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Dossier : 2011-2413(EI)

ENTRE :

Les industries Kouper - FKS Inc.

(anciennement Les Modes for Kids Sake Ltée),

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

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Appel entendu le 26 août 2013, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Shahrooz S. Mahmoudian

Avocate de l'intimé :

Me Sara Jahanbakhsh

 

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JUGEMENT

        L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (LAE) est accueilli et la décision du ministre du Revenu national est infirmée, en tenant compte du fait que madame April Kape n’a pas été employée en vertu d’un contrat de louage de services aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE, au cours de la période du 17 avril 2009 au 24 avril 2010.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d’octobre 2013.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

Référence : 2013 CCI 315

Date : 20131004

Dossier : 2011-2413(EI)

ENTRE :

Les industries Kouper - FKS Inc.

(anciennement Les Modes for Kids Sake Ltée)

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Lamarre

 

 

[1]             Il s’agit d’un appel d’une décision du ministre du Revenu national (Ministre), qui a déterminé que madame April Kape avait exercé un emploi assurable auprès de l’appelante au cours de la période du 17 avril 2009 au 24 avril 2010, aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE).

 

[2]             Les faits dont a tenu compte le Ministre se retrouvent au paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel et sont reproduits ci-après :

 

5.   Le ministre a déterminé que la travailleuse exerçait un emploi auprès de l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services, en s’appuyant sur les présomptions de faits suivantes :

a)      l’appelante a été constituée en société le 23 août 1996;

b)      l’appelante exploite une entreprise spécialisée à titre de manufacturier et importateur de vêtements;

c)      l’appelante engage environ une dizaine de personnes dont un contrôleur, des employés aux comptes recevables et payables, un designer, une couturière aux échantillons, un illustrateur graphiste, un gérant de production, une vendeuse;

d)     les tâches de la vendeuse Jodie Kouri étaient la vente des produits, le suivi de la production, le calcul des prix, la préparation des rencontres avec les clients au niveau des discussions et de la présentation;

e)      la travailleuse a été engagée par le payeur au développement du marché, considérant qu’elle avait plusieurs années d’expérience dans ce domaine;

f)       une entente verbale liait les parties;

g)      les fonctions de la travailleuse étaient de rechercher de nouveaux produits, de développer le marché canadien et états-uniens, d’obtenir des rendez-vous avec de nouveaux clients;

h)      du début de son engagement par le payeur jusqu’au 1 novembre 2009, la travailleuse consacrait 2 jours semaine au payeur, et du 1 novembre 2009 jusqu’à la fin de son engagement, elle travaillait 5 jours semaine;

i)        la travailleuse affirme qu’elle devait se présenter au bureau du payeur chaque jour de 8 h 30 à 17 h ou 17 h 30, soit environ 40 heures par semaine tel que demandé par le payeur, alors que Rodney Kouri, représentant du payeur, affirme que la travailleuse pouvait faire l’horaire de son choix tant qu’elle se justifiait au contrôleur et que les seules fois où elle devait se présenter au bureau du payeur était lorsqu’elle devait absolument lui parler;

j)        bien que les heures travaillées par la travailleuse n’étaient pas inscrites dans un registre, Gina Kouri, actionnaire du payeur, surveillait de près les heures d’arrivées et de sorties de la travailleuse;

k)      la travailleuse était sous la direction de Rodney Kouri de qui elle recevait des instructions verbales, elle devait aussi l’aviser lorsqu’elle obtenait des rendez-vous avec des clients, elle devait l’informer de tout ce qu’elle avait fait d’autant qu’au début de son engagement, c’est le payeur qui lui disait qui contacter, mais rapidement, la travailleuse a utilisé ses propres contacts et fait ses propres recherches pour développer le marché;

l)        le payeur établissait les prix et les conditions de vente des produits;

m)    le payeur accompagnait toujours la travailleuse aux premiers rendez-vous chez les clients;

n)      la travailleuse affirme avoir l’obligation d’assister aux réunions hebdomadaires du payeur, alors que le payeur affirme le contraire;

o)      le payeur a toujours fourni à la travailleuse un espace de travail dans ses locaux;

p)      le payeur fournissait à la travailleuse tout l’équipement nécessaire à l’exécution de son travail;

q)      la travailleuse ne subissait aucune perte, si un client ne payait pas le payeur;

r)       le nom de la travailleuse et le nom du payeur apparaissaient sur les cartes d’affaires de la travailleuse;

s)       tous les frais de déplacements de la travailleuse étaient payés par le payeur et Rodney Kouri était toujours présents [sic] lors de ces déplacements;

t)       pendant la période où la travailleuse travaillait 2 jours semaine pour le payeur, une voiture et le téléphone cellulaire étaient fournis à la travailleuse par un autre payeur, soit Almo-Dante, et le payeur assumait une partie de ces frais;

u)      pendant la période où la travailleuse travaillait 2 jours semaine pour le payeur, elle était payée 250 $ par jour, ce montant a diminué à 180 $ par jour dès l’instant où elle a travaillé 5 jours semaine pour le payeur;

v)      la travailleuse était payée pour les journées qu’elle travaillait;

w)    la travailleuse était généralement payée aux 2 semaines et la plupart du temps au même montant;

x)      la travailleuse devait recevoir une commission de 5 % qui a été diminuée à 2 % et par la suite à 1 %, alors que selon le payeur le taux de commission de la travailleuse variait de 0,5 à 2,5 % selon les profits générés par les contrats;

y)      la travailleuse affirme que le payeur lui aurait dit qu’elle recevrait un salaire de base plus des commissions, alors que le payeur affirme qu’il n’en a jamais été question;

z)      le payeur affirme que les montants versés à la travailleuse étaient des avances sur commissions futures afin d’assurer à la travailleuse une entrée d’argent qui lui permettait de subvenir à ses besoins;

aa)   la travailleuse ne bénéficiait d’aucun avantage social et ses vacances n’étaient pas payées;

 

[3]             De son côté, l’appelante invoque plusieurs faits dans son avis d’appel, pour argumenter que madame Kape n’était pas une employée, mais agissait comme une personne exploitant une entreprise à son propre compte. Ces faits sont également reproduits ci-après :

 

A. Exposé des faits

 

Dans les faits, Madame April Kape n’a jamais été une employée de l’appelante;

En effet Madame Kape est un entrepreneur indépendant, le tout tel que plus amplement exposé ci-après:

Madame Kape offrait, à titre contractuel, des services de représentante et de distribution de produits à l’appelante comme à plusieurs autres compagnies ;

En contrepartie, Madame Kape a toujours facturé l’appelante en fonction des ventes effectuées;

Il n’existait aucune garantie de la part de l’appelante envers Madame Kape, quant à la réception d’une rémunération en contrepartie du travail effectué, puisque cette rémunération était totalement dépendante des ventes effectivement réalisées;

Madame Kape n’avait aucun horaire fixe, aucune description de tâches particulières et n’était ni sous la supervision, ni sous la direction de l’appelante;

L’appelante ne déterminait pas les démarches a [sic] être entrepises [sic] par Madame Kape ;

Qui plus est, Madame Kape avait le loisir de travailler ou non et ceci se reflétait d’ailleurs dans sa facturation;

Par ailleurs, Madame Kape avait la possibilité de travailler et de distribuer les produits d’autres compagnies, ce qu’elle a, par moment, choisi de faire;

Madame Kape a d’ailleurs distribué ses propres produits alors qu’elle faisait la promotion des produits de l’appelante;

Compte tenu de ce qui précède, Madame Kape jouissait de toute évidence d’une grande autonomie et n’était aucunement sous le contrôle de l’appelante;

La clientèle desservie par Madame Kape était sa propre clientèle;

De ce fait, l’appelante refusait de recevoir la clientèle de Madame Kape sans que celle-ci soit accompagnée lorsqu’elle se présentait aux locaux de l’appelante pour examiner les échantillons de celle-ci;

Toutefois, l’appelante n’a jamais exigé que Madame Kape exécute ses obligations contractuelles personnellement et celle-ci était libre de déléguer tout aspect de l’exécution de son contrat à un sous-traitant et/ou un employé, y compris l’accompagnement de la clientèle ;

Madame Kape a plutôt choisi de travailler, par moments, à partir des locaux de l’appelante afin d’y être présente et d’y accueillir sa clientèle;

Néanmoins, Madame Kape n’était pas une subordonnée de l’appelante;

D’ailleurs, Madame Kape avait pour habitude d’apporter ses propres échantillons aux locaux de l’appelante pour les faire voir à sa clientèle et en faire la promotion;

Madame Kape n’a jamais été sur la liste de paye de l’appelante et aucune déduction à la source ne fut effectuée à son égard;

Au demeurant, Madame Kape était enregistrée comme entrepreneur indépendant aux fins des taxes de vente et la facturation de Madame Kape à l’endroit de l’appelante portait effectivement ses numéros de T.P.S et T.VQ, soit:

- T.P.S : […];

- T.V.Q: […];

tel qu’il appert au document de validation des numéros T.P.S et T.V.Q que l’appelante entend invoquer en liasse au soutien des présentes sous la cote […];

Compte tenu des délais, usuels dans l’industrie, de paiement des comptes recevables, il était courant que l’appelante fasse des avances à Madame Kape sur les ventes effectuées ou projetées et qu’elle lui verse sa commission avant réception du prix de vente, ce qui n’est que peu compatible avec le statut d’employée ;

D’ailleurs, sur conciliation, il s’avère que Madame Kape est toujours endettée envers l’appelante de diverses sommes toujours non-remboursées, que celle-ci lui a avancées à sa demande;

Cette situation est peu caractéristique d’une relation employeur-employée et se rapporte d’avantage aux relations usuelles qui existent dans l’industrie entre les compagnies et les représentants entrepreneurs indépendants ;

La relation entre l’appelante et Madame Kape était de toute évidence une relation princial [sic] – entrepreneur indépendant.

 

[4]              Comme on peut le constater, il ressort plusieurs contradictions de ces actes de procédure.

 

[5]             Monsieur Rodney Kouri, trésorier et gestionnaire des opérations de l’appelante, a témoigné pour le compte de cette dernière, et April Kape a témoigné du côté de l’intimé. Les mêmes contradictions sont ressorties de ces témoignages. L’agente des appels pour l’Agence du revenu Canada (ARC), madame Josée Verret, a témoigné également et elle a tenté d’expliquer pourquoi elle avait retenu la version de madame Kape. Voici maintenant un résumé de la preuve.

 

[6]             Monsieur Kouri ne s’occupe pas des ressources humaines et n’est pas celui qui embauche le personnel. Il a rencontré madame Kape pour la première fois en février 2009. C’est son associé, Sam Shapiro, qui s’était lié d’amitié avec celle‑ci, qui la lui a présentée. Monsieur Kouri disait de madame Kape qu’elle avait une grande expérience de plus de 30 ans dans l’industrie du vêtement et qu’elle était représentante de plusieurs autres compagnies à ce titre.

 

[7]             Il fut convenu oralement avec madame Kape qu’elle donnerait deux jours de son temps par semaine à l’appelante afin de développer de nouveaux marchés. Monsieur Kouri a dit qu’elle n’avait pas de mandat précis ni de description de tâches. Selon ce dernier, elle avait toute la liberté voulue quant à ses allées et venues et c’est elle qui avait insisté pour conserver son état de travailleur autonome. Apparemment, elle travaillait également pour des compétiteurs et elle n’aurait pas accepté de traiter autrement avec l’appelante. Selon monsieur Kouri, si l’appelante n’acceptait pas de la considérer comme autonome, il n’y aurait pas eu d’entente.

 

[8]             Madame Kape était enregistrée auprès du Registraire des entreprises depuis 2006 comme exploitant une entreprise individuelle en son nom dans le commerce de vente en gros (grossiste) de « vêtements de dessus pour femmes et enfants » (pièce A-1). Elle est également enregistrée auprès de Revenu Québec et de l’ARC aux fins de l’application de la taxe de vente du Québec (TVQ) et de la taxe sur les produits et services (TPS) et de la taxe de vente harmonisée (TVH) (pièce A-2).

 

[9]             Madame Kape facturait à l’appelante ses journées de travail en incluant la TPS et la TVQ. Ces factures ont été déposées sous la cote A-3 et démontrent qu’elle réclamait 250 $ par journée de travail jusqu’en novembre 2009, alors qu’elle travaillait tout au plus deux jours par semaine. Dans cette période, on constate qu’il y a cinq semaines complètes où elle n’a pas travaillé du tout pour l’appelante (voir pièce A-7, lequel document a été préparé par monsieur Kouri et résume les semaines de travail à partir des factures que l’on retrouve à la pièce A‑3). À compter du mois de novembre 2009, la rémunération de madame Kape est montée à 900 $ par semaine pour cinq jours par semaine ou, selon le point de vue, a diminué à 180 $ par jour de travail. Au tableau des semaines où madame Kape a travaillé pour l’appelante, on voit qu’il y a près de six semaines complètes après octobre 2009 où elle n’a rendu aucun service (pièce A‑7). On voit également, à l’étude des factures, qu’au début madame Kape faisait une facture hebdomadaire puis, par la suite, les factures étaient soumises aux deux ou trois semaines, et une facture couvrait quatre semaines. On remarque aussi qu’à compter de la fin du mois de décembre 2009, il semble y avoir eu plus de surveillance quant aux journées ou demi-journées où madame Kape ne travaillait pas. À titre d’exemple, on retrouve un courriel de Rodney Kouri en date du 18 décembre 2009 dans lequel celui-ci fait remarquer au destinataire ceci : « April is not in today ». Sur la facture no 1030 du 29 janvier 2010, on rectifie le temps de travail rémunéré en demandant de soustraire 3 heures et demie (78,75 $) en mentionnant que madame Kape n’aurait travaillé qu’une demi-journée le 20 janvier 2010. Selon une autre facture (no 1032), on ne payait madame Kape que pour une demi-journée le 16 février 2010 puisqu’elle s’est absentée chez le dentiste, et le 18 février 2010 puisqu’elle aurait quitté à 14 h 00. Lors de son témoignage, monsieur Kouri a fait allusion à un incident qui se serait produit alors que madame Kape ne se serait pas présentée pour un voyage organisé par elle pour lui présenter un nouveau client. Suite à cet incident, il aurait été plus sur ses gardes et aurait fait un plus grand suivi relativement aux services réellement rendus par elle.

 

[10]        Monsieur Kouri a mentionné que madame Kape recevait dans les faits des avances sur commissions en attendant que les projets sur lesquels elle travaillait se traduisent par des ventes concrètes. Elle aurait reçu au total 33 850 $ au cours de toute la période (pièce A-6), alors qu’elle n’aurait gagné, selon le témoignage de monsieur Kouri, que 25 000 $ en commissions. Selon lui, elle leur devrait la différence, soit un peu plus de 8 000 $, qu’elle n’aurait pas à ce jour remboursée. Monsieur Kouri a dit que l’appelante avait par ailleurs une dizaine d’employés, qui étaient tous, contrairement à madame Kape, inscrits sur le livre de paie et qui recevaient tous par dépôt direct leur rémunération nette, incluant les jours fériés et leurs vacances, après déduction des retenues à la source (des extraits du livre de paie pour deux employés ont été déposés en preuve sous les cotes A-4 et A-5). Madame Kape aurait refusé de fournir son numéro d’assurance sociale à l’appelante, précisément parce qu’elle n’aurait pas voulu être inscrite sur le registre de paie.

 

[11]        Du tableau des semaines au cours desquelles madame Kape avait travaillé (pièce A-7), il ressort, a fait remarquer monsieur Kouri, qu’au cours de toute la période, on retrace 10 semaines au total au cours desquelles aucun service n’aurait été rendu pour l’appelante. Par ailleurs, à compter du mois de novembre 2009, soit à partir du moment où madame Kape devait travailler cinq jours par semaine, jusqu’à la fin de la période en litige (soit une période de six mois), on peut compter une trentaine de jours où madame Kape n’a rendu aucun service (ceci inclut les semaines d’absence ci-dessus mentionnées). Il a dit que jamais un employé de l’appelante n’aurait pu s’absenter autant. Ceci n’aurait pas été toléré. Les employés devaient se présenter chaque jour à l’établissement de l’appelante et ils avaient droit à deux semaines de vacances par an, et à trois semaines après cinq ans. Monsieur Kouri a dit que, dans le cas de madame Kape, elle avait toute la latitude qu’elle voulait. Elle décidait elle-même les journées qu’elle consacrait à l’appelante. Elle avait sa propre ligne de vêtements et devait également consacrer du temps à ses autres clients.

 

[12]        Elle ne recevait pas d’allocations de l’appelante pour un ordinateur, Internet ou un téléphone cellulaire. Elle pouvait par contre utiliser un bureau dans l’établissement de l’appelante lorsqu’elle s’y présentait. Elle n’y avait pas accès toutefois en l’absence du personnel de l’appelante car elle n’avait pas la clé. Il est même arrivé, selon monsieur Kouri, qu’elle fasse la promotion de ses propres produits ou de ceux de compétiteurs alors qu’elle travaillait à l’établissement de l’appelante. Il aurait laissé passer ceci parce qu’elle était là dans le cadre de services qu’elle leur rendait, tout en exploitant sa propre entreprise à elle. Elle travaillait dans ce domaine depuis 30 ans.

 

[13]        Madame Kape ne faisait pas partie de la division de mise en marché de l’appelante. On avait fait appel à ses services pour créer des contacts; elle ouvrait des portes pour l’appelante et était présente lors de la première rencontre avec le nouveau client potentiel, mais son lien avec l’appelante s’arrêtait là. Par la suite, l’appelante négociait seule avec le client. Madame Kape n’avait pas le mandat de négocier les prix pour leurs produits. À sa demande, elle avait une carte professionnelle au nom de l’appelante (pièce I-3). Monsieur Kouri a accepté de lui fournir cette carte en considérant que cela pouvait démontrer un plus grand professionnalisme, mais rien de plus. De fait, selon ce dernier, il n’exerçait aucune supervision sur son travail. Madame Kape n’avait pas à faire rapport sur ses activités ou sur la façon dont elle s’y prenait. Si elle voulait en informer l’appelante, c’était son choix. 

 

[14]        En contre-interrogatoire, monsieur Kouri a dit qu’il n’avait pas demandé à madame Kape de développer une nouvelle ligne de sous-vêtements pour hommes, contrairement à ce que celle-ci a dit peu après, lors de son témoignage. Monsieur Kouri a expliqué que l’appelante distribuait plusieurs lignes de vêtements, dont les sous-vêtements pour hommes, et madame Kape avait été recrutée pour développer la clientèle pour toutes les catégories de vêtements distribuées par l’appelante. Aucune formation ne lui a été donnée pour faire le travail qu’on lui demandait de faire.

 

[15]        Également en contre-interrogatoire, monsieur Kouri a expliqué qu’à compter du mois de novembre 2009, madame Kape avait mis fin à son entente avec son plus gros client (Almo-Dante), et c’est elle qui a décidé de consacrer des semaines de cinq jours à l’appelante. Elle avait besoin d’argent et c’est pour l’aider que l’appelante aurait accepté de lui faire des avances plus élevées sur ses commissions et de lui verser une rétribution fondée sur cinq jours de travail par semaine, dans la mesure où elle travaillait des journées complètes. Par ailleurs, monsieur Kouri a été confronté à un courriel adressé à madame Kape et signé par monsieur Shapiro, en date du 20 mai 2010, provenant de l’adresse courriel de monsieur Kouri, dans lequel on réclamait de madame Kape un trop-payé de 25 000 $ (pièce I-1). Monsieur Kouri a expliqué qu’à cette date il y avait probablement un compte ouvert par madame Kape pour lequel les ventes n’avaient pas encore été concrétisées. Il a réitéré que madame Kape leur devait toujours approximativement 8 000 $. Il n’avait pas avec lui toutefois le rapprochement des ventes et des avances sur commissions.

 

[16]        Monsieur Kouri a confirmé que madame Kape rencontrait les nouveaux clients en sa présence. Ils ont voyagé trois fois aux États-Unis et une fois au Canada ensemble et c’est l’appelante qui a déboursé pour tous les frais de voyage de madame Kape.

 

[17]        Madame Kape a commencé son témoignage en disant qu’elle avait une très grande expérience dans les ventes aux grandes chaînes de vêtements partout au Canada (à titre d’exemple, Sears, Walmart, « all the jeans stores »). De 2006 à 2008 environ, elle travaillait chez Runners International à commissions. En 2009, elle agissait pour le compte d’Almo-Dante comme représentante commerciale, dans le domaine des vêtements pour les jeunes, auprès de ces grandes chaînes. Elle dit avoir gagné au-delà de 100 000 $ dans une année dans son rôle de représentante. Selon elle, c’est monsieur Shapiro qui lui aurait proposé de démarrer une ligne de sous-vêtements pour hommes pour l’appelante. Madame Kape n’avait jamais fait la promotion de ce type de vêtements. C’est ainsi qu’elle a rencontré monsieur Kouri car monsieur Shapiro n’était pas impliqué dans les activités quotidiennes de l’appelante. Elle dit que monsieur Kouri lui a montré les différents styles, tissus et marques de sous-vêtements pour hommes et l’a accompagnée au début pour acheter des échantillons. Selon elle, elle avait le mandat de reprendre les échantillons et de les envoyer en Inde pour les refaire dans une meilleure qualité. Elle devait faire une étude de marché auprès de différents magasins pour voir qui pouvait être intéressé par ce produit. C’est monsieur Kouri qui lui aurait fourni les noms de clients au départ.

 

[18]        Madame Kape a soutenu, contrairement au témoignage de monsieur Kouri, qu’elle devait se présenter à l’établissement de l’appelante tous les jours de 8 h 30 à 17 h à partir du moment où elle a cessé de travailler chez Almo-Dante. Auparavant, elle travaillait trois jours par semaine pour cette dernière entreprise et les deux autres jours pour l’appelante. Elle reconnaît que, durant cette période, son horaire était flexible aux deux entreprises, car cela dépendait des rencontres qu’elle organisait pour chacune d’elles. Apparemment, elle a connu du succès auprès de Sears pour ce qui est de la vente de sous-vêtements pour hommes (elle aurait obtenu des bons de commande de l’ordre d’un million de dollars) et a organisé très rapidement plusieurs rencontres pour l’appelante. C’est alors que monsieur Shapiro lui aurait demandé de travailler à temps plein pour l’appelante. On lui aurait alors offert 900 $ par semaine et 5 pour 100 sur les ventes. Elle devait consacrer cinq jours par semaine à l’appelante selon l’horaire indiqué plus haut. Tout ceci s’est fait oralement et donc elle n’a signé aucun contrat. Elle a dit qu’elle avait un bureau attitré et qu’au début elle travaillait en étroite collaboration avec monsieur Kouri. Par la suite, elle faisait son travail de recherche et de développement de la clientèle par elle-même et elle soutient qu’elle ne pouvait pas travailler de chez elle. Ainsi, une journée type pouvait se dérouler ainsi : elle travaillait à l’ordinateur fourni par l’appelante au bureau pour trouver de l’information, rédigeait le profil de l’appelante, envoyait des échantillons aux grandes chaînes (par exemple : Costco, Target) et tentait d’obtenir des rendez-vous. En ce qui concerne les échantillons, les démarches auprès des clients et les promotions, elle faisait tout sous le nom de l’appelante. Elle dit avoir voyagé avec monsieur Kouri à cinq ou six reprises, dont trois fois aux États-Unis pour aller à la rencontre de clients. Il lui est arrivé à deux occasions de devoir voyager pour la sœur de monsieur Kouri, Jodi, afin de trouver des échantillons de vêtements pour jeunes, ce qu’elle connaissait bien. Toutefois, elle n’était pas impliquée dans la fixation des prix d’aucun produit de l’appelante.

 

[19]        Selon son témoignage, madame Kape devait faire rapport hebdomadairement à monsieur Kouri, de qui elle relevait directement, sur son plan de travail. Elle envoyait systématiquement à monsieur Kouri une copie conforme de tous ses courriels de travail, au point où ce dernier lui aurait dit de cesser. Il l’accompagnait à tous les rendez-vous qu’elle organisait parce que, selon elle, elle ne pouvait négocier seule pour l’appelante, n’étant pas mise au courant des prix pratiqués par l’appelante. Elle aurait également travaillé de la même façon, à la demande de monsieur Kouri, sur d’autres produits pour l’appelante (elle a donné en exemple des tapis pour bébés (« baby mats »), pour lesquels elle faisait la recherche de fabricants, achetait des échantillons et en modifiait le design. Madame Kape a dit qu’on vérifiait ses présences au bureau. La mère de monsieur Kouri arrivait le matin à 7 h et ce dernier à 9 h. Ses heures de départ étaient consignées par le contrôleur de l’entreprise. Elle ne pouvait s’absenter trop longtemps pour le lunch.

 

[20]        Madame Kape a mentionné que ses trois adresses courriel étaient au nom de l’appelante. Elle travaillait de l’établissement de celle-ci avec les outils à sa portée, en collaboration avec un graphiste qui travaillait également pour l’appelante. Elle ne fournissait que son téléphone intelligent. À compter du mois de novembre 2009, elle a travaillé uniquement pour cette dernière.

 

[21]        Madame Kape a soutenu qu’elle travaillait très fort et qu’on a refusé de lui payer ses commissions en sus de la rétribution de base. Elle est d’avis qu’elle était sous-payée pour ce qu’elle faisait. On lui demandait de facturer et elle recevait son chèque de paie de 1 800 $ aux deux semaines. Il n’y avait aucune raison pour elle d’exiger la TPS et la TVQ : elle l‘a fait à la demande de l’appelante. Elle a soumis une plainte à la Commission des normes du travail du Québec (pièce I-4) pour ses commissions et vacances impayées. Cette plainte a été réglée hors cour entre les parties.

 

[22]        En contre-interrogatoire, elle a reconnu qu’elle n’est pas revenue à la date prévue, au début du mois de janvier 2010, après avoir pris des vacances. Elle a reconnu qu’elle avait mentionné dans un courriel au contrôleur de l’appelante qu’elle avait facturé pour des heures où elle n’avait pas travaillé, et qu’on pouvait retrancher ces heures facturées en trop de sa paie puisque, de toute façon, elle ne travaillait qu’à commissions et qu’elle récupérerait son dû par la suite (pièce A‑9). En cour, elle a expliqué que monsieur Kouri était furieux contre elle du fait qu’elle n’est pas revenue à la date prévue en janvier 2010. À partir de ce moment, l’atmosphère au travail est devenue déplorable pour elle et c’est dans ce climat de tension qu’elle a répondu au courriel du contrôleur. Elle a réitéré qu’elle ne travaillait pour personne d’autre et que la seule source dont elle tirait ses revenus était son travail pour l’appelante.

 

[23]        Madame Josée Verret, l’agente des appels pour l’ARC, a considéré, malgré les contradictions, que madame Kape était une employée. Elle en est venue à cette conclusion en considérant la régularité de la rémunération, qui ne variait pas beaucoup, et le fait que madame Kape ne pouvait pas réellement réaliser de profits et ne subissait pas de pertes. Madame Verret a jugé que madame Kape était subordonnée à l’appelante en ce qu’elle fut d’abord engagée pour promouvoir la vente de sous-vêtements pour hommes, ce qu’elle ne connaissait pas et ce pour lequel elle a reçu une courte formation de monsieur Kouri. De plus, elle a cru madame Kape quant au fait que cette dernière devait travailler dans l’établissement de l’appelante, faute de quoi elle n’était pas payée. Elle a considéré que la façon de procéder de madame Kape, en envoyant systématiquement une copie conforme de tous ses courriels de travail à monsieur Kouri, démontrait le contrôle qu’exerçait ce dernier sur son travail, à qui elle devait rendre compte. Le fait également que madame Kape ne connaissait pas le prix des échantillons et qu’elle ne connaissait pas les conditions de vente des produits constituaient d’autres éléments, selon madame Verret, démontrant que madame Kape ne travaillait pas à son compte car, si cela avait été le cas, elle aurait normalement eu ces informations afin de faire une proposition adéquate à son client. Madame Kape avait un pouvoir de décision limité. Cette dernière se faisait rembourser ses dépenses et travaillait avec les outils de bureau de l’appelante, incluant une carte professionnelle qu’on lui fournissait. Elle n’avait pas été engagée pour un mandat spécifique d’une durée limitée. Madame Verret a donc conclu que la relation entre l’appelante et madame Kape en était une de subordination vis-à-vis d’une employée plutôt qu’une relation de collaboration entre un client et une personne travaillant pour son propre compte.

 

 

Analyse

 

[24]        Dans l’arrêt NCJ Educational Services Limited c. Ministre du Revenu national, 2009 CAF 131, [2009] 4 C.T.C. 290, aux paragraphes 49 à 52, la Cour d’appel fédérale s’exprimait ainsi :

 

[49]   Comme l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi ne contient aucune définition du contrat de louage de services, on doit se référer au principe de complémentarité consacré à l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-2, qui indique qu’il faut appliquer les critères prévus par le Code civil du Québec pour décider si un ensemble de faits déterminé crée un contrat de travail. L’article 8.1 dispose :

 

 

RÈGLES D’INTERPRÉTATION

Propriété et droits civils

 

 

Tradition bijuridique et application du droit provincial

 

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

 

RULES OF CONSTRUCTION

Property and Civil Rights

 

 

Duality of legal traditions and application of provincial law

 

8.1 Both the common law and the civil law are equally authoritative and recognized sources of the law of property and civil rights in Canada and, unless otherwise provided by law, if in interpreting an enactment it is necessary to refer to a province’s rules, principles or concepts forming part of the law of property and civil rights, reference must be made to the rules, principles and concepts in force in the province at the time the enactment is being applied.

 

 

 

[50]   Il faut donc recourir aux articles 2085, 2098 et 2099 du Code civil du Québec.

 

[51]   Aux termes de l’article 2085 du Code civil du Québec, le contrat de travail se caractérise par les trois éléments suivants :

 

1.   l’exécution d’un travail;

2.   la rémunération;

3.   la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

[52]   En revanche, l’article 2099, qui définit avec l’article 2098 le contrat d’entreprise ou de service, indique dans les termes les plus nets que, dans le cas d’un contrat d’entreprise, « il n’existe entre [le prestataire de services] et le client aucun lien de subordination ».

 

[25]        Dans l’arrêt Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, [2009] 4 R.C.F. 592, aux paragraphes 31 à 33, la Cour d’appel fédérale disait ceci sur le lien de subordination et l’intention des parties:

 

[31]    Selon les dictionnaires Le Nouveau Petit Robert et Le Petit Larousse Illustré, la subordination d’une personne implique la dépendance de celle-ci à une autre ou son assujettissement au contrôle de cette dernière. Le contrat d’entreprise se caractérise donc par une absence de contrôle de l’exécution du travail, un contrôle qu’il ne faut pas confondre avec celui de la qualité et du résultat. Le législateur québécois y ajoute également comme élément de définition le libre choix par l’entrepreneur des moyens d’exécution du contrat.

 

[32]   Un contrat se forme par l’accord des volontés des parties à ce contrat. Donc, au stade de l’interprétation du contrat, les articles 1425 et 1426 du Code exigent que l’on recherche la commune intention des parties et que l’on tienne compte d’un certain nombre de facteurs dont, par exemple, les circonstances dans lesquelles il a été conclu.

 

[33]   Pour importante qu’elle soit, l’intention des parties n’est pas à elle seule déterminante de la qualification du contrat : voir D & J Driveway Inc. c. M.R.N, 2003 CAF 453; Dynamex Canada Inc. c. Mamona, 2003 CAF 248. De fait, le comportement des parties dans l’exécution du contrat doit refléter et actualiser cette intention commune, sinon la qualification du contrat se fera en fonction de ce que révèle la réalité factuelle et non de ce que prétendent les parties.

 

[26]        Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale ne trouvait pas d’antinomie entre les principes de droit civil québécois et les critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Elle disait ceci au paragraphe 43 dans l’arrêt Grimard, précité :

 

[43]   En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour l’existence d’un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise.

 

[27]        Par ailleurs, certains critères d’encadrement élaborés pour déterminer l’existence d’un lien de subordination ont souvent été repris en droit québécois. Ceux-ci sont repris, ainsi, dans l’arrêt NCJ Educational Services, précité, au paragraphe 59 :

 

[59]   Dans l’édition la plus récente de l’ouvrage de Robert Gagnon (6e édition, mise à jour par Langlois Kronström Desjardins, sous la direction de Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche), les indices suivants (ci-après soulignés) ont été ajoutés à ceux que l’on trouvait dans la 5édition. Ces nouveaux indices sont les mêmes que ceux qui avaient été élaborés dans l’arrêt Montreal Locomotive Works et que notre Cour avait appliqués dans l’arrêt Wiebe Door.

 

92 – Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C. ; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

 

[28]        Finalement, dans une décision récente, 1392644 Ontario Inc. o/a Connor Homes v. Minister of National Revenue, 2013 FCA 85, après avoir analysé la jurisprudence à ce sujet, la Cour d’appel fédérale maintenait, au paragraphe 23, que la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la personne a rendu les services comme si elle agissait pour son propre compte. Ce processus se fait en deux étapes. Il faut d’abord tenter de déterminer quelle était l’intention réelle des parties au moment de conclure leur accord. Dans un second temps, peu importe que l’on puisse cerner ou non l’intention commune des parties, il faut analyser la situation factuelle pour être en mesure d’établir juridiquement la relation qui existe entre elles en fonction des divers indices d’encadrement relevés plus haut. Si l’intention commune est établie, celle-ci sera un indice de plus à prendre en compte dans l’évaluation des différents facteurs, sans pour autant être un indice déterminant en soi.

 

[29]        Dans la présente instance, il est difficile d’établir quelle était l’intention commune des parties au moment où elles ont commencé à travailler ensemble. Je suis portée à croire que de part et d’autre on désirait que madame Kape ait le statut de travailleur autonome. De fait, bien que ceci ne ressorte pas clairement du témoignage de cette dernière, je crois comprendre que c’est plus tard, au moment où les relations sont devenues un peu plus tendues, que madame Kape a pensé qu’elle était peut-être une employée. Avant de commencer à travailler pour l’appelante et par la suite, elle était enregistrée comme travailleur autonome auprès du Registraire des entreprises; elle facturait pour les services rendus en exigeant la TPS et la TVQ, que l’appelante lui versait. Aucune retenue à la source n’était effectuée et elle ne recevait aucun avantage auquel les autres employés avaient droit.

 

[30]        De toute façon, tel qu’il est indiqué dans l’arrêt Connor Homes, précité, l’intention commune ne peut être considérée à elle seule comme déterminante. Tout au plus, elle peut servir d’indice dans la détermination de la relation juridique réelle qui existait entre les parties.

 

[31]        Si l’on s’attarde maintenant à la question du lien de subordination, il faut voir si l’appelante avait la faculté de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. Du point de vue de madame Kape, il faut déterminer si celle-ci acceptait de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement de l’entreprise de l’appelante pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, la présence obligatoire au lieu de travail, l’assignation plus ou moins régulière du travail, l’imposition de règles de conduite ou de comportement, l’exigence de rapports d’activité et le contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation sont des indices susceptibles de faire pencher dans un sens ou dans un autre.

 

[32]        La preuve est contradictoire sur certains éléments. Ainsi, monsieur Kouri a indiqué que l’appelante avait retenu les services de madame Kape pour sa grande expérience et qu’elle avait toute latitude pour faire ce qu’on attendait d’elle, soit développer une plus grande clientèle en établissant des liens avec différents grands magasins. Selon lui, elle n’avait pas à être présente au bureau pour accomplir ses fonctions. On lui prêtait un bureau lorsqu’elle venait, mais elle n’avait pas de bureau attitré. Elle conservait ses autres clients et l’appelante n’avait pas l’exclusivité de ses services.

 

[33]        Madame Kape a dit qu’on l’avait engagée pour développer la ligne de sous‑vêtements pour hommes, un domaine dans lequel elle n’avait aucune expertise et qu’elle a développé sous la supervision de monsieur Kouri. Elle a dit qu’elle devait être présente au bureau, sans quoi elle n’était pas payée, et que l’appelante exerçait ainsi un contrôle sur son horaire de travail. Elle a également mentionné qu’à compter du mois de novembre 2009, elle travaillait exclusivement pour l’appelante à la demande de cette dernière.

 

[34]        À mon avis, madame Kape avait la latitude que l’on donne à un travailleur autonome dans l’accomplissement des tâches qui lui étaient dévolues. Tout le monde s’entend pour dire qu’elle avait une très grande expérience et il ressort de la preuve que l’appelante a requis ses services pour qu’elle prête ses contacts et ses connaissances afin d’en faire profiter l’appelante, qui désirait accroître sa clientèle. L’appelante visait une augmentation du rendement de son entreprise et a engagé madame Kape pour son expertise. Cette dernière exécutait ses tâches comme bon lui semblait et elle seule déterminait la façon de procéder pour attirer une nouvelle clientèle pour l’appelante. Il est vrai qu’elle exécutait ses tâches en utilisant l’adresse courriel de l’appelante et une carte professionnelle au nom de l’appelante. Je peux comprendre que ceci lui facilitait la tâche. Cet élément à lui seul ne me convainc toutefois pas que madame Kape se retrouvait sous le contrôle et la direction de l’appelante dans l’exécution de son travail.

 

[35]        Quant au lieu de travail, je crois qu’on puisse dire qu’elle utilisait les locaux de l’appelante. Toutefois, les témoignages sont contradictoires sur la présence obligatoire au bureau ou non. Compte tenu de ces contradictions, je ne m’attarderai pas sur ce point davantage. Je dirai simplement que le fait de travailler à partir de l’établissement de l’appelante, même à temps plein, ne fait pas en sorte nécessairement qu’il y ait subordination (voir Wolf c. Canada, 2002 CAF 96, [2002] 4 C.F. 396).

 

[36]        Si l’on renverse la perspective du côté de madame Kape, il me semble que celle-ci ne peut prétendre qu’elle a accepté de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement de l’entreprise de l’appelante. En effet, ses nombreuses semaines d’absence démontrent, selon moi, qu’elle faisait fi de l’horaire qui pouvait être imposé aux employés réguliers. À ce titre, elle agissait comme une personne travaillant pour son propre compte. La preuve ne démontre pas qu’il y ait eu des règles de conduite ou de comportement qui lui ont été imposées. Par ailleurs, s’il est vrai que madame Kape a reçu le mandat de promouvoir la mise en marché de produits qu’elle ne connaissait pas bien (sous-vêtements pour hommes), elle avait suffisamment d’expérience pour pouvoir vendre ce nouveau produit sans développer une expertise spécifique vis-à-vis de ce produit. La preuve révèle que monsieur Kouri a passé très peu de temps avec elle au début et qu’elle s’est très vite débrouillée seule, au point de décrocher un contrat d’envergure avec une grande chaîne de magasins de vêtements.

 

[37]        Tout bien considéré, je suis d’avis que, dans le contexte actuel, l’appelante n’exerçait pas le contrôle qu’un employeur exercerait sur son employé.

 

[38]        Quant à la rémunération, il y a également des contradictions. Madame Kape dit qu’elle avait négocié un salaire en plus de commissions. Monsieur Kouri dit qu’elle n’avait droit qu’à des commissions et qu’on lui avait fait des avances sur commissions. Je note que les factures n’ont pas été envoyées systématiquement et de façon régulière. Elle était payée sur réception des factures, selon le rythme où elle les envoyait. Cela pouvait varier entre des factures hebdomadaires, bimensuelles ou aux trois semaines et même, à une occasion, il y a eu un mois d’intervalle. Elle n’était pas rémunérée lors de jours fériés non plus que pour ses vacances ou pour ses absences. Aucune retenue à la source n’était effectuée et elle ne bénéficiait d’aucune prestation salariale. Elle facturait et percevait la TPS et la TVQ. Selon monsieur Kouri, elle aurait refusé de donner à l’appelante son numéro d’assurance sociale et ceci n’a pas été contredit par madame Kape. Cela n’est certainement pas la norme pour un employé.

 

[39]        Madame Kape a mentionné qu’elle avait déposé une plainte à la Commission des normes du travail, relativement à laquelle un règlement était intervenu. La teneur de ce règlement n’a pas été dévoilée en preuve, mais il arrive souvent que l’on règle pour éviter l’escalade des coûts devant les tribunaux et cela en soi ne fait pas la preuve de l’existence d’un contrat de louage de services. Par ailleurs, il est vrai qu’au début de 2010, monsieur Kouri semblait porter une plus grande attention à la correspondance entre le temps réellement consacré par madame Kape à l’appelante et celui indiqué lors de sa facturation. Je considère toutefois qu’il est normal pour un client de vérifier ce pour quoi il paie. De plus, je ne peux déterminer avec exactitude si elle était payée uniquement à commissions (le témoignage de madame Kape contredit le courriel qu’elle avait envoyé au contrôleur de l’appelante, déposé sous la cote A-9) et si dans les faits elle sera tenue de rembourser la somme que l’appelante prétend qu’elle lui doit. Je considère donc que madame Kape ne peut prétendre qu’elle n’avait pas de chances de profit ou de risques de pertes. Une chose est certaine, le mode de rémunération relevé plus haut ne correspond pas à celui d’un salarié.

 

[40]        Finalement, madame Kape avait conservé ses autres clients, du moins pour une bonne partie de la période en litige. Elle n’a pas démenti qu’elle apportait ses propres produits ou ceux d’autres clients à l’établissement de l’appelante, qui tolérait cette pratique. À mon avis, elle agissait, de façon plus probable, pour son propre compte.

 

[41]        En conclusion, j’estime que la prépondérance de la preuve donne raison à l’appelante et que celle-ci a retenu les services de madame Kape non pas dans le cadre d’un contrat de louage de services, mais plutôt dans le contexte d’une relation client-entrepreneur indépendant. Je suis d’avis que madame Kape n’était pas une employée de l’appelante au cours de la période en litige.

 

[42]        L’appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée en tenant compte du fait que madame April Kape n’a pas été employée en vertu d’un contrat de louage de services aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE, au cours de la période en litige.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d’octobre 2013.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 315

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-2413(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Les industries Kouper - FKS Inc. (anciennement Les Modes for Kids Sake Ltée) c. Ministre du Revenu National

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 4 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Shahrooz S. Mahmoudian

Avocate de l'intimé :

Me Sara Jahanbakhsh

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                           Me Shahrooz S. Mahmoudian

 

                 Cabinet :                          Moghrabi & Moghrabi

                                                          Montréal, Québec

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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