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Dossier : 2012-1998(IT)I

ENTRE :

VICTORIA DAIMSIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus les 9 et 10 décembre 2013, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Anthony Daimsis

Avocate de l’intimée :

Me Stéphanie Côté

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels interjetés à l’égard des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») à l’égard des années d’imposition 2003 et 2004 sont accueillis et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu des faits suivants :

 

a)       L’appelante vivait avec M. Garfield et ils étaient conjoints de fait.

 

b)      M. Garfield payait tous les frais de subsistance de l’appelante.

 

c)       L’appelante ne gagnait pas d’autre revenu que celui qu’elle a déclaré.

 

d)      On ne m’a présenté aucun argument au sujet des pénalités pour production tardive dont il est question au paragraphe 162(1) de la Loi, et, par conséquent, je ne me prononce pas à l’égard de ces pénalités.

 

Signé à Kingston (Ontario), ce 28e jour d’avril 2014.

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mai 2014.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 118

Date : 20140428

Dossier : 2012-1998(IT)I

ENTRE :

VICTORIA DAIMSIS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge suppléant Masse

[1]             Les présents appels ont été interjetés à l’égard des avis de nouvelle cotisation établis à l’endroit de l’appelante pour les années d’imposition 2003 et 2004.

 

[2]             L’appelante a produit des déclarations de revenus pour les années d’imposition en cause, dans lesquelles elle a déclaré les revenus suivants :

4 600 $ pour l’année d’imposition 2003;

24 410 $ pour l’année d’imposition 2004.

 

[3]             Dans un premier temps, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a accepté les déclarations de revenus de l’appelante telles qu’elle les avait produites et a établi un avis aux termes duquel aucun impôt n’était dû pour l’année d’imposition 2003. Le 1er novembre 2007, après avoir reçu des renseignements de Revenu Québec, le ministre a établi un avis de cotisation pour l’année d’imposition 2003 et un avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2004.  En conséquence, les revenus de l’appelante ont été rajustés de la manière suivante :

Année d’imposition     Déclaré     Ajouté          Revenu rajusté

2003                              4 600 $               24 412 $                29 012 $

          2004                             24 410 $      16 034 $              40 444 $

 

[4]             Le 24 janvier 2008, l’appelant a signifié des avis d’opposition à l’égard des avis de cotisation et de nouvelle cotisation. Le 2 février 2012, les cotisations ont été modifiées de manière à accorder une réduction de 4 568 $ pour l’année d’imposition 2003, et de 1 583 $ pour l’année d’imposition 2004, mais les avis de cotisation et de nouvelle cotisation ont par ailleurs été ratifiés. C’est ce qui explique que la Cour ait été saisie des présents appels.

 

Le contexte factuel

 

[5]             L’appelante travaille actuellement comme agente de recouvrement. Pendant la période en cause, elle était fiancée. En fait, elle a affirmé que, à l’époque, son fiancé et elle cohabitaient. Elle a prétendu que, pendant la majeure partie de cette période, elle ne travaillait pas, et que c’est ce qui explique qu’elle n’ait déclaré que très peu de revenus. Elle a déclaré tous les revenus qu’elle a gagnés. Son fiancé voulait qu’elle reste à la maison et il souhaitait être le pourvoyeur; d’après elle, il ne voulait pas qu’elle travaille. Elle a affirmé que son fiancé payait la totalité de ses frais de subsistance; il allait l’épouser et subvenir à tous ses besoins. Il gagnait un bon revenu et il pouvait largement se permettre de la prendre à sa charge. Elle ne savait pas vraiment ce qu’il faisait dans la vie; elle a déclaré qu’il était propriétaire d’une entreprise et qu’il avait une société de cyberpublicité ou qu’il travaillait dans le domaine du télémarketing.

 

[6]             Elle a déclaré qu’il voulait qu’elle mène une vie agréable. En plus du loyer, il  payait des sorties, l’épicerie, l’électricité, Vidéotron, les vêtements de l’appelante, ses paiements de voiture, tout ce dont elle avait besoin. Ils allaient souvent manger dans des restaurants de qualité et il l’emmenait souvent prendre de courtes vacances. Il payait toujours en argent comptant et elle ne pensait même pas qu’il possédait une carte de crédit. Ici et là, il lui laissait de l’argent sur le dessus de la télévision afin qu’elle puisse régler ses dépenses accessoires. Elle n’a jamais manqué de quoi que ce soit. Quand ils avaient besoin de meubles, elle se servait de sa carte Sears et son fiancé payait toujours la facture ou la remboursait.

 

[7]             Malheureusement, la relation a mal tourné, et, à la fin de 2004, l’appelante et son conjoint ont rompu leurs fiançailles. Cependant, ce dernier l’aidait toujours. L’appelante a déclaré qu’elle était retournée travailler en 2005, mais il est évident qu’elle gagnait certains revenus d’emploi, qu’elle a déclarés pour 2004 (voir la pièce R-5). Elle travaille depuis.

 

[8]             L’appelante a fait l’objet d’une vérification au hasard, qui a amené le ministre à prétendre que l’appelante a gagné des revenus bien supérieurs à ceux qu’elle a déclarés. L’appelante a affirmé qu’elle avait fourni au ministre des relevés de carte de crédit et qu’elle avait informé celui‑ci du fait que son compte bancaire était à découvert. Elle a dit aux autorités qu’elle avait un fiancé qui payait tous ses frais de subsistance. Les autorités ont voulu connaître l’identité de celui‑ci. L’appelante s’est opposée à leur fournir ce renseignement et n’a pas voulu donner de nom. Cela appartenait à leur vie privée, tant à la sienne qu’à celle de son fiancé, et elle voulait que ce renseignement demeure privé. En outre, son fiancé se refusait à lui donner l’autorisation de dire aux autorités qui il était. Il lui disait toujours de ne pas révéler son nom et elle respectait son souhait. Si elle avait fourni son nom, cela aurait nui à leur relation, qu’elle espérer pouvoir sauver.

 

[9]             L’appelante est à présent disposée à fournir les coordonnées de son ex‑fiancé, mais elle hésitait encore à le faire lorsqu’elle se trouvait à la barre des témoins. Il était clair qu’elle aurait encore préféré ne pas les fournir. Il est difficile de ne pas en conclure qu’elle est toujours très attachée à son ex‑fiancé, bien qu’il se soit marié et ait eu un enfant depuis.

 

[10]        Lors du contre‑interrogatoire, elle a déclaré qu’elle avait commencé à vivre avec son fiancé en 2003, au 283, rue Hurteau, à Dollard-des-Ormeaux. Son fiancé et elle ont vécu en union de fait pendant environ un an, mais quand leur relation a pris fin, ils ont continué d’habiter sous le même toit et le fiancé de l’appelante a continué de payer les dépenses de cette dernière. Il lui a donné de l’argent tout au long de l’année 2004, mais pas en 2005. L’appelante ne peut pas dire à quel moment en 2004 il a cessé de payer ses dépenses, mais elle estime qu’il se peut qu’il ait continué de l’appuyer financièrement pendant environ six mois. Elle a quitté le logement en 2007.

 

[11]        Darrell Garfield est l’ex‑fiancé de l’appelante. Il s’est montré réticent et très peu communicatif. En fait, il a dû être arrêté en vertu d’un mandat que j’ai lancé parce qu’il ne s’était pas conformé à une assignation à témoigner. Dans son témoignage, M. Garfield a admis que l’appelante et lui avaient vécu ensemble pendant quelque temps il y a environ 10 ans. C’était dans l’ouest de l’île, sur Hurteau croyait-il. Il ne se souvient pas des dates exactes. Ils devaient se marier et il avait acheté une bague, mais leur relation n’a pas marché. Il a déclaré qu’il ne se rappelait pas si l’appelante travaillait pendant qu’ils vivaient ensemble. Toutefois, il a affirmé clairement qu’il payait la majorité des factures, y compris le loyer et l’épicerie. Il a déclaré qu’il travaillait à l’époque. Il a ajouté qu’elle avait continué de vivre à la même adresse même quand il n’y était plus. Il ne payait pas les factures quand il n’y habitait pas vu qu’il parce qu’il croyait qu’elle travaillait à l’époque. Ils ont bien acheté des meubles et il a admis qu’il était possible qu’il lui ait donné de l’argent. Contrairement à ce que l’appelante a déclaré, il ne pense pas qu’il l’ait aidée à effectuer ses paiements de voiture. Il payait les frais de subsistance. Leur relation a connu une fin abrupte; M. Garfield a déclaré que l’appelante l’avait jeté dehors avec le chien.

 

[12]        Odette Mathieu est une employée de Revenu Québec. Elle a mené une vérification à l’égard de l’appelante parce qu’il y avait une différence significative entre les dépenses et les revenus déclarés de celle‑ci, différence qui amenait à conclure que l’appelante ne déclarait pas la totalité de ses revenus. Mme Mathieu est entrée en contact avec l’appelante pour la première fois le 19 août 2005, quand elle a envoyé à cette dernière un questionnaire à remplir. Ce questionnaire visait à vérifier quels étaient les revenus non imposables de l’appelante. Celle‑ci a renvoyé le questionnaire dûment rempli, mais celui-ci n’est pas disponible aujourd’hui parce qu’il a été détruit. Mme Mathieu a envoyé une demande de renseignements  supplémentaires à l’appelante le 7 septembre 2005 (pièce R-7). Elle souhaitait des renseignements à l’égard des éléments suivants :

 

a)                 un contrat de location pour une Pontiac Sunfire 1999 pour la période allant du 1er janvier 2002 au 31 avril 2002;

b)                une Mazda MX 2002 pour la période allant du 28 mars au 31 décembre 2002;

c)                 les détails d’une entente de prêt conclue avec City Financial faisant état des sommes empruntées et des paiements effectués;

d)                tous les relevés bancaires pour la période de deux ans en cause;

e)                 un état des dépenses personnelles.

 

[13]        Le 19 septembre 2005, l’appelante a fourni des documents relatifs aux deux véhicules, le contrat de location et l’état des dépenses personnelles (voir les pièces R-8, R-9 et R-10). Toutefois, les renseignements n’étaient pas complets. Dans son état des dépenses personnelles, l’appelante a déclaré qu’elle avait été en couple avec M. Garfield depuis 1999 et qu’il l’avait aidée à régler ses dépenses personnelles. Ces renseignements additionnels ont certainement donné lieu à plus de questions que de réponses. L’appelante n’a produit aucun relevé bancaire.

 

[14]        À ce stade, il est devenu difficile de contacter l’appelante ou d’obtenir davantage de renseignements de sa part. Mme Mathieu voulait obtenir les coordonnées de M. Garfield; on ne les lui a pas données. Le 17 novembre 2005, l’appelante a envoyé des relevés bancaires à Mme Mathieu par télécopieur, mais il s’agissait de relevés qui ne faisaient état que des soldes de fin d’année pour les deux années faisant l’objet de la vérification, et non de tous les relevés mensuels (voir la pièce R-11). Toutefois, pour être juste envers l’appelante, il faut reconnaître que la lettre de demande datée du 7 septembre 2005 (pièce R-7) était ambiguë, vu qu’on lui demandait [traduction] « vos relevés bancaires faisant état du solde de vos comptes bancaires personnels au 31 décembre 2001, 2002, 2003 et 2004 ». Il convient de souligner que le numéro de compte apparaissant sur ces relevés bancaires avait été caviardé. L’appelante s’est montrée réticente à fournir des renseignements additionnels et elle ne voulait notamment pas fournir les coordonnées de M. Garfield. Ce n’est qu’en mars 2007 qu’elle a fourni une copie de la première page du bail de location d’un an commençant le 1er avril 2003, relatif au 283, rue Hurteau. Le nom et l’adresse de M. Garfield y avaient été caviardés, et seul son prénom, « Darrell », apparaissait.

 

[15]        Mme Mathieu ne disposait que de renseignements limités. Toutefois, elle a expliqué que, sur le fondement de renseignements qu’elle avait à sa disposition, elle s’était servie de la méthode de l’analyse des flux de trésorerie pour calculer les revenus dont l’appelante avait besoin pour conserver son style de vie pendant les années en cause, en tant que célibataire. Tous les renseignements dont Mme Mathieu s’est servie dans son analyse venaient de l’appelante, des renseignements au dossier ou de Statistique Canada, y compris le fait que l’appelante avait toujours déclaré qu’elle était célibataire dans ses déclarations. Il est fait état des calculs de Mme Mathieu dans la pièce R-13.

 

[16]        Le 14 décembre 2005, Mme Mathieu a envoyé une lettre à l’appelante pour l’informer des résultats de son analyse ainsi que de la teneur de la cotisation proposée (pièce R-12). Dans cette lettre, Mme Mathieu invitait l’appelante à lui fournir tout renseignement additionnel susceptible de modifier la cotisation. Aucun renseignement ne lui a été fourni, et des avis formels, de cotisation pour l’année d’imposition 2003 et de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2004, ont été établis le 1er novembre 2007, avis par lesquels les revenus de l’appelante étaient augmentés de 24 412 $ et de 16 034 $ pour 2003 et 2004 respectivement, et par lesquels les montants ainsi obtenus faisaient aussi l’objet des pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

La thèse de l’appelante

 

[17]        L’appelante soutient qu’elle a déclaré la totalité des revenus qu’elle a gagnés pendant les années d’imposition en cause et que les sommes qu’elle a déclarées correspondaient à ses revenus véritables. Elle ne travaillait tout simplement pas pendant la plus grande partie des années d’imposition 2003 et 2004. Elle soutient que M. Garfield payait tous ses frais de subsistance pendant la période en cause et que c’est ainsi qu’elle a pu s’en sortir.

 

[18]        Elle a déclaré la totalité de ses revenus, elle n’a jamais dissimulé de revenus et elle a payé tous les impôts qu’elle devait. Par conséquent, les présents appels devraient être accueillis et l’avis de cotisation établi à son égard pour l’année d’imposition 2003 et l’avis de nouvelle cotisation établi à son égard pour l’année d’imposition 2004 devraient être annulés.

 

La thèse de l’intimée

 

[19]        L’intimée fait valoir que l’appelante s’est montrée bien peu coopérative tout au long de cette saga. L’appelante a fourni si peu de renseignements que le ministre a dû avoir recours à une méthode différente, celle de l’analyse des flux de trésorerie, pour arriver à une estimation des revenus de l’appelante pour les années d’imposition en cause. Les cotisations fondées sur cette analyse sont présumées valides, et il incombe à l’appelante de démontrer que ce n’est pas le cas. L’issue des présents appels dépend d’une question de crédibilité, et la crédibilité tant de l’appelante que de M. Garfield est très douteuse. Les simples affirmations de l’appelante selon lesquelles M. Garfield payait tous ses frais de subsistance ne suffisent pas, en elles‑mêmes, à réfuter les fondements sur lesquels le ministre a établi les cotisations en cause. Par conséquent, les présents appels devraient être rejetés.

 

Analyse

 

[20]        Il est clair que Mme Mathieu a eu recours à une analyse des flux de trésorerie pour estimer le montant du revenu non déclaré de l’appelante pour les années d’imposition en cause. Il s’agit d’une méthode indirecte qui est nécessaire quand le contribuable ne fournit pas les renseignements relatifs à son revenu total et à ses dépenses. Il s’agit d’une méthode de dernier recours. Elle a montré qu’il existait un décalage significatif entre les revenus que l’appelante a déclarés et la somme qui lui était nécessaire pour mener le style de vie qui était le sien. Dans l’arrêt Hsu c. Canada, 2001 CAF 240, le juge Desjardins de la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au sujet de l’évaluation de la valeur nette, qui est une méthode indirecte similaire à celle de l’analyse des flux de trésorerie :

 

Les évaluations de la valeur nette sont une solution de dernier recours communément employée dans les cas où le contribuable refuse de produire une déclaration de revenus, qu'il a produit une déclaration fort inexacte ou qu'il refuse de fournir des documents qui permettraient à Revenu Canada de vérifier le rendement (V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax Law, 5e éd. (Toronto : Carswell, (1995) à la page 1089). La méthode de la valeur nette est fondée sur l'hypothèse selon laquelle une augmentation de la richesse d'un contribuable au cours d'une certaine période peut être imputée au revenu pour cette période à moins que le contribuable ne démontre le contraire (Bigayan, précité, à la page 1619). Cette méthode vise à libérer le ministre de l'obligation ordinaire qui lui incombe de prouver l'existence d'une source imposable de revenu. Le ministre est uniquement tenu de démontrer que la valeur nette du contribuable a augmenté entre deux dates. En d'autres termes, une évaluation de la valeur nette ne se rapporte pas à la détermination de la source ou de la nature de l'augmentation de la richesse du contribuable. Une fois qu'il est démontré qu'il y a eu augmentation, il incombe entièrement au contribuable de séparer son revenu imposable des gains provenant de sources non imposables (Gentile c. La Reine, [1988] 1 C.T.C. 253, à la page 256 (C.F. 1re inst.)).

 

Par sa nature, une évaluation de la valeur nette est une estimation arbitraire et imprécise du revenu du contribuable. Toute iniquité perçue se rapportant à ce genre d'évaluation est réglée en reconnaissant que le contribuable est celui qui est le mieux placé pour connaître son revenu imposable. Lorsque le fondement factuel de l'estimation du ministre est inexact, il devrait être simple pour le contribuable de corriger à la satisfaction de la Cour l'erreur que le ministre a commise.

 

[21]        En l’espèce, l’appelante ne s’est pas montrée très disposée à fournir les renseignements au ministre, si ce n’est qu’elle a persisté à affirmer que M. Garfield réglait toutes les dépenses qu’elle faisait. Pourtant, jusqu’à tout récemment, elle n’a pas voulu divulguer quelque renseignement que ce soit au sujet de M. Garfield, à l’exception de son prénom. Dans ces conditions, l’intimée ne pouvait pas vérifier l’exactitude des renseignements que l’appelante lui fournissait et elle a dû se résoudre à faire appel à une autre méthode d’analyse pour procéder à l’estimation des revenus de cette dernière. Je conclus que Mme Mathieu s’est montrée juste et raisonnable et qu’elle a su faire preuve de retenue quand elle a eu recours à la méthode de l’analyse des flux de trésorerie. Mme Mathieu avait toutes les raisons voulues pour établir une cotisation à l’égard de l’appelante en se fondant sur les renseignements limités que celle‑ci lui avait fournis ainsi que sur les renseignements obtenus auprès de Statistique Canada. Elle a à juste titre établi une cotisation à l’égard de l’appelante dans laquelle elle considérait cette dernière comme une célibataire qui partageait ses frais de loyer avec son fiancé, lequel payait les vacances, les voyages et les sorties, comme les sorties au restaurant.

 

[22]        Il revient à l’appelante de réfuter les présomptions sur lesquelles la cotisation est fondée : voir Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 336. Elle ne peut y parvenir qu’en produisant des témoignages ou des preuves documentaires crédibles.

 

[23]        L’appelante n’a pas produit de preuve documentaire. Elle se fonde uniquement sur son témoignage de vive voix ainsi que sur celui de M. Garfield. Ainsi, en l’espèce, la question cruciale est celle de la crédibilité de ces deux témoins.

 

[24]        Il existe une règle de droit bien connue selon laquelle je peux accepter un témoignage dans son ensemble, le rejeter entièrement ou l’accepter en partie et le rejeter en partie.  On pense également à la remarque incidente fréquemment citée du juge O’Halloran de la Cour d’appel de la Colombie­‑Britannique, extraite de l’arrêt Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 344 (B.C.C.A.), aux pages 356 et 357 :

 

[traduction]

 

Si les conclusions qu’un juge de première instance tirait à l’égard de la crédibilité d’un témoin dépendaient uniquement de son opinion quant à la personne qui a selon lui fait preuve de la plus grande sincérité à la barre des témoins, nous nous trouverions face à une conclusion purement arbitraire, et l’administration de la justice dépendrait alors des talents d’acteur des témoins. Après réflexion, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui entrent en ligne de compte quand il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin.  Les occasions que le témoin avait d’en apprendre davantage, sa capacité d’observation, son jugement et sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu, contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité, et voir Raymond c. Bosanquet (1919), 50 D.L.R. 560 à la page 566, 59 R.C.S. 452, à la page 460, 17 O.W.N. 295. Par son attitude, un témoin peut donner au juge de première instance une impression très défavorable quant à la sincérité dont il fait preuve, mais il se peut par ailleurs que les circonstances permettent de conclure sans l’ombre d’un doute qu’il dit bien la vérité. Je ne pense pas ici aux cas relativement peu fréquents dans lesquels on prend un témoin en flagrant délit de mensonge maladroit.

 

On ne peut pas évaluer la crédibilité des témoins intéressés, surtout en cas de témoignages contradictoires, en se fondant uniquement sur la question de savoir si le comportement personnel du témoin inspire la conviction que celui‑ci dit la vérité. Il faut soumettre la version des faits que ce témoin propose à un examen raisonnable de la compatibilité de cette version avec les probabilités afférentes à la situation existante. Bref, en pareil cas, le véritable critère à appliquer pour établir la véracité du récit d’un témoin est la conformité de ce récit à la prépondérance des probabilités qu’une personne pragmatique et bien informée l’estime d’emblée comme étant raisonnable dans la situation en cause. Ce n’est qu’après avoir appliqué ce critère qu’un tribunal peut apprécier de façon satisfaisante le témoignage de témoins vifs d’esprit, expérimentés et confiants, tout autant que le témoignage de ces personnes habiles, maniant avec aisance les demi-vérités et ayant une longue expérience de l’art de combiner les exagérations habiles avec la suppression partielle de la vérité. Là encore, une personne peut témoigner de ce qu’elle croit sincèrement être la vérité et se trouver pourtant dans l’erreur, en toute bonne foi. Le juge de première instance qui déclare : « Je le crois parce que j’estime qu’il dit la vérité », tire une conclusion après n’avoir examiné que la moitié du problème. En réalité, le juge qui agit ainsi risque de faire fausse route.

 

Le juge de première instance doit aller plus loin et se demander si les déclarations du témoin qu’il croit cadrent avec la prépondérance des probabilités dans l’affaire en cause, et, pour que son opinion inspire le respect, il doit également énoncer les motifs de cette conclusion. La loi n’investit pas le juge de première instance du pouvoir divin de sonder le cœur et l’esprit des témoins. Une cour d’appel doit être convaincue que la conclusion que le juge de première instance a tirée à l’égard de la crédibilité n’est pas fondée sur un seul élément à l’exclusion de tout autre, mais que cette conclusion est fondée sur tous les éléments qui permettent d’évaluer cette crédibilité dans l’affaire en cause.

 

C’est à la lumière de cette jurisprudence que j’évalue la crédibilité des deux témoins principaux. En outre, j’évalue la crédibilité des témoins en tirant parti de l’expérience humaine, de la connaissance de la condition humaine, du fait que je sais que les souvenirs s’estompent avec le temps ainsi que du fait que les êtres humains sont des créatures très imparfaites.

 

[25]        Premièrement, en ce qui concerne le témoignage de M. Garfield, les documents concernant ce dernier qui se trouvent en la possession de la Cour (pièces R-1, R-2 et R-3) montrent que, jusqu’en 2009, M. Garfield a déclaré qu’il habitait au 32, croissant Aldred, à Hampstead, et qu’il n’a jamais déclaré qu’il résidait au 238, rue Hurteau, à Dollard‑des‑Ormeaux. Il a seulement déclaré qu’il avait déménagé au 54, place Heath, à Hampstead, en 2009. En ce qui concerne son état civil, il a toujours déclaré qu’il était célibataire jusqu’en 2008, quand il a changé son état civil et déclaré qu’il était marié, et il n’a jamais avant cela demandé le crédit de personne mariée ou vivant en union de fait. En fait, il est très curieux qu’il n’ait jamais produit de déclarations de revenus pour les années comprises entre 2002 et 2005, période comprenant les années d’imposition en cause. Il a déclaré qu’il travaillait à l’époque où il était en couple avec l’appelante, mais il n’a pas dit quelle sorte de travail il effectuait, pas plus qu’on ne le lui a demandé. S’il travaillait, il convient de se demander pourquoi il n’a jamais produit de déclaration de revenus. Je suis d’avis que M. Garfield a quelque chose à cacher, et cela cadre certainement avec le fait qu’il ait averti l’appelante de ne jamais divulguer quoi que ce soit à son sujet. J’aurais du mal à accepter des déclarations faites par M. Garfield dans une situation où ses propres intérêts, financiers ou autres, feraient l’objet d’un examen.

 

[26]        Par ailleurs, il est clair qu’il a comparu devant la Cour en état d’arrestation. Il ne voulait tout simplement pas être là, et il n’a fait preuve d’aucune sensibilité à l’égard de la cause de l’appelante. Au pire, on peut dire qu’il s’est montré hostile aux intérêts de l’appelante, et, au mieux, qu’il se désintéressait totalement de la situation dans laquelle celle-ci se trouvait et qu’il y était complètement indifférent. La relation qu’il a eue avec elle s’est terminée de manière assez théâtrale quand l’appelante l’a [traduction] « jeté dehors avec le chien », mais a tourné la page et il a refait sa vie de son côté. Il est clair qu’il n’a pas eu l’occasion de discuter de son témoignage avec l’appelante ou le représentant de celle‑ci et qu’il ne savait pas ce qu’on attendait de lui. L’issue de la présente cause lui importait peu et il n’avait aucune raison de favoriser l’appelante ou l’intimée. Il a admis qu’il a payé de nombreuses dépenses de l’appelante et qu’il subvenait aux besoins de celle‑ci à l’époque où elle vivait avec lui au 283, rue Hurteau, et pendant qu’elle n’avait pas de travail. Bien qu’il soit vrai que son témoignage était quelque peu vague et imprécis, il convient de souligner que tous ces faits se sont déroulés il y a environ 10 ans, et que les souvenirs s’estompent; particulièrement en ce qui concerne des faits qui n’avaient pas d’importance pour lui.

 

[27]        En ce qui concerne la question de la crédibilité de l’appelante, le témoignage de celle‑ci ne va pas sans soulever certaines difficultés. Depuis la fin de l’année 2005 jusqu’à ce jour, il a été difficile de la joindre. Interrogée au sujet de son état civil, elle a déclaré qu’elle était célibataire pendant les années en cause, et ce, bien qu’elle ait déclaré qu’elle vivait avec M. Garfield. Elle n’est pas une personne très organisée et elle a produit ses déclarations de revenus en retard pour les deux années en cause; elle a produit sa déclaration pour 2003 en juin 2004 et sa déclaration pour 2004 en mai 2005. Elle ne s’est pas montrée très coopérative avec le ministre quand on lui a demandé de fournir des renseignements et des documents additionnels. Quand elle a fourni des renseignements, elle n’a pas respecté les délais et ces renseignements étaient incomplets. Cependant, il me semble que l’appelante n’avait pas l’intention délibérée de faire de l’obstruction, mais qu’elle préférait plutôt faire l’autruche en espérant que le problème disparaîtrait de lui‑même. Il est vrai qu’elle a protégé l’identité de M. Garfield, même devant la Cour du Québec, lors de l’audience qui s’est tenue le 27 septembre 2010. Elle semble avoir agi ainsi en raison du sentiment de loyauté mal avisé qu’elle éprouvait à l’endroit de M. Garfield ainsi que d’une certaine idée de protection de sa vie privée. J’ai l’impression qu’elle se soumettait totalement à la volonté de M. Garfield et que ce dernier était très autoritaire dans le contexte de leur relation. Elle s’est obstinée à tort et elle a été mal conseillée à cet égard, vu qu’il lui incombait de convaincre le ministre que M. Garfield avait bien payé ses dépenses. Elle s’est montrée très émue quand elle a témoigné au sujet de sa relation avec M. Garfield, et elle était encore hésitante à divulguer l’identité de ce dernier. Il est très clair qu’elle a beaucoup de difficulté à lâcher prise, et ce, malgré le fait que M. Garfield ait refait sa vie.

 

[28]        Il est clair que l’appelante et M. Garfield n’ont pas eu de temps pour se concerter et discuter de leur déposition. Malgré cela, il est clair que l’appelante et M. Garfield conviennent du fait que c’était ce dernier qui payait les frais de subsistance de l’appelante. Je conclus que l’appelante était crédible quand elle a déclaré qu’il payait tous ses frais de subsistance, et le témoignage de M. Garfield est venu corroborer son témoignage à cet égard. Bien que j’aie certaines difficultés à accepter le témoignage de M. Garfield, parce qu’il semble avoir quelque chose à cacher, il a fait preuve d’impartialité à l’égard de l’appelante et de l’intimée en ce qui concerne les questions dont la Cour a été saisie. Par conséquent, je tranche la question de la crédibilité en faveur de l’appelante.

 

[29]        En dépit de l’insuffisance de preuve documentaire, je conclus que, selon toute vraisemblance :

 

a)       M. Garfield et l’appelante ont cohabité pendant la plus grande partie de l’année 2003 et une partie de l’année 2004,

 

b)      M. Garfield payait tous les frais de subsistance de l’appelante quand celle‑ci n’en avait pas les moyens.

 

Conclusion

 

[30]        Pour toutes les raisons qui précèdent, les présents appels sont accueillis et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations, compte tenu des faits suivants :

 

a)       L’appelante vivait avec M. Garfield et ils étaient conjoints de fait.

 

b)      M. Garfield payait tous les frais de subsistance de l’appelante.

 

c)       L’appelante ne gagnait pas d’autre revenu que celui qu’elle a déclaré.

 

d)      On ne m’a présenté aucun argument au sujet des pénalités pour production tardive dont il est question au paragraphe 162(1) de la Loi et, par conséquent, je ne me prononce pas à l’égard de ces pénalités.

 

Signé à Kingston (Ontario), ce 28e jour d’avril 2014.

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de mai 2014.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 118

 

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2012-1998(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                      Victoria Daimsis c. Sa Majesté la Reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 9 et 10 décembre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 avril 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Anthony Daimsis

Avocate de l’intimée :

Me Stéphanie Côté

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                Nom :                                s.o.

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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