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Dossier : 2013-2264(EI)

 

ENTRE :

LOVING HOME CARE SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

LA-TOYA LANA BURT

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

de Loving Home Care Services Ltd. 2013-2263(CPP),

le 25 février 2014, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Max Weder

Avocate de l’intimé :

Me Amandeep K. Sandhu

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle‑même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci‑joint.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 6e jour de mars 2014.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d’avril 2014.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice

 


 

 

Dossier : 2013-2263(CPP)

 

ENTRE :

LOVING HOME CARE SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

LA-TOYA LANA BURT

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

de Loving Home Care Services Ltd. 2013-2264(EI),

le 25 février 2014, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Max Weder

Avocate de l’intimé :

Me Amandeep K. Sandhu

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle‑même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci‑joint.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 6e jour de mars 2014.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d’avril 2014.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


 

 

 

Référence : 2014 CCI 71

Date : 20140306

Dossiers : 2013-2264(EI)

2013-2263(CPP)

 

ENTRE :

 

LOVING HOME CARE SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

LA-TOYA LANA BURT

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]             Il s’agit d’appels interjetés à l’égard de décisions rendues par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») en 2012, selon lesquelles la relation de l’appelante, Loving Home Care Services Ltd. (« Loving Home Care ») et de six de ses travailleuses, dont l’intervenante, Mme Burt, était une relation d’employeur à employées au sens des définitions d’« emploi assurable » de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») et d’ « emploi ouvrant droit à pension » du Régime de pensions du Canada (le « Régime »).

 

[2]             L’appelante, Loving Home Care, conteste ces décisions et soutient que les travailleuses étaient des entrepreneures indépendantes. L’intervenante, Mme Burt, souscrit aux décisions en cause, selon lesquelles elle était une employée de Loving Home Care.

 

Le droit applicable

 

[3]             Dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 85, la Cour d’appel fédérale a défini le droit applicable dans des appels tels que ceux dont j’ai été saisi en l’espèce de manière exhaustive et claire, et je ne reproduirai pas les paragraphes 23 et 33 à 41 des motifs du juge Mainville.

 

[4]             La question en litige est simplement de savoir si les travailleuses fournissent leurs services de soins personnels en tant que personnes travaillant à leur compte.

 

[5]             Cela exige tout d’abord que je décide si, d’un point de vue subjectif, en me fondant sur les faits, les circonstances et la preuve de l’espèce, il y avait chez les parties une entente ou une intention commune relative à leur relation, qu’elle ait été d’établir une relation d’employeur à employée ou de client à entrepreneure indépendante.

 

[6]             À ce stade, un tribunal peut examiner, entre autres choses, la mesure dans laquelle les travailleuses comprenaient les différences entre les relations d’employeur à employé et de client à entrepreneur indépendant, les forces et les faiblesses relatives de leurs positions de négociation, et la mesure dans laquelle de tels éléments de preuve, dont on peut généralement s’attendre à ce qu’ils soient intéressés, sont corroborés par les autres éléments de preuve produits devant la Cour et sont cohérents avec eux.

 

[7]             La réponse apportée à cette question n’est pas déterminante. Les parties ne peuvent pas s’entendre sur la qualification juridique qu’il convient de donner à leur relation de travail comme s’il s’agissait, dans le contexte de la relation de travail, d’une autre condition relative à leurs droits, à leurs obligations, à leurs devoirs et à leurs responsabilités. Une intention déclarée qui a fait l’objet d’un consensus au sujet de la qualification particulière d’une relation de travail, qu’il s’agisse d’une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant, doit, en fait, se fonder sur une réalité objective et vérifiable.

 

[8]             Si les parties ont convenu de qualifier leur relation d’une certaine manière, la Cour doit établir si la réalité objective globale de leur relation de travail étaye leur intention subjective et si elle est cohérente avec elle.

 

[9]             Cette deuxième étape exige de la Cour qu’elle examine et soupèse les critères traditionnels qui ont été définis dans les arrêts Sagaz et Wiebe Door[1], à savoir le contrôle sur le travail et le travailleur (y compris le degré de subordination du travailleur), la fourniture des outils, du matériel, de l’agrément et de l’équipement nécessaires à l’accomplissement du travail ainsi que l’étendue des succès et des revers financiers qui pourraient découler pour le travailleur des services fournis.

 

[10]        Dans le contexte de cette deuxième étape, la Cour peut encore une fois examiner l’intention des parties, en même temps que leur comportement réel et toute entente écrite en vigueur entre elles. Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national) (C.A.F.)[2], la Cour d’appel fédérale a déclaré de la même manière que les critères traditionnels qui ont été définis dans les arrêts Sagaz et Wiebe Door devaient être examinés en tenant compte de l’intention des parties.

 

[11]        Par ailleurs, cette deuxième étape est identique à celle que la Cour adopterait dans les cas où les parties n’auraient aucune intention commune en ce qui concerne la qualification de leur relation de travail.

 

Les contrats de sous‑traitance conclus avec les travailleuses

 

[12]        Le contrat de sous‑traitance conclu entre l’appelante, Loving Home Care, et l’intervenante, Mme Burt, contenait, entre autres choses, les dispositions suivantes :

 

[traduction]

 

i)       L’entrepreneur convient d’offrir à la sous-traitante des contrats de disponibilité, qu’elle sera libre d’accepter;

 

ii)      La sous‑traitante accepte de s’acquitter des tâches afférentes aux contrats qui lui seront accordés de manière responsable, selon les conditions définies par l’entrepreneur de temps en temps, ce qu’on associe habituellement au travail confié.

 

iii)     Pendant toute la durée du contrat, la sous‑traitante s’engage à consacrer tout son temps, son attention, ses efforts et ses compétences à ses fonctions de sous‑traitante, et elle s’acquittera en tout temps des tâches et des responsabilités qui lui incombent aux termes du contrat.

 

iv)     L’entrepreneur s’engage à rémunérer la sous‑traitante selon un taux horaire fixe ou un montant quotidien, par des versements réguliers.

 

v)      L’entrepreneur ne procèdera à aucune déduction au titre de l’assurance‑emploi, du Régime de pensions du Canada ou de l’impôt sur le revenu. La loi exige que la sous‑traitante effectue ces versements. Loving Home Care versera les cotisations dues à la Workers Compensation Board (Commission d’indemnisation des accidents du travail – la « WCB »).

 

vi)     L’entrepreneur décrit les devoirs et les responsabilités quand celles‑ci peuvent être amenées à changer en fonction de la description de travail.

 

vii)    La sous‑traitante est chargée de tenir l’entrepreneur au courant des faits concernant les patients au moyen du journal; ces faits comprennent l’état de santé des patients, la tenue de la maison et les autres renseignements pertinents.

 

viii)   En cas de vacances ou d’absence pour raisons familiales, l’entrepreneur exige un préavis écrit d’au moins deux semaines;

 

ix)     En cas d’écart de conduite entraînant un conflit avec le client et/ou l’entrepreneur et/ou les tâches et responsabilités afférentes au présent contrat, l’agence a le droit de congédier l’employée dans les 24 heures suivant le conflit.

 

[13]        Les contrats de sous‑traitance conclus avec chacune des cinq autres travailleuses touchées par les décisions en cause ont été produits en preuve. À l’exception des clauses vii) et viii) reproduites ci‑dessus, relatives aux préavis et à la planification des congés ainsi qu’à l’obligation de tenir à jour le journal de Loving Home Care, chaque contrat est identique en tout point. Chaque entente se présente comme un contrat de sous‑traitance, mais dans la clause ix) reproduite ci‑dessus, relative au droit de congédiement, il est fait usage du terme [traduction] « employée ».

 

[14]        Les contrats ne sont pas tous signés par toutes les parties. Les espaces prévus pour le taux de rémunération ou les dates n’ont pas été remplis dans tous les contrats.

 

[15]        La datation des contrats, qu’ils aient été signés ou pas, n’est ni claire ni complète, et ce point reste discutable. Les préoccupations de la Cour relatives à la datation des contrats produits en preuve a fait l’objet d’une discussion exhaustive avec l’avocat de l’appelante lors de l’audience. Les formulaires préimprimés comportant des espaces à remplir portent la mention de l’année 2010. Au moins un de ces formulaires donnait à entendre qu’il avait été rempli avant cette date. Certaines dates apparaissant sur les horaires de travail ne correspondaient pas aux dates des contrats auxquels ces horaires avaient été annexés. Les travailleuses ne se souvenaient pas toutes de la date à laquelle elles avaient signé leur contrat, qui marquait le début de leur relation de travail avec Loving Home Care. Les travailleuses n’ont pas toutes pu fournir de réponses claires et satisfaisantes en ce qui concerne la datation, la signature et le renouvellement de ces contrats. Une travailleuse a dû modifier la réponse claire et sans équivoque qu’elle avait donnée à cette question quand sa réponse a été contestée lors du contre‑interrogatoire. Il semble que les contrats aient été « renouvelés » à la demande de Loving Home Care en 2012, à l’exception de celui de l’intervenante, Mme Burt, qui ne travaillait alors plus pour Loving Home Care. La procédure relative aux décisions rendues à l’égard du statut de ces travailleuses a été entamée en 2012.

 

[16]        La différence notable et significative entre le contrat de Mme Burt et les contrats renouvelés de 2012 réside dans le fait que les clauses vii) et viii) reproduites ci‑dessus, relatives à la planification des jours de congé, que ce soit pour des raisons familiales ou pour des vacances, et aux rapports quotidiens à Loving Home Care au moyen du journal détaillé, n’apparaissent pas dans les contrats de 2012. Au vu de l’ensemble de la preuve relative à ces contrats et à leur renouvellement, y compris de mes doutes quant à la crédibilité des témoins, et compte tenu de l’écart apparent dans le calendrier de renouvellement de 2012, l’appelante n’a certainement pas été capable de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’éléments de preuve crédibles, que les contrats qui ont été produits devant la Cour étaient ceux qui étaient en vigueur pendant la période en cause. De manière générale, je conclus que Loving Home Care et ses travailleuses n’ont pas signé ces contrats avant de commencer à travailler ensemble, que les contrats n’avaient pas été nécessairement remplis ou signés à la date où on a affirmé qu’ils l’avaient été, ou ne l’avaient pas été du tout, et que, dans le cas des travailleuses visées par les décisions en cause, pendant les périodes pertinentes en cause, tous les contrats comprenaient les mêmes dispositions relatives à la planification que celles qui apparaissaient dans le contrat de Mme Burt.

 

[17]        Loving Home Care avait recours aux services d’autres travailleurs, lesquels fournissaient des services de soins personnels similaires et étaient traités comme des employés. Il ressort des témoignages que cela aurait pu avoir essentiellement pour but de permettre aux travailleuses d’être admissibles aux prestations de maternité de l’assurance-emploi. Quoi qu’il en soit, les contrats d’emploi des fournisseuses de soins personnels dont l’appelante avait retenu les services n’ont été ni produits en preuve ni décrits, aucune d’entre elles n’a témoigné et aucun élément de preuve n’a donné à entendre que la relation de travail qu’elles avaient au quotidien avec Loving Home Care ou ses clients était différente de celle des travailleuses en cause.

 

[18]        Les clients qui recevaient les soins étaient ceux de Loving Home Care. On n’a pas fourni à la Cour de copie des contrats écrits conclus avec ces clients, qu’il se soit agi des patients ou de leur famille, pas plus qu’on a produit d’éléments de preuve clairs à l’égard des dispositions générales de tels contrats oraux ou écrits liant Loving Home Care et ses clients, en dépit du fait que ces contrats devaient porter sur les soins à offrir.

 

[19]        Bien que la Cour ait souvent entendu parler du rôle des familles dans les soins quotidiens apportés aux patients ainsi que dans les communications avec Loving Home Care et les fournisseuses de soins, aucun de ces clients de Loving Home Care n’a témoigné au sujet de leur compréhension des ententes ou des contrats qui les liaient à Loving Home Care.

 

Les déclarations des témoins

 

[20]        La directrice de Loving Home Care, Mme Jolanta Purgal, a témoigné pour le compte de l’appelante. J’ai quelques réserves à l’égard de son témoignage. Il était visiblement intéressé et il s’avère quelque peu difficile à corroborer par d’autres éléments de preuve. J’ai déjà abordé la question des doutes importants que j’entretenais au sujet des contrats écrits qui avaient été produits et du rôle joué par Mme Purgal dans le renouvellement de ces contrats. Surtout, elle n’a pas exactement fait preuve de franchise dans ce qui était apparemment une réponse clairement négative à la question que la Couronne lui a posée en contre‑interrogatoire, à savoir si elle avait jamais discuté avec Mme Burt de la possibilité de traiter cette dernière comme une employée. Lors du contre‑interrogatoire mené par l’intervenante, Mme Burt elle‑même, Mme Purgal a volontiers reconnu, au cours de l’échange qui a eu lieu entre elle et Mme Burt, qu’elle avait bien eu une conversation à ce sujet avec cette dernière, alors que Mme Burt travaillait pour Loving Home Care. Mme Purgal a alors, d’elle‑même, fait référence au fait qu’elle avait également eu une conversation à ce sujet avec Mme Burt quand celle‑ci envisageait de revenir travailler après la naissance de son enfant. La Cour a par conséquent un intérêt tout particulier pour la mesure dans laquelle le témoignage de Mme Purgal se trouve corroboré par d’autres éléments de preuve. De même, lors de l’interrogatoire principal, Mme Purgal a clairement affirmé que tous les travailleurs de Loving Home Care étaient qualifiés d’entrepreneurs indépendants depuis 1998. Toutefois, lors du contre-interrogatoire que l’intimée a mené, elle a dû reconnaitre, lorsqu’on lui a présenté une liste des employés préparée par son comptable, qu’il y avait des exceptions, et que deux ou trois personnes qui avaient demandé à avoir le statut d’employé avaient en fait été requalifiées d’employées par Loving Home Care.

 

[21]        Cinq des travailleuses visées par les décisions en cause ont également témoigné.

 

[22]        Le témoignage de Mme Burt, l’intervenante, est venu contredire radicalement le témoignage de Mme Purgal sur plusieurs questions clés. Manifestement, le témoignage de Mme Burt était également intéressé, appuyant ses intérêts en sa qualité de partie à l’instance. Toutefois, le fait que son témoignage ait été intéressé n’est pas forcément négatif, pas plus que cela n’exige nécessairement qu’il soit pleinement corroboré. J’accepte le fait que le témoignage de Mme Burt était crédible, et pour ce qui est des parties du témoignage de Mme Burt venues contredire les déclarations de Mme Purgal, j’accorde ma préférence au témoignage de Mme Burt.

 

[23]        Quatre des cinq autres travailleuses en cause ont également témoigné. Elles ne sont pas intervenues dans l’instance et elles étaient satisfaites de la thèse adoptée par Loving Home Care, tout comme elles y souscrivaient, thèse selon laquelle elles étaient des entrepreneures indépendantes, et non des employées. En général, j’accepte le fait qu’elles ont répondu avec honnêteté et sincérité, au meilleur de leurs compétences. Toutefois, la Cour a eu l’impression que certaines des réponses qu’elles ont données au sujet de leur statut d’entrepreneur indépendant avaient été préparées. Leur témoignage était également intéressé jusqu’à un certain point, visant à appuyer la position de Mme Purgal, vu qu’elles témoignaient devant celle‑ci, qui continue de leur fournir du travail par l’intermédiaire de Loving Home Care. Il se peut aussi qu’elles aient demandé à déduire certains frais des revenus qu’elles ont gagnés auprès de Loving Home Care. Curieusement, l’une d’elles a déclaré clairement qu’elle était une entrepreneure indépendante en réponse à la première ou à la deuxième question qui lui a été posée lors de l’interrogatoire principal, et ce, bien que la question de la nature ou de la qualification de la relation de travail instituée dans son contrat n’ait pas encore été soulevée. Comme il a été mentionné ci-dessus, une autre travailleuse a dû revenir sur la réponse qu’elle avait donnée relativement au nombre et à la datation de ses contrats écrits quand on lui a soumis les contrats en question. Une autre a assisté au témoignage d’une de ses collègues tout en lui soufflant les bonnes réponses en les articulant silencieusement ou en les mimant, bien que je n’entends pas par là que cela ait influencé la travailleuse qui témoignait, ou même qu’elle ait remarqué ce comportement. Une des travailleuses, dont l’anglais n’était pas la langue maternelle, s’est montrée troublée quand on lui a posé des questions sans suggérer de réponse, ou des questions auxquelles on ne pouvait pas répondre par « oui ». Une autre a dû changer de manière significative les déclarations claires qu’elle avait faites au sujet du calendrier des changements apportés aux  contrats, y compris de son taux de rémunération, quand on lui a rappelé les dates apparaissant sur son contrat écrit ainsi que sur le contrat de renouvellement. Je ne mets en doute aucun de ces quatre témoins, pas plus que leur témoignage. J’accepte ce témoignage en ce qui a trait aux soins quotidiens qu’elles apportaient aux clients de Loving Home Care ainsi qu’à leurs interactions avec les patients et les membres de leur famille en ce qui concerne l’échange de renseignements et les instructions au quotidien. Toutefois, dans l’ensemble des présentes circonstances, je n’accorde que peu de poids ou de valeur probante à la plupart de leurs avis relatifs à la qualification de leur relation de travail avec Loving Home Care, selon lesquels il s’agissait d’une relation de client à entrepreneure indépendante et non d’employeur à employée, particulièrement compte tenu du fait que la plupart d’entre elles ont déclaré que, quand elles ont commencé à travailler pour Loving Home Care, elles ne comprenaient pas pleinement la différence qu’il y avait entre les statuts d’entrepreneur indépendant et d’employé.

 

[24]        J’ai entendu beaucoup de choses au sujet du rôle des membres de la famille des patients dont Loving Home Care et ses fournisseuses de soins s’occupaient. Il n’est pas étonnant que Loving Home Care et Mme Purgal, leurs fournisseuses de soins, les membres de la famille des patients ou les patients eux‑mêmes aient tous travaillé en équipe, considérant qu’il s’agissait de prendre soin de personnes âgées, malades ou invalides, et ce, de manière à s’assurer le mieux possible que ces personnes recevaient les soins dont ils avaient besoin. Sans nul doute, on peut s’attendre à ce que les communications formelles et informelles, les instructions, l’échange de renseignements, l’attribution de tâches et la délégation relatifs à de tels besoins en matière de soins personnels soient très semblables, que la travailleuse en cause soit une employée ou une entrepreneure indépendante de Loving Home Care. En l’espèce, la preuve montre clairement que la relation juridique relative à la fourniture de soins au patient est établie entre le patient ou un membre précis de sa famille et Loving Home Care, alors que l’offre quotidienne de soins de base se fait entre le patient, ou entre le patient et un membre ou plus de sa famille, et la travailleuse de Loving Home Care. Il est également clair que le journal de soins quotidiens de Loving Home Care, les renseignements relatifs à la fournisseuse de soins du patient et la liste des personnes à contacter en cas d’urgence étaient conservés au domicile du patient.

 

[25]        Toutefois, aucun membre de la famille des patients n’a été cité à comparaître pour corroborer la version de l’appelante au sujet des instructions qu’elle donnait, de l’encadrement qu’elle fournissait ou du contrôle ou de la surveillance qu’elle exerçait à l’égard du travail des fournisseuses de soins de Loving Home Care, activités auxquelles les familles participaient largement si on se fie à la relation contractuelle et à l’ensemble des témoignages. Loving Home Care avait suffisamment de patients et de familles pour conserver un effectif de 30 à 60 fournisseurs de soins personnels, voire plus. Bien que je n’en tire aucune conclusion défavorable que ce soit, il est malheureux de ne pas disposer de tels témoignages, lesquels auraient permis de corroborer le témoignage que Mme Purgal a donné pour le compte de l’appelante et d’aider cette dernière à se décharger, selon la prépondérance des probabilités, du fardeau de la preuve.

 

L’intention des parties

 

[26]        Si je ne tiens pas compte de la seule référence au fait que les travailleuses sont des employées dans le contrat de sous‑traitance, ni de mes doutes quant à la date à laquelle les contrats ont effectivement été signés, le cas échéant, il est clair : i) que le contrat écrit conclu entre Loving Home Care et ses travailleuses qualifie leur relation de relation de client à entrepreneures indépendantes; (ii) que les travailleuses ont compris dès le début de leur relation avec l’appelante qu’elles allaient avoir une relation de client à entrepreneure indépendante avec Loving Home Care.

 

[27]        Toutefois, il ressort également clairement de la preuve que toutes les travailleuses (à peut-être une exception près), y compris l’intervenante, ne comprenaient pas ce que cela signifiait, au-delà du fait, peut-être, qu’on leur avait dit qu’elles auraient droit à des déductions pour leurs frais de déplacement et leur téléphone cellulaire. En règle générale, les travailleurs qui ne sont pas au courant des différentes manières de qualifier leur relation de travail, et qui ne les connaissent ou ne les comprennent pas vraiment, ne sont pas en mesure de qualifier eux‑mêmes, de manière très utile, la nature de la relation juridique dans laquelle ils se sont engagés, et certainement pas de manière à éclairer significativement la Cour ou à apporter à celle‑ci des renseignements susceptibles de l’aider dans son examen objectif des facteurs traditionnels qui ont été définis dans les arrêts Sagaz et Wiebe Door.

 

[28]        Dans les circonstances de l’espèce, la Cour n’accorde que peu de poids aux intentions subjectives des travailleuses consistant à qualifier leur relation de travail de relation de client à entrepreneure indépendante.

 

Le contrôle

 

[29]        Les dispositions des contrats écrits relatives au contrôle que Loving Home Care exerçait sur le travail et les travailleuses sont reproduites ci‑dessus. Ces dispositions donnaient clairement à Loving Home Care le droit d’exiger de chaque travailleuse qu’elle lui fasse un compte-rendu écrit quotidien de ses activités. Il est également clair que ces dispositions donnaient à Loving Home Care le droit de dicter aux travailleuses la façon dont elles devaient accomplir leur travail et que Loving Home Care ne se contentait pas de leur attribuer des tâches. Les tâches devaient clairement être exécutées de manière responsable, selon les conditions imposées de temps en temps par Loving Home Care.

 

[30]        Les fournisseuses de soins personnels devaient mettre à jour le journal de Loving Home Care à la fin de leurs quarts de travail et le consulter de nouveau au début du quart de travail suivant. C’est là qu’elles découvraient les soins qu’il pourrait être nécessaire de prodiguer et enregistraient les soins qu’elles avaient apportés, ou qu’elles pensaient qu’il serait nécessaire d’apporter. En ce qui concerne la travailleuse qui était la seule fournisseuse de soins personnels d’un client particulier et qui travaillait par quarts de travail chez ce client, sans habiter chez lui, il est vraisemblable que, dans les faits, elle n’ait pas eu à consulter les notes qu’elle avait prises la veille, et qu’on ne se soit pas non plus attendu à ce qu’elle le fasse. Mais il n’y a aucune raison de penser qu’elle ne tenait pas le journal à jour comme il était exigé. Une des travailleuses croyait qu’elle tenait le journal de Loving Home Care pour son propre compte seulement, bien qu’il semble que ses patients étaient les seuls à recevoir les services de compagnie, de lessive, de repas et de promenades qu’elle fournissait en tant que seule travailleuse de Loving Home Care.

 

[31]        C’est dans le journal que les travailleuses découvraient ce qu’il pourrait être nécessaire de faire et consignaient ce qu’elles avaient fait ou pensaient qu’il était nécessaire de faire. Il s’agissait du journal de Loving Home Care, qui devait, à  l’insistance de Loving Home Care, être consulté et tenu à jour, et les entrées étaient principalement celles des travailleuses de Loving Home Care qui s’occupaient du patient. Il se pouvait parfois que des membres de la famille du patient consignent des notes ou des entrées dans le journal, qui était disponible pour consultation par la famille du patient au domicile de celui‑ci.

 

[32]        Les pratiques individuelles dépendaient des fournisseuses de soins concernées et de la nature ou de l’ampleur des besoins du patient en matière de soins. Cela n’est pas étonnant vu que certains patients ne demandaient que de la compagnie, qu’on les emmène se promener et qu’on leur fasse quelques courses, alors que d’autres avaient besoin d’aide pour l’administration des médicaments, de cathétérisme ainsi que de surveillance et d’entretien de poche pour stomie, d’oxygène, et, dans le cas des personnes grabataires, elles avaient besoin d’être soulevées et tournées, et il se pouvait que différentes familles et différentes travailleuses usent d’approches différentes. La preuve donne à entendre qu’il se pouvait que les approches des travailleuses et des familles à l’égard du journal de Loving Home Care aient été très différentes, mais l’appelante n’a pas produit en preuve un journal ou un dossier  de Loving Home Care représentatif, de manière à me permettre de comprendre clairement ce qu’il en était.

 

[33]        Quand elles travaillaient selon un quart de travail de « résident » de 24 h, les travailleuses devaient prévenir Mme Purgal si un membre de la famille du patient ne leur offrait pas trois heures de relève, de manière à ce que Loving Home Care puisse facturer la famille en plus et payer la travailleuse en conséquence. Selon Mme Burt, si un patient se levait plus que deux fois au cours de la nuit, elle devait prévenir Mme Purgal afin que le client soit facturé pour les soins supplémentaires et que la travailleuse soit payée pour le temps consacré à ce patient alors qu’on s’attendait à ce qu’elle dorme.

 

[34]        Une autre travailleuse a affirmé qu’elle avait quelques clients de Loving Home Care pour lesquels elle devait faire directement rapport à Mme Purgal quotidiennement, en plus de tenir le journal.

 

[35]        Mme Purgal se rendait chez les clients avec leur famille, quand une travailleuse était présente et ne travaillait pas. Elle ne se rendait pas souvent chez les clients quand une travailleuse s’y trouvait. L’objet de telles visites n’est pas clair, en dehors des visites initiales de présentation ou de formation de type orientation. Je ne suis pas certain de savoir clairement quelle était la fréquence de ses visites quand les travailleuses ne travaillaient pas, ou quel était l’objet de telles visites, ni ce sur quoi portaient les discussions. Mme Burt a déclaré qu’au moins un client avait affirmé qu’il avait reçu une visite de Mme Purgal, au cours de laquelle le rendement de Mme Burt avait fait l’objet d’au moins une partie de la discussion. Mme Purgal a déclaré qu’elle ne rendait visite aux clients que lorsqu’on l’appelait. Elle a affirmé qu’on l’avait appelée une fois pour prendre part à une réunion avec une famille à laquelle Mme Burt fournissait des services, mais c’était dans le but de discuter d’un conflit relatif à une procuration entre certains membres de la famille. Le témoignage de Mme Purgal à cet égard, ainsi qu’à l’égard de ses visites à ses clients et à leur famille, n’a pas été corroboré.

 

[36]        On ne m’a donné que très peu de renseignements au sujet des communications continues, par écrit, en personne ou par téléphone, entre Mme Purgal au nom de Loving Home Care et ses clients, qu’il s’agisse de rapports continus, de services de soutien réguliers ou de routine auprès des clients, de questionnaires de satisfaction de la clientèle, de demandes de renseignements concernant la facturation ou de questions de recouvrement. Je comprends que Loving Home Care était une entreprise prospère ayant un important effectif de fournisseurs de soins et un nombre de clients correspondant. Mme Purgal a semblé être une femme d’affaires concentrée et motivée, qui maîtrisait parfaitement tous les aspects de son entreprise prospère. Aussi, je suppose que Mme Purgal entretenait des contacts très réguliers, voire quotidiens, avec les clients de Loving Home Care qui demandaient à ce que les travailleurs rendent quotidiennement des comptes à Loving Home Care directement, et on ne m’a pas dit le contraire. Sans nul doute, tout cela contribuait au succès apparent de Loving Home Care et de Mme Purgal. J’en conclus que Loving Home Care entretenait, tout du moins dans une certaine mesure, des contacts réguliers avec les familles des clients pour tout ce qui concernait les aspects clés de la relation que ceux-ci avaient avec Loving Home Care en sa qualité de fournisseuse de soins de santé, y compris en ce qui avait trait à leur degré de satisfaction à l’égard des personnes fournissant les soins de santé et de la manière dont celles‑ci accomplissaient leur travail.

 

[37]        L’appelante n’a produit aucune preuve au sujet du niveau de détail ou de l’étendue des conditions dans les contrats que Loving Home Care concluait avec ses clients. Par conséquent, je ne sais pas dans quelle mesure ces contrats sont généraux ou précis en ce qui concerne les tâches à accomplir, pas plus que je ne sais quels sont les détails, s’il y en a, au sujet de la manière dont ces tâches doivent être accomplies. Je ne sais pas non plus quel est le niveau requis de surveillance par Loving Home Care du rendement du fournisseur de soins. On ne m’a pas fourni de formulaire type, d’aperçu ou de témoignage de membres de la famille des clients. L’intimé n’a pas produit en preuve de copies d’écran du site Web de Loving Home Care dans lequel on peut lire, entre autres choses, que Loving Home Care [traduction] « travaille étroitement avec les familles et les clients pour garantir une satisfaction totale à tous les niveaux ». D’après le site, les services peuvent inclure l’établissement d’un plan de soins détaillé. On peut y lire que les fournisseurs de soins sont agréés et, à deux reprises, qu’ils sont formés. Il semble clair que les travailleuses de Loving Home Care ne sont pas agréées et formées par une autre entité que Loving Home Care (et ce, bien qu’au moins une des travailleuses ait antérieurement reçu une formation et une certification d’infirmière agréée à l’étranger). Si on considère les déclarations relatives à l’agrément et à la formation comme véridiques, Loving Home Care doit fournir un certain niveau de surveillance et de supervision pour pouvoir prétendre à l’agrément et à la formation de son personnel.

 

[38]        Qu’elles aient eu le statut d’employées ou d’entrepreneures indépendantes, les fournisseuses de soins de Loving Home Care n’étaient pas tenues de porter des étiquettes sur lesquelles leur nom apparaissait ou des uniformes.

 

[39]        Mme Purgal n’a pas déclaré que le contrôle exercé par Loving Home Care sur ses fournisseuses en soins de santé ayant le statut d’employées ainsi que le travail que celles‑ci accomplissaient différait d’une quelconque manière du contrôle exercé sur celles qui étaient qualifiées d’entrepreneures indépendantes. On ne m’a pas non plus parlé d’un quelconque changement dans les degrés de contrôle exercé sur les fournisseuses de soins et le travail qu’elles accomplissaient quand le statut passait de celui d’entrepreneure indépendante à celui d’employée. On ne pouvait pas s’étonner du fait que les autres témoins n’attestent pas ce fait. Cela m’invite à conclure qu’il n’existait pas de distinction importante ou significative entre ces travailleuses, en dehors des retenues à la source et des prestations de maternité de l’assurance‑emploi.

 

[40]        Il est clair que Loving Home Care n’a exercé aucun droit d’imposer à ses fournisseuses de soins un client particulier, pas plus qu’un travail ou un horaire particulier, en dehors de ceux dont les travailleuses avaient convenu après que le travail leur a été offert. Les travailleuses informaient Mme Purgal de leurs disponibilités dès le départ et elles la mettaient au courant de tout changement. Les travailleuses avaient le droit de refuser des patients et des heures de travail, et elles exerçaient ce droit. Il semble que ces décisions aient été largement prises en fonction des horaires de travail que les travailleuses préféraient et de la quantité de travail effectivement requis. Pour beaucoup de travailleuses, pour ne pas dire pour la plupart, il s’agissait d’un travail à temps partiel et elles avaient d’autres emplois, suivaient des études et avaient des engagements familiaux à gérer et à intégrer dans leur horaire. Il semble que ces travailleuses obtenaient toutes les heures de travail qu’elles souhaitaient de Loving Home Care tandis qu’elles conciliaient leurs études, d’autres emplois ou l’éducation de leurs enfants. Vu que le taux de rémunération était généralement le même taux normalisé, les travailleurs avaient tendance à préférer les clients ayant besoin de services de compagnie, de préparation de repas, d’accompagnement à des rendez-vous ou de courses aux clients ayant besoin qu’on les soulève, qu’on leur administre des médicaments ou qu’on s’occupe de leur accessoire pour stomie ou de leurs cathéters (à moins, comme il est décrit ci‑dessous, qu’elles puissent négocier un meilleur taux de rémunération auprès de Mme Purgal pour les patients ayant des besoins plus importants).

 

[41]        Une fois qu’un travailleur accepte l’horaire de travail proposé par Mme Purgal auprès d’un client particulier, on s’attend à ce que ce travailleur se conforme à cet horaire. Les travailleuses ne géraient pas tous de la même manière leurs congés maladie, leurs absences pour rendez-vous inattendus ainsi que leurs jours de vacances ou leurs absences prolongées. Le contrat qui liait les travailleuses à Loving Home Care donnait à Loving Home Care le droit d’exiger un préavis écrit d’au moins deux semaines pour les vacances et les absences pour raisons familiales. Dans les faits, les absences nécessaires des fournisseuses de soins étaient gérées de différentes manières. Certaines familles préféraient s’occuper du remplacement elles‑mêmes, même en période de jours fériés, afin d’éviter au patient de faire face à des changements. Dans ce cas, les travailleuses prévenaient Mme Purgal afin que la facturation soit ajustée en conséquence. Certaines travailleuses essayaient de s’arranger avec leurs collègues de Loving Home Care qui s’occupaient du même client pendant d’autres quarts de travail. Ces travailleuses informaient simplement Mme Purgal au moyen des factures qu’elles établissaient à Loving Home Care, de telle sorte que chaque travailleuse soit payée correctement. D’autres encore se contentaient d’informer Mme Purgal de leurs absences, qu’elles soient nécessaires ou volontaires, pour quelque raison que ce soit, et c’était Mme Purgal qui prenait les dispositions nécessaires pour le remplacement.

 

[42]        Les travailleuses de Loving Home Care n’étaient pas autorisées à engager de remplaçant ou d’assistant, pas plus qu’elles n’étaient autorisées à donner leur travail en sous‑traitance. Elles ne pouvaient pas donner leur travail en sous‑traitance à qui que ce soit, obtenir le taux de rémunération convenu avec Loving Home Care et payer le sous‑traitant moins cher, pas même avec un autre travailleur de Loving Home Care. Les travailleuses ne pouvaient pas prendre directement des arrangements en vue d’être remplacées par quelqu’un qui ne faisait pas déjà partie du personnel de Loving Home Care, bien qu’il arrivât que certaines travailleuses préviennent Mme Purgal de la disponibilité d’un fournisseur de soins d’une autre agence disponible pour un remplacement pendant un congé particulier.

 

[43]        Les travailleuses pouvaient informer Loving Home Care qu’elles n’étaient plus disponibles pour effectuer certains quarts de travail, par exemple quand elles retournaient étudier ou quand elles ne souhaitaient plus travailler pour des clients particuliers, et ces demandes étaient respectées.

 

[44]        Indépendamment de la formulation du contrat de sous‑traitance, les travailleuses pouvaient travailler pour des tiers, y compris être employées par une agence de fournisseurs de soins concurrente. La seule condition était que, après avoir arrêté de travailler pour Loving Home Care, les travailleuses ne pouvaient pas faire concurrence à celle-ci, que ce soit directement ou par l’entremise d’une autre agence, en fournissant des soins à un client de Loving Home Care, et ce, pendant une période de deux ans.

 

[45]        Après avoir examiné et soupesé les facteurs ci‑dessus quant au contrôle que Loving Home Care exerçait sur les travailleuses et à la façon dont le travail que les travailleuses convenaient d’accomplir était fait, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, ces facteurs font pencher la balance en faveur d’une relation d’employeur à employées en l’espèce. L’important droit de Loving Home Care de dicter la manière d’accomplir les tâches, tel qu’il est défini dans les contrats écrits conclus avec les travailleuses, l’exigence consistant à faire quotidiennement des rapports détaillés à Loving Home Care par l’intermédiaire du journal, la surveillance constante exercée par Loving Home Care, le processus d’« agrément » continu mené par Loving Home Care à l’égard des travailleuses vis‑à-vis de ses clients, sont autant d’éléments qui sont très proches de ce à quoi on pourrait s’attendre d’une relation d’employeur à employées. C’est ce que confirme le fait qu’il s’agit des mêmes niveaux et degrés de contrôle que Loving Home Care a et exerce sur ses fournisseuses de soins ayant le statut d’employées. Par ailleurs, la capacité des travailleuses à refuser certains horaires ou clients qui leurs sont proposés n’est pas incompatible avec une relation d’employeur à employées pour des personnes travaillant largement à temps partiel, n’importe où dans une grande ville, dans un marché concurrentiel et dans un secteur qui, comme il ressort de la preuve, n’exigeait pas que les employées travaillent exclusivement pour un seul employeur.

 

[46]        En ce qui concerne le rôle des familles dans les communications quotidiennes relatives aux soins nécessaires ou apportés, conformément aux conclusions que la juge Woods a rendues dans la décision Dean (Ana’s Care & Home Support) c. Canada (Revenu national), 2012 CCI 370, c’est le pouvoir que Loving Home Care avait de contrôler et d’encadrer la manière d’exécuter les tâches qui est le point le plus significatif, et non la fréquence à laquelle ce pouvoir devait être ou était exercé dans cette mesure. Aussi, je souscris à l’observation de la juge Woods, selon laquelle dans le contexte de la fourniture de soins à domicile, vu que les travailleuses étaient liées par une relation contractuelle avec Loving Home Care, et non avec les clients de cette dernière, toute directive donnée par les clients de Loving Home Care, à laquelle on s’attendait à ce que les travailleuses se conforment, équivalait à du contrôle exercé sur elles du fait de leurs obligations envers Loving Home Care.

 

Les outils, l’agrément, le matériel et l’équipement

 

[47]        En l’espèce, je conclus que le facteur de la propriété des outils n’est d’aucune aide, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Il ressort de la preuve que les seuls outils nécessaires pour fournir les soins en cause sont des gants protecteurs de type chirurgical. Les familles des patients ont toujours fourni ces gants, ainsi que tout ce dont les travailleuses pouvaient avoir besoin, comme des articles d’épicerie, le remboursement du coût des taxis ou des autres frais de transport, de l’aide et les articles nécessaires à la fourniture de soins personnels au client. Ces articles sont toujours fournis par le client ou sa famille, et jamais par Loving Home Care ou les travailleuses. En outre, cela semble être le cas, peu importe le fait que les fournisseuses de soins soient des employées ou des entrepreneures indépendantes. Si une travailleuse utilisait son propre véhicule pour des rendez-vous, des courses ou d’autres déplacements, elle prenait note du kilométrage du véhicule et facturait le client selon un taux établi. Certaines travailleuses remettaient ce formulaire directement au client et d’autres à Loving Home Care, mais c’était toujours la famille des patients qui effectuait le remboursement.

 

[48]        Une formation destinée aux fournisseuses de soins de santé était fournie sur le terrain par Loving Home Care, généralement par l’intermédiaire d’une autre travailleuse de Loving Home Care. La formation relative à des actes tels que le fait de soulever le client pouvait être fournie par un tiers, également fournisseur en soins de santé, qui travaillait avec le client ou la famille. Il n’était pas exigé des fournisseuses de soins qu’elles obtiennent d’autre formation ou agrément, que ce soit chez Loving Home Care ou à leurs propres frais.

 

[49]        Dans les cas relativement rares où Loving Home Care avait besoin de satisfaire aux besoins d’un client en mettant une travailleuse à sa disposition, Loving Home Care payait le déplacement en taxi de la travailleuse entre les quarts de travail chez le client. Autrement, il appartenait aux travailleuses de se rendre chez les patients et de rentrer chez elles, que ce soit par le transport en commun ou au moyen de leur véhicule personnel.

 

La perspective de succès et de revers financiers

 

[50]        Les travailleuses n’effectuaient aucun investissement dans des outils, de l’équipement, du matériel, de la formation ou un agrément afin d’être en mesure de travailler pour Loving Home Care. Elles ne faisaient pas de publicité auprès de clients, mais répondaient à des annonces ou étaient référées de bouche à oreille. Loving Home Care payait les travailleuses selon des taux horaires ou journaliers fixes qui, aux termes de leur contrat, s’élevaient à 15 $ de l’heure, taux qui a ensuite été augmenté à 16 $ de l’heure. Le taux journalier correspondait à huit fois le taux horaire. Ces taux pouvaient parfois être négociés un peu à la hausse pour certains patients et s’élever à 17 $ de l’heure, ou dans un cas à 20 $ de l’heure, mais cela semble toujours avoir été fait en fonction de l’emplacement de travail, ou de la nature particulière des soins dont le client avait besoin, compte tenu de son état physique ou mental particulier.

 

[51]        Loving Home Care rémunérait les travailleuses aux deux semaines, et les travailleuses devaient faire rapport de leurs heures de travail à Loving Home Care, normalement sur le formulaire de facturation imprimé que celle‑ci leur fournissait. Le taux de rémunération ne dépendait pas du montant facturé aux clients de Loving Home Care. Bien que, dans l’avis d’appel qu’il a préparé, l’avocat de l’appelante ait prétendu que Loving Home Care ne rémunérait pas les travailleuses si ses clients ne la payaient pas, rien dans la preuve n’a donné à entendre une chose pareille.

 

[52]        Les travailleuses de Loving Home Care n’avaient pas droit à des congés payés ni à des congés maladie. Quand Mme Burt a été blessée au domicile d’un patient de Loving Home Care, cette dernière lui a offert deux jours de congé pour récupérer afin de l’encourager à ne pas présenter de demande auprès de la WCB. Mme Burt ne les a pas acceptés et a plutôt présenté une demande auprès de la WCB.

 

Conclusion

 

[53]        Compte tenu de l’étendue et de la portée limitées de la preuve, ainsi que de ses limites en termes d’utilité, comme il en a été question plus haut, l’appelante n’a pas été capable d’établir de manière suffisamment crédible que les travailleuses de Loving Home Care visées par les décisions étaient, selon la prépondérance des probabilités, dans une relation de travail qu’on pourrait qualifier, en droit, de relation de client à entrepreneures indépendantes, et non d’employeur à employées.

 

[54]        Compte tenu notamment de l’ampleur des droits dont Loving Home Care disposait en matière d’encadrement de l’exécution des tâches et de ses pratiques concrètes en matière de surveillance et d’exigence de faire rapport, et compte tenu des risques financiers très limités que les travailleuses assumaient, de l’absence de tout investissement financier effectué par celles‑ci et de la rémunération financière relativement fixe voulant que la seule manière d’obtenir plus de revenus était de travailler plus d’heures ou de jours, dans leur ensemble, ces faits et circonstances particuliers indiquent fortement que les travailleuses occupaient un emploi assurable au sens de la Loi et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime.

 

[55]        Les appels sont rejetés.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 6e jour de mars 2014.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d’avril 2014.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 71

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :        2013-2264(EI); 2013-2263(CPP)

 

INTITULÉ :                                      Loving Home Care Services Inc. c. Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 6 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Max Weder

 

Avocate de l’intimée :

Me Amandeep K. Sandhu

 

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle‑même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Max Weder

      

                   Cabinet :                        Davis LLP

                                                          2800 Park Place

                                                          666 Burrard Street

Vancouver (Colombie‑Britannique)  V6C 2Z7

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] R.C.S. 983; Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553.

 

[2] [2007] 1 R.C.F. 35, 2006.

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