de départ réside dans la common law anglaise qui définit la série de telle sorte que « chaque opération dans la série [est] déterminée d’avance pour produire un résultat final »[19]. Le paragraphe 248(10) de la LIR élargit cette définition en disposant que les opérations liées terminées « en vue de réaliser » ou « en raison de la série » sont réputées faire partie de la série :

 

Série d’opérations

248(10) Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou d’événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

 

[30]        L’appelante soutient que les opérations de nettoyage de dette ne faisaient pas partie de la même série d’opérations que l’achat des actions puisque les opérations avaient été imposées unilatéralement par Ford U.S. L’appelante affirme que ces deux opérations de nettoyage de la dette, à savoir la souscription au capital-actions et le remboursement du prêt, avaient été imposées par Ford U.S. une fois le prix de vente déterminé et qu’en ce sens, elles avaient constitué une série qui se distinguait de l’achat des actions de Greenleaf par 3929761 Canada Inc.

 

[31]        Il s’agirait, selon l’appelante, de deux séries d’opérations distinctes, chacune ayant été effectuée par des parties différentes. À mon avis, c’est la première fois que notre Cour examine l’existence d’une série d’opérations sous cet angle. Il faut donc déterminer si les deux opérations de nettoyage de la dette, dont a découlé l’avantage fiscal, peuvent être considérées comme des « opérations liées » effectuées « en raison de » l’achat des actions, pour former une série d’opérations.

 

[32]        La preuve de l’appelante à ce sujet reposait essentiellement sur les témoignages de M. Fugère et de M. Lacombe. M. Lacombe est comptable fiscaliste et travaille pour la famille Fugère depuis le début des années 1990. L’appelante a également déposé, sous la cote A‑2[20], un document de deux pages indiquant les différentes étapes des opérations de nettoyage de la dette qui devaient être achevées préalablement à l’achat des actions. Selon le témoignage de M. Fugère, les différentes opérations qui se trouvaient dans ce document avaient été imposées par Ford U.S., le tout sans possibilité de compromis. Ce document aurait été envoyé par télécopieur quelques jours après l’entente de principe, soit entre le 23 septembre et le 30 septembre 2002. Également, selon ces témoignages, ces étapes n’auraient jamais fait l’objet de discussions ou de négociations entre les parties.

 

[33]        D’emblée, je dois admettre que l’appelante ne m’a pas convaincu que Ford U.S. avait imposé les opérations de nettoyage de la dette. Même si messieurs Fugère et Lacombe ont témoigné en ce sens, il aurait été souhaitable, voire nécessaire en l’espèce, qu’un représentant de Ford U.S. témoigne que Ford U.S avait bel et bien structuré la transaction de façon unilatérale. Appelé à commenter l’absence d’un représentant de Ford U.S. à la barre des témoins, le procureur de l’appelante a expliqué cette absence par la non‑collaboration de Ford U.S.

 

[34]        D’autre part, le document déposé sous la cote A‑2 constitue le seul élément de preuve documentaire à l’effet que Ford U.S. avait imposé les opérations de nettoyage de la dette. Bien que ce document puisse provenir de Ford U.S. et que son introduction en preuve n’ait pas été contestée, je considère, pour les raisons suivantes, que la force probante de ce document est relativement faible. Il s’agit d’un document de deux pages, non daté et non signé, qui aurait été envoyé par télécopieur. On retrouve sur ce document une série de transactions et d’étapes, le tout présenté sous un format « schématique ». Je serais étonné qu’une entreprise de la réputation et de la taille de Ford U.S. ait procédé à une transaction de plus de 9 millions de dollars et en ait dicté les différentes étapes en télécopiant un document de deux pages que je qualifierais de « brouillon » à son futur acheteur. Cette hypothèse me semble peu crédible, d’autant plus que la preuve documentaire démontre que des fiscalistes américains et canadiens avaient été appelés à travailler sur cette transaction complexe[21]. Ainsi, à la lumière de la preuve soumise à l’audience et compte tenu de l’absence de certains éléments de preuve qui auraient dû être produits, je ne suis pas convaincu que les opérations relatives à la transaction avaient été imposées par Ford U.S. comme le soutient l’appelante. Cela dit, même si ces opérations avaient été imposées par Ford U.S., je crois que le nettoyage de la dette et l’achat des actions faisaient partie de la même série d’opérations pour les raisons qui suivent. M. Fugère a témoigné à l’effet que 3929761 Canada Inc. souhaitait, au début du processus de négociation, acquérir les actifs de Greenleaf. Or, Ford U.S. lui aurait alors signifié sa ferme intention de vendre ses actions afin de réaliser la perte en capital latente[22] qu’elle avait sur celles-ci. De plus, afin de réaliser cette perte, M. Lacombe a témoigné que Ford U.S. devait absolument procéder aux opérations de nettoyage de la dette. Toute cette partie des témoignages constitue du ouï-dire. Toutefois, même si je devais accepter cette partie du témoignage, j’arriverais à la conclusion que Ford U.S. avait procédé aux opérations de nettoyage de la dette dans le but de pouvoir réaliser sa perte en capital en vendant les actions de Greenleaf à 3929761 Canada Inc. Ford U.S. voulait vendre ses actions pour réaliser sa perte en capital latente, perte qui n’était disponible que si le nettoyage de la dette était effectué. Ainsi, si Ford U.S. n’avait pas effectué le nettoyage de dette, elle n’aurait pas pu bénéficier de sa perte en capital. Dans une telle situation, il lui aurait été égal de vendre les actions ou les actifs de sa filiale. Peut-on ainsi dire que les opérations de nettoyage de la dette, dont a découlé l’avantage fiscal, peuvent être considérées comme des « opérations liées » effectuées « en raison de » de l’achat par 3929761 Canada Inc. des actions de Greenleaf? Il me semble que la réponse va de soi.

 

[35]        En conclusion sur ce point, je suis d’avis que les opérations de nettoyage de la dette et la vente des actions de Greenleaf faisaient partie de la même série d’opérations, d’une part, car le nettoyage de la dette avait été fait en raison de l’achat des actions et, d’autre part, parce que je ne suis pas convaincu que les opérations de nettoyage avaient été imposées par Ford U.S.

 

L’une ou l’autre des opérations de la série alléguée constitue une opération d’évitement

 

[36]        La question de savoir si une opération a été principalement effectuée pour un objet non fiscal doit être tranchée de manière objective, à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée à la Cour[23]. À ce stade, le fardeau de la preuve repose toujours sur le contribuable à qui il incombe de prouver l’existence d’un objet non fiscal véritable[24].

 

[37]        Tel que le mentionnait la Cour suprême dans l’arrêt Trustco, il appartient au juge de la Cour canadienne de l’impôt de soupeser la preuve pour décider s’il est raisonnable de conclure que l’opération n’a pas été principalement effectuée pour un objet non fiscal. Il faut ainsi envisager objectivement la possibilité que les événements se prêtent à diverses interprétations[25].

 

[38]        Si au moins l’une des opérations faisant partie de la série d’opérations constitue une opération d’évitement, la DGAÉ permet alors de supprimer l’avantage fiscal qui découle de cette série. À l’inverse, si chaque opération de la série a été principalement effectuée pour de véritables objets non fiscaux, la DGAÉ ne permet pas de supprimer l’avantage fiscal qui en découle. Finalement, je note qu’une opération peut avoir une motivation fiscale sans que l’on infère nécessairement que la motivation fiscale soit la raison première de l’opération.

 

[39]        L’appelante soutient que les opérations de nettoyage de dette avaient été conclues pour des raisons propres à Ford U.S. ainsi que pour des raisons fiscales américaines. L’appelante soutient que ce sont là des objets véritables.

 

[40]        L’intimée soutient que la souscription d’actions additionnelles par Ford U.S. et l’utilisation par Greenleaf du montant de la souscription pour rembourser une partie de la dette due à Ford U.S. constituent des opérations d’évitement car elles n’avaient aucun objet véritable. Toujours selon l’intimée, le seul objet de ces opérations était de préserver les attributs fiscaux de Greenleaf en empêchant l’application des règles sur les remises de dettes des articles 80 et 80.01 de la LIR.

 

[41]        À la lecture de l’alinéa 245(3)b) et de la définition d’« avantage fiscal » au paragraphe 245(1), je constate que des motivations fiscales « purement américaines » constituent en soi des objets véritables. En effet, bien que l’obtention d’un avantage fiscal ne soit pas considérée comme étant un objet véritable, la définition d’avantage fiscal prévoit « la réduction, l’évitement ou le report d’un impôt […] exigible en application de la présente loi », faisant expressément référence à la LIR :

 

245(1) « avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

245 (3) L’opération d’évitement s’entend :

[…]

b)soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

(Non souligné dans l’original.)

 

[42]        Ainsi, s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables, en l’espèce des motivations fiscales américaines et des raisons propres à Ford U.S., les opérations de nettoyage de dette ne peuvent pas être qualifiées d’opérations d’évitement.

 

[43]        La preuve présentée par l'appelante sur cette question reposait essentiellement sur les témoignages de M. Lacombe et de M. Brian Nerney. M. Lacombe a témoigné à l’effet que les opérations de nettoyage de la dette avaient été imposées par Ford U.S. pour des raisons comptables et fiscales américaines et pour que celle-ci puisse bénéficier de sa perte en capital lors de la disposition des actions de Greenleaf. M. Lacombe est un comptable fiscaliste canadien. Il n’a pas été désigné par la Cour comme expert en fiscalité canadienne, et encore moins expert en fiscalité américaine. Cela ne semble d’ailleurs pas avoir été envisagé par l’avocat de l’appelante. Avec égards, je ne peux accepter la partie de son témoignage relative aux conséquences fiscales américaines pour Ford U.S. L’appelante aurait pu et dû mandater un témoin expert en fiscalité américaine afin de présenter les différents impacts qu’entraînent les opérations de nettoyage de la dette. D’ailleurs, M. Lacombe a admis avoir eu recours à un fiscaliste canadien spécialisé en fiscalité américaine pour l’informer à cet égard. L’appelante n’a toutefois pas cru utile de l’assigner, invoquant une question de coût. La Cour n’a pas connaissance d’office du droit américain et elle n’est pas tenue de tirer des conclusions quant à l’application de celui-ci à certaines transactions dans un contexte canadien. Je ne peux ainsi retenir cet aspect du témoignage de M. Lacombe.

 

[44]        M. Brian Nerney a été assigné par l’appelante afin de témoigner sur son rôle dans des transactions similaires survenues aux États-Unis. Plus précisément, il aurait été dirigeant et actionnaire de Greenleaf U.S., une société de recyclage automobile achetée de Ford U.S. lors de la restructuration de ses activités.

 

[45]        Essentiellement, son témoignage fut à l’effet que Ford U.S. lui aurait imposé une transaction similaire à celle dont il est question. Selon lui, la transaction aurait été structurée ainsi dans le seul but de permettre à Ford U.S. de bénéficier d’une perte en capital latente sur la vente des actions, une extinction de dette entre parties ayant un lien de dépendance ne permettant pas de réaliser cette perte.

 

[46]        Il est important de noter que M. Nerney n’a pas été qualifié de témoin expert. Son témoignage constitue du ouï‑dire et, bien qu’intéressant, sa valeur probante demeure très limitée.

 

[47]        L’appelante n’a pas cru utile ou n’a pas été en mesure de faire témoigner un représentant de Ford U.S. relativement aux raisons internes qui auraient mené celle-ci à structurer les opérations de nettoyage de cette manière. L’appelante n’a pas jugé utile non plus de mandater un expert en droit américain afin de renseigner la Cour sur les conséquences fiscales américaines de ces transactions. L’intimée me demande d’en tirer une inférence négative, ce que j’accepte de faire pour les raisons suivantes.

 

L’inférence négative

 

[48]        En matière civile, la règle générale relativement aux inférences défavorables fondées sur l’omission de faire entendre un témoin remonte à la décision Blatch c. Archer[26], où Lord Mansfield énonçait, à la p. 65 :

 

[TRADUCTION]

 

Il existe certainement un principe voulant que tous les faits soient appréciés à la lumière de la preuve que l'une des parties était en mesure de produire et que l'autre partie était en mesure de réfuter.

 

[49]        Et dans The Law of Evidence in Civil Cases (John Sopinka et Sidney N. Lederman, Toronto, Butterworths, 1974), les auteurs précisent, aux pages 535 et 536 :

 

[TRADUCTION]

 

L'application de ce principe a conduit à établir une règle bien connue selon laquelle l'omission d'une partie ou d'un témoin de produire une preuve que la partie ou le témoin était en mesure de produire et qui aurait peut-être permis d'élucider les faits, fonde la Cour à déduire que la preuve de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée.

(Non souligné dans l’original.)

 

[50]        Ce principe a été repris par la Cour suprême du Canada en 1970 dans l’arrêt Lévesque c. Comeau[27]:

 

[…] Ce n'est pas tout. L'expert de l'appelante Lola Lévesque ne l'a examinée pour la première fois que plus d'un an après l'accident alors qu'elle avait dans l'intervalle consulté plusieurs médecins et subi divers examens. Elle seule était en mesure d'apporter au tribunal ces éléments de preuve et elle ne l'a pas fait. À mon avis, il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve lui seraient défavorables. Cette règle n'est pas moins applicable parce que les témoins dont il s'agit demeurent tous à Montréal. L'appelante Lola Lévesque devait au besoin recourir à la procédure de commission rogatoire. Dans ces circonstances, on pouvait à bon droit refuser d'accepter son témoignage et celui de son mari sur son bon état de santé avant l'accident, comme une preuve suffisante pour exclure les autres causes possibles de surdité.

(Non souligné dans l’original.)

 

[51]        Ce passage de l’arrêt Lévesque c. Comeau a souvent été accompagné, dans la jurisprudence récente[28], du passage suivant de James H. Chadbourn, dir., Wigmore on Evidence, vol. 2, Boston, Little, Brown & Company, 1979, à la page 192 :

 

[TRADUCTION]

 

L'omission de présenter au tribunal une circonstance, un document, ou un témoin, alors que la partie elle-même ou son adversaire allègue que les faits seraient ainsi éclaircis, sert à montrer ce qui est la déduction la plus naturelle que la partie craint de le faire, et cette crainte prouve d'une certaine façon que la circonstance, le document ou le témoin, s'ils avaient été présentés, auraient mis à jour des faits défavorables à la partie. Ces déductions ne peuvent être faites à juste titre qu'à certaines conditions; de plus, il est toujours possible qu'elles s'expliquent par des circonstances qui rendent plus naturelle une autre hypothèse que la crainte de divulgation. Cependant, le bien-fondé de pareille déduction en général n'est pas remis en question.

(Non souligné dans l’original.)

 

[52]        La Cour suprême a récemment rappelé ce principe dans l’arrêt R. c. Jolivet[29]. Bien qu’il s’agisse d’un jugement en matière de droit criminel, la Cour a fait des remarques intéressantes sur l’application de ce principe en matière civile. Par exemple, la partie visée par l’inférence défavorable peut expliquer de façon satisfaisante les raisons sur lesquelles se fonde l’omission de faire entendre le témoin[30]. De plus, la Cour souligne qu’il faut être précis quant à la nature exacte de l’inférence défavorable recherchée. Citant Sopinka,[31] la Cour souligne que l’omission de faire entendre un témoin peut équivaloir, selon le cas, « à l’aveu implicite que la déposition du témoin absent serait défavorable à la cause de la partie ou, du moins, qu’elle ne l’appuierait pas »[32].

 

[53]        Toujours dans l’arrêt Jolivet[33], la Cour suprême mentionne également que les circonstances selon lesquelles l’avocat du procès choisit de ne pas faire entendre un témoin donné peuvent restreindre la nature de l’inférence défavorable qui peut en découler. On peut, par exemple, décider de ne pas faire entendre un témoin parce qu’un autre témoin a déjà traité adéquatement de la question, ou parce qu’un témoin honnête pourrait faire mauvaise impression ou pour d’autres raisons n’ayant rien à voir avec la véracité du témoignage[34].

 

[54]        Dans la décision Downey c. Canada[35], l’appelant était partie à une vente entre personnes ayant un lien de dépendance et devait démontrer que des personnes non liées auraient transigé à un prix semblable. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’appelant n’avait pas présenté une preuve suffisante pour réfuter les présomptions du ministre. En effet, il n’avait pas fait témoigner le cocontractant quant aux circonstances de la transaction et de la détermination du prix. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale[36].

 

[55]        Dans la décision Teelucksing c. Canada[37], au paragraphe 81, le juge Miller a dit que, pour qu'il soit possible de tirer une conclusion défavorable, il doit exister un vide dans la preuve.

 

[56]        Afin de tirer une inférence négative relativement à l’absence d’un témoin, le juge du procès doit d’abord être insatisfait de la preuve qui lui est présentée ou, du moins, avoir un doute réel quant à son contenu. Lorsque le juge du procès émet certaines réserves ou exprime certains doutes par rapport à la preuve et que la seule personne en mesure d’apporter des éléments de preuve additionnels ou de corroborer ceux déjà présentés ne témoigne pas, une inférence négative pourra être tirée de cette absence à moins qu’elle ne s’explique par des circonstances vraisemblables et crédibles. À cet effet, le juge doit se demander si les circonstances qui ont mené l’avocat du procès à ne pas faire entendre un témoin donné peuvent restreindre la nature de l’inférence défavorable qui pourrait en découler.

 

[57]        Dans le présent appel, l’appelante tente de faire la preuve que les transactions de nettoyage de la dette ont été imposées par Ford U.S. pour ses propres fins fiscales et financières américaines. La preuve de l’appelant à cet effet repose sur les témoignages de M. Fugère et de M. Lacombe. Ces témoignages constituent une preuve intéressée et constituent, en bonne partie, du ouï-dire. Certains éléments sont également douteux ou invraisemblables à la lumière des faits. L’appelante a également présenté une preuve documentaire déficiente à laquelle on ne peut accorder une grande valeur probante. Il existait donc clairement un vide dans la preuve.

 

[58]        Seul un représentant de Ford U.S. aurait été en mesure de corroborer les témoignages de M. Fugère et M. Lacombe. L’appelante soutient qu’en raison de l’absence de coopération de la part de Ford U.S., la Cour n’a pas pu bénéficier de ce témoignage. Tel que l’a mentionné le juge Archambault dans la décision Morley[38], la loi et les règles de pratique prévoient différents moyens pour s’assurer de la présence d’un témoin à l’audience. 

 

[59]        De plus, l’appelante n’a pas jugé utile de faire témoigner un expert qui aurait pu éclairer la Cour sur les conséquences fiscales américaines qu’auraient eu les opérations de nettoyage de dette et qui auraient pu constituer des objets véritables. L’avocat de l’appelante a affirmé qu’une question de coût était à l’origine de cette décision. Je note toutefois que l’appelante a fait venir M. Nerney du Texas afin que celui-ci témoigne environ cinq minutes au total sur des sujets qui constituaient à leur face même du ouï-dire et qui n’ont pas éclairé la Cour.

 

[60]        La preuve des modalités entourant la vente était essentielle pour l’appelante si elle souhaitait s’acquitter de son fardeau à l’égard de l’existence d’opérations d’évitement. Considérant en plus que c’est elle qui détenait le fardeau de réfuter l’existence d’une telle opération, je n’hésite pas à tirer une inférence négative de l’absence du témoignage d’un représentant de Ford U.S. L’importance que revêtait ce témoignage et l’absence d’explications et de justifications qui, eu égard aux circonstances, auraient été crédibles, militent en ce sens.

 

Conclusion sur la série d’opérations d’évitement

 

[61]        En conclusion, comme la question de savoir si une opération avait été principalement effectuée pour un objet non fiscal doit être tranchée de manière objective, à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée à la Cour, je suis d’avis que l’appelante n’a pas réussi à établir par prépondérance de la preuve, que les opérations de nettoyage de la dette avaient été faites principalement pour des objets non fiscaux.

 

[62]        Il est clair que les transactions avaient des objets fiscaux. L’appelant avait toutefois le fardeau de démontrer qu’il y avait des objets non fiscaux, et que les opérations avaient été entreprises principalement pour ces objets. Cela n’a pas été fait. Des considérations fiscales américaines et des considérations internes, qu’elles soient comptables, économiques ou autres, peuvent dans certains cas constituer des objets non fiscaux véritables. Ici, la preuve ne me permet pas de tirer cette conclusion. Ainsi, je conclus que les opérations de nettoyage de dette constituaient toutes deux des opérations d’évitement qui ont entraîné un avantage fiscal, soit la conservation des attributs fiscaux.

 

[63]        Avant de procéder à la troisième étape de l’analyse, je ferai les commentaires suivants. L’appelante a soutenu à plusieurs reprises que les aspects fiscaux de la transaction n’avaient jamais été envisagés jusqu’au moment où Ford U.S. aurait envoyé le document décrivant les transactions à être effectuées. M. Fugère et M. Lacombe ont tous deux témoigné que ce n’est que lorsque les transactions avaient été imposées par Ford U.S., aux alentours du 30 septembre 2002, qu’ils s’étaient questionnés sur les conséquences fiscales de l’achat des actions et de la dette. Il n’est pas clair, selon la preuve soumise, si cet argument visait l’existence d’une série d’opérations ou les opérations d’évitement à proprement parler. À la lumière de l’analyse effectuée aux paragraphes précédents, il ne m’est pas nécessaire d’examiner cet argument. J’ai déjà conclu qu’il y avait une série d’opérations qui comportait deux opérations d’évitement. Néanmoins, puisque l’appelante a insisté sur cet aspect, je crois qu’il est important d’aborder cette partie de son argumentation.

 

[64]        M. Fugère et M. Lacombe ont témoigné que les négociations relatives à l’achat des actions de Greenleaf par 3929761 Canada Inc. avaient commencé en mars 2002. Selon leur témoignage, ce n’est qu’à la fin du mois de septembre 2002, lorsque Ford U.S. aurait transmis le document imposant les différentes opérations, qu’ils auraient envisagé les conséquences fiscales de l’achat. Je comprends de leur témoignage qu’il se serait écoulé une période d’environ six mois entre le début des négociations et la mise en place de la structure, et qu’avant ce moment, les aspects fiscaux de la transaction n’avaient jamais été envisagés. Bien que les témoignages de M. Fugère et de M. Lacombe concordaient, ils ne m’ont pas convaincu.

 

[65]        M. Lacombe est un comptable fiscaliste d’expérience. Il est consultant et un proche conseiller de la famille Fugère depuis le début des années 1990. Il a longuement élaboré sur les différents rôles de « coaching » qu’il avait eus lors du gel successoral de Pièces Automobiles Lecavalier, de la vente à Ford en 1999 et de l’achat qui fait l’objet du litige. À toutes les étapes de la transaction qui a mené à l’achat des actions de Greenleaf, il avait été le conseiller de M. Fugère.

 

[66]        M. Lacombe connaissait l’existence de la dette de 24 000 000 $ entre Greenleaf et Ford U.S., étant donné qu’il avait eus accès aux états financiers internes de Greenleaf. Bien qu’il ait prétendu ne pas connaître la nature de la dette, il me semble improbable qu’un fiscaliste d’expérience n’ait pas eu le réflexe de s’informer davantage alors qu’il savait que 3929761 Canada Inc. allait acquérir les actions et la dette de Greenleaf pour une somme 9 750 000 $. Il me semble qu’une telle situation aurait alarmé tout fiscaliste à propos de l’application des règles sur les remises de dettes que l’on retrouve aux articles 80 et 80.01 de la LIR.

 

[67]        En conclusion, l’appelante ne m’a pas convaincu que les conséquences fiscales n’avaient jamais été envisagées avant la réception de la télécopie indiquant les opérations à suivre. Il me semble que les conséquences fiscales étaient trop importantes et contemporaines pour que personne ne s’en préoccupe. Si la transaction avait été effectuée de la manière suggérée dans la lettre d’offre finale, il y aurait eu une inclusion au revenu de l’appelante de 5 700 000 $ en plus de la perte des attributs fiscaux. En procédant au nettoyage de la dette, on évitait cette possibilité. Dans une perspective purement canadienne, l’une ou l’autre des façons de procéder n’avait aucun impact sur Ford U.S. Toutefois, pour l’appelante, il s’agissait d’un problème bien réel et immédiat. Bien que cette analyse ne soit pas essentielle dans la détermination de la deuxième étape, je suis d’avis que cela confirme les conclusions auxquelles je suis parvenu quant à l’existence d’une série d’opérations et l’absence d’objets véritables relativement aux opérations de nettoyage de dette.

 

L’évitement fiscal abusif

 

[68]        La DGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que dans les cas où la Cour conclut que l’opération en cause est manifestement abusive[39]. Le paragraphe 245(4) de la LIR est ainsi libellé :

 

245(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est   raisonnable de considérer, selon le cas :

 

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

 

(i)                 la présente loi,

 

(ii)               le Règlement de l’impôt sur le revenu,

 

(iii)             les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

 

(iv)             un traité fiscal,

 

(v)               tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

 

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

 

[69]        Pour conclure au caractère abusif d’une opération, la Cour doit d’abord déterminer « l’objet ou l’esprit des dispositions de la LIR qui sont invoquées pour obtenir l’avantage fiscal, eu égard à l’économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles »[40]. L’objet ou l’esprit peuvent être circonscrits en utilisant la méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée[41].

 

[70]        La Cour doit ensuite se demander si l’opération est conforme à l’objet ainsi défini ou si elle le contrecarre[42]. Comme le mentionnait le juge Lebel dans l’arrêt Lipson, au paragraphe 34, le caractère abusif d’une opération qui fait partie d’une série ne se révèle que dans le contexte de la série dans laquelle cette opération s’inscrit et de l’effet global obtenu. Ainsi, l’opération qui fait partie d’une série doit être examinée dans le contexte de la série pour déterminer s’il y a eu évitement fiscal abusif.

 

[71]        La Cour doit conclure à l’existence d’un évitement fiscal abusif dans l’une des trois situations suivantes : (1) l’opération produit un résultat que la disposition vise à empêcher (2) l’opération va à l’encontre de la raison d’être de la disposition, ou (3) l’opération contourne l’application de la disposition de manière à contrecarrer son objet ou son esprit[43]. Il est possible que ces considérations se chevauchent car elles ne sont pas indépendantes. Le ministre doit démontrer clairement que l’opération d’évitement a un caractère abusif, le bénéfice du doute devant être accordé au contribuable.

 

[72]        L’intimée soutient que les opérations d’évitement contrecarraient et contournaient l’objet et l’esprit de l’article 80 de la LIR en général. L’intimée prétend que, lorsqu’un débiteur bénéficie d’une remise de dette, cela équivaut à un revenu puisqu’il y a une augmentation de sa valeur nette. Autrement dit, sa puissance économique est augmentée du montant de la créance remise. De plus, lorsque la dette d’un débiteur est éteinte et que ce dernier a déduit des dépenses de son revenu, ces dépenses déduites ne lui ont en théorie rien coûté.

 

[73]        L’intimée soutient que, si la dette n’avait pas été pardonnée en partie par l’injection de capitaux et le remboursement subséquent juste avant la vente, les règles de remisage de dette (« debt parking ») se seraient appliquées. En d’autres termes, si les actions avaient été vendues pour le prix de 9 750 000 $ alors que la dette de Greenleaf était de plus de 24 000 000 $, l’article 80.01 de la LIR relativement au remisage de dette se serait appliqué et une remise de dette serait réputée avoir eu lieu.

 

[74]        Finalement, l’intimée soutient que l’alinéa 80(2)g) de la LIR prévoit le régime qui s’applique lorsque des actions du capital‑actions d’une société sont émises en contrepartie du règlement d’une dette. Selon l’intimée, il s’agit d’une disposition qui prévoit un mécanisme d’application automatique selon lequel le montant payé en règlement de la dette est réputée être égal à la juste valeur marchande (« JVM ») de l’action. Selon l’intimée, l’objet de l’alinéa 80(2)g) de la LIR est à l’effet que, si l’on transforme une dette en capitaux propres et que les actions ainsi émises ont une juste valeur marchande inférieure au principal de la dette, l’article 80 de la LIR s’appliquera. Ainsi, en cas d’échange d’une dette pour des actions qui ne valent rien ou qui ont une JVM moindre, il faut appliquer les règles sur les remises de dette.

 

[75]        Pour sa part, l’appelante soutient que les articles 80 et ss. de la LIR forment une série de règles très claires, et que, puisque ces règles sont détaillées et exhaustives, il est difficile de démontrer une politique sous-jacente qui irait au-delà de ce que le texte de loi prévoit déjà.

 

[76]        L’appelante soutient également qu’il y a deux aspects à la politique fiscale sous-jacente au régime de l’article 80 de la LIR. D’une part, il y a l’augmentation de la puissance économique du débiteur qui découle de la remise de dette, et d’autre part, il y a la déduction de la perte sur la mauvaise créance par le créancier. Ainsi, selon l’appelante, puisqu’il n’y a pas eu de déduction de la perte pour mauvaise créance de Ford U.S. à la suite de la remise de dette, il n’y aurait pas eu abus de l’esprit et de l’objet de la loi.

 

[77]        Finalement, l’appelante mentionne qu’en effectuant les opérations de nettoyage de la dette, Ford U.S. s’est simplement replacée dans la même situation que si elle avait décidé de capitaliser son intérêt dans Greenleaf plutôt que de recourir à une combinaison de prêts et d’actions. En ce sens, il ne pourrait pas y avoir eu d’abus.

 

[78]        Il faut noter que l’appelante n’a pas fait d’observations sur l’esprit et l’objet de l’alinéa 80(2)g) de la LIR et sur l’article 80.01 de la LIR.

 

L’analyse textuelle, contextuelle et téléologique

 

[79]        Les trois dispositions de la LIR dont il y aurait abus, selon l’intimée, sont les articles 80 de la LIR et 80.01[44] de la LIR de façon générale et l’alinéa 80(2)g) de la LIR.

 

L’esprit et l’objet du régime de l’article 80

 

          Le texte du régime de l’article 80

 

[80]        Lorsqu’une cotisation est établie sur la base de la DGAÉ, la disposition qui génère l’avantage fiscal n’interdit pas de façon explicite l’obtention de cet avantage. Si la disposition renfermait une telle interdiction, c’est sur celle-ci que serait fondée la nouvelle cotisation, et la DGAÉ deviendrait superflue. Le texte de la disposition n’est toutefois pas dépourvu de pertinence car, pour l’application de la DGAÉ, il peut renseigner sur l’objet de la disposition[45].

 

[81]        Les articles 80 à 80.04 de la LIR prévoient un régime complexe de règles qui s’appliquent lorsqu’une dette commerciale[46] est réglée ou éteinte pour un montant inférieur au moindre du montant du principal ou du montant pour lequel la dette a été émise[47]. Essentiellement, ce régime prévoit que le montant que le débiteur n’aura pas à rembourser (le montant remis) viendra réduire certains de ses soldes et attributs fiscaux.

 

[82]        Au lieu de reproduire cette disposition en détail (elle occupe une vingtaine de pages dans la LIR), je présenterai, dans un premier temps, la structure de ces dispositions. J’analyserai ensuite de façon plus approfondie les dispositions pertinentes qui ont été soulevées par les parties.

 

I.                   Le paragraphe 80 (1) prévoit les définitions qui s’appliquent à l’article 80. Les concepts fondamentaux sont ceux du « montant remis » et de « dette commerciale »;

 

II.                Le paragraphe 80 (2) énonce l’ensemble des règles qui s’appliquent lorsqu’il y a remise de dette. On y aborde, par exemple, les dettes réglées ou éteintes autrement que par legs ou héritage[48], ou encore les dettes éteintes en contrepartie d’actions[49]. On y traite également de l’ordre d’application des paragraphes subséquents[50], et de l’ordre de règlement de dettes réglées simultanément[51];

 

III.             Les paragraphes 80(3) à (18) forment la substance des règles applicables lorsqu’il y a remise de dette. Essentiellement, ces paragraphes prévoient dans quelle mesure et dans quel ordre le « montant remis » s’appliquera en réduction des divers attributs et soldes fiscaux du débiteur. Le paragraphe 80(13) prévoit quant à lui l’inclusion du solde lorsque le montant remis est supérieur aux comptes fiscaux réduits;

 

IV.             L’article 80.01 prévoit entre autres les règles applicables au remisage de dettes et dans quelles circonstances elles s’appliquent;

 

V.                L’article 80.02 prévoit des règles spéciales lorsqu’un débiteur émet des actions privilégiées de renflouement;

 

VI.             L’article 80.03 prévoit les circonstances où un gain en capital peut être réalisé à la suite de l’application des paragraphes 80(9), (10) ou (11);

 

VII.          L’article 80.04 prévoit les modalités selon lesquelles un débiteur peut transférer la fraction non utilisée d’un montant remis à une société admissible ou à une société de personnes admissibles.

 

[83]        Tel que mentionné précédemment, l’article 80 prévoit les conséquences fiscales que subira le débiteur d’une dette commerciale qui a été remise. Le paragraphe 80(1) de la LIR prévoit les définitions des concepts suivants  « dette commerciale », « créance commerciale » et « montant remis » :

 

Art. 80(1) « dette commerciale »

 

a) Créance commerciale émise par un débiteur;

 

b) action privilégiée de renflouement émise par un débiteur.

 

Il est entendu que la dette commerciale constitue une obligation pour l’application de la définition de « principal » au paragraphe 248(1).

 

 

Art. 80(1) « créance commerciale » Créance émise par un débiteur et sur laquelle un montant au titre d’intérêts est déductible dans le calcul du revenu, du revenu imposable ou du revenu imposable gagné au Canada du débiteur compte non tenu des paragraphes 15.1(2) et 15.2(2), de l’alinéa 18(1)g), des paragraphes 18(2), (3.1) et (4) et de l’article 21, si ces intérêts :

 

a) soit ont été payés ou étaient payables par le débiteur en exécution d’une obligation légale;

 

b) soit avaient été payés ou payables par le débiteur en exécution d’une telle obligation.

 

Il est entendu que la créance commerciale constitue une obligation pour l’application de la définition de « principal » au paragraphe 248(1).

 

Art. 80(1) « montant remis » S’agissant du montant remis, à un moment donné, sur une dette commerciale émise par un débiteur, le montant déterminé selon la formule suivante :

 

A – B

 

où :

 

A

 

représente le moins élevé du montant pour lequel la dette a été émise ou du principal de la dette;

 

B

 

le total des montants suivants :

 

a) le montant payé à ce moment en règlement du principal de la dette,

 

b) le montant inclus en application de l’alinéa 6(1)a) ou du paragraphe 15(1) dans le calcul du revenu d’une personne en             raison du règlement de la dette à ce moment,

 

c) le montant éventuel déduit à ce moment en application de      l’alinéa 18(9.3)f) dans le calcul du montant remis sur la dette,

 

d) le gain en capital éventuel du débiteur résultant de l’application du paragraphe 39(3) à l’achat, à ce moment, de la dette par le débiteur,

 

e) la partie du principal de la dette qui se rapporte à un montant auquel le débiteur a renoncé en application des paragraphes 66(10), (10.1), (10.2) ou (10.3),

 

f) la partie du principal de la dette qui est incluse dans les éléments A, B, C ou D de la formule figurant au paragraphe 79(3) relativement au débiteur pour son année d’imposition qui comprend ce moment ou pour une année d’imposition antérieure,

 

g) le total des montants représentant chacun un montant remis à un moment antérieur où la dette était réputée réglée par les paragraphes 80.01(8) ou (9),

 

h) la partie du principal de la dette qu’il est raisonnable de considérer comme incluse en application de l’article 80.4 dans le calcul du revenu du débiteur pour une année d’imposition qui comprend ce moment ou pour une année d’imposition antérieure,

 

i) si le débiteur est un failli à ce moment, le principal de la dette,

 

j) la partie du principal de la dette qui représente le principal d’une dette exclue,

 

k) si le débiteur est une société de personnes et si la dette, depuis le dernier en date du jour de la création de la société de personnes et du jour de l’émission de la dette, a toujours été payable à un associé de la société de personnes qui prend une part active, de façon régulière, continue et importante, aux activités de l’entreprise de la société de personnes, sauf celles qui ont trait à son financement, le principal de la dette,

 

l) le montant éventuel que le débiteur a donné à une autre personne à ce moment ou antérieurement en contrepartie de la prise en charge de la dette par cette dernière.

 

[84]        Le régime de l’article 80 de la LIR dispose qu’un débiteur réalise un gain sur règlement de dette lorsqu’un montant est l’objet d’une remise par son créancier. Le montant remis vient alors réduire, selon les paragraphes 80(3) à 80(7) de la LIR, les attributs fiscaux suivants:

 

                     Les pertes autres qu’en capital[52];

                     Les pertes en capital[53];

                     Le solde des diverses FNACC[54];

                     Le solde de son MCIA[55];

 

[85]        Ensuite, selon les paragraphes 80(8) à 80(12) de la LIR, la partie restante non appliquée du montant remis vient réduire, dans cet ordre:

 

                     Certaines dépenses relatives aux ressources[56];

                     Le prix de base rajusté de certaines immobilisations[57];

                     Le prix de base rajusté de certaines actions et dettes[58];

                     Le prix de base rajusté de certaines actions, dettes et participations dans des sociétés de personnes[59];

                     Les pertes en capital de l’année courante[60].

 

[86]        S’il existe toujours un solde, le montant prévu au paragraphe 80(13) de la LIR doit être inclus dans le revenu du débiteur, sous réserve d’un possible transfert de solde à une société liée selon l’article 80.04 de la LIR.

 

Le contexte du régime de l’article 80

 

[87]        L’examen du contexte dans lequel s’insèrent les articles 80 et ss. suppose l’analyse d’autres dispositions de la loi ainsi que des moyens extrinsèques admissibles[61]. L’appelante soutient qu’il faut lire les dispositions permettant au créancier de profiter d’une déduction pour mauvaise créance comme faisant partie du contexte de l’article 80 de la LIR. Ainsi, selon elle, l’esprit et l’objet de l’article 80 de la LIR seraient double, au sens où ils comprendraient à la fois l’enrichissement du débiteur et la déduction par le créancier de la dette remise.

 

[88]        Un gain sur règlement de dette, pour le débiteur, sera de nature « courante » ou « capitale » selon que la dette est de nature « capitale » ou reliée aux opérations quotidiennes du contribuable. Lorsque la dette remise est de nature « courante » et que les règles fondamentales de calcul des bénéfices exigent qu’une somme soit incluse dans le calcul du revenu pour l’année selon l’article 9 de la LIR, l’article 80 de la LIR n’aura pas d’application[62]. C’est seulement lorsque la dette est de nature « capitale » que sa remise entraînera l’application de l’article 80 de la LIR pour le débiteur.

 

[89]        De façon parallèle, le traitement fiscal d’une créance irrécouvrable pour le créancier suivra la même logique. Si la créance est de nature courante, le créancier pourra, dans certaines circonstances bien précises, déduire celle-ci de son revenu selon l’alinéa 20(1)p) de la LIR. Si la créance est toutefois de nature capitale, le créancier pourra également, selon certaines modalités, déduire celle-ci de son revenu par l’application des articles 39 de la LIR ou 50 de la LIR, sous limitation du sous‑alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR.

 

[90]        Les articles permettant au créancier la déduction de sa perte sur une créance se retrouvent soit dans la sous-section b (revenu ou perte provenant d’une entreprise ou d’un bien) ou dans la sous-section c (gain en capital imposable et pertes en capital déductibles). L’article 80 de la LIR se retrouve quant à lui dans la sous-section f (règles relatives au calcul du revenu).

 

[91]        Les articles permettant au créancier de déduire une créance irrécouvrable s’appliquent dans des situations très précises, indépendamment et dans un contexte beaucoup plus large que celui de l’application de l’article 80 de la LIR. De plus, le régime proposé par l’article 80 de la LIR prévoit, de façon indépendante, les conséquences pour un débiteur de la remise d’une dette commerciale. À mon avis, il n’y a pas de symétrie entre les deux régimes. Les dispositions 20(1)p), 50 et 39(1) de la LIR prévoient comment les créanciers peuvent déduire une mauvaise créance dans certains cas (incluant par ailleurs le cas où il y a eu remise de dette). Il se peut ainsi qu’une situation juridique entraîne l’application simultanée de ces deux régimes. Je ne crois toutefois pas que ces articles et les principes qui en découlent fassent partie du contexte, de l’esprit et l’objet de l’article 80 de la LIR.

 

L’objet du régime de l’article 80

 

[92]        Cette dernière étape de l’analyse préconisée par la Cour suprême vise à déterminer quel résultat, parmi la multitude d’objectifs poursuivis par la loi, le législateur a voulu que produise la disposition[63]. Avant la réforme fiscale de 1972, les gains sur les remises de dette ne faisaient pas l’objet d’une imposition car ils étaient considérés comme des gains de nature capitale. C’est dans le Rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (Rapport Carter) que l’on retrouve les recommandations qui ont été à la base de l’introduction des règles de l’article 80 de la LIR sur les remises de dette.

 

[93]        À la page 607 du tome 3 de la version française du Rapport, la Commission écrivait :

 

À notre avis, le débiteur reçoit un revenu chaque fois qu'une dette lui est remise, puisque la remise du passif d'une personne entraîne 1'augmentation de son actif net et accroît d'autant sa puissance économique. Tout débiteur en affaires qui a bénéficié d'une ou de plusieurs remises de dettes, s'est trouvé en fait à réclamer des dépenses, ou à enregistrer des actifs qui, en réalité, ne lui ont rien coûté. Le revenu déclaré pour les années antérieures était, par conséquent, inférieur aux chiffres réels, et voila pourquoi il semble raisonnable d'exiger une correction dans 1'année en cours. Parce que une [sic] telle correction ne se présente seulement [sic] s'i1 y a des pertes, elle aura donc pour effet de réduire les pertes plutôt que de créer un revenu imposable.

 

[94]        Au niveau de la symétrie entre le régime applicable au débiteur et celui applicable au créancier, la Commission écrivait, à la page 608 :

 

Nous ne recommandons pas de prendre pour acquis que 1'emprunteur bénéficie nécessairement d'un revenu du moment qu'un créancier décide de radier la totalité ou une partie de la dette. Même si le fait de convenir que 1'une des parties touche un revenu dès que 1'autre enregistre une dépense semble bien logique, il reste qu'une telle attitude ne serait pas pratique dans ce cas-ci et peut-être même théoriquement incorrecte, parce que 1'emprunteur pourrait fort bien, en ce qui le concerne, considérer sa dette comme une obligation qu'i1 se proposait d'acquitter.

 

[95]        À la suite de l’instauration du régime de remise de dettes, des modifications substantielles ont été introduites aux articles 80 et ss[64] de la LIR. Selon les Renseignements supplémentaires et Avis de motion des voies et moyens budgétaires du 22 février 1994[65], le budget proposait d’apporter un certain nombre de changements aux règles relatives au règlement de dettes. Ces changements étaient par exemple relatifs à l’inclusion du solde du montant remisé non déduit dans le revenu, aux règles de remisage de dette ou encore aux actions privilégiées de renflouement.

 

[96]        Ce n’est que dans le préambule de la section « remise de dettes et forclusions » de ce document, à la page 40, que l’on fait référence au créancier :

 

La justification de l’article 80 est que, en contractant une dette, le débiteur peut acquérir des biens ou effectuer des dépenses qui donnent lieu à des déductions dans le calcul de son revenu. Dans la mesure où il y a remise de dettes, les dépenses ne sont pas supportées par le débiteur, de sorte qu’elles ne devraient pas donner lieu à une déduction fiscale. De plus, étant donné que les créanciers sont généralement autorisés, aux fins de l’impôt, à déduire les pertes sur prêts, il est raisonnable que les gains correspondants des débiteurs soient pris en compte aux fins de l’impôt.

(Non souligné dans l’original.)

 

[97]        Dans les Notes explicatives sur l’avant-projet de modification de la Loi de l’impôt sur le revenu concernant les remises de dettes et les saisies immobilières[66], il n’est à aucun moment question de la symétrie des régimes. Les notes explicatives de février 1995[67] qui ont suivi l’adoption du projet de loi sont également silencieuses sur cette question. 

 

[98]        Les notes explicatives de 2012 relativement aux articles 80-80.04[68] se lisent comme suit :

 

Les articles 80 à 80.04 prévoient les règles qui s'appliquent dans le cas où une créance est réglée ou éteinte pour une somme inférieure à son principal ou à la somme pour laquelle elle a été émise. Le règlement ou l'extinction d'une créance commerciale donne lieu à un «montant remis» au sens du paragraphe 80(1). Le montant remis relativement à une créance commerciale émise par un débiteur doit être appliqué en réduction de certains comptes fiscaux du débiteur, dans un ordre précis, comme le prévoient les paragraphes 80(3) à (12). Le paragraphe 80(13) prévoit, de façon générale, que la moitié de la partie non appliquée restante du montant remis doit être incluse dans le calcul du revenu du débiteur, sauf s'il est possible de la transférer à un autre contribuable en vertu de l'article 80.04.

 

 

Le traitement judiciaire de l’article 80

 

[99]        Dans la décision Carma Developers Ltd. c. Canada[69], au paragraphe 23, le juge Bowman, tel était alors son titre, s’exprimait ainsi à propos de l’article 80 de la LIR :

 

[…] L’article 80 a pour effet d’assigner certains attributs fiscaux à la remise ou à la réduction formelle et exécutoire d’une dette. […] On peut supposer que cet effet est fondé sur l’hypothèse assez sensée selon laquelle les dettes d’une entreprise sont contractées pour financer les dépenses incorporées dans le calcul des pertes, ou encore des biens amortissables ou autres utilisés dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise, de sorte que, quand ces dettes sont remises ou réduites, il devrait en être fait état, d’une façon ou d’une autre, dans le calcul du revenu ou du revenu imposable, au moyen de la réduction de ces pertes ou du coût des immobilisations. […]

 

 

[100]   Dans l’arrêt Jabin Investments Ltd c. Canada[70], la Cour d’appel fédérale a confirmé les conclusions du juge de première instance relativement à l’application de la DGAÉ à l’article 80 de la LIR dans un contexte où la créance n’était pas éteinte sur le plan juridique. La Cour mentionne au paragraphe 4 qu’elle n’est pas convaincue qu’il existe une politique claire et non équivoque que les créances qui ne sont pas éteintes sur le plan juridique doivent être considérées comme si elles l’étaient. La Cour entérine toutefois la conclusion du juge de première instance à l’effet que le « législateur entendait qu’il y ait des conséquences fiscales [seulement] quand une dette était juridiquement éteinte »[71]. Bien que ce jugement ne traite que de l’existence d’une dette juridiquement éteinte ou non, il est pertinent dans la mesure où l’on constate que le régime proposé par l’article 80 de la LIR peut avoir une ou des politiques sous-jacentes qui vont plus loin que celle visant à imposer le débiteur sur un revenu à chaque fois qu'une dette lui est remise.

 

 

Conclusion sur l’esprit et l’objet du régime de l’article 80 de la LIR

 

[101]   Tel que mentionné précédemment, l’appelant soutient que l’esprit et l’objet du régime proposé par les articles 80 et ss. de la LIR est double. D’une part, il y aurait la réduction des attributs fiscaux et l’inclusion du gain économique par le débiteur et, d’autre part, la déduction de la perte sur la mauvaise créance par le créancier. Avec égards, l’analyse ne me permet pas d’arriver à une telle conclusion.

 

[102]   L’analyse textuelle, contextuelle et téléologique fait état d’un régime qui vise uniquement le débiteur d’une créance réglée ou éteinte pour un montant inférieur au moindre du montant du principal ou du montant pour lequel la dette a été souscrite. La position de l’appelant sur la dualité de l’esprit et de l’objet repose principalement sur le document Renseignements supplémentaires et Avis de motion des voies et moyens budgétaires du 22 février 1994l’on mentionne pour la première fois que les créanciers sont généralement autorisés à déduire les pertes sur prêts. Or, ce simple passage à lui seul ne permet pas de conclure que l’esprit et l’objet de l’article 80 de la LIR a la portée que souhaite lui conférer l’appelant.

 

[103]   Je conclus que l’esprit et l’objet de cet article est de faire en sorte qu’un débiteur ayant bénéficié d’un gain sur remise de dette, et ayant par ailleurs bénéficié de dépenses ou de déductions voit ses attributs fiscaux ajustés en conséquence.

 

L’esprit et l’objet des paragraphes 80.01(6), (7) et (8) de la LIR

 

[104]   Les paragraphes 80.01(6), (7) et (8) de la LIR se lisent comme suit :

 

(6) Pour l’application du paragraphe (7), une dette émise par un débiteur constitue, à un moment donné, une dette déterminée de celui-ci si, selon le cas :

 

a) l’un des faits suivants se vérifie à un moment antérieur, sauf un moment antérieur au moment éventuel où la dette est devenue, pour la dernière fois, une dette remisée avant le moment donné :

 

(i) une personne qui était propriétaire de la dette :

 

(A) d’une part, n’avait aucun lien de dépendance avec le débiteur,

 

(B) d’autre part, si le débiteur est une société, n’avait pas une participation notable dans le débiteur,

 

(ii) la dette a été acquise par son détenteur d’une autre personne qui, au moment de cette acquisition, n’était pas liée au détenteur ou n’était liée à celui-ci que par l’effet de l’alinéa 251(5)b);

b) la dette est réputée par le paragraphe 50(1) avoir été acquise de nouveau au moment donné.

 

Dette remisée

 

(7) Pour l’application du présent paragraphe et des paragraphes (6), (8) et (10):

 

a) une dette émise par un débiteur est une dette remisée à un moment donné si les conditions suivantes sont réunies à ce moment :

 

(i) la dette est une dette déterminée du débiteur,

 

(ii) le détenteur de la dette :

 

(A) soit a un lien de dépendance avec le débiteur,

 

(B) soit, si le débiteur est une société et que le détenteur ait acquis la dette après le 12 juillet 1994, autrement qu’en conformité avec une convention écrite conclue au plus tard à cette date, a une participation notable dans le débiteur;

 

b) une dette qui, à un moment donné, est acquise ou acquise de nouveau dans les circonstances visées au sous-alinéa (6)a)(ii) ou à l’alinéa (6)b) est réputée, si elle constitue une dette remisée immédiatement après ce moment, être devenue une dette remisée à ce moment, indépendamment du fait qu’elle ait été une telle dette immédiatement avant ce moment.

 

(8) Lorsque, à un moment donné après le 21 février 1994, une créance commerciale émise par un débiteur devient une dette remisée, autrement qu’en conformité avec une convention écrite conclue avant le 22 février 1994, et que le coût déterminé de la créance pour son détenteur au moment donné représente moins de 80 % de son principal, les règles suivantes s’appliquent pour l’application des dispositions de la présente loi au débiteur :

 

a) la créance est réputée avoir été réglée au moment donné;

 

b) le montant remis sur la créance au moment donné est calculé comme si le débiteur avait payé, à ce moment, en règlement du principal de la créance, un montant égal à ce coût déterminé.

 

[105]   Les paragraphes (6) et (7) doivent être lus conjointement. Essentiellement, le paragraphe (7) prévoit les conditions nécessaires pour qu’une dette soit qualifiée de dette remisée. L’une de ces conditions est que la dette doit être une dette déterminée selon le paragraphe (6). En vertu du sous‑alinéa 80.01(6)a)(i), une dette déterminée est la dette d’une personne qui en était le propriétaire à un moment donné et qui n’avait aucun lien de dépendance avec le débiteur ou qui n’avait pas de participation notable dans le débiteur s’il s’agit d’une société. Également, selon le sous‑alinéa 80.01(6)a)(ii), une dette déterminée peut être une dette acquise par un détenteur auprès d’une personne avec qui il n’était pas lié au moment de l’acquisition.

 

[106]   Le paragraphe (8) crée une présomption selon laquelle une dette remisée dont le coût pour son détenteur équivaut à moins de 80 % de son principal est réputée avoir été réglée. Cette présomption a pour effet de provoquer l’application des règles sur le remisage de dettes que l’on retrouve à l’article 80 de la LIR.

 

          Le contexte des paragraphes 80.01(6),(7) et (8) de la LIR

 

[107]   Le contexte de l’article 80.01 est relativement simple. Cet article crée un ensemble de présomptions qui, dans certaines circonstances précises, entraînent un règlement de dette et ainsi l’application de l’article 80. L’article 80.01 vise donc à faire tomber sous le coup de l’article 80 certaines situations spécifiques qui ne seraient pas autrement couvertes par l’article 80 lui-même.

 

[108]   Par exemple, dans le cadre de fusions ou de liquidations, les paragraphes 80.01 (3) (4) et (5) présument qu’il y aura un règlement de dette selon la survenance de certains événements. Dans le cadre de disposition de dettes à des tiers non liés ou entre des personnes ayant un lien de dépendance, ce sont les paragraphes 80.01 (6) (7) et (8) qui prévoient l’application du régime de remisage de dette.

 

L’objet des paragraphes 80.01(6),(7) et (8) de la LIR

 

[109]   Les documents extrinsèques nous indiquent assez clairement l’intention du législateur lorsqu’il a adopté, en 1995, les modifications législatives relatives au remisage de dette.

 

[110]   Par exemple, selon les Renseignements supplémentaires et Avis de motion des voies et moyens budgétaires déposés à la Chambre des communes le 22 février 1994 par le Ministre des Finances, à la page 41 :

 

En troisième lieu, une modification est proposée pour tenir compte des opérations de « remisage de dettes » (debt parking). Ces opérations portent sur des dettes contractées envers une institution financière ou un autre créancier sans lien de dépendance. Au lieu d’accorder une remise totale ou partielle des dettes, le créancier sans lien de dépendance vend généralement la créance, à un prix sensiblement réduit, à une personne avec laquelle le débiteur a un lien de dépendance au moment de la vente (ou à une date ultérieure, après un changement de contrôle du débiteur). Une fois que le nouveau créancier a acquis la créance, il est incité à la laisser en souffrance indéfiniment en raison de l’application des règles de l’article 80. On propose que les dettes « remisées » de ce genre, […] soient réputées réglées pour un montant égal à leur coût pour le créancier.

(Non souligné dans l’original.)

 

[111]   Il ressort également de l’Avant-projet de modification de la Loi de l’impôt sur le revenu sur les remises de dettes et saisies immobilières[72], à la page 85, que :

 

Le paragraphe 80.01(8) renferme une règle conçue pour empêcher le « remisage » d’une créance commerciale. De façon générale, elle peut s’appliquer lorsqu’une dette émise au départ par un débiteur à un premier créancier est transférée, directement ou indirectement, à un autre créancier qui est lié au débiteur ou est un actionnaire déterminé de celui-ci […].

 

[112]   Et à la page 86 :

 

80.01(8) prévoit une règle de renonciation aux montants minimes en vertu de laquelle les règles susmentionnées ne s’appliquent à une dette émise par un débiteur que si le coût déterminé de la dette pour le détenteur actuel représente au moins 80 pour cent de son principal.

 

[113]   On constate de l’étude de ces documents que le législateur a proposé certains changements en 1994 afin que l’on ne puisse plus contourner le régime applicable aux remises de dettes en effectuant certaines transactions visant à « remiser » ou « stationner » les dettes, principalement entre personnes ayant un lien de dépendance. Le législateur a toutefois prévu une exception de minimis voulant que ce régime ne s’applique pas lorsqu’une telle dette était acquise pour un montant supérieur à 80 % de son principal.

 

Conclusion sur l’esprit et l’objet des paragraphes 80.01(6), (7) et (8) de la LIR

 

[114]   En adoptant ces modifications législatives en 1995, le législateur a voulu empêcher les contribuables de disposer d’une créance dans des circonstances assimilables à celle d’une remise de dette mais qui échappaient à l’application du régime de l’article 80. Plus précisément, l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique m’amène à conclure que l’esprit et l’objet des paragraphes 80.01(6), (7) et (8) est de faire en sorte que certaines dispositions de créances dont la substance équivaut à une remise de dette soient traitées de la même façon que les remises de dettes « classiques » visées par l’article 80.

 

L’esprit et l’objet de l’alinéa 80(2)g) de la LIR

 

[115]   L’appelante n’a pas présenté d’observations sur l’abus de l’esprit et de l’objet de l’alinéa 80(2)g). Cela n’est toutefois pas crucial puisqu’à cette étape le fardeau de démontrer un abus de l’esprit et de l’objet des dispositions invoquées repose sur l’intimée.

 

[116]   L’alinéa 80(2)g) se lit comme suit :

 

80 (2) Les règles suivantes s’appliquent dans le cadre du présent article :

 

g) dans le cas où une société émet une action, sauf une valeur mobilière exclue, en faveur d’une personne en contrepartie du règlement d’une dette émise par la société et payable à la personne, le montant payé en règlement de la dette en raison de l’émission de l’action est réputé égal à la juste valeur marchande de l’action au moment de son émission;

 

[117]   L’alinéa 80(2)g) prévoit la situation où une société débitrice émet de nouvelles actions de son capital‑actions en contrepartie du règlement de la dette par le créancier. Dans une telle situation, le montant payé en règlement de la dette est réputé égal à la JVM des actions au moment de leur émission. Le montant payé en règlement de la dette est l’élément principal de l’« élément B » de la définition de « montant remis ». Ainsi, le montant remis aux fins de la réduction des attributs fiscaux serait égal au montant du principal de la dette moins la JVM des actions au moment de leur émission.

 

Le contexte de l’alinéa 80(2)g)

 

[118]   L’analyse contextuelle nous pousse à examiner les différentes dispositions autour desquelles s’articule l’alinéa 80(2)g). L’ensemble des règles qui figurent aux différents alinéas du paragraphe 80(2) sont des règles d’application automatique qui prévoient des présomptions encadrant les remises de dettes. Précisément, l’alinéa 80(2)g) établit une présomption à l’effet que, lorsqu’une dette est réglée en contrepartie d’actions, le montant payé pour la remise de dette équivaut à la JVM des actions émises en contrepartie.

 

L’objet de l’alinéa 80(2)g)

 

[119]   Tel que mentionné précédemment, l’analyse de l’objet des dispositions invoquées vise à déterminer le résultat poursuivi par le législateur lors de leur adoption[73]. À la lecture du texte de l’alinéa 80(2)g) et du contexte de l’article 80, il est assez facile de circonscrire l’intention du législateur dans l’adoption de cette règle. Le débiteur d’une créance qui a été remise pour un montant moindre que son principal bénéficie d’un avantage économique. Le législateur a voulu rééquilibrer cette situation en introduisant le régime de l’article 80 qui prévoit la réduction de certains soldes fiscaux et, ultimement, une inclusion au revenu. Afin que les contribuables ne puissent contourner aisément ce régime général par le biais de « manipulations corporatives », le législateur a introduit certaines mesures visant des situations spécifiques[74], dont l’alinéa 80(2)g). Cet alinéa vise la situation où le créancier et le débiteur auraient intérêt à transformer la dette en capital-actions, par exemple dans l’objectif de radier un passif pour le débiteur. Dans une telle situation, la dette remise en contrepartie des actions aurait été présumée remise pour un montant égal à la JVM des actions émises. Ainsi, si les actions émises en contrepartie du règlement n’ont aucune valeur, le montant payé en règlement sera nul. Plus le montant payé est petit et plus le montant remis à appliquer en réduction des soldes et attributs fiscaux est important, plus il est important d’empêcher les contribuables de contourner les règles sur remise de dette en effectuant une émission d’actions.

 

Conclusion sur l’esprit et l’objet du régime de l’alinéa 80(2)g) de la LIR

 

[120]   L’analyse textuelle, contextuelle et téléologique m’amène à conclure que l’esprit et l’objet de l’alinéa 80(2)g) est de faire en sorte que, lorsqu’une dette est réglée en échange d’actions, les règles de remise de dette s’appliquent en tenant compte de la valeur des actions qui ont été émises. Le législateur ne voulait pas que l’on puisse contourner les règles de remise de dette en transformant une dette en actions pour une valeur moindre. Le législateur souhaitait que le montant remis soit le reflet de la JVM des actions sous-jacentes.

 

Y a-t-il eu abus dans l’application des dispositions de la Loi?

 

[121]   D’une part, l’objet du régime proposé par l’article 80 est de faire en sorte qu’un débiteur ayant bénéficié d’un gain sur remise de dette, et ayant par ailleurs bénéficié de dépenses ou de déductions, voit ses attributs fiscaux ajustés en conséquence. De plus, tel que mentionné précédemment, en adoptant l’article 80.01 de la LIR, le législateur a voulu empêcher les contribuables de disposer d’une créance dans des circonstances assimilables à celle d’une remise de dette tout en échappant à l’application du régime de l’article 80 de la LIR.

 

[122]   L’appelante était déficitaire et endettée envers Ford U.S. pour un montant de plus de 24 000 000 $. Si la série d’opérations d’évitement n’avait pas eu lieu immédiatement avant la vente, les actions et la créance d’environ 24 000 000 $ auraient été vendues pour une somme de 9 750 000 $. En vertu de l’alinéa 80.01(6)b), la dette serait à ce moment devenue une dette déterminée. Par l’application du paragraphe 80.01(7), cette dette déterminée aurait été qualifiée de dette remisée et, puisqu’elle aurait été acquise pour une somme inférieure à 80 % de son principal, le paragraphe 80.01(8) l’aurait assimilée à une remise de dette selon l’article 80. En conséquence, tous les soldes fiscaux de l’appelante auraient été réduits et l’appelante aurait dû inclure dans son revenu, pour l’année 2002, une somme de 5 000 700 $ selon le paragraphe 80(13).

 

[123]   En effectuant une injection de capital « temporaire », l’appelante a artificiellement réduit la dette afin de bénéficier de l’exception de minimis et ainsi d’éviter les règles de remisage de dette. De plus, en procédant de cette manière, l’appelante a pu bénéficier d’un prêt de plus de 24 000 000 $ et s’est déchargée de son obligation de payer une somme d’environ 14 000 000 $ tout en pouvant bénéficier des dépenses et des déductions relativement à ce prêt.

 

[124]   Ainsi, en effectuant les opérations d’évitement, l’appelante a clairement contourné l’application des articles 80 et 80.01, de manière à en contrecarrer l’esprit et l’objet. Les opérations de nettoyage de la dette étaient donc clairement des opérations d’évitement abusives et, sur cet aspect, l’application de la DGAÉ est justifiée.

 

[125]   Advenant qu’il n’y ait pas eu d’abus des articles 80 et 80.01, l’application de la DGAÉ serait tout de même justifiée puisque les opérations d’évitement sont également abusives à l’égard de l’alinéa 80(2)g). Bien que je l’aie mentionné précédemment, il est important de rappeler que, pour une raison inconnue, l’appelante n’a pas présenté d’observations au sujet de cet alinéa.

 

[126]   L’esprit et l’objet de l’alinéa 80(2)g) sont de faire en sorte que, lorsqu’une dette est réglée en échange d’actions, les règles de remise de dette s’appliquent en tenant compte de la valeur réelle des actions qui ont été émises. Si les actions nouvellement émises ont peu de valeur, le montant remis sera peu élevé et les attributs fiscaux seront réduits dans une proportion plus importante. En adoptant cet alinéa, le législateur souhaitait empêcher un contribuable de transformer une dette en actions de peu de valeur et d’éviter ainsi les règles sur les remises de dettes.

 

[127]    Ici, puisque l’émission des actions a été suivie d’un remboursement de capital et d’intérêts, les actions ont une JVM importante au moment de leur émission mais leur valeur réelle est diminuée immédiatement après le remboursement. Sans la DGAÉ, il est vrai que l’alinéa 80(2)g) ne déclencherait pas l’application des règles sur les remises de dettes. En procédant en deux étapes plutôt qu’en effectuant une conversion directe de dettes en actions, l’appelante a contournée l’application de l’alinéa 80(2)g) et ainsi évité un gain sur remise de dette. Il me semble clair que les deux opérations d’évitement qui ont mené à l’avantage fiscal visaient à contourner l’application de la disposition de manière à en contrecarrer l’esprit et l’objet. Sous l’angle de l’alinéa 80(2)g), les opérations de nettoyage de la dette étaient donc des opérations d’évitement abusives.

 

[128]   Ultimement, l’appelante a mentionné qu’il n’y avait pas d’abus puisqu’en effectuant les opérations de nettoyage de la dette, Ford U.S. s’est simplement replacé dans la même situation que si elle avait décidé de capitaliser son intérêt dans Greenleaf plutôt que de recourir à une combinaison de prêts et d’actions. Avec égards, on ne peut accepter une telle proposition. Le véhicule de financement choisi par la société mère, que ce soit par voie de capitalisation ou de prêt, entraîne son lot d’avantages et d’inconvénients. C’est un choix qui est effectué en toute connaissance de cause, espérons‑le, et le contribuable doit vivre avec les conséquences fiscales et financières que cela entraîne.

 

[129]   En résumé, je conclus que les opérations de nettoyage de la dette n’ont pas été faites conformément à l’esprit et à l’objet des dispositions relatives aux remises et au remisage de dettes et qu’en ce sens, elles entraînent un évitement fiscal abusif des articles 80 et 80.01, et, de façon subsidiaire, de l’alinéa 80(2)g).

 

[130]   Pour ces motifs, je rejette les appels avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mars 2014.

 

Ces motifs du jugement modifiés sont émis en remplacement des motifs du jugement daté du 2 octobre 2013.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 310

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-952(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            PIÈCES AUTOMOBILES LECAVALIER INC ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               les 12 et 13 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉS PAR :                            L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 28 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Louis Tassé

Me Marie-Claude Marcil

 

Avocate de l'intimée :

Me Natalie Goulard

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           Me Louis Tassé

                                                          Me Marie-Claude Marcil

                 Cabinet :                          Couzin Taylor s.r.l./s.e.n.c.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] En vertu du paragraphe 80(13) de la LIR.

[2] Le montant de la dette au 2 décembre est de 9 750 000 $, soit le principal de 9 465 163 $ au 15 novembre plus les intérêts courus.

[3] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 [Trustco].

[4] Lipson c. Canada, [2009] A.C.S. no 1 [Lipson].

[5] Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, [2011] A.C.S. no 63 [Copthorne].

[6] Commissioners of Inland Revenue v. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1. [Duke of  Westminster].

[7] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 66.

[8] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, au par. 21.

[9] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, aux par. 66 et 109.

[10] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, aux par. 63 à 65.

[11] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, au par. 21.

[12] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, au par. 21.

[13] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, au par. 63.

[14] Voir à cet effet l’arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 335, au par. 92.

[15] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 40.

[16] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 41.

[17] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, au par. 22.

[18] OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2001] A.C.F. no 1381, au par. 41 [OSFC].

[19] Voir l’arrêt OSFC, précité, note 18, au par. 24.

[20] Il s’agit de l’onglet 18 de la liste de documents supplémentaires de l’appelante.

[21] Voir la lettre datée du 9 octobre 2002 déposée sous la cote A-2, onglet 23, à l’effet que : « Pursuant to our various telephone discussions with the tax experts at Ford Canada and their tax advisors ».

[22] En droit fiscal américain.

[23] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 7, au par. 59, et l’arrêt Trustco, précité, note 3, aux par. 28 et 29.

[24] Voir l’arrêt Copthorne, ibid., au par. 63, et l’arrêt Trustco, ibid., aux par. 63 à 66.

[25] Voir l’arrêt Trustco, ibid., au par. 29.

[26] Blatch c. Archer, (1774), 1 Cowp.63, 98 E.R. 969.

[27] Lévesque c. Comeau, [1970] R.C.S. 1010, à la p. 1013 [Lévesque c. Comeau].

[28] Milliken & Co. c. Interface Flooring Systems (Canada inc), [2000] A.C.F. no 129, aux par. 11 et 12. Voir également Apotex Inc. c. Merck & Co., 2011 CAF 363.

[29] R. c. Jolivet, 2000 CSC 29 [Jolivet].

[30] Ibid., au par. 26.

[31] Sopinka, Lederman & Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e edition, Lexis Nexis, à la p. 297 [Sopinka].

[32] Voir l’arrêt Jolivet, précité, note 29, au par. 28.

[33] Ibid.

[34] Ibid.

[35] Downey c. Canada, 2005 CCI 810.

[36] Downey v. Canada, 2006 FCA 353. (Décision non disponible en français).

[37] Teelucksingh c. Canada, 2011 CCI 22, [2011] 2 CTC 2441.

[38] Morley c. La Reine, 2004 CCI 280. Confirmée en appel, 2006 CAF 171.

[39] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 68.

[40] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, au par. 55, et l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 69.

[41] Voir l’arrêt Trustco, ibid., au par. 57; l’arrêt Lipson, précité, note 4, au par. 26; et l’arrêt Copthorne, ibid., au par. 70.

[42] Voir l’arrêt Copthorne, ibid., au par. 71, et l’arrêt Trustco, ibid., au par. 44.

[43] Voir l’arrêt Trustco, ibid., au par. 45, et l’arrêt Copthorne, ibid., au par. 72.

[44] Plus précisément les paragraphes 80.01(6) à (8).

[45] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 88.

[46] Voir le paragraphe 80(1) « dette commerciale ».

[47] Voir le paragraphe 80(1) « montant remis ».

[48] Voir l’alinéa 80(2)a).

[49] Voir l’alinéa 80(2)g).

[50] Voir l’alinéa 80(2)c).

[51] Voir l’alinéa 80(2)i).

[52] Voir le paragraphe 80(3).

[53] Voir le paragraphe 80(4).

[54] Voir le paragraphe 80(5).

[55] Voir le paragraphe 80(7).

[56] Voir le paragraphe 80(8).

[57] Voir le paragraphe 80(9).

[58] Voir le paragraphe 80(10).

[59] Voir le paragraphe 80(11).

[60] Voir le paragraphe 80(12).

[61] Voir l’arrêt Trustco, précité, note 3, au par. 55 et l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 91.

[62] En effet, l’alinéa d) de la définition de « dette exclue » que l’on retrouve au paragraphe 80(1) de la LIR prévoit que cette section ne s’applique pas aux dettes qui seraient incluses dans le calcul du revenu d’un débiteur s’il n’était pas tenu compte de l’article 80 de la LIR.

[63] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 113.

[64] Ces modifications ont été introduites en 1995.

[65] Ministère des Finances Canada, Renseignements supplémentaires et Avis de motion des voies et moyens budgétaires. Déposés à la Chambre des communes par le ministre des Finances, l’honorable Paul Martin, c.p., député, le 22 février 1994.

[66] Ministère des Finances Canada, Avant-projet de modification de la Loi de l’impôt sur le revenu « Remises de dettes et saisies immobilières », notes explicatives. Publié par le ministre des Finances l’honorable Paul Martin, c.p. député, juillet 1994.

[67] Notes explicatives, Loi de l’impôt sur le revenu, Articles 80-80.04. Février 1995, NE.

[68] Notes explicatives, Loi de l’impôt sur le revenu, Articles 80-80.04. 24 octobre 2012, NE.

[69] Carma Developers Ltd. c. Canada, [1996] A.C.I. no 428.

[70] Jabin Investments Ltd c. Canada, [2002] A.C.F. no 1819.

[71] Jabin Investments Ltd c. Canada, [2001] A.C.I. no 766, au par. 46.

[72] Ministère des Finances, Avant-projet de modification de la Loi de l’impôt sur le revenu, « remises de dettes et saisies immobilières » publié par le ministre des Finances, l’honorable Paul Martin, c.p., député. Juillet 1994.

[73] Voir l’arrêt Copthorne, précité, note 5, au par. 113.

[74] Les différents alinéas du paragraphe 80(2) en sont des exemples, tout comme le régime que l’on retrouve aux paragraphes 80.01(3), (4) et (5).

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