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Dossier : 2011-1404(IT)G

ENTRE :

DEVON CANADA CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Requête entendue le 16 septembre 2013 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji

Me Pooja Samtani

Me Edward Rowe

Avocats de l’intimée :

Me Josée Tremblay

Me Marie-France Camiré

Me Ryan Gellings

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

        L’appelante ayant déposé, conformément à l’alinéa 58(1)a) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), une requête visant à faire trancher, avant l’audience, la question de droit suivante :

 

[traduction]


Est-il raisonnable de considérer, par l’effet des alinéas 66.7(10)j) et 66.7(10)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu et par suite de l’acquisition du contrôle de Home Oil […] et du transfert des [avoirs d’Anderson] par la [société de personnes Anderson] à la [société de personnes Devon], qu’une part proportionnelle du revenu tiré des [avoirs d’Anderson] détenus par l’intermédiaire de la société de personnes Devon, part attribuée à la société de personnes Anderson puis à Home Oil, est attribuable à la production tirée d’un avoir minier dont le propriétaire, avant l’acquisition, était un propriétaire obligé pour l’application des paragraphes 66.7(1) à (5)?

 

          Vu les observations des avocats et les documents déposés;

 

          La requête est accueillie, et la question qui précède est tranchée de la façon exposée dans les motifs de l’ordonnance joints aux présentes. Les dépens de la requête sont laissés à la discrétion du juge du procès.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2013.

 

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2014.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 415

Date : 20131218

Dossier : 2011-1404(IT)G

 

ENTRE :

DEVON CANADA CORPORATION,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Hogan

 

I.                   Introduction

 

[1]             L’appelante a sollicité une ordonnance en vertu de l’alinéa 58(1)a) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). À la suite d’une audience antérieure, la question de droit qui suit (la « question ») devait être tranchée par un juge des requêtes :

 

[TRADUCTION]


Est-il raisonnable de considérer, par l’effet des alinéas 66.7(10)j) et 66.7(10)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu et par suite de l’acquisition du contrôle de Home Oil […] et du transfert des [avoirs d’Anderson] par la [société de personnes Anderson] à la [société de personnes Devon], qu’une part proportionnelle du revenu tiré des [avoirs d’Anderson] détenus par l’intermédiaire de la société de personnes Devon, part attribuée à la société de personnes Anderson puis à Home Oil, est attribuable à la production tirée d’un avoir minier dont le propriétaire, avant l’acquisition, était un propriétaire obligé pour l’application des paragraphes 66.7(1) à (5)?

 

II.                Le contexte factuel

 

[2]             Les faits ne sont pas contestés. Anderson Exploration Ltd., société mère de Home Oil Company of Canada (« Home Oil ») a été acquise par la Devon Acquisition Corporation le 15 octobre 2001 (l’« acquisition du contrôle »). Home Oil est devenue, par fusion, l’appelante, la Devon Canada Corporation (« Devon Canada »).

 

[3]             Avant l’acquisition du contrôle, Home Oil détenait ses avoirs miniers (les « avoirs d’Anderson ») par l’intermédiaire d’une société de personnes dont elle était une associée directe, Anderson Exploration Partnership (la « société de personnes Anderson »).

 

[4]             Consécutivement à l’acquisition du contrôle, la société de personnes Anderson a transféré la totalité de ses avoirs miniers (le « transfert ») à une société de personnes qui était sa filiale, la Devon Canada Partnership (la « société de personnes Devon »). Le transfert n’a pas modifié la quote-part de Home Oil dans la société de personnes Anderson.

 

[5]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi à l’égard de Home Oil une nouvelle cotisation, par laquelle il rejetait les déductions que cette dernière demandait à titre de société remplaçante et qui était attribuable aux avoirs d’Anderson, demande faite après le transfert. La demande a été rejetée pour le motif que l’alinéa 66.7(10)j) avait cessé de s’appliquer après le transfert des avoirs à la société de personnes du palier inférieur.

 

III.     La question en litige

 

[6]             La question concerne l’interprétation et l’application de l’article 66.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), communément appelé « règles relatives aux sociétés remplaçantes ». Plus particulièrement, il s’agit de savoir si un associé qui est une personne morale peut continuer de déduire les frais « de remplacement » relatifs à des ressources de son revenu provenant d’avoirs miniers transférés d’une société de personnes dont l’associé fait directement partie à une société de personnes qui est sa filiale à la suite d’une acquisition du contrôle.

 

IV.     Aperçu des dispositions en cause

 

[7]             En général, les règles relatives aux sociétés remplaçantes permettent au propriétaire subséquent d’avoirs miniers de déduire du revenu tiré des avoirs transférés la partie inutilisée des frais relatifs à des ressources que la cédante a engagés.

 

[8]             L’article 66.7 permet à une société (une « société remplaçante ») qui acquiert la totalité ou presque des avoirs miniers d’un vendeur (le « propriétaire obligé ») de déduire la partie inutilisée des frais relatifs à des ressources du propriétaire obligé (les « frais “de remplacement” ») du revenu attribuable à la production des avoirs et du revenu provenant du produit de la disposition des avoirs acquis du propriétaire obligé. Les règles particulières autorisant divers types de déductions relatives aux avoirs sont précisées aux paragraphes 66.7(1) à (5)[1]. Les frais « de remplacement » peuvent être déduits dans la mesure du revenu de la société remplaçante « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable » à la production tirée des avoirs acquis[2].

 

[9]             Les règles relatives aux sociétés remplaçantes dans le contexte de l’acquisition d’un avoir minier sont facultatives, car la société remplaçante et la société obligée de qui elle a acquis l’avoir doivent présenter un choix conjoint en ce sens pour que les règles s’appliquent[3]. Si l’avoir est vendu à une personne non liée et qu’aucun choix n’est fait, le vendeur conserve ses comptes de frais relatifs à des ressources et peut librement les déduire.

 

[10]        Les règles relatives aux sociétés remplaçantes entrent automatiquement en jeu s’il y a acquisition du contrôle d’une société. Les règles relatives aux sociétés remplaçantes, dans le contexte d’une acquisition du contrôle, se trouvent au paragraphe 66.7(10) de la Loi, ainsi libellé :

 

(10)      Pour l’application des dispositions des Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu et de la présente loi, sauf les paragraphes 66(12.6), (12.601), (12.602), (12.62) et (12.71), concernant les déductions pour frais de forage et d’exploration, frais de prospection, d’exploration et d’aménagement, frais d’exploration et d’aménagement au Canada, frais globaux relatifs à des ressources à l’étranger, frais d’exploration au Canada, frais d’aménagement au Canada et frais à l’égard de biens canadiens relatifs au pétrole et au gaz (appelés « frais relatifs à des ressources » au présent paragraphe) qu’une société a engagés avant un moment postérieur au 12 novembre 1981 et si, à ce moment postérieur :

 

            a) soit une personne ou un groupe de personnes acquiert le contrôle de la société;

 

            b) soit la société a cessé, avant le 27 avril 1995, d’être exonérée de l’impôt prévu par la présente partie sur son revenu imposable,

 

les règles suivantes s’appliquent :

           

            c) la société est réputée, après ce moment, être une société remplaçante — au sens du paragraphe 29(25) des Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu ou de l’un des paragraphes (1) à (5) — qui a acquis, à ce moment, auprès d’un propriétaire obligé tous les biens appartenant à la société immédiatement avant ce moment;

 

            [...]

 

            d) un choix conjoint est réputé présenté conformément aux paragraphes (7) et (8) en ce qui concerne cette acquisition;

 

           e) les frais relatifs à des ressources que la société a engagés avant ce moment sont réputés l’avoir été par un propriétaire obligé des biens et non pas par la société;

 

[11]        À l’acquisition du contrôle, aux termes de l’alinéa 66.7(10)c), la société est réputée se remplacer elle-même, aux fins de la déduction des frais prévus aux paragraphes 66.7(1) à (5), car elle est réputée avoir acquis la totalité des avoirs miniers qu’elle possédait immédiatement avant ce moment d’un propriétaire obligé de ces biens. Aux termes de l’alinéa 66.7(10)e), les frais relatifs à des ressources engagées par la société sont réputés avoir été engagés par un propriétaire obligé des biens.

 

[12]        La société étant réputée se remplacer elle-même, le paragraphe 66.7(10) fait que celle-ci se retrouve en fait dans la même position que si elle avait acquis la totalité des avoirs miniers d’une autre société qui avait engagé les frais relatifs à des ressources et qui était propriétaire des avoirs miniers. La principale conséquence est que la partie inutilisée des frais relatifs à des ressources n’est déductible qu’à l’endroit du revenu « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable » aux avoirs miniers que possédait la société immédiatement avant l’acquisition du contrôle[4]. En attribuant les frais à des avoirs particuliers, les règles sur les sociétés remplaçantes par changement de contrôle empêchent l’échange des frais inutilisés relatifs à des ressources.

 

[13]        Après l’introduction, en 1983, des dispositions sur l’acquisition du contrôle, on ne savait pas clairement si les frais inutilisés relatifs à des ressources étaient déductibles à la suite de l’acquisition du contrôle dans des circonstances où la propriété des avoirs miniers prenait la forme d’une société de personnes.

 

[14]        En 1987, le Parlement adoptait une disposition d’exonération pour dissiper cette incertitude[5]. L’alinéa 66.7(10)j) est une « règle de transparence » permettant à une société partenaire de déduire de sa part proportionnelle du revenu et du produit de la société les frais relatifs à des ressources que celle‑ci a engagés à l’égard de ses avoirs miniers. L’alinéa 66.7(10)j) est ainsi libellé :

 

j) si le moment postérieur au 12 novembre 1981 est également postérieur au 15 janvier 1987 et si la société est alors un associé d’une société de personnes qui est alors propriétaire d’un avoir minier canadien ou d’un avoir minier étranger :

 

      (i) pour l’application de l’alinéa c), la société est réputée avoir été propriétaire, immédiatement avant ce moment, de la partie de l’avoir dont la société de personnes est alors propriétaire correspondant à sa part, exprimée en pourcentage, des montants qui seraient payés à tous les associés de la société de personnes si celle-ci était alors liquidée,

 

      (ii) pour l’application de la division 29(25)d)(i)(B) des Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu et des divisions (1)b)(i)(C) et (2)b)(i)(B), du sous-alinéa (2.3)b)(i) et des divisions (3)b)(i)(C), (4)b)(i)(B) et (5)b)(i)(B) pour une année d’imposition se terminant après ce moment, le moins élevé des montants suivants est réputé être un revenu de la société pour l’année qu’il est raisonnable d’attribuer à la production tirée de l’avoir :

 

 

            (A) sa part du revenu de la société de personnes, pour l’exercice de celle-ci se terminant au cours de l’année, qu’il est raisonnable de considérer comme attribuable à la production tirée de l’avoir,

 

            (B) ce que serait sa part de la société de personnes, pour l’exercice de celle‑ci se terminant au cours de l’année, qu’il est raisonnable de considérer comme attribuable à la production tirée de l’avoir, si elle était déterminée en fonction de la part, exprimée en pourcentage, visée au sous-alinéa (i).

 

 

[15]        Si une société fait partie d’une société de personnes possédant des avoirs miniers au moment de l’acquisition du contrôle, aux termes du sous‑alinéa 66.7(10)j)(i), la société membre de la société de personnes est réputée avoir été propriétaire de sa part proportionnelle des avoirs miniers de la société de personnes immédiatement avant l’acquisition du contrôle. Cette propriété réputée fait en sorte que la société membre de la société de personnes est visée par l’alinéa 66.7(10)c) et, en retour, cela permet à la société remplaçante de se prévaloir des déductions prévues aux paragraphes 66.7(1) à (5).

 

[16]        Le sous-alinéa 66.7(10)j)(ii) établit la limite du montant « qu’il est raisonnable d’attribuer à la production » tirée de l’avoir « de remplacement » aux fins des restrictions de jumelage prévues aux paragraphes 66.7(3), 66.7(4) et 66.7(5) de la Loi. Plus précisément, si les avoirs miniers visés étaient détenus par une société de personnes au moment de l’acquisition du contrôle de la société membre de la société de personnes, la « part du revenu de la société de personnes » […] « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production tirée de l’avoir » est égale au moindre de : i) la part du revenu de la société de personnes dans l’année « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production tirée de l’avoir » et ii) le montant qui serait établi selon le sous-alinéa (i) s’il était déterminé par rapport à la part proportionnelle du revenu de la société de personnes appartenant à la société au moment de l’acquisition du contrôle.

 

La position des parties

 

A.   La position de l’appelante

 

[17]        La position de l’appelante est que l’alinéa 66.7(10)j) s’applique encore et permet à Home Oil de déduire les frais « de remplacement » relatifs à des ressources, malgré le transfert des avoirs d’Anderson de la société de personnes Devon à la société de personnes Anderson, et l’appelante appuie sa position sur les motifs suivants[6] :

 


[traduction]

 

i) Home Oil a continué de recevoir sa part du revenu de la production des avoirs d’Anderson après le [transfert] tout comme auparavant, calculée en application du sous-alinéa 66.7(10)j)(ii);

 

ii) bien que la société de personnes Anderson ait gagné un revenu par l’intermédiaire de la société de personnes Devon après le [transfert], cela demeurait un revenu « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production » tirée des avoirs d’Anderson pour les besoins du sous‑alinéa 66.7(10)j)(ii);

 

iii) le paragraphe 96(1) de la Loi, qui distingue la source et le lieu du revenu des activités de chaque société de personnes (y compris la propriété des avoirs), confirme de manière concluante ce qui précède.

 

[18]        En réponse aux arguments soulevés dans le mémoire des faits et du droit de l’intimée, l’appelante a soutenu de vive voix que les règles relatives aux sociétés remplaçantes s’appliquaient même après le transfert. Plus particulièrement, l’appelante a souligné qu’aux termes du sous-alinéa 66.7(10)j)(i), Home Oil est réputée avoir été propriétaire de sa part proportionnelle des avoirs d’Anderson immédiatement avant l’acquisition du contrôle et que rien n’est arrivé subséquemment qui portait extinction de la propriété réputée. En raison de la propriété réputée, Home Oil était visée par l’alinéa 66.7(10)c), de sorte qu’elle devenait une société réputée se remplaçant elle-même, ayant acquis sa part proportionnelle des avoirs d’Anderson et les frais connexes relatifs à des ressources d’un propriétaire obligé de ceux-ci.

 

[19]        L’appelante a soutenu que rien dans la Loi n’avait porté subséquemment extinction de ce remplacement réputé à l’égard des avoirs d’Anderson. L’appelante a reconnu que, après l’acquisition du contrôle, la déduction de Home Oil était limitée du fait de l’exigence d’avoir un revenu qu’il est « raisonnable de considérer comme étant attribuable à » la production tirée des avoirs d’Anderson.

 

B.      La position de l’intimée

 

[20]        Dans ses observations écrites et ses observations de vive voix au cours de l’audience, l’intimée a reformulé la question en litige, à savoir si l’acquisition, par une société de personnes, d’avoirs miniers canadiens d’une autre société de personnes déclenche l’application des règles relatives aux sociétés remplaçantes. Ces règles, a soutenu l’intimée, n’entrent en jeu qu’à la survenance de l’un des deux déclencheurs suivants : i) l’acquisition du contrôle de la société; ii) l’acquisition de la totalité ou presque des avoirs miniers par une société. Puisque le transfert des avoirs miniers d’une société de personnes à une filiale d’une société de personnes ne déclenche pas l’application des règles relatives aux sociétés remplaçantes, l’intimée a soutenu que les frais inutilisés de l’appelante relatifs à des ressources doivent être éteints.

 

[21]        Il est important de rappeler que l’intimée a exposé une position différente dans sa réponse à la Cour le 11 juillet 2011 (la « réponse initiale »). À cette occasion, l’intimée a soutenu que la « règle de transparence » de l’alinéa 66.7(10)j) n’entre en jeu que si une société fait partie directement d’une société de personnes propriétaire des avoirs miniers, et non pas si une filiale de la société de personnes est propriétaire des avoirs. Plus particulièrement, l’intimée a déclaré qu’en raison du transfert, la société de personnes Anderson s’était [traduction] « dessaisie de ses avoirs utilisés pour la production de pétrole et de gaz et que, par conséquent, elle ne générait aucun revenu attribuable de quelque façon à la production tirée des avoirs miniers canadiens »[7]. À défaut de revenu raisonnablement attribuable à la production tirée des avoirs d’Anderson, l’intimée a soutenu que la déduction de l’appelante, aux termes du sous-alinéa 66.7(10)j)(ii), était nulle.

 

V.      Analyse

 

[22]        L’analyse est d’autant plus compliquée que l’intimée a reformulé le point soulevé dans la question comme s’agissant de savoir si [traduction] « l’acquisition, par une société de personnes, des avoirs miniers canadiens d’une autre société de personnes déclenche l’application des règles relatives aux sociétés remplaçantes prévues au paragraphe 66.7(10) de la Loi »[8]. À mon sens, il s’agit d’une interprétation incorrecte de la question. Cela, de plus, s’écarte du fondement de la nouvelle cotisation du ministre et de la position exposée dans la réponse initiale de l’intimée.

 

[23]        À mon avis, la meilleure façon de formuler la question est : à savoir si une société membre d’une société de personnes peut continuer à déduire des frais « de remplacement » relatifs à des ressources du revenu tiré d’un avoir minier qui a été transféré d’une société de personnes dont elle est une associée directe à une filiale d’une société de personnes à la suite de l’acquisition du contrôle. La réponse est de savoir si le revenu obtenu par l’intermédiaire de la filiale de la société de personnes demeure un revenu « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production tirée » des avoirs miniers pour les besoins du sous‑alinéa 66.7(10)j)(ii).

 

[24]        Les deux parties m’ont prié d’établir une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions applicables; par conséquent, un examen du droit actuel pourra faciliter l’interprétation. L’approche moderne à l’interprétation de la loi a été définie par la Cour suprême du Canada dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada[9] :

 

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[25]        Dans cet arrêt, la Cour suprême a aussi statué que, si le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, il faut se fonder dans une plus large mesure sur le contexte et l’objet de la loi[10] :

 

[…] Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux

 

[26]        Dans Hypothèques Trustco Canada, la Cour a ajouté à l’unanimité que les dispositions de la Loi doivent être interprétées de manière à assurer l’uniformité, la prévisibilité et l’équité.

 

Y a-t-il eu extinction des frais relatifs à des ressources lorsque les avoirs d’Anderson ont été transférés à la société de personnes Devon?

 

[27]        L’intimée a soutenu que, lorsque le transfert d’un avoir est fait de manière à ne pas déclencher l’application des règles relatives aux sociétés remplaçantes, les frais « de remplacement » relatifs à des ressources deviennent périmés.

 

[28]        Bien que j’admette qu’un transfert d’avoirs d’une société de personnes à une filiale de société de personnes à la suite d’une acquisition du contrôle n’entraîne pas l’application des règles relatives aux sociétés remplaçantes, je ne crois pas qu’il en résulte la péremption des frais « de remplacement » relatifs à des ressources. L’intimée n’a pas fait valoir le moindre point de la Loi rendant ce résultat obligatoire.

 

[29]        De plus, l’interprétation de l’intimée va à l’encontre de la position administrative de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). L’ARC a déclaré que les frais relatifs à des ressources sont déductibles dans le cas de l’acquisition du contrôle d’une société et du transfert subséquent des avoirs miniers à une société de personnes dont la société fait partie. Le transfert d’avoirs miniers « de remplacement » à une société de personnes ne fait pas partie des deux événements déclencheurs. Toutefois, contrairement à la position prise en l’espèce par l’intimée, les frais relatifs à des ressources demeurent déductibles selon l’ARC[11].

 

[30]        L’alinéa 66.7(10)j) s’applique aux situations où une société « est alors un associé d’une société de personnes qui est alors propriétaire d’un avoir minier canadien ou d’un avoir minier étranger » lors de l’acquisition du contrôle. Aux termes du sous-alinéa 66.7(10)j)(i), la société membre de la société de personnes est réputée avoir été propriétaire, immédiatement avant ce moment, de sa part proportionnelle des avoirs miniers de la société de personnes. Par conséquent, aux termes de l’alinéa 66.7(10)j), Home Oil était réputée être propriétaire de sa part proportionnelle des avoirs d’Anderson immédiatement avant l’acquisition du contrôle.

 

[31]        Cette réputée propriété s’applique pour les besoins de l’alinéa 66.7(10)c), aux termes duquel la société membre de la société de personnes est alors réputée se remplacer elle-même, puisqu’elle est réputée avoir acquis les avoirs miniers d’un propriétaire obligé de ces avoirs. Cela, en retour, permet à la société remplaçante de se prévaloir des déductions prévues aux paragraphes 66.7(1) à (5). L’alinéa 66.7(10)c) demeure applicable après l’acquisition du contrôle et précise que « la société est réputée, après ce moment, être une société remplaçante […] qui a acquis, à ce moment [c.-à-d. au moment de l’acquisition du contrôle], auprès d’un propriétaire obligé tous les biens appartenant à la société immédiatement avant ce moment [c.‑à‑d. le même moment où, selon le sous-alinéa 66.7(10)j)(i), la société est réputée être propriétaire de sa part des avoirs de la société de personnes] ». La Loi mentionne « a acquis », et non pas « a acquis et n’a pas disposé » [des avoirs].

 

[32]        Par conséquent, lorsque la société membre de la société de personnes est réputée propriétaire des avoirs de la société de personnes au titre du sous‑alinéa 66.7(10)j)(i), elle est en permanence réputée, aux termes de l’alinéa 66.7(10)c), être une société remplaçante qui a acquis les avoirs de la société de personnes d’un propriétaire obligé. Le statut de société remplaçante intervient immédiatement avant l’acquisition du contrôle. Il faut un événement subséquent pour éteindre le statut de société remplaçante[12].

 

[33]        En bref, la position de l’intimée en l’espèce repose sur la fausse interprétation que le concept de propriété réputée applicable aux avoirs appartenant à la société de personnes de premier palier tel que précisé à l’alinéa 66(10)j) n’a plus effet si la propriété est transférée à une société de personnes de second palier. Ceci est manifestement erroné. Pour que les dispositions relatives au changement de contrôle puissent dûment s’appliquer, les restrictions de jumelage doivent continuer à s’appliquer d’un exercice au suivant. L’effet de cela est que, si la société n’obtient pas le revenu de ces avoirs parce que l’avoir est épuisé ou que le revenu est gagné par un autre contribuable imposable, la société sera alors incapable de déduire ses frais relatifs à des ressources existant au moment du changement de contrôle. Par conséquent, bien que la société membre de la société de personnes demeure indéfiniment une société remplaçante, si elle perd ses liens avec l’avoir minier, elle n’a plus de revenu « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable » à l’avoir, et sa déduction maximale au titre du sous‑alinéa 66.7(10)j)(ii) sera nulle.

 

[34]        Home Oil est en tout temps demeurée une société remplaçante par rapport aux avoirs d’Anderson et, par conséquent, elle avait le droit de déduire les frais relatifs à des ressources conformément aux paragraphes 66.7(1) à (5), mais sa déduction sera limitée dans la mesure de son revenu « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production tirée » des avoirs d’Anderson[13].

 

[35]        Aucune disposition n’exige expressément que la société de personnes continue à être propriétaire de l’avoir au moment de la déduction des frais « de remplacement » relatifs à des ressources. Je conviens avec l’appelante que la position de l’intimée m’oblige à interpréter le sous‑alinéa 66.7(10)j)(ii) en ajoutant à la suite de « pour une année d’imposition se terminant après ce moment » d’autres mots, par exemple : « uniquement si la partie continue à détenir ces avoirs pendant toute l’année d’imposition ». La Cour suprême du Canada a formulé une mise en garde contre la lecture de la Loi de cette manière[14].

 

Le revenu dérivé d’avoirs détenus dans une filiale d’une société de personnes peut‑il raisonnablement être considéré comme étant attribuable à l’avoir minier?

 

[36]        L’alinéa 66.7(10)j), interprété de façon textuelle, contextuelle et téléologique, appuie la conclusion que le revenu attribuable à l’avoir transféré par une société membre d’une société de personnes dont elle était une associée directe à une filiale d’une société de personnes à la suite de l’acquisition du contrôle demeure un revenu « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production tirée de » l’avoir minier pour les besoins du sous-alinéa 66.7(10)j)(ii).

 

[37]        L’expression « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à » n’est pas définie dans la Loi, et c’est la première fois, maintenant, que les tribunaux sont saisis d’une question touchant les dispositions relatives aux sociétés remplaçantes. L’intimée n’a produit aucun argument concernant la formulation. L’appelante, de son côté, a allégué que la formulation adoptée par le législateur est suffisamment large pour couvrir le revenu dérivé d’avoirs appartenant à une filiale de société de personnes. Pour appuyer son argument, l’appelante a relevé des points de jurisprudence où une formulation comparable était étudiée.

 

[38]        Dans la décision 729658 Alberta Ltd. c. La Reine[15], la Cour a étudié l’expression « raisonnable de considérer comme étant attribuable » qui figurait à l’époque au paragraphe 55(2). Le juge Woods a conclu que l’expression laissait penser à une affectation équitable et modérée du montant :

 

[…] Le Canadian Oxford Dictionary définit les mots « reasonable » (raisonnable) et « attribute » (attribuer) comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

raisonnable 1 qui a un bon jugement;  modéré; prêt à entendre raison. 2 conforme à la raison; non absurde. 3a dans les limites de la raison; juste, modéré (une demande raisonnable). b peu coûteux; modique. c acceptable, moyen (la nourriture est acceptable).

 

attribuer 1 considérer comme appartenant ou propre à (un poème attribué à Shakespeare). 2 allouer, considérer comme l’effet d’une cause énoncée (les retards ont été attribués à la circulation intense). 1a qualité imputée à une personne ou à une chose. b qualité particulière 2 objet matériel reconnu comme propre à une personne, à une charge ou à une qualité (un sceptre est un attribut de la royauté). 3 gramm. adjectif ou nom attribut.

 

Ces définitions donnent à entendre que la répartition doit être juste et modérée. Elles n’exigent pas qu’il y ait répartition selon une moyenne ou au prorata.

 

[39]        L’appelante s’est également reportée à un document dans lequel le ministre s’est penché sur le sens de l’expression « raisonnable de considérer que […] se rapporte » dans le contexte du paragraphe 152(4.3). Aux termes de ce paragraphe, le ministre peut établir une nouvelle cotisation à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation dans les cas « où il est raisonnable de considérer que la nouvelle cotisation […] se rapporte à » la question précisée au paragraphe. En ce qui a trait à cela, le ministre a déclaré[16] :

 

[TRADUCTION]

 

[…] l’expression utilisée dans la disposition, « où il est raisonnable de considérer que ... se rapporte », n’est pas expressément définie dans la Loi, de sorte que son interprétation repose sur son sens « ordinaire ». Nous relevons tout d’abord que l’expression ne laisse pas conclure à une précision mathématique. Les deux mots clés, « raisonnable » et « se rapporte » laisse une large place à l’interprétation. Voici les définitions pertinentes du dictionnaire Oxford :

 

[…]

 

Normalement, le terme « raisonnable » utilisé dans le contexte de l’application de la Loi offre une latitude considérable. À notre avis, tant que le lien entre deux choses ou actions demeure facilement discernable, il faut conclure que l’on peut dire de ces deux choses ou actions qu’il est raisonnable de considérer que l’une se rapporte à l’autre.

 

[40]        En l’absence d’arguments de l’intimée sur la formulation en cause, je conclus que les interprétations antérieures de formulations comparables appuient la position de l’appelante voulant que l’expression « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production » peut être interprétée comme comprenant le revenu attribué à Home Oil par la société de personnes Devon.

 

[41]        L’alinéa 66.7(10)j) s’applique aux sociétés de personnes et à leurs membres. Ainsi, le traitement fiscal des sociétés de personnes et de leurs membres par la Loi s’inscrit dans le contexte dans lequel il faut interpréter l’alinéa 66.7(10)j).

 

[42]        L’esprit de la Loi, tout comme la common law canadienne, reconnaît qu’une société de personnes n’est pas une personne juridique distincte; il s’agit plutôt d’une relation entre deux ou plusieurs personnes menant des affaires en commun dans le but d’en tirer profit. Puisque la loi impose de l’impôt aux « personnes », une société de personnes n’est pas visée par l’impôt au niveau d’une entité. Au lieu de cela, la société de personnes est traitée comme une intermédiaire aux fins de l’impôt sur le revenu, et les revenus ou pertes sont calculés globalement et ensuite affectés à ses membres.

 

[43]        L’article 96 de la partie I, section B, sous-section j (Les sociétés de personnes et leurs associés) de la Loi précise les règles générales de calcul et d’imposition du revenu des sociétés de personnes. Bien qu’une société de personnes ne soit pas une personne pour les besoins de la Loi en général, l’article 96 dispose que le revenu de la société de personnes doit être calculé « comme si » la société de personnes était une personne distincte[17] et « comme si » chaque activité de la société de personnes, y compris la propriété des avoirs, relevait de la société de personnes en tant que personne distincte[18]. Par conséquent, le revenu est calculé globalement au niveau de la société de personnes et ensuite affecté aux membres de celle-ci, conformément à l’intérêt de chacun dans cette dernière. La source initiale de revenu de chaque activité de la société de personnes est préservée entre les mains de ses membres.

 

[44]        L’ARC a admis que l’article 96 peut s’appliquer pour préserver la source de revenus aux mains de l’associé, si les avoirs miniers appartiennent à une société au moment de l’acquisition du contrôle et qu’il y a par la suite transfert à une société de personnes[19].

 

[45]        Dans une société de personnes à paliers multiples, la source et le siège du revenu sont préservés pour chaque palier d’une société de personnes jusqu’à ce que le revenu soit ultimement constaté par la société ou chaque associé de la société de personnes et imposé en conséquence. Ceci s’inscrit dans l’optique du paragraphe 102(2) qui précise, dans le contexte du calcul du revenu des associés, « la mention […] d’un contribuable qui est un associé d’une société de personnes vaut également mention d’une société de personnes qui fait partie de la société de personnes »[20]

 

[46]        Dans la décision Fredette v. The Queen [21], la Cour a confirmé que le revenu conserve sa source et ses caractéristiques dans une structure de société de personnes à paliers multiples. Puisqu’une participation dans une société de personnes n’est pas en soi une source de revenus, la source de revenus de chaque activité de la société de personnes et ses caractéristiques doivent être préservées à tous les paliers, chaque société de personnes agissant à titre d’intermédiaire jusqu’à ce que le revenu soit finalement imposé dans les mains de la société ou de l’associé membre de la société de personnes. À ce propos, le juge Archambault de la Cour écrivait[22] :

 

[...] En d’autres mots, la source du revenu de l’associé est la même que celle de la société. De plus, on ne retrouve ailleurs dans la Loi aucune disposition créant une fiction selon laquelle les revenus d’un associé sont tirés d’une « participation dans une société de personnes » . Il faut donc conclure que l’associé tire son revenu des activités de la société elle-même et non d’un bien (la participation dans la société de personnes), et que les frais d’intérêts engagés par cet associé pour financer son apport l’ont été pour obtenir ce revenu d’entreprise [...]

 

[47]        L’article 96 préserve la source du revenu de la société de personnes dans les mains de ses associés. Le paragraphe 102(2) préserve la source lorsque le revenu est gagné par l’intermédiaire d’une société de personnes à paliers multiples. Par conséquent, je conclus que les dispositions de la Loi régissant les sociétés de personnes et leurs associés appuient l’affirmation de l’appelante selon laquelle un revenu dérivé des avoirs détenus par une filiale d’une société de personnes conserve sa source jusqu’à, inclusivement, la société de personnes de premier palier et, finalement, jusqu’à la société membre de la société de personnes.

 

[48]        Au procès, la position de l’intimée était que l’article 96 ne s’applique pas à l’alinéa 66.7(10)j). Plus précisément, l’intimée soutenait que l’article 96 ne s’applique qu’aux fins limitées du calcul du revenu de la société de personnes et que, par conséquent, il ne s’applique pas pour déterminer le revenu « qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable » au titre de l’alinéa 66.7(10)j), car c’est le calcul théorique servant simplement à établir le plafond de la déduction.

 

[49]        À diverses reprises, au cours de l’argumentation, j’ai demandé à l’avocate de l’intimée d’expliquer comment un revenu qu’il est « raisonnable de considérer comme étant attribuable » devait être calculé selon son interprétation, mais aucune réponse précise ne m’a été donnée. Au cours de l’audition de la requête, l’intimée a reconnu qu’avant l’acquisition du contrôle, le revenu d’une société de personnes conserve ses caractéristiques lorsqu’il remonte jusqu’aux associés, aux termes du paragraphe 96(1), et que le paragraphe 102(2) préserve cet état de choses dans une structure de société de personnes à paliers multiples. L’intimée n’a pas expliqué pour quelle raison les paragraphes 96(1) et 102(2) cesseraient d’avoir le moindre effet à la suite de l’acquisition du contrôle.

 

[50]        Les principes de la common law, eux non plus, n’appuient pas la position de l’intimée, car, selon la common law, les personnes et sociétés associées dans une société de personnes possèdent collectivement l’avoir utilisé dans la société de personnes et, par conséquent, auraient clairement un revenu qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à cet avoir.

 

[51]        Seuls les membres d’une société de personnes qui sont des personnes juridiques sont finalement imposés sur le revenu généré par les activités de la société de personnes. Home Oil est imposée sur le revenu des avoirs d’Anderson au titre de l’article 96, mais, selon l’interprétation de l’intimée, elle n’a pas de revenu qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable aux avoirs.

 

[52]        Je conclus que la position de l’intimée est incompatible avec l’esprit de la Loi, car elle fait fi de l’article 96 et de la nature itérative du calcul du revenu d’une société de personnes et, en outre, n’offre pas d’autre méthode de calcul du revenu au titre du sous-alinéa 66.7(10)j)(ii).

 

[53]        L’intimée a en outre soutenu que, si l’article 96 est le fondement du calcul, le sous-alinéa 66.7(10)j)(ii) perd son sens. Toutefois, j’estime que le sous‑alinéa 66.7(10)j)(ii) a encore une fin, car cela garantit que, si la société augmente par la suite sa participation à la société de personnes, le maximum de ses déductions au titre des règles sur les sociétés remplaçantes sera limité à la participation de la société, en pourcentage, dans la société de personnes au moment de l’acquisition du contrôle.

 

[54]        Une analyse téléologique de la disposition à la lumière de son historique législatif pointe également en faveur de l’appelante. L’alinéa 66.7(10)j) a été introduit pour veiller à ce que les sociétés membres de sociétés de personnes détenant des avoirs miniers au moment de l’acquisition du contrôle puissent se prévaloir des déductions relatives aux sociétés remplaçantes. Les règles sur les sociétés remplaçantes ne s’appliquent qu’aux frais relatifs à des ressources et, de la sorte, rendent compte du fait que, dans ce secteur, il y a souvent un décalage important entre le moment où les dépenses sont engagées et celui où les avoirs miniers génèrent un revenu.

 

[55]        Jusqu’en 1983, à l’acquisition du contrôle, les frais non déduits relatifs à des ressources pouvaient être utilisés pourvu que les avoirs acquis génèrent un revenu d’entreprise en activité au sens du paragraphe 66(11) de la Loi de 1971[23]. De manière à mieux éviter le commerce de pertes dans les frais « de remplacement », le législateur a adopté en 1983 des dispositions plus précises en matière de changement du contrôle. Ces modifications avaient pour effet de traiter la société comme se remplaçant elle-même et, de la sorte, les frais inutilisés relatifs à des ressources devenaient uniquement déductibles du revenu des avoirs miniers que la société détenait immédiatement avant l’acquisition du contrôle. Dans les faits, les pertes étaient jumelées aux avoirs spécifiques.

 

[56]        Après l’introduction de règles sur l’acquisition du contrôle, on ne savait pas si ces règles s’appliquaient de façon efficace lorsque l’avoir était détenu par l’intermédiaire d’une société de personnes.

 

[57]        Le législateur a par la suite adopté les mesures d’assouplissement suivantes pour régler la question[24] :

 

Ce nouveau paragraphe permet à une corporation qui est associée dans une société de déduire les frais relatifs à des ressources qu’elle a engagées avant un changement de contrôle ou de situation fiscale, à concurrence de sa part du revenu de la société provenant d’avoirs miniers appartenant à celle-ci à la date du changement pour une année d’imposition se terminant après le changement. Cette part correspond au moins élevé :

 

a)   de sa part du revenu de la société pour l’exercice financier de celle-ci se terminant au cours de l’année d’imposition de la corporation, qu’il est raisonnable de considérer comme attribuable à la production tirée des avoirs,

 

b) de la part calculée ci-dessus en fonction de sa part du revenu à la date du changement.

 

[58]        En traitant la société membre d’une société de personnes en tant que propriétaire des avoirs miniers, l’alinéa 66.7(10)j) fait en sorte que la société qui a engagé les frais dans le cadre d’une société de personnes peut quand même les utiliser à la suite d’une acquisition du contrôle. J’estime que l’interprétation de l’intimée va directement à l’encontre de cette fin, car elle empêcherait le contribuable même qui a engagé les frais et qui continue de payer de l’impôt sur le revenu tiré des avoirs de déduire ces frais.

 

[59]        L’intention du législateur que les frais relatifs à des ressources ne deviennent pas irrécouvrables si les avoirs demeurent dans un groupe de sociétés détenues en propriété exclusive est également répercutée dans les alinéas 66.7(10)g), h) et i). Ces dispositions permettent à une société remplaçante de désigner le revenu des avoirs « de remplacement » après l’acquisition du contrôle en faveur d’un autre membre du groupe de sociétés détenues en propriété exclusive, pour qu’il ait accès aux frais « de remplacement »[25].

 

[60]        Le législateur visait à autoriser une forme de regroupement fiscal au sein d’un groupe de sociétés détenues en propriété exclusive afin que les frais « de remplacement » ne deviennent pas irrécouvrables. Selon l’interprétation de l’intimée, les frais relatifs à des ressources ne peuvent être utilisés, même si l’avoir n’a pas quitté le groupe de sociétés détenues en propriété exclusive. En fait, jamais un contribuable ne pourrait déduire les frais « de remplacement ». J’estime que cela n’est pas compatible avec l’intention du législateur.

 

VI.     Conclusion

 

[61]        Pour conclure, j’estime qu’à la suite du transfert des avoirs d’Anderson à la société de personnes Devon, la part proportionnelle du revenu tiré des avoirs d’Anderson, déterminée conformément aux divisions 66.7(10)j)(ii)(A) et (B) et affectée à la société de personnes Anderson et ensuite réaffectée à Home Oil correspond à la définition du revenu qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à la production pour les besoins des paragraphes 66.7(1) à (5). Le montant du revenu est un point qui sera déterminé par le juge du procès en fonction des constatations qu’il tirera de la preuve.

 

[62]        Les dépens de cette requête sont laissés à la discrétion du juge du procès.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2013.

 

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2014.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 415

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2011-1404(IT)G

 

INTITULÉ :                                      DEVON CANADA CORPORATION c.
LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

                                                                      

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 18 décembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji

Me Pooja Samtani

Me Edward Rowe

Avocats de l’intimée :

Me Josée Tremblay

Me Marie-France Camiré

Me Ryan Gellings

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                               Nom :                Al Meghji

 

                            Cabinet :               Osler, Hoskin & Harcourt LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Plus précisément, le paragraphe 66.7(1) Frais d’exploration et d’aménagement au Canada des sociétés remplaçantes; paragraphe 66.7(2) Frais d’exploration et d’aménagement à l’étranger des sociétés remplaçantes; paragraphe 66.7(3) Frais d’exploration au Canada des sociétés remplaçantes; paragraphe 66.7(4) Frais d’aménagement au Canada des sociétés remplaçantes; 66.7(5) Frais à l’égard de biens canadiens relatifs au pétrole et au gaz des sociétés remplaçantes.

[2] Conformément aux divisions 66.7(1)b)(i)(C) et 66.7(2)b)(i)(B), ainsi qu’au sous-alinéa 66.7(2.3)b)(i) et aux divisions 66.7(3)b)(i)(C), 66.7(4)b)(i)(B) et 66.7(5)b)(i)(B).

[3] Conformément aux alinéas 66.7(7)c) ou e), ou 66.7(8)c) ou e).

[4] Voir les divisions 66.7(1)b)(i)(C) et 66.7(2)b)(i)(B), le sous-alinéa 66.7(2.3)b)(i), et les divisions 66.7(3)b)(i)(C), 66.7(4)b)(i)(B) et 66.7(5)b)(i)(B).

[5] David M. Sherman, Notes explicatives du ministère des Finances (2011), page 557, et Ministère des Finances, Notes techniques sur l’Avis de motion des voies et moyens visant à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu (Ottawa : Ministère des Finances, juin 1987).

[6] Mémoire des faits et du droit de l’appelante, paragraphe 13.

[7] Réponse initiale de l’intimée, paragraphe 14(hh).

[8] Mémoire des faits et du droit de l’intimée, paragraphe 11.

[9]  2005 CSC 54, paragraphe 10.

[10] Ibid., [2005] 2 R.C.S. 601.

[11] Question 2 de la table ronde de l’Association canadienne d’études fiscales tenue en 1991, Table ronde de Revenu Canada, document no 2M033A (30 octobre 1992) – La position de Taxnet.Pro a été ultérieurement précisée dans le document de l’ARC no 9406435, « Successor Rule – Income From Particular Property » (31 mars 1994) et le document de l’ARC no 9328657, « Successor Rule Re Partnership and Change of Control » (7 octobre 1993) – Taxnet.Pro.

[12] Le statut de société remplaçante peut être éteint si les avoirs ont été acquis dans des circonstances où les règles relatives aux sociétés remplaçantes exposées aux paragraphes 66.7(1) à (5) s’appliquent ou dans des circonstances où la règle d’évitement prévue au paragraphe 66.7(16) s’applique. Il est important de rappeler qu’aucune des parties n’a soulevé l’application du paragraphe 66.7(16).

[13] Ceci est conforme à la position de l’ARC. Voir le document de l’ARC no 2006-0169051I7, « Successor Pool Issues » (10 octobre 2006 – Taxnet.Pro), qui porte sur la question du revenu des avoirs miniers transférés à une société de personnes après l’acquisition du contrôle. Sur cette question, l’ARC a rappelé ceci : [traduction] « Il n’est pas nécessaire que l’associé soit propriétaire de l’avoir en question au cours de l’année d’imposition où il demande à déduire un montant concernant son compte de société remplaçante; par contre, la société de personnes doit avoir soit un revenu de production ou le produit de la disposition de l’avoir cédé attribué à l’associé dans cette année. »

[14] Entreprises Ludco Ltée. c. Canada, 2001 CSC 62, [2001] 2 R.C.S. 1082, paragraphe 38.

[15] 2004 CCI 474, 2004 DTC 2909, paragraphe 28.

[16] Document de l’ARC no 9524846, « Consequential assessment » (cotisation corrélative) (14 novembre 1995 – Taxnet.Pro).

[17] Alinéa 96(1)a).

[18] Alinéa 96(1)c).

[19] Question 2 de la Table ronde de l’Association canadienne d’études fiscales tenue en 1991, Table ronde de Revenu Canada, document no 2M033A (30 octobre 1992) – La position de Taxnet.Pro a été ultérieurement précisée dans le document de l’ARC no 9406435, « Successor Rule – Income From Particular Property » (31 mars 1994) et le document de l’ARC no 9328657, « Successor Rule Re Partnership and Change of Control » (7 octobre 1993) – Taxnet.Pro.

[20] Le paragraphe 102(2) est ainsi libellé :

Associé d’une société de personnes

(2) Pour l’application de la présente sous-section, la mention d’une personne ou d’un contribuable qui est un associé d’une société de personnes vaut également mention d’une société de personnes qui fait partie de la société de personnes.

[21]          2001 DTC 263.

[22] Ibid., paragraphe 50, note 16, page 276.

[23] Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, L.C. 1970-71-72, chap. 63, paragraphe 66(11) modifié subséquemment par la Loi visant à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu (no 2), L.C. 1980-81-82-83, chap. 140, paragraphe 33(2).

[24] Ministère des Finances, Notes techniques sur l’Avis de motion des voies et moyens visant à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu (Ottawa : Ministère des Finances, juin 1987, page 35).

[25] David M. Sherman, Notes techniques du ministère des Finances (2011), pages 556 et 557.

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