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Dossiers : 2014-17(CPP)APP

2014-18(EI)APP

 

ENTRE :

 

breathe e-z homes ltd.,

requérante,

et

 

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Demande entendue le 6 mars 2014, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock

Avocat de la requérante :

MDale Barrett

Avocate de l’intimé :

MRoxanne Wong

___________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

APRÈS AVOIR ENTENDU le témoignage de vive voix du président de la requérante et de membres du personnel du cabinet de l’avocat de la requérante;

ET APRÈS AVOIR PRIS CONNAISSANCE des affidavits déposés par l’avocate de l’intimé et entendu l’argumentation des deux avocats;

LA COUR ORDONNE :

1.     la demande de prorogation du délai imparti pour déposer des avis d’opposition datée du 18 octobre 2013 et les motifs de l’opposition sont réputés avoir été déposés auprès de la Cour le 24 octobre 2013 en tant que demande de prorogation de délai pour déposer un avis d’appel;

2.     les motifs sur lesquels la demande de prorogation est fondée et qui sont précisés dans la lettre de l’avocat de la requérante datée du 18 octobre 2013 sont réputés avoir été modifiés par l’avis d’appel proposé déposé à la Cour le 3 janvier 2014 et inclure les motifs d’appel précisés dans celui‑ci;

3.     la demande de prorogation du délai pour déposer un avis d’appel est accueillie et l’avis d’appel susmentionné est réputé avoir été signifié et déposé, et constitue l’avis d’appel;

4.     conformément aux motifs de l’ordonnance ci‑joints, les parties peuvent présenter des observations écrites sur les dépens, le cas échéant, au plus tard le 31 mai 2014;

5.     l’intimé dispose de 60 jours suivant la délivrance de l’ordonnance de la Cour sur les dépens pour déposer une réponse à l’avis d’appel.

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 25jour d’avril 2014.

« R. S. Bocock »

Juge Bocock

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10jour de juin 2014.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 122

Date : 20140425

Dossiers : 2014-17(CPP)APP

2014-18(EI)APP

 

ENTRE :

breathe e-z homes ltd.,

requérante,

et

 

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

I.       La question en litige

[1]             Dans les deux demandes dont je suis saisi concernant la prorogation du délai imparti pour déposer des avis d’appel, il n’y a qu’une seule question de droit en litige : les tentatives infructueuses faites par l’avocat d’une partie pour déposer à temps un avis d’appel en bonne et due forme constituent‑elles une justification valable pour proroger un délai dont l’inobservation est par ailleurs fatale sur le plan juridique?

II.      Les faits

[2]             Le 13 juin 2013, la requérante a reçu, en réponse à des avis d’opposition antérieurement déposés, une lettre de décision de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») annonçant que certaines cotisations avaient été modifiées (la « décision »). Au cours du mois d’août de la même année, la requérante a retenu les services d’un avocat pour qu’il interjette appel à l’encontre de la décision, parce que la requérante ne souscrivait pas à l’argument selon lequel elle était un employeur tenu de verser des cotisations pour certains fournisseurs de services au titre du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, ch. C‑8 (le « RPC ») et de la Loi sur l’assurance‑emploi, LC 1996, ch. 23 (la « LAE »). Après avoir reçu un avis d’arriérés et après avoir promptement téléphoné à l’ARC à la fin du mois d’août, le président de la requérante a envoyé un courriel daté du 3 septembre 2013 à des avocats du cabinet qu’il avait engagé pour leur rappeler le [traduction] « délai pour interjeter un appel ». Le président a précisé que la date limite était le 13 septembre 2013 (en réalité, c’était le 11 septembre). L’avocat n’a pas déposé d’avis d’appel dans les 90 jours suivant la décision comme le prescrivent le paragraphe 28(1) du RPC et le paragraphe 103(1) de la LAE. L’avocat a plutôt écrit à l’ARC, le 18 octobre 2013, pour demander une prorogation discrétionnaire du délai pour déposer un avis d’opposition aux nouvelles cotisations. Un employé de l’ARC s’étant rendu compte du fait que l’avocat avait signifié un avis d’opposition à l’ARC, mais qu’il n’avait pas déposé d’avis d’appel à la Cour, a téléphoné au cabinet d’avocats le 30 octobre 2013. L’employé a laissé un message à la réceptionniste de l’avocat de la requérante, dans lequel il expliquait d’une manière générale qu’une opposition avait été déposée, que la décision avait été rendue et qu’il fallait maintenant déposer un avis d’appel. La réceptionniste a consigné le message téléphonique au dossier, mais n’a pas par ailleurs informé d’autres membres du personnel ou des avocats du cabinet de l’appel téléphonique. Aucun avis d’appel n’a été déposé avant le 10 décembre 2013, soit la date d’expiration du deuxième délai discrétionnaire de 90 jours suivant la décision. Finalement, à la fin décembre 2013, des membres du personnel des services juridiques du cabinet ont relevé l’erreur et, le 3 janvier 2014, ils ont déposé la demande de prorogation de délai ainsi qu’un avis d’appel proposé auprès de la Cour.

[3]             La requérante n’était pas au courant des omissions de son avocat jusqu’à deux ou trois semaines avant l’audition de la présente demande. La requérante n’a pas examiné les documents déposés pour son compte. Au cours de son témoignage, le président de la requérante se rappelait d’une manière générale qu’il avait [traduction] « interjeté appel ».

[4]             En bref, les erreurs suivantes ont été commises par l’avocat de la requérante :

a)       il n’a pas remarqué que la lettre de ratification du ministre datée du 13 juin 2013 était une réponse à un avis d’opposition déposé auparavant;

b)      il n’a pas respecté le délai « de droit » du 11 septembre 2014 pour déposer un avis d’appel (ou même, d’ailleurs, un avis d’opposition);

c)       il a par erreur déposé une demande de prorogation de délai pour déposer un avis d’opposition à l’ARC, reçue le 24 octobre 2013, au lieu de déposer une demande de prorogation de délai pour interjeter appel et un avis d’appel à la Cour;

d)      il a omis de tenir compte de l’appel téléphonique gracieusement fait au cabinet d’avocats par un employé de l’ARC le 30 octobre 2013;

e)       il n’a pas respecté le délai du 10 décembre 2013 concernant la « prorogation discrétionnaire »;

f)       il n’a pas avisé la requérante des diverses mesures prises et documents déposés et, malheureusement, des diverses omissions qu’il y a eu au cours du processus et qui, s’il l’en avait avisée, auraient pu amener la requérante à faire d’autres avertissements.

[5]             Selon la Loi, l’appelant dispose « de droit » d’un délai de 90 jours suivant la décision pour déposer un avis d’appel et, si l’appelant ne respecte pas le délai imparti, d’un autre délai de 90 jours dans lequel il peut présenter une demande en vertu de la LAE et du RPC qui, tous les deux, incorporent par renvoi la disposition applicable suivante de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») :

b) le contribuable démontre ce qui suit :

(i) dans le délai par ailleurs imparti pour interjeter appel, il n’a pu ni agir ni charger quelqu’un d’agir en son nom, ou il avait véritablement l’intention d’interjeter appel,

(ii) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii) la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient,

(iv) l’appel est raisonnablement fondé.

[6]             L’unique différence, mais très importante, entre le paragraphe 167(5) de la Loi et les paragraphes 28(1) du RPC et 103(1) de la LAE, c’est le délai de 90 jours prévu par ces deux dernières dispositions qui est beaucoup plus court que le délai d’un an énoncé à l’alinéa 169(5)a) de la Loi par la présentation d’une demande de prorogation.

III.    Les observations

          a)      L’avocat de la requérante

[7]             Les observations de l’avocat de la requérante en ce qui concerne la prorogation du délai imparti pour déposer un avis d’appel peuvent être résumées de la manière suivante :

a)                 la requérante avait une intention véritable, manifeste et constante d’interjeter appel, prouvée par le fait qu’elle a retenu les services d’un avocat, qu’elle a donné des instructions pour poursuivre l’affaire et qu’elle a envoyé d’autres instructions par un courriel daté du 3 septembre 2013;

b)                l’avis d’appel de la requérante a été déposé le 3 janvier 2014, soit la première occasion où les circonstances le permettaient, parce que cette date représentait la première occasion après que le personnel juridique au bureau de l’avocat de la requérante a découvert qu’il avait par erreur signifié à l’ARC l’avis d’opposition superflu daté du 18 octobre 2013;

c)                 l’avis d’opposition de la requérante déposé en octobre comprenait aussi une demande de prorogation de délai de dépôt (malgré le fait que la demande visait un avis d’opposition);

d)                la requérante elle‑même croyait qu’elle attendait simplement d’obtenir une date d’audience, comme le prouve le témoignage du président de la requérante selon lequel il n’a appris les erreurs de l’avocat qu’environ deux semaines avant l’audition de la demande.

[8]             L’avocat de la requérante soutient que celle‑ci était raisonnablement sous la fausse impression que tout avait été fait pour protéger ses droits d’appel : décision Seater v. Her Majesty the Queen, 1 C.T.C. 2204. Lorsque l’erreur a été découverte à la fin décembre, elle a été corrigée avec diligence : Big Bad Voodoo Daddy v. Her Majesty the Queen, 2010 TCC 12. Enfin, aucun préjudice n’a été causé à l’intimé.

[9]             En résumé, l’avocat de la requérante affirme que les mesures prises par la requérante, de manière diligente, proactive et raisonnable par ailleurs, ont suspendu le délai de prescription de 90 jours à partir du 18 octobre 2013 jusqu’à ce que la requérante ait effectivement eu connaissance des erreurs. La connaissance des faits qu’avait l’avocat de la requérante n’était pas en soi suffisante si l’information n’était pas communiquée à la requérante et, par conséquent, le dépôt du 3 janvier 2013 a été fait dans le délai « prolongé » de 90 jours prévu par la loi.

b)      L’avocate de l’intimé

[10]        L’avocate de l’intimé soutient que la requérante n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour interjeter appel, qu’elle n’a pas suffisamment examiné les documents pour qu’elle puisse raisonnablement se fier aux mesures inefficaces prises et qu’elle n’a pas saisi, en tant que requérante, la différence entre une opposition et un appel. En bref, la requérante a fait preuve d’insouciance, ce qui, objectivement, n’était pas justifié au vu des faits : l’avocat ne donnait pas de nouvelles, la requérante ne faisait pas de suivi par courriel pour rappeler à ses avocats qu’il faut agir, et le temps a passé sans que le client envoie de rappels devant l’inaction des avocats.

[11]        En outre, l’intimé affirme que, même si l’on accepte l’argument selon lequel la requérante s’est fiée à des professionnels, la croyance erronée de la requérante est devenue déraisonnable une fois que l’appel téléphonique a été gracieusement fait par l’ARC au bureau de l’avocat de la requérante (Hickerty c. La Reine, 2007 CCI 482). L’avertissement de l’ARC a permis de déceler l’erreur qui avait été commise et qui aurait dû être corrigée : décisions Chu c. La Reine, 2009 CCI 444 et Castle v. Her Majesty the Queen, 2008 D.T.C. 2821. Lorsque l’appel téléphonique a mis fin à la croyance erronée de l’avocat, la période de sursis alléguée pendant laquelle le délai de 90 jours avait cessé de courir s’est achevée, le délai de prescription a été rétabli et le nouveau délai a été prorogé pour une période d’au plus 12 jours. Même si on tenait compte de ce bref sursis, la nouvelle date limite pour déposer la demande de prorogation de délai aurait été le 22 décembre 2013. Néanmoins, cette date avait été aussi dépassée.

IV.    L’analyse et la décision

[12]        Dans ses observations finales, l’intimé ne contestait plus l’intention véritable de la requérante d’interjeter appel. En outre, la Cour a conclu que, mise à part la question principale relative au délai de prescription, la requérante a par ailleurs satisfait aux autres exigences énoncées aux sous‑alinéas 167(5)b)(ii), (iii) et (iv) de la Loi.

[13]        Quant à l’intention véritable, la requérante a clairement manifesté dès le début son souhait d’interjeter appel. Dans le premier cas, le comptable de la requérante a déposé l’avis d’opposition, qui a fait l’objet d’une décision par laquelle le ministre a partiellement rejeté l’opposition. À la suite de ce rejet, la prochaine étape devait être celle de l’appel (celui‑là même que les avocats engagés par la requérante ont mal géré). Dans le premier délai « de droit » de 90 jours suivant la décision, la requérante a retenu les services d’un cabinet d’avocats, a signé un formulaire de consentement dans lequel il a désigné l’avocat qui devait le représenter, a communiqué avec l’ARC dans le même délai et a confirmé par écrit ses instructions à l’avocat concernant [traduction] « notre date limite pour interjeter appel ».

[14]        En ce qui concerne la question du dépôt de l’appel aussitôt que les circonstances le permettaient, il faut dire qu’en réalité, ce n’est que très récemment que la requérante a été mise au courant du fait qu’un appel n’avait pas été interjeté avant la date limite. En outre, l’avocat de la requérante a bel et bien interjeté l’appel dès qu’un examen du dossier a révélé que seule une opposition avait été signifiée et qu’un appel n’avait pas été interjeté. La date en question était le 3 janvier 2014. Par nécessité, la question concernant l’appel téléphonique du 30 octobre 2013 sera analysée plus loin relativement aux conséquences que l’appel téléphonique en question a eues sur le caractère raisonnable de la croyance erronée selon laquelle un appel avait été interjeté.

[15]        Mise à part la question de la prescription, il semblerait, à première vue, que l’appel est fondé et, à tout le moins, l’intimé n’a pas prétendu le contraire.

[16]        Enfin, et toujours sous réserve de la question du délai de prescription et de ses répercussions sur la compétence, la Cour conclut qu’il serait par ailleurs juste et équitable d’accorder l’ordonnance de prorogation de délai. Cette conclusion est appuyée par les faits qui établissent l’existence d’une intention véritable et par les éléments suivants :

a)     la requérante a reconnu son manque d’expertise dans le domaine et a retenu les services de comptables et ensuite d’avocats fiscalistes afin qu’ils s’occupent du processus d’appel;

b)    la requérante a, lorsqu’elle agissait sans l’aide de professionnels, présenté des documents, répondu à des appels et demandé l’aide de l’ARC lorsque des avis de cotisation, des relevés d’arriérés et d’autres documents lui ont été signifiés;

c)     la requérante a exercé ses recours de manière diligente, sans aucune erreur ou aucune omission de sa part, ce qui se distingue des erreurs et omissions qui lui sont indirectement imputables par l’entremise de son avocat fiscaliste;

d)    la requérante a été assurée par l’avocat que tout était sous contrôle, alors qu’il n’en était rien et, au contraire, elle n’a simplement reçu aucun rapport de l’avocat sur les mesures procédurales prises relativement à l’appel.

[17]        Toutefois, à moins que la Cour ne conclue que la requérante a interjeté l’appel d’une manière constructive et efficace dans le délai prescrit de 180 jours suivant la décision, la Cour n’a pas compétence pour rendre une ordonnance en vertu des paragraphes 28(1) et 103(1) du RPC et de la LAE, respectivement.

[18]        De manière générale, la jurisprudence peut être divisée en plusieurs catégories : les délais sont dépassés sans raison, même pour quelques jours, les mesures concrètes prises par le contribuable pour interjeter appel ou pour former opposition sont incomplètes ou incorrectes, ou des conseillers professionnels gèrent mal des oppositions ou des appels;

[19]        Les affaires qui portent sur le dépassement du délai de quelques jours, en l’absence de toute tentative concrète, mais vaine, pour interjeter appel font l’objet d’une jurisprudence définitive et bien établie. En l’absence de toute indication d’une mesure concrète, quelque futile qu’elle soit, l’existence d’une demande ne peut pas être présumée, sous-entendue ou établie. Cela vaut également lorsque l’avis de nouvelle cotisation n’a pas été reçu pour cause de défaillance du système postal (Canada c. Carlson, 2002 CAF 145), au point où le fait de dépasser d’un seul jour le délai prévu par la loi ne permet pas à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai de prescription (Edgelow c. La Reine, 2011 CCI 255), parce que la Cour n’a pas compétence pour le faire compte tenu du libellé impératif du paragraphe 167(5) de la Loi : arrêt Carlson, précité. Si c’est un conseiller professionnel qui ne prend aucune mesure concrète pour démontrer l’existence d’une intention de former opposition ou d’interjeter appel dans le délai prévu par la loi, le requérant n’aura pas non plus gain de cause : décision Chu c. La Reine, 2009 CCI 444, aux paragraphes 19 et 20.

[20]        En revanche, lorsqu’un contribuable a pris des mesures raisonnables, même erronées, pour déposer un avis d’opposition ou un appel sous une certaine forme et auprès d’une instance logiquement appropriée, la Cour est disposée à conclure que de telles mesures constituent une interruption qui gèle le décompte du délai au cours de la période pendant laquelle un contribuable croyait d’une façon erronée, mais raisonnable, qu’un appel avait été interjeté (Hickerty, précité, au paragraphe 12).

[21]        Des documents qui ne répondent pas aux exigences procédurales précises ou qui sont par ailleurs envoyés à la mauvaise partie, à condition que ceux‑ci soient envoyés dans le délai requis à une partie concernée et qui prend part à la procédure, constituent des mesures qui obligent la Cour à analyser les dispositions restrictives de ses règles pour décider si une demande ou un appel ont peut‑être été validement reçus au moyen de la mesure incomplète : Cheam Tours Ltd. Op Airport Link Shuttle c. M.R.N., 2008 CCI 18, aux paragraphes 14, 15 et 18. La Cour peut être disposée à interpréter les mesures prises par le contribuable comme étant raisonnablement suffisantes pour constituer pratiquement une demande de prorogation du délai pour interjeter appel. Si des documents du requérant ont inexplicablement été mal rangés ou envoyés à la mauvaise adresse, le requérant doit se voir accorder le bénéfice du doute afin que son appel soit entendu sur le fond : Miniotas v. Her Majesty the Queen, 2011 TCC 43, aux paragraphes 28 et 48. Lorsque le contribuable dépose par erreur une lettre à l’ARC au lieu de la déposer à la Cour, la lettre peut, si elle a été déposée dans le délai requis, être réputée constituer un avis d’appel déposé auprès de la Cour en vertu du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 27(3) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance‑emploi : décision Pham c. M.N.R., 2009 CCI 235, au paragraphe 10.

[22]        Toutefois, lorsqu’il existe une certaine conduite douteuse, une certaine intention non évidente ou certains faits équivoques attribuables au contribuable, la Cour s’abstiendra de l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire précis qui doit découler de l’intention, de la bonne foi et de la diligence raisonnable manifestement apparentes du contribuable. Par exemple, lorsqu’un contribuable fait preuve d’un comportement évasif et peu coopératif, d’une connaissance et d’une expérience importantes, d’une insouciance générale et d’un manque de diligence quand il apprend l’existence de quelque lacune que ce soit, cela détruira les fondements d’une croyance erronée, mais raisonnable, selon laquelle un appel a été interjeté : Gidda c. La Reine, 2013 CCI 190, ou aux paragraphes 13 à 16.

[23]        De même, le fait d’être inattentif ou de refuser de s’occuper de ses affaires pendant une période déraisonnable aura les mêmes conséquences, peu importe que les documents déposés soient incomplets ou inadéquats : Castle v. R, 2008 DTC 2821, au paragraphe 37.

[24]        Les appels mal gérés par des conseillers professionnels sont, par expérience, les plus difficiles à trancher pour la Cour, et constituent incontestablement les situations les plus frustrantes que les clients doivent supporter. Lorsque les contribuables se retrouvent aux prises avec un litige compliqué, lourd en procédures et dans lequel le facteur temps est important, ils recourent aux services de conseillers professionnels. Les contribuables engagent souvent des comptables, des conseillers financiers ou des amis pour qu’ils les représentent dans des affaires instruites sous le régime de la procédure informelle ou dans des appels relatifs au RPC ou à l’assurance‑emploi. En l’espèce, la requérante a retenu les services d’un cabinet d’avocats connu qui se présente comme spécialisé en droit fiscal, mais qui, malheureusement, n’offre aucun service sensiblement amélioré, de telle sorte que la requérante s’en serait peut‑être mieux tirée si elle s’était représentée elle‑même. Certaines décisions de jurisprudence sont utiles pour les contribuables, à condition que ceux‑ci agissent de bonne foi, possèdent une faible connaissance du domaine ou du sujet pertinent et qu’une telle délégation de droits au conseiller professionnel ait manifestement été raisonnable et justifiable dans les circonstances : décision Seater v. Her Majesty the Queen, [1997] 1 CTC 2204 au paragraphe 10. De même, lorsqu’un conseiller professionnel confirme de manière erronée ou malencontreuse qu’il a agi correctement et qu’il prend immédiatement des mesures pour combler la lacune dès qu’il en est au courant, la Cour conclura que le conseiller professionnel a fait preuve d’une certaine diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits : décision Gorenko v. Her Majesty the Queen, 2002 DTC 2025, aux paragraphes 19 et 20. En outre, lorsqu’un contribuable a délégué au conseiller professionnel la responsabilité de s’occuper de nouvelles cotisations et qu’il n’existe pas de circonstances qui auraient pu permettre au contribuable de savoir plus qu’il ne savait en raison du fait que l’ARC a réorienté vers le conseiller professionnel la correspondance et les échanges qu’elle entretenait avec le contribuable, il est alors inéquitable à l’égard de ce dernier que l’appel ne soit pas tranché quant au fond : décision Big Bad Voodoo Daddy v. Her Majesty the Queen, 2010 TCC 12, au paragraphe 10, qui cite en l’approuvant au paragraphe 11, la décision Gorenko, précitée.

[25]        Les faits particuliers suivants, compte tenu de la jurisprudence susmentionnée permettront à la présente requérante de se faire entendre devant la Cour sur le fond de son appel :

a)     à toutes les étapes du processus, le contribuable, agissant sans direction ni aide défaillantes, a raisonnablement fait ce qu’il pouvait pour s’opposer aux nouvelles cotisations et pour en appeler de celles‑ci : donner des instructions à ses comptables, retenir les services d’avocats fiscalistes, signer les consentements appropriés, confirmer tous les conseils reçus de l’ARC et prendre toutes les mesures énoncées dans le délai d’appel « de droit » de 90 jours suivant la décision;

b)    pour retenir les services de conseillers professionnels, au lieu de demander à l’un de ses administrateurs ou dirigeants, la requérante a choisi un cabinet d’avocats qui se présentait comme spécialisé dans les affaires fiscales;

c)     le contribuable n’a jamais fait preuve d’obstruction à l’égard de l’ARC ni négligent lorsqu’il fallait donner des instructions aux avocats; il a toujours été franc devant la Cour;

d)    la requérante a fait preuve de diligence pour répondre aux demandes des avocats;

e)     lorsque la requérante entretenait de manière raisonnable la croyance erronée selon laquelle les choses suivaient leur cours normal, elle a attendu sa date d’audience pendant un temps raisonnablement court;

f)      si on la compare à certains contribuables qui se présentent à la Cour, la requérante était diligente et tenait compte des délais et des échéanciers dont elle était informée;

[26]        Il n’y a pas grand‑chose d’autre que le contribuable pouvait raisonnablement faire compte tenu de la période relativement courte entre l’instruction et la date d’audition de la présente demande ainsi que de la pratique malheureusement trop courante d’un avocat peu communicatif.

[27]        On ne peut pas en dire autant de l’avocat de la requérante. La liste des omissions est longue, compte tenu de la courte période pour laquelle ses services ont été retenus, même si l’avocat a réussi à déposer dans l’entretemps un avis d’opposition et à demander une prorogation de délai, certes dans le mauvais format et devant une instance inappropriée. Bien que cela ne soit pas tout à fait clair, l’erreur semble découler d’une erreur de fait concernant la question de savoir si un avis d’opposition antérieur avait été déposé. En outre, les omissions ne changent en rien le fait que des mesures concrètes inappropriées ont été prises au cours du délai de 180 jours suivant la décision. Par ailleurs, l’appel téléphonique de l’ARC du 30 octobre 2013 consistait tout simplement en un message téléphonique qui, à cause de l’inadvertance du personnel de bureau, n’a pas été communiqué à quelqu’un qui aurait pu comprendre son importance. Jusqu’au 30 décembre 2013, la requérante et (de manière peu convaincante) l’avocat avaient la croyance raisonnable, mais erronée, que ce qui devait être fait avait été fait. Lorsque l’avocat s’est rendu compte du contraire, il a réagi très rapidement pour déposer la demande de prorogation et l’avis d’appel adéquats auprès de l’instance appropriée, à savoir la Cour.

[28]        Les faits de la présente demande créent une situation inhabituelle. Une supposition incorrecte faite par un conseiller professionnel et un retard inexplicable de celui‑ci ont mené à une erreur de fait : le dépôt du deuxième avis d’opposition redondant assorti d’une demande de prorogation de délai. Le mauvais classement du message téléphonique qui révélait l’erreur a empêché la découverte de celle‑ci. Le fait que l’avocat n’ait pas communiqué les mesures qu’il avait prises tout au long de la procédure (le non-respect du délai « de droit » de 90 jours et le dépôt de l’avis d’opposition erroné) a empêché la requérante de s’acquitter de l’obligation possible, mais intervertie, de déceler les erreurs de l’avocat. Ces erreurs de jugement occasionnellement interdépendantes, dont aucune n’a été commise par le contribuable, ont toutes, sur le plan de la procédure, dépouillé la requérante – qui, par ailleurs, est proactive, fait preuve de collaboration et a raisonnablement été sous l’influence d’une croyance erronée – de la possibilité qu’elle aurait eue de faire valoir ses droits d’appel et de bénéficier des dispositions réparatrices afin d’obtenir le redressement demandé si elle avait été initialement informée des erreurs et du retard.

[29]        Par conséquent, compte tenu de l’appel incomplet que constituaient l’avis d’opposition superflu et la demande de prorogation de délai nécessaire datés du 18 octobre 2013, la Cour considérera que la demande de prorogation de délai et l’avis d’opposition (déposé auprès de l’ARC) ont été reçus par la Cour le 24 octobre 2013 en tant qu’avis d’appel, maintenant modifié par les motifs d’appel figurant dans l’avis d’appel proposé reçu avec la présente demande. La Cour en a décidé ainsi parce que les mesures erronées prises étaient tout de même des mesures prises. Ces mesures, certes incomplètes, justifient que la Cour exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par les articles 5.2 du RPC et 27 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance‑emploi, afin de corriger les erreurs commises dans une situation aussi particulière.

[30]        Des dépens devraient être accordés, mais la Cour est consciente du fait que la présente demande porte sur des affaires relatives au RPC et à la LAE dans lesquelles elle n’a pas le pouvoir d’adjuger des dépens selon l’issue de l’appel. En outre, la requérante semble avoir été victime des erreurs d’un avocat et de circonstances malheureuses. Toutefois, compte tenu du nombre d’erreurs et d’omissions faites, les dépens devraient être adjugés personnellement contre l’avocat de la requérante pour un montant fixe. La Cour peut décider ainsi en vertu de la compétence inhérente dont elle jouit en tant que cour supérieure d’archives pour régir ses propres procédures. Une telle adjudication des dépens tient compte du retard procédural, mais n’est pas axée sur l’issue de l’affaire. La Cour accordera un certain temps à l’avocat pour qu’il puisse présenter ses observations et elle rendra ensuite une décision dans laquelle les dépens, payables personnellement par l’avocat de la requérante, seront adjugés en faveur de l’intimé. En outre, l’intimé aura 60 jours suivant la date de l’ordonnance sur les dépens pour déposer une réponse. Comme je l’ai déjà mentionné, la présente demande est inhabituelle quant aux faits. Dans l’intérêt de contribuables qui retiennent les services d’avocats fiscalistes et qui leur paient des sommes considérables pour qu’ils poursuivent des appels, il faut espérer que la demande demeure inhabituelle.

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 25jour d’avril 2014.

« R. S. Bocock »

Juge Bocock

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10jour de juin 2014.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 122

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :        2014-17(CPP)APP

                                                          2014-18(EI)APP

 

INTITULÉ :                                      BREATHE E-Z HOMES LTD. c.

                                                          LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Randall S. Bocock

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 25 avril 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de la requérante :

 

Me Dale Barrett

 

Avocate de l’intimé :

MRoxanne Wong

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour la requérante :

      

Nom :                                  Dale Barrett

 

Cabinet :                              Barrett Tax Law

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)

 

 

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