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Dossier : 2013-1587(GST)G

ENTRE :

EZZEDDINE CHEIKHEZZEIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Requête jugée sur la base des observations écrites.

 

Par : L’honorable juge Randall S. Bocock

 

Participants :

 

Avocate de l’appelant :

Me Courtney West

Avocate de l’intimée :

Me Tanis Halpape

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

VU LA REQUÊTE présentée par l’intimée en vue de l’obtention d’une ordonnance radiant certains paragraphes de l’avis d’appel de l’appelant en vertu de l’article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale);

 

AYANT examiné les observations écrites des avocates de l’appelant et de l’intimée, y compris l’avis d’appel modifié portant la date du 30 septembre 2013 et joint aux observations écrites supplémentaires de l’appelant;

 

Conformément aux motifs de l’ordonnance ci‑joints, LA COUR ORDONNE :

 

1.                 l’alinéa 49g), les deux dernières phrases du paragraphe 50 et la totalité des paragraphes 59, 60, 62, 63, 64, 65 et 66 de l’avis d’appel modifié daté du 30 septembre 2013 sont radiés;

2.                 l’intimée dispose de 60 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer sa réponse;

3.                 des dépens de 500,00 $ sont adjugés à l’intimée.

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 1er jour de novembre 2013.

 

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


 

 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 348

Date : 20131101

Dossier : 2013-1587(GST)G

 

ENTRE :

EZZEDDINE CHEIKHEZZEIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

Le juge Bocock

 

[1]             L’intimée présente une requête en radiation de certains passages de l’avis d’appel de l’appelant, au motif qu’ils soulèvent des questions qui compromettent ou retardent la tenue d’une instruction équitable, qui sont frivoles, scandaleuses ou vexatoires et/ou qui constituent un recours abusif (article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »)), du fait que les motifs qui y sont invoqués ou les mesures de redressement qui y sont demandées ne sont pas du ressort de la Cour.

 

[2]             Les questions et mesures de redressement auxquelles s’oppose l’intimée et qui sont soulevées ou demandées dans l’avis d’appel font intervenir globalement les motifs d’appel suivants : perquisition et saisie abusives, recours abusif et illégal à la procédure pour l’établissement de la cotisation et/ou saisie de biens sans égard au principe de l’application régulière de la loi.

 

[3]             Au départ, la requête renfermait des allégations concernant certains faits plaidés et contestés, mais les parties ont réglé ces points litigieux avant que ne soient présentées les allégations restantes par voie d’observations écrites. Les paragraphes de l’avis d’appel modifié qui demeurent contestés sont reproduits à l’annexe A des présents motifs.

 

[4]             L’examen des motifs d’appel contestés et de la mesure de redressement demandée permet de circonscrire la question que la Cour est appelée à trancher dans le cadre de la requête en radiation. Cette question est la suivante : est‑il évident et manifeste que les allégations d’atteintes aux droits constitutionnels et quasi constitutionnels découlant du processus de perception des cotisations et/ou de vérification n’ont aucune chance d’être accueillies par la Cour canadienne de l’impôt en tant que motifs d’appel?

 

[5]             Lors de l’examen de cette question, un postulat fondamental est posé. En effet, la partie visée par la requête en radiation a droit à ce que les faits qu’elle allègue soient présumés exacts (dans la mesure où ils sont valablement invoqués). La raison d’être de ce postulat s’explique par le fait que l’analyse et l’appréciation des faits ne peuvent se faire sans la tenue d’une audience permettant de se prononcer sur la preuve après en avoir pris connaissance. Dès qu’une telle procédure est requise, l’affaire doit forcément être soumise au processus d’interrogatoire préalable et déférée au juge du procès : Banque HSBC Canada c. La Reine, 2007 CCI 307, [2007] 5 CTC 2466.

 

[6]             Tenant pour avérés les faits qui sont allégués par une partie, mais contestés par l’autre, la Cour doit poser certaines questions afin de déterminer si les motifs d’appel en cause présentent ou non quelque chance de succès : s’agit-il d’une question à l’égard de laquelle la loi ne confère pas de compétence à la Cour? (R. c. Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, [2011] ACS no 42 (QL))? Même alors, s’agit-il d’un motif ou d’un fondement pour lequel un appelant a déjà été débouté, lui donnant ainsi l’autorité de chose jugée ou de question irrecevable, parce que déjà tranchée? Au‑delà de la question de la compétence, la mesure de redressement demandée et les questions afférentes se rapportent-elles à un droit pour lequel il n’y a pas de recours possible à la Cour? Par ailleurs, tente-t-on, par quelque artifice, de faire passer la mesure de redressement et les questions contestées pour des arguments juridiques ou des éléments de preuve?

 

[7]             Si, en procédant à l’étude d’un paragraphe donné, la Cour donne une réponse affirmative à l’une des questions qui précèdent, la conclusion qu’elle en tirera sera simple : le passage de l’acte de procédure devra être radié. Suivant les Règles (article 53), il sera radié au motif qu’il serait vexatoire de le conserver ou que cela entraînerait des retards et/ou constituerait un recours abusif, puisque la Cour n’a pas le pouvoir de le considérer comme une question en litige ou un motif d’appel du fait qu’il est d’avance légalement voué à l’échec.

 

[8]             L’intimée soutient que, dans le cadre de tout appel devant la Cour, les questions et motifs afférents concernant les omissions faites ainsi que la conduite et les processus adoptés par le ministre du Revenu national, ses mandataires et ses représentants lorsqu’ils procèdent à une enquête, à une vérification ou à l’établissement d’une cotisation vis-à-vis d’un contribuable (la « conduite du ministre ») ne constituent pas un fondement valable pour en appeler à la Cour. En termes simples, l’intimée affirme que la Cour n’a pas compétence pour accueillir un appel et/ou annuler une cotisation en raison de la conduite du ministre, si répréhensible soit‑elle. Or, selon elle, les passages contestés de l’acte de procédure ne renferment que des allégations concernant la conduite du ministre.

 

[9]             De l’avis de l’intimée, que l’on considère la question sous l’angle de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), de la Déclaration canadienne des droits, des principes de justice naturelle, de l’abus de procédure ou de l’erreur de droit, rien ne permet d’invalider une cotisation ou de la déclarer nulle ou annulable pour un motif uniquement lié à la conduite du ministre. Le fondement de tout appel interjeté à la Cour a entièrement trait à l’exactitude et à la validité de la cotisation et à son montant.

 

[10]        En réponse, l’avocate de l’appelant fait valoir que les questions en litige et les motifs sont valablement invoqués, car ils présentent une chance réelle – ou du moins, une certaine chance – de succès. La compétence existe, puisque la Cour canadienne de l’impôt peut « annuler » une cotisation en raison de la conduite du ministre (lors de l’établissement de la cotisation ou de la perception), s’il y a eu violation de l’article 8 et du paragraphe 24(1) de la Charte et/ou des articles 1 et 2 de la Déclaration canadienne des droits (les « droits constitutionnels »). Comme premier argument, elle fait valoir que la Charte a pour vocation d’offrir une réparation et qu’elle permet de façonner cette réparation en cas de violation. Le deuxième argument, qui est lié au premier, est qu’il n’est ni évident ni manifeste que ces motifs n’ont aucune chance de succès.

 

[11]        En outre, l’appelant fait valoir qu’il n’est pas certain que l’argument de recours abusif (alinéa 53c) des Règles) sur lequel l’intimée fonde sa requête en radiation s’applique en matière de droits constitutionnels : en ce qui concerne les violations de droits constitutionnels, il ne saurait être question de préjudice, d’injustice flagrante ou de recours abusif à la Cour. En revanche, l’appelant a reconnu que, si l’absence de compétence était clairement établie, le recours intenté serait vraisemblablement abusif.

 

[12]        Pour finir, l’avocate de l’appelant fait valoir qu’il n’existe aucun principe de droit permettant de fonder la radiation d’une demande renvoyant à l’article 8 de la Charte et, implicitement, à son paragraphe 24(1). Citant des exemples tirés de la jurisprudence, elle a laissé entendre que la Cour pouvait valablement être saisie de contestations fondées sur la Charte visant les façons de faire en matière d’établissement de cotisations (Smith v. Canada, 2006 BCCA 237, [2006] 4 CTC 73) et que la Charte pouvait s’appliquer aux pratiques des mandataires de la Couronne en matière de perception et de versement de taxes (Deputy Minister of National Revenue (Customs, Excise & Taxation) v. Millar, 2007 BCCA 401).

 

[13]        Pour les motifs qui suivent, les paragraphes contestés seront radiés.

 

[14]        L’appelant affirme à juste titre que la conduite du ministre peut entraîner la violation de droits constitutionnels; toutefois, cela nous amène à nous interroger sur la compétence de la Cour. En effet, la Cour ne peut entreprendre l’examen du droit et des faits qui sous-tendent une telle question, car il s’agit d’une mesure dépourvue de finalité; ce n’est pas devant le présent tribunal qu’une réparation peut être accordée pour les droits susceptibles d’être reconnus. La compétence exclusive dont dispose la Cour est d’origine législative : elle consiste à décider si un contribuable est tenu au paiement d’un impôt ainsi qu’à déterminer si la cotisation est valable et si son calcul est exact au vu des dispositions législatives applicables en matière de cotisation, à savoir, en l’occurrence, le paragraphe 299(4) et l’article 306 de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »). Elle possède une compétence bien circonscrite qui est exclusive, mais elle n’a pas compétence en ce qui a trait à la conduite du ministre, indépendamment de la loi ou du droit qui est invoqué ou qui a été violé : Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, [2005] 1 CTC 212 (CAF), aux paragraphes 7 et 8; Webster c. Canada, 2003 CAF 388, [2003] ACF no 1569 (QL), au paragraphe 21. De plus, la Cour n’a pas la compétence voulue – qu’elle soit inhérente ou d’origine législative – pour procéder à l’analyse d’une cotisation, apprécier la preuve s’y rapportant ou invalider cette cotisation en fonction de la conduite du ministre, car celle-ci est sans rapport avec le bien-fondé ou l’exactitude de la cotisation : Ronald Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, [2013] 3 CTC 49 (CAF), aux paragraphes 31 à 33.

 

[15]        La Cour pense que l’avocate de l’appelant s’est peut-être méprise en considérant le « recours abusif » décrit à l’alinéa 53c) des Règles comme une exigence autonome à laquelle il faut satisfaire pour obtenir la radiation de l’acte de procédure contesté. En termes simples, disons que, si des passages d’un acte de procédure se rapportent à une affaire qui ne présente aucune chance de succès en raison de l’absence de compétence de la Cour, c’est le fait de conserver ces passages « inéluctablement voués à l’échec » qui entraîne des retards (alinéa 53a) des Règles), est frivole (alinéa 53b)) ou constitue un recours abusif (alinéa 53c)).

 

[16]        En clair, compte tenu de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt, la conduite du ministre n’a pas la moindre incidence sur l’issue de l’appel en cause, car le législateur a voulu que cet appel prenne la forme d’une enquête et d’une décision portant exclusivement sur la validité et l’exactitude de la cotisation, et non pas sur la méthode suivie pour en arriver à la décision de percevoir la cotisation. À supposer qu’il existe des mesures de redressement liées à la conduite du ministre, celles-ci doivent être cherchées ailleurs.

 

[17]        Au vu de la présente ordonnance et des motifs qui la sous-tendent et afin d’éviter tout malentendu, la Cour juge nécessaire d’insister sur un aspect : il est possible de faire valoir des droits constitutionnels devant la Cour lorsque ceux-ci se rapportent à la cotisation, à son applicabilité, à une inégalité ou l’inobservation d’une règle (Smith). Or, en l’espèce, les paragraphes contestés se rapportent exclusivement à la conduite du ministre.


[18]        Par conséquent, sur le fondement de ce qui précède, les paragraphes contestés sont radiés de l’avis d’appel modifié daté du 30 septembre 2013, à savoir, l’alinéa 49g), les deux dernières phrases du paragraphe 50 et la totalité des paragraphes 59, 60, 62, 63, 64, 65 et 66. L’intimée dispose de 60 jours à compter de la date de l’ordonnance pour déposer une réponse et a droit à des dépens de 500,00 $.

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 1er jour de novembre 2013.

 

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


Annexe A

Les paragraphes contestés sont en italique.

 

[traduction]

 

49.  Les points en litige soulevés dans le présent appel sont les suivants :

 

g. L’intimée a-t-elle porté atteinte aux droits de l’appelant garantis par l’article 8 et l’article 12 de la Charte;

 

50.  L’appelant entend se fonder sur la Loi sur la taxe d’accise dans son ensemble, et en particulier sur les articles 238 et 296, les paragraphes 123(1), 165(1), 240(1), 301(1.1), 301(2), 301(3), 315(1) et 315(3), ainsi que les articles 317, 319 et 320. L’appelant entend aussi se fonder sur les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale) dans leur ensemble, et en particulier sur l’article 147 des Règles. L’appelant entend aussi invoquer les articles 8, 12 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Enfin, l’appelant entend invoquer l’alinéa 1a) et l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits.

 

59.  L’intimée a porté atteinte au droit de l’appelant à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, que lui garantit l’article 8 de la Charte.

 

60.  L’intimée ne doit pas exercer ses pouvoirs d’établissement de cotisations et de perception de façon à porter atteinte aux droits que la Charte garantit à l’appelant; si ces droits ne sont pas respectés et que l’atteinte n’est pas justifiée, l’appelant a le droit de s’adresser à la Cour canadienne de l’impôt en vue d’obtenir réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

 

62.  L’appelant soutient en outre que, selon l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits, l’individu a droit à la jouissance de ses biens et à ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi.

 

63.  L’appelant soutient que l’intimée n’a pas procédé à l’établissement des cotisations arbitraires et à la confiscation consécutive des fonds de l’appelant dans le respect du principe de l’application régulière de la loi.

 

64.  L’appelant soutient que, pour qu’il puisse bénéficier de l’application régulière de la loi, il aurait fallu que l’intimée lui donne la possibilité de présenter des observations au sujet des cotisations envisagées avant d’établir ces dernières. Il ajoute que, s’il avait bénéficié de cette application régulière de la loi, l’intimée aurait pris en compte l’information qu’il lui aurait remise après l’établissement des cotisations pour établir de nouvelles cotisations en conséquence.

 

65.  L’appelant soutient qu’il continue à être privé de la jouissance de ses biens sans avoir eu droit au bénéfice de l’application régulière de la loi et que, partant, l’intimée a exercé les pouvoirs que lui confère la Loi sur la taxe d’accise d’une manière qui va à l’encontre de l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits.

 

66.  Par conséquent, l’appelant soutient respectueusement que les cotisations arbitraires de TPS/TVH pourraient être annulées, à titre subsidiaire, en vertu de la Déclaration canadienne des droits.

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 348

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2013-1587(GST)G

 

INTITULÉ :                                      EZZEDDINE CHEIKHEZZEIN ET LA REINE

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge Randall S. Bocock

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 1er novembre 2013

 

PARTICIPANTS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Courtney West

Avocate de l’intimée :

Me Tanis Halpape

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     Courtney West

 

                            Cabinet :               Doris Law Office P.C.

                                                          Ottawa (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

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