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Dossier : 2011-1382(IT)I

ENTRE :

WARD CARSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 23 octobre 2013 à Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

MMelanie Petrunia

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009 est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de janvier 2014.

 

C. Laroche


 

 

 

Référence : 2013 CCI 353

Date : 20131101

Dossier : 2011-1382(IT)I

ENTRE :

WARD CARSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge C. Miller

[1]             M. Carson interjette appel, sous le régime de la procédure informelle, de la décision par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction d’un don de bienfaisance de 3 120 $ en 2009. Ce montant représentait l’estimation que M. Carson avait faite de la juste valeur marchande de l’utilisation de deux pièces de son domicile pendant une période de deux ans par la Peaceful Schools International Society (« Peaceful Schools »). L’épouse de M. Carson était la présidente de Peaceful Schools, organisme de bienfaisance. Elle a épousé M. Carson en 2005, mais elle utilisait depuis 2001 déjà les deux pièces en question de sa propriété située au 5532 Granville Road, à Granville Ferry (Nouvelle‑Écosse), pour l’exploitation de Peaceful Schools. Après le mariage, M. Carson a déménagé dans cette résidence, mais les pièces ont continué à être utilisées de la même façon, c’est-à-dire qu’une pièce servait de bureau pour Peaceful Schools, tandis que l’autre tenait lieu de rangement de produits et fournitures de celle-ci. L’épouse de M. Carson est demeurée la propriétaire inscrite du foyer matrimonial de Granville Ferry.

 

[2]             Le 31 mars 2009, un reçu a été délivré à M. Carson à l’égard d’un don de 1 950 $ en faveur de Peaceful Schools. Le 31 décembre 2009, un autre reçu a été délivré à M. Carson à l’égard d’un don de 1 170 $ en faveur de Peaceful Schools. M. Carson a affirmé que la mention « in-kind – rent » (en nature – loyer) figurait sur les reçus, mais ceux-ci n’ont pas été produits à l’audience. D’après ses calculs, la valeur de la location des deux pièces utilisées par Peaceful Schools s’établissait à 130 $ par mois, mais il a reconnu qu’aucun bail ou contrat de location n’avait été signé. Il a ensuite ajouté que, si un bail avait été signé, les frais mensuels relatifs aux deux pièces en question auraient dépassé le revenu. Il n’a déclaré aucun revenu.

 

[3]             La question à trancher en l’espèce est simplement de savoir si l’utilisation par Peaceful Schools de deux pièces du domicile de M. Carson et de son épouse, évaluée à 130 $ par mois, représente un don de bienfaisance que M. Carson aurait consenti à Peaceful Schools et qui serait admissible à des crédits d’impôt conformément au paragraphe 118.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[4]             Bien que le mot « don » ne soit pas défini dans la Loi, l’expression « total des dons de bienfaisance » est définie comme « le total des sommes représentant chacune la juste valeur marchande d’un don […] ». Cette définition ne permet pas vraiment de déterminer en quoi consiste un don pour l’application de la Loi. Cependant, dans la jurisprudence, il a constamment été décidé qu’un don, pour l’application de la Loi, s’entend du transfert volontaire d’un bien (voir, par exemple, les décisions Friedberg v R[1] et Slobodrian c Canada[2]). C’est sans doute la position que l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a prise, comme le montrent son bulletin IT110R3 ainsi que son bulletin de mars 2005, où elle traite explicitement de la question des locaux fournis gratuitement :

 

Q.8.     Un organisme de bienfaisance peut-il délivrer un reçu de don à un propriétaire qui lui fournit des locaux gratuitement?

 

A.8.     Non. Un des critères touchant les dons est le transfert volontaire de biens. Dans un tel cas, aucun bien n’est transféré : un propriétaire permet à un organisme d’occuper ses locaux. Comme aucun bien n’est transféré, aucun don n’est fait. Un reçu aux fins de l’impôt ne peut pas être délivré pour la valeur d’un bien prêté.

 

            Bien que le prêt d’un bien ne soit pas un don, un organisme de bienfaisance peut payer un loyer à un propriétaire et accepter plus tard un don correspondant à la totalité ou à une partie du loyer, à la condition que le don soit fait volontairement. L’organisme peut alors délivrer un reçu aux fins de l’impôt. Le donateur doit déclarer le revenu gagné, mais il peut demander l’allégement fiscal que prévoit le don.

 

[5]             L’ARC a également exprimé un avis similaire dans la réponse 2003-0018595 à la question de savoir si une personne qui permet à un organisme de bienfaisance d’utiliser de l’espace de bureau sans exiger de loyer de l’organisme a droit à un reçu pour don de bienfaisance délivré par celui-ci. L’ARC a répondu ainsi :

 

[TRADUCTION]

 

Afin qu’il y ait un don, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, il est nécessaire qu’un bien du donateur ait été transféré. Lorsque le transfert d’un bien constitue un don pour les besoins de l’impôt, l’organisme de bienfaisance a le droit, conformément à l’alinéa 3501(1)h) du Règlement de l’impôt sur le revenu, de délivrer au donateur un reçu officiel, pour les besoins de l’impôt sur le revenu, d’un montant égal à la juste valeur marchande du bien lors du don.

 

Un « transfert de bien » dans ce contexte signifie que le donateur s’est départi d’un bien et que celui-ci a été dévolu à l’organisme de bienfaisance enregistré. Le transfert de bien ne comprend pas l’octroi du droit d’utiliser le bien du donateur. Il ne comprend pas non plus le don de services du donateur. Voir, par exemple, le Commentaire au sujet de la politique CPC-017 de la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC, qui est disponible sur le site Web de l’ARC à

http://www.ccra-adrc.gc.ca/tax/charities/policy/cpc/cpc-017-f.html.

 

[6]             L’ARC ne considère pas la fourniture d’un espace de bureau, même apparemment lorsqu’il est fait conformément à un bail, comme un transfert de bien, mais il accepterait les paiements de loyer que le propriétaire remet à l’organisme de bienfaisance à titre de dons de bienfaisance conformes aux exigences. Je ne suis pas convaincu que cette position correspond à l’état du droit. L’ARC présume qu’un droit acquis au moyen d’un bail n’est pas un bien et que seul le transfert d’argent d’une main à l’autre constitue un transfert de bien qui pourrait être considéré comme un don de bienfaisance. Cette position semble aller à l’encontre des explications que Mme la juge Sharlow a données au sujet du sens du mot « bien » dans Manrell c Canada[3] :

 

En fait, dans la jurisprudence canadienne en matière fiscale, qui comporte des douzaines de décisions où la définition législative du mot « biens » a été examinée, il n’a été statué dans aucune décision que le mot « biens » comprend un droit qui ne comporte pas ou n’entraîne pas une demande exclusive légalement exécutoire. Cela ne prouve pas que l’argument de la Couronne est erroné, mais à mon avis cela laisse planer un doute sérieux à ce sujet.

 

[7]             Avant d’examiner les deux éléments d’un bien (droit acquis par contrat par opposition à un paiement de loyer) et la façon dont la situation de M. Carson pourrait être visée par l’une ou l’autre de ces perceptions, je passerai brièvement en revue la seule décision qui traite directement de cette question, Oloya c R[4]. Malheureusement, le juge Webb n’a pas eu à trancher en dernier ressort la question de savoir si la fourniture d’une pièce à un organisme de bienfaisance à des fins d’espace de bureau constitue un transfert de biens, parce qu’il a conclu que le reçu pour don n’était pas conforme. Cependant, il convient de reproduire les commentaires qu’il a formulés :

 

16.       Il n’est pas certain si les appelants exigeaient un loyer à IFAARM ou s’ils ne faisaient que simplement demander en déduction l’équivalent du loyer qui aurait été exigé. Étant donné que les appelants auraient été tenus d’inclure le loyer dans leur revenu selon une comptabilité d’exercice et, étant donné qu’ils n’ont pas inclus ce loyer dans leur revenu, il me semble qu’ils n’ont pas exigé de loyer. S’ils avaient demandé un loyer (et s’ils avaient inclus le loyer dans leur revenu), alors le loyer à recevoir aurait été un bien qui aurait pu faire l’objet d’un don à un organisme de bienfaisance. Toutefois, un tel bien aurait été mentionné sur le reçu.

 

17.       Étant donné qu’il semble que les appelants ont simplement demandé en déduction un montant équivalent au loyer, l’une des questions serait de savoir si les appelants ont donné quelque bien que ce soit à IFAARM. La définition de biens, comme le souligne la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Slobodrian, précité, est énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

 

« biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

 

a)       les droits de quelque nature qu’ils soient, les actions ou parts;

b)       à moins d’une intention contraire évidente, l’argent;

c)       les avoirs forestiers;

d)       les travaux en cours d’une entreprise qui est une profession libérale.

18.       Même si l’octroi du droit d’utiliser la pièce dans la maison a donné lieu à un transfert de bien à IFAARM[5], comme le reçu ne fait pas état de ce bien, il n’y a pas lieu que Julia Oloya inclue ce montant dans son total des dons de bienfaisance pour 2005.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]             Quelques remarques s’imposent. D’abord, le juge Webb a conclu qu’aucun loyer n’avait été exigé, mais il a reconnu que, si un loyer avait été demandé, le loyer à recevoir aurait été un bien qui aurait pu faire l’objet d’un don. En deuxième lieu, au paragraphe 18, le juge Webb semble reconnaître la possibilité que l’octroi du droit d’utiliser la pièce constitue un transfert de bien.

 

[9]             Qu’en est-il dans le cas de M. Carson? Y a-t-il eu transfert implicite de sommes d’argent représentant un loyer? Y a-t-il eu transfert de bien sous forme de droit d’utiliser les deux pièces?

 

[10]        En ce qui a trait à la question de savoir si un transfert d’argent a eu lieu, M. Carson soutient que l’entente qu’il avait avec Peaceful Schools produit le même effet que s’il avait conclu un contrat de location, accepté le loyer et remis celui-ci à Peaceful Schools, lequel arrangement serait acceptable, reconnaît l’ARC. M. Carson fait valoir que, suivant une approche énoncée dans les dispositions générales anti-évitement de la Loi, il y a lieu de déterminer les conséquences fiscales qui seraient raisonnables dans les circonstances : à son avis, dans la présente affaire, il serait raisonnable de donner effet au résultat, et non à la forme. Avec égards, je ne suis pas d’accord avec M. Carson. Il ne convient pas d’invoquer les dispositions anti-évitement très précises de la Loi aux fins d’une interprétation générale de toutes les dispositions de celle-ci.

 

[11]        M. Carson a convenu qu’il n’y avait pas de bail. Il a simplement permis à Peaceful Schools d’utiliser les deux pièces de la maison. Il n’est pas question ici de permettre à la forme de l’emporter sur le fond. Il est vrai qu’en apparence, l’arrangement ne ressemblait nullement à un paiement de loyer qui aurait été exigé, de manière implicite ou autrement. Cependant, telle n’était pas non plus la teneur de l’arrangement. Il ne s’agissait pas d’un bail selon lequel le propriétaire acceptait le paiement du loyer et le remettait ou même selon lequel le propriétaire acceptait de renoncer au loyer qu’il pourrait légalement exiger. Il n’y avait tout simplement aucune obligation juridique. D’ailleurs, M. Carson n’était même pas le propriétaire inscrit de la maison.

 

[12]        M. Carson soutient que, bien entendu, il ne voulait pas consigner l’arrangement en question dans une entente formelle, puisqu’il s’agissait d’un accord conclu entre des parties ayant un lien de dépendance. Pourquoi envisagerait‑il une entente aussi formelle? Bien au contraire, Monsieur Carson, je dirais plutôt que, précisément pour cette raison, il aurait été préférable de donner un caractère officiel à l’entente afin d’indiquer clairement que l’organisme de bienfaisance était libéré de l’obligation juridique de payer un loyer, ce qui vous aurait ensuite permis (ou plutôt ce qui aurait permis à votre épouse et à vous-même) d’établir que vous faisiez don de ce loyer à l’organisme.

 

[13]        L’entente est beaucoup trop floue pour permettre de conclure à un don d’argent de la part de M. Carson.

 

[14]        J’examine maintenant l’entente en supposant que le bien donné était le droit d’utiliser les pièces. Tel qu’il est mentionné dans Oloya, les biens s’entendent notamment des droits de quelque nature qu’ils soient. De prime abord, je peux comprendre pourquoi M. Carson estime que le droit d’utiliser une pièce constitue un droit et, par conséquent, un bien. Cependant, dans le contexte d’un bien transféré à titre de don, le « droit » qu’invoque M. Carson ne me semble pas être visé par la définition du mot « bien ». Je rappelle les explications de Mme la juge Sharlow qui sont citées plus haut et selon lesquelles un droit est une demande légalement exécutoire.

 

[15]        M. Carson ne s’est pas départi de quelque droit que ce soit. Il a simplement vécu dans le foyer matrimonial appartenant à son épouse. Mme Carson utilisait déjà les pièces dans le cadre de l’exploitation de Peaceful Schools avant d’épouser M. Carson. Peaceful Schools utilisait les pièces, non pas conformément à un bail ni même à un permis, mais plutôt avec l’autorisation et la bénédiction du couple, ou encore grâce à la bonté ou à la générosité de celui-ci, selon la description donnée à l’intention. Il n’y avait aucun droit, certainement aucun droit cessible, et aucun bien. Peaceful Schools ne pouvait céder ce prétendu droit relatif à l’utilisation des pièces. M. Carson n’a pas donné à Peaceful Schools quoi que ce soit qui constituerait un bien en tant que tel. M. Carson ou son épouse ont simplement autorisé Peaceful Schools à utiliser les pièces. Tous les deux auraient pu louer les pièces; ils ne l’ont pas fait. Ils auraient peut-être pu accorder un permis à l’égard de l’utilisation des pièces; ils ne l’ont pas fait non plus. Que ce soit du point de vue pratique ou juridique, je ne vois pas comment un bien aurait été transféré.

 

[16]        En l’absence de transfert de bien de quelque nature que ce soit, il ne peut y avoir de don de bienfaisance. L’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de janvier 2014.

 

C. Laroche

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 353

 

 

N° DE DOSSIER DE LA COUR :    2011-1382(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                      WARD CARSON ET
SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 octobre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 1er novembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Melanie Petrunia

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     S/O

 

                       Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           [1992] 1 C.T.C. 1, 135 N.R. 61, 92 D.T.C. 6031.

 

[2]           2003 CAF 350.

 

[3]           2003 CAF 128.

 

[4]           2011 CCI 308.

 

[5]           Non souligné dans l’original.

 

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