Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2013-2273(IT)G

ENTRE :

 

SHARON A. MOSHER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête entendue le 7 novembre 2013, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Mes David Muha, Christopher Slade, Michael Collinge

Avocat de l’intimée

Me Thang Trieu

 

 

ORDONNANCE

Les requêtes dont il est question aux paragraphes 1 et 2 de l’avis de requête de l’intimée sont rejetées.

 

L’intimée doit déposer et signifier la réponse au plus tard le 31 décembre 2013 sauf si les parties, dans un délai de deux semaines, avisent la Cour qu’elles souhaitent que celle-ci se prononce sur une question en vertu de l’article 58 des Règles, auquel cas l’intimée doit déposer et signifier la réponse dans les 30 jours suivant la décision qui sera ainsi rendue.

 

Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’avril 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 378

Date : 20131128

Dossier : 2013-2273(IT)G

 

ENTRE :

SHARON A. MOSHER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Miller

 

[1]             L’intimée présente une requête en vue :

[traduction

1.         d’empêcher l’appelante de contester le bien-fondé de la cotisation de Peter Kuczer concernant l’année d’imposition 2002 et établie par un avis daté du 28 janvier 2005 (la « cotisation de  M. Kuczer »);

2.         de faire radier les paragraphes 13 à 31, la première rubrique figurant sous la section F), ainsi que les paragraphes 38 et 39 de l’avis d’appel (les « paragraphes en question »);

3.         de proroger le délai imparti pour déposer et signifier la réponse à l’avis d’appel à un délai de 30 jours suivant la date de l’ordonnance disposant de la présente requête;

4.         de l’obtention des dépens de la présente requête, fixés et payables dans les 30 jours suivant la date de l’ordonnance disposant de la présente requête;

5.         d’accorder toute autre mesure de redressement demandée par l’avocat de l’intimée et que la Cour jugera appropriée.

[2]             Les motifs de la requête sont les suivants :

[traduction

1.                  les doctrines de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure empêchent l’appelante de contester la cotisation de M. Kuczer;

2.                  les paragraphes en question constituent un recours abusif et peuvent compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel;

3.                  l’intimée aura besoin d’une prorogation de délai pour pouvoir déposer et signifier la réponse une fois que la Cour aura disposé de la présente requête et il y a lieu de l’accorder dans les circonstances;

4.                  les articles 44 et 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a;

5.                  l’article 159 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e suppl.);

6.                  les autres motifs que l'avocat de l’intimée pourra soulever et que la Cour pourra autoriser.

[3]             En interrogeant l’avocat de l’intimée à l’audience, il est devenu évident qu’il est question ici d’une requête en radiation d’actes de procédure en vertu de l’article 53 des Règles; en fait, les ordonnances dont il est question aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus ne sont en réalité qu’une seule ordonnance de radiation d’actes de procédure.

[4]             Les faits énoncés ci-après sont tirés des observations écrites de l’intimée et de l’appelante :

[traduction]

Observations écrites de l’intimée

3.                  Le débiteur fiscal, Peter Kuczer, a été l’objet d’une nouvelle cotisation, établie par le ministre du Revenu national pour l’année d’imposition 2002 en vue d’inclure un montant de revenu de 506 000 $, par la voie d’un avis daté du 28 janvier 2005 (la « cotisation de M. Kuczer »).

4.                  Le 31 juillet 2006, M. Kuczer a interjeté appel de la cotisation le concernant (l’« appel de M. Kuczer »). Les faits qui sous-tendent cette cotisation remontent au milieu des années 1990.

5.                  Le 3 mars 2007, M. Kuczer est mort sans testament. À l’époque, il avait une dette fiscale impayée d’environ 350 000 $.

6.                  L’appelante, Sharon Mosher, est la veuve de M. Kuczer. Elle est devenue exécutrice de la succession de M. Kuczer, par une ordonnance judiciaire datée du 18 juillet 2007.

7.                  Au cours de l’appel de M. Kuczer, la succession de ce dernier, par l’entremise de Mme Mosher, et le ministère public ont échangé des listes de documents et mené des interrogatoires préalables et ils se sont acquittés de divers engagements.

8.                  L’instruction de l’appel de M. Kuczer a été fixée aux 9 et 10 octobre 2008.

9.                  Le 20 août 2008, la succession de M. Kuczer a demandé un ajournement. La Cour y a fait droit et a ajourné l’instruction.

10.              Le 7 novembre 2008, la succession de M. Kuczer a transféré un bien situé à Kitchener (Ontario) (le « bien ») à une autre partie contre un produit de 1 300 000 $. Ce bien était le seul élément d’actif que détenait la succession de M. Kuczer. Il s’agissait aussi de la maison de Mme Mosher. Aucune partie du produit de la vente de ce bien n’a servi à régler la dette fiscale de la succession de M. Kuczer.

11.              Le 13 janvier 2009, moins d’une semaine avant la reprise de l’instruction, la succession de M. Kuczer s’est désistée de l’appel de M. Kuczer.

Les observations écrites de l’appelante

4.         À l’époque du désistement de l’appel de M. Kuczer, la succession de M. Kuczer ne possédait aucun élément d’actif. Le seul élément d’actif que détenait cette dernière au moment du décès de M. Kuczer était l’intérêt que celui-ci détenait dans le domicile conjugal de M. Kuczer et de l’appelante, domicile que la succession de M. Kuczer a vendu en novembre 2008. À son décès, M. Kuczer devait des sommes d’argent considérables à des créanciers avec lesquels il n’avait aucun lien de dépendance. Après que la succession de M. Kuczer eut payé ces créances en 2008, et après le paiement des dépenses funéraires et testamentaires et d’autres frais administratifs, la succession de M. Kuczer ne détenait plus aucun élément d’actif, et aucune distribution de biens n’a été faite en faveur d’un bénéficiaire quelconque.

[…]

Les observations écrites de l’intimée

12.              La Cour a avisé la succession de M. Kuczer qu’elle considérait que l’appel de M. Kuczer avait été rejeté par application du paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

13.              Par un avis du ministre daté du 15 juillet 2011, Mme Mosher s’est vu attribuer la responsabilité personnelle de la cotisation de M. Kuczer. Aucun représentant de la succession de M. Kuczer n’a demandé ou obtenu un certificat de décharge du ministre avant qu’une cotisation soit établie à l’endroit de Mme Mosher.

14.              Le 11 juin 2013, Mme Mosher a interjeté appel de sa cotisation dérivée (l’« appel de Mme Mosher »). Mme Mosher conteste dans son appel le bien‑fondé de la cotisation de M. Kuczer– voir les paragraphes 13 à 31, la première rubrique sous la section F), ainsi que les paragraphes 38 et 39 de l’avis d’appel (les « paragraphes en question »).

15.              La contestation de Mme Mosher à l’égard du bien-fondé de la cotisation de M. Kuczer est identique en tous points à sa contestation relative à la cotisation de M. Kuczer dans le cadre de l’appel de M. Kuczer, dont elle s’est désistée pour le compte de la succession de M. Kuczer.

[5]             Selon les deux parties, la question en litige consiste à savoir s’il y a lieu d’empêcher Mme Mosher de contester la cotisation de M. Kuczer en se fondant sur les doctrines de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure.

[6]             L’article 53 des Règles indique ce qui suit :

La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document :

a) peut compromettre ou retarder l'instruction équitable de l'appel;

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

c) constitue un recours abusif à la Cour.

La loi indique clairement qu’en ce qui concerne les demandes relatives à l’article 53 des Règles, il doit être évident et manifeste que la position plaidée n’a aucun espoir de succès (Sentinell Hill Productions (1999) Corporation et Robert Strother c. La Reine[1]).

[7]             Je reformulerais donc la question ainsi : est-il évident et manifeste que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou celle de l’abus de procédure empêche l’appelante de contester la cotisation sous-jacente? En d’autres termes, l’appelante n’a-t-elle aucun espoir de convaincre le juge du procès qu’elle peut contester la cotisation de M. Kuczer sous-jacente? Je conclus que cela n’est pas évident et manifeste.

[8]             Il est inutile que je passe en revue le droit de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc.[2] et qu’elle a affiné dans des arrêts ultérieurs (voir, par exemple, Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers[3])), de même que son application à la situation dont je suis saisi. Il faudrait que je prenne le temps de réfléchir à ces arguments, de lire en détail les règles de droit quant à la manière dont la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a évolué, et de tenter ensuite de l’appliquer à la situation dans laquelle se trouve Mme Mosher. Ce n’est qu’à ce moment-là que je me sentirais à l’aise de donner une réponse. Il m’apparaît qu’il n’est pas évident et manifeste que la doctrine s’applique. Par exemple, il existe, dirais-je, une question litigieuse quant à la question de savoir si le fait de se désister d’une affaire, sans décision judiciaire additionnelle, répond à l’une des exigences du critère à trois volets qui s’applique à la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, à savoir qu’une « décision judiciaire » a été rendue. De plus, même si l’on satisfait au critère à trois volets, la loi prévoit qu’un juge peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour établir un équilibre entre le caractère définitif d’un litige et l’intérêt du public à ce que justice soit rendue « et d’autres considérations intéressant l’équité envers les parties[4] ». La façon dont un juge pourrait exercer ce pouvoir discrétionnaire dans ces circonstances n’est pas évidente et manifeste.

[9]             Pour ce qui est de la doctrine de l’abus de procédure, il est possible qu’elle s’applique pour éviter un nouveau litige lorsque les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne sont pas réunies, mais, là encore, il n’est pas évident et manifeste qu’elle s’applique ou non à la présente affaire.

[10]        Dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79[5], la juge Arbour a expliqué :

Bien interprétées et bien appliquées, les doctrines de l’autorité de la chose jugée et de l’abus de procédure règlent les interactions entre les différents décideurs judiciaires. Ces règles et principes exigent des décideurs qu’ils réalisent un équilibre entre l’irrévocabilité, l’équité, l’efficacité et l’autorité des décisions judiciaires.

Elle a ensuite donné l’exemple suivant :

Par exemple, lorsque les enjeux de l’instance initiale ne sont pas assez importants pour susciter une réaction vigoureuse et complète alors que ceux de l’instance subséquente sont considérables, l’équité commande de conclure que l’autorisation de poursuivre la deuxième instance servirait davantage l’administration de la justice que le maintien à tout prix du principe de l’irrévocabilité.

[11]        Déconsidérerait-on l’administration de la justice en autorisant Mme Mosher à contester la cotisation de M. Kuczer dans les circonstances de l’espèce? Voilà une question à laquelle il est malaisé de répondre et à laquelle, à mon avis, chaque juge répondrait de la même façon en exerçant son pouvoir discrétionnaire, surtout quand ce pouvoir repose sur des principes tels que l’économie des ressources judiciaires, la cohérence, l’irrévocabilité, l’équité et l’intégrité de l’administration de la justice. Il m’apparaît clairement que les circonstances entourant les gestes que Mme Mosher a posés à titre d’exécutrice, de même que la nécessité de débattre pleinement de l’application des concepts que sont la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure, font en sorte qu’une demande présentée en vertu de l’article 53 des Règles en vue de faire radier des actes de procédure n’est pas la bonne voie à suivre.

[12]        Cela dit, et avant de rejeter les requêtes de l’intimée, je n’excuse pas implicitement le fait que les parties s’orientent implacablement vers une instruction, en présumant que la cotisation de M. Kuczer soit un point litigieux bien réel. J’ai l’impression qu’un litige portant sur cette question nécessiterait un travail considérable. Il me semble que la bonne voie à suivre serait de se prononcer sur la question en vertu de l’article 58 des Règles, en répondant à la question que l’intimée a tenté de poser dans la présente demande fondée sur l’article 53 des Règles. La doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou celle de l’abus de procédure empêchent-elles Mme Mosher de soulever cette question à l’instruction relative à sa propre cotisation? S’il est déterminé que l’un ou l’autre concept s’applique de façon à empêcher Mme Mosher d’évoquer la cotisation de M. Kuczer sous-jacente, on aura ainsi réalisé des économies considérables dans le contexte du litige. S’il est conclu que ces doctrines ne s’appliquent pas, les parties sauront alors qu’il leur faudra aller de l’avant pour pouvoir plaider pleinement cette cotisation antérieure.

[13]        À l’évidence, les parties ont fait des recherches sur l’application de ces doctrines et il y aurait donc peu de préparatifs additionnels à faire pour pouvoir trancher la question, à part peut-être obtenir plus de détails sur le désistement de Mme Mosher à l’égard du litige antérieur. Si les deux parties conviennent qu’il y aurait lieu de trancher la question, je suis disposé à ordonner la prise d’une telle mesure en temps opportun, en renonçant à la nécessité de présenter une demande pour qu’un juge examine s’il est nécessaire de se prononcer sur une question (la première étape habituelle du processus visé à l’article 58 des Règles). Si les parties ne sont pas d’accord et si une seule d’entre elles croit que cette mesure serait avantageuse, alors cette première étape sera nécessaire.

[14]        La requête en radiation d’actes de procédure est rejetée. Les parties ont deux semaines pour faire savoir à la Cour si elles souhaitent que celle-ci se prononce sur une question. Si elles indiquent qu’elles n’ont pas l’intention de le faire, l’intimée doit déposer dans ce cas une réponse avant le 31 décembre 2013 inclusivement. Si, au contraire, elles entendent demander qu’une question soit tranchée, l’intimée doit déposer une réponse dans les 30 jours suivant la décision qui sera ainsi rendue. Les dépens suivront l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour d’avril 2014.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 378

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2013-2273(IT)G

 

 

INTITULÉ :                                      SHARON A. MOSHER ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 novembre 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 28 novembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Mes David Muha, Christopher Slade, Michael Collinge

Avocat de l’intimée :

Me Thang Trieu

 

AVOCATS INSCRITS AU
DOSSIER

 

          Pour l’appelante :

 

                           Noms :                   David Muha, Christopher Slade,

                                                          Michael Collinge

 

                        Cabinet :                   Deloitte Tax Law LLP

 

              Pour l’intimée :                   William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           2007 CCI 742.

[2]           2001 CSC 44.

[3]           2013 CSC 19.

[4]           Penner, précité, au par. 29.

[5]           2003 CSC 63.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.