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Dossiers : 2012-739(IT)G

2012-4194(IT)G

 

ENTRE :

GERBRO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Requêtes entendues le 6 décembre 2013 et le 27 février 2014, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Judith Woods

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Stéphane Eljarrat

Me Olivier Fournier

Me Joel Scheuerman

 

 

Avocates de l'intimée :

Me Naomi Goldstein

Me Rita Araujo

 

 

ORDONNANCE

 

          VU la requête de l'intimée en annulation d'un avis de convocation, la Cour ordonne que :

 

1.       l'avis de convocation soit annulé;

 

2.       l'appelante puisse interroger la représentante de l'intimée au sujet de la rectification relative à la question de savoir si la conclusion que la vérificatrice a tirée dans son rapport au sujet du critère de l'objet était fondée sur un modèle;

 

          ET VU la requête de l'appelante en radiation des parties suivantes des réponses :

 

a)       dans la réponse relative à l'année d'imposition 2005, les alinéas 19ff), zz), ttt), et pppp);

 

b)      dans la réponse relative à l'année d'imposition 2006, les paragraphes 14.35, 14.73 et 14.94;

 

          la Cour ordonne que la requête soit rejetée;

 

          ET VU la requête de l'intimée en divulgation des conseils juridiques relatifs à la déclaration au paragraphe 67 de l'avis d'appel concernant l'année d'imposition 2005, la Cour ordonne que la requête soit rejetée;

 

          LA COUR ORDONNE, en ce qui a trait aux dépens relatifs aux présentes requêtes, vu que les deux parties ont eu partiellement gain de cause, que chaque partie assume ses propres frais.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 27e jour de mai 2014.

 

 

« J. M. Woods »

La juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d'août 2014.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 179

Date : 20140527

Dossiers : 2012-739(IT)G

2012-4194(IT)G

 

ENTRE :

GERBRO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

La juge Woods

 

[1]             Les parties ont présenté les trois requêtes interlocutoires suivantes :

 

a)       la Couronne demande à la Cour de rendre une ordonnance en annulation d'un avis de convocation pour interrogatoire sur une déclaration sous serment;

 

b)      Gerbro Inc. (« Gerbro ») demande à la Cour de rendre une ordonnance en radiation de certaines hypothèses énoncées dans les réponses;

 

c)       la Couronne demande à la Cour de rendre une ordonnance en divulgation des communications avocat‑client.

 

[2]             Pour remettre les choses en contexte, il convient de préciser que Gerbro est une société privée sous contrôle canadien, dont l'unique actionnaire est la fiducie Marjorie Bronfman. Gerbro interjette appel des cotisations établies à son égard au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d'imposition 2005 et 2006.

 

[3]             Le présent appel porte sur l'application de l'article 94.1 de la Loi à l'égard des actions de quatre entités de placement étrangères dont Gerbro était propriétaire (les « fonds »). Deux questions en litige se trouvent définies dans les actes de procédure, lesquelles, pour l'examen des présentes requêtes, peuvent être décrites de manière générale comme la question de savoir si les fonds détenaient principalement des placements de portefeuille et la question de savoir si l'intérêt que Gerbro possédait dans les fonds résultait de motivations fiscales (le « critère de l'objet »).

 

[4]             Les parties ont présenté les requêtes en cause après qu'elles eurent terminé les interrogatoires préalables et satisfait à leurs engagements.

 

Requête no 1 — La requête de la Couronne en annulation d'un avis de convocation

 

Le contexte

 

[5]             La Couronne demande à la Cour de rendre une ordonnance en annulation d'un avis de convocation pour interrogatoire sur une déclaration sous serment.

 

[6]             Les éléments de contexte pertinents sont décrits ci‑dessous.

 

a)       Le 28 juin 2013 — La Couronne a fourni des éclaircissements et des rectifications aux réponses que Ginette Phisel, vérificatrice dans le présent dossier pour le compte de l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »), avait données lors de l'interrogatoire préalable. La Couronne devait fournir ces renseignements en application du paragraphe 98(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles »).

 

b)      Le 28 août 2013 — Gerbro a demandé que les éclaircissements et les rectifications soient confirmés dans une déclaration sous serment, comme le prévoit l'alinéa 98(2)a) des Règles.

 

c)       Le 12 septembre 2013 — Gerbro a reçu une déclaration sous serment de Mme Phisel, laquelle confirmait les éclaircissements et les rectifications.

 

d)      Le 30 septembre 2013 — Gerbro a informé la Couronne qu'elle n'aurait pas besoin de conduire de nouveaux interrogatoires préalables sous forme de questions écrites. Gerbro avait déjà convenu du fait que tout nouvel interrogatoire préalable serait mené par écrit.

 

e)       Le 31 octobre 2013 — Gerbro a informé la Couronne qu'elle souhaitait contre‑interroger Mme Phisel au sujet de sa déclaration sous serment, en application de l'article 74 des Règles.

 

f)       Le 11 novembre 2013 — Gerbro a signifié un avis de convocation à Mme Phisel en vue de l'interroger au sujet de sa déclaration sous serment.

 

Les thèses des parties

 

[7]             La Couronne souhaite obtenir l'annulation de l'avis de convocation en partant du principe que les Règles n'autorisent pas l'interrogatoire, et qu'il serait injuste que Gerbro revienne sur son accord selon lequel elle avait terminé les interrogatoires préalables.

 

[8]             Gerbro fait valoir que l'alinéa 98(2)a) l'autorise à conduire un nouvel interrogatoire dont Mme Phisel ferait l'objet, et que, de toute manière, elle a le droit inhérent de conduire un contre‑interrogatoire au sujet d'une déclaration sous serment. En ce qui a trait à l'accord relatif au fait de terminer les interrogatoires préalables, Gerbro affirme que cet accord ne s'appliquait qu'aux interrogatoires préalables généraux et qu'il n'avait pas pour effet de limiter son droit de mener un contre‑interrogatoire relatif à la déclaration sous serment.

 

[9]             Pour que ce soit clair, Gerbro ne se fonde pas sur l'article 74 des Règles comme elle l'a fait dans sa lettre du 31 octobre 2013. Cet article ne s'applique clairement pas.

 

Analyse

 

[10]        Dans une lettre du 28 juin 2013, la Couronne a fourni plusieurs éclaircissements et rectifications aux réponses que Mme Phisel avait données lors de l'interrogatoire préalable. Gerbro souhaite interroger Mme Phisel au sujet des rectifications; toutefois, les observations que l'avocat de l'appelante a faites à l'audience n'avaient trait qu'à une seule rectification, qui était selon lui une rectification essentielle pour sa cliente. Par conséquent, je limiterai mon examen à ce seul élément.

 

[11]        Lors de l'interrogatoire préalable, on a demandé à Mme Phisel si un certain nombre des conclusions qu'elle avait tirées dans son rapport étaient fondées sur un modèle élaboré par l'ARC. La conclusion tirée par la vérificatrice qui est ici pertinente est que Gerbro avait satisfait au critère de l'objet énoncé à l'article 94.1. Cette conclusion est énoncée au paragraphe 81 du rapport, qui est ainsi rédigé :

 

[TRADUCTION]

 

81.       Par conséquent, selon nous, en tenant compte du libellé précis de l'actuel article 94.1 (qui traite des fonds de placement non résidents), une des principales raisons que Gerbro avait de détenir les fonds de placement non résidents était d'en tirer un profit, de telle manière que l'impôt sur les revenus, les profits et les gains générés par de tels biens soit significativement moins élevé que l'impôt que Gerbro aurait dû payer si elle avait directement enregistré ces revenus, profits et gains.

 

[12]        Quand, lors de l'interrogatoire préalable, on a demandé à Mme Phisel si la conclusion énoncée au paragraphe 81 était fondée sur un modèle, elle a répondu que c'était le cas. Elle a par la suite rectifié cette réponse et déclaré que le paragraphe 81 était propre à Gerbro.

 

[13]        Par suite de cette rectification, Gerbro a demandé la production d'une déclaration sous serment confirmant cette déclaration, comme le prévoit le paragraphe 98(2) des Règles. Gerbro souhaite maintenant contre‑interroger Mme Phisel au sujet de la déclaration sous serment afin d'éprouver la véracité de la rectification.

 

[14]        À mon avis, Gerbro ne devrait pas être autorisée à contre‑interroger Mme Phisel au sujet de sa déclaration sous serment. Toutefois, en application de l'alinéa 98(2)a) des Règles, Gerbro devrait pouvoir interroger à nouveau Mme Phisel en ce qui concerne la rectification.

 

[15]        Le paragraphe 98(2) des Règles est ainsi libellé :

 

98(2) Si une partie fournit un renseignement par écrit en application du paragraphe (1) :

 

a) une partie opposée peut exiger qu'il soit appuyé d'une déclaration sous serment ou qu'il fasse l'objet d'un nouvel interrogatoire préalable,

 

b) ce renseignement peut être traité lors d'une audience comme s'il faisait partie de l'interrogatoire initial de la personne interrogée.

 

[16]        Gerbro soutient qu'elle a le droit inhérent de mener un contre‑interrogatoire à l'égard d'une déclaration sous serment. On ne m'a pas renvoyée à une disposition précise des Règles ou à une décision en particulier qui prévoirait un tel droit, et je rejette par conséquent cette observation.

 

[17]        Cela ne clôt toutefois pas la question, parce que Gerbro affirme également que le paragraphe 98(2) lui donne le droit de procéder à un nouvel interrogatoire préalable de Mme Phisel au sujet des rectifications. Je souscris à cette affirmation, qui se fonde sur le sens inclusif de la conjonction « ou » à l'alinéa 98(2)a).

 

[18]        Quand on interprète le sens de la conjonction « ou » dans ce contexte, je ne vois aucune raison de s'écarter du sens que cette conjonction prend dans les lois. Employée dans ce contexte, la conjonction « ou » est censée être employée dans un sens inclusif, de telle sorte qu'il est possible de suivre une seule voie ou les deux : voir Sullivan on the Construction of Statutes (cinquième édition). Cela va dans le sens de la thèse de Gerbro, selon laquelle la société a le droit, en application du paragraphe 98(2) des Règles, de suivre deux voies, à savoir l'obtention d'une déclaration sous serment et la tenue d'un nouvel interrogatoire préalable.

 

[19]        La Couronne fait valoir que, même si on devait interpréter le paragraphe 98(2) de cette manière, il ne conviendrait pas d'autoriser la tenue d'un nouvel interrogatoire parce que Gerbro a elle‑même convenu de mettre fin aux interrogatoires dans sa lettre du 30 septembre 2013.

 

[20]        La lettre du 30 septembre 2013 semble ambiguë sur ce point. Gerbro soutient que l'entente ne visait que les interrogatoires préalables généraux, et non un interrogatoire précis sur les rectifications. Cette thèse cadre avec les éléments dont je dispose, et, vu l'importance que cette question revêt pour Gerbro, il convient d'accorder à celle‑ci le bénéfice du doute sur ce point.

 

[21]        Où cela nous amène‑t‑il? Je voudrais souligner le fait que l'avis de convocation a trait à un interrogatoire relatif à la déclaration sous serment de Mme Phisel. Il ne s'agit pas de l'interrogatoire dont il est question au paragraphe 98(2) des Règles, et l'avis de convocation devrait être annulé en partant de ce principe. Toutefois, je conclus que Gerbro devrait avoir le droit de conduire un nouvel interrogatoire de Mme Phisel en ce qui a trait à la rectification en cause.

 

Requête no 2 — La requête de Gerbro en radiation de parties des réponses

 

Le contexte

 

[22]        Dans sa seconde requête, Gerbro demande à la Cour de rendre une ordonnance en radiation des parties des réponses qui sont censées avoir pour objet les hypothèses que le ministre a formulées à l'égard du critère de l'objet. Une hypothèse distincte, mais identique, est énoncée à l'égard de chacun des quatre fonds que Gerbro détenait pendant la période en cause. Une de ces hypothèses est reproduite ci‑dessous :

 

[TRADUCTION]

 

19. Pour établir le montant de la dette fiscale de l'appelante pour l'année d'imposition 2005, le ministre a formulé les hypothèses de fait suivantes :

 

[...]

 

zz) une des raisons principales pour laquelle l'appelante a acquis et détenu un intérêt dans Arden était de tirer un bénéfice de placements de portefeuille, directement ou indirectement, de façon à réduire ou à reporter les impôts canadiens sur le revenu qui auraient été autrement à payer si l'appelante avait gagné directement les revenus générés par les biens du fonds;

 

Les thèses des parties

 

[23]        Gerbro fait valoir que les hypothèses relatives au critère de l'objet devraient être radiées parce qu'elles ne font que reproduire le contenu de la Loi et qu'elles sont des déclarations mixtes de fait et de droit relatives à une question centrale en l'espèce. Gerbro ajoute que la contradiction de Mme Phisel relative à cette partie de son interrogatoire préalable ainsi que le défaut de la Couronne de se conformer à l'avis de convocation (requête 1), qui a trait à cette question, donne à entendre que le ministre n'a jamais véritablement formulé ces hypothèses de fait.

 

[24]        Gerbro fait également valoir que la règle de la nouvelle mesure énoncée à l'article 8 des Règles ne devrait pas empêcher la présentation de la requête en cause parce que sa présentation tardive s'explique par le fait qu'on voulait accélérer la procédure. Ce n'est qu'après que Mme Phisel eut rectifié la réponse qu'elle avait donnée au sujet de l'utilisation de modèles que Gerbro a conclu qu'il convenait de radier les prétendues hypothèses.

 

[25]        La Couronne soutient que les hypothèses relatives au critère de l'objet sont des déclarations de fait, et que, quoi qu'il en soit, il faudrait rejeter la requête au titre de la règle de la nouvelle mesure. La Couronne fait valoir qu'elle subit un préjudice parce qu'elle a mené des interrogatoires préalables et fondé sa stratégie en se fondant sur l'idée que ces hypothèses étaient recevables.

 

Analyse

 

[26]        J'examinerai d'abord la question de savoir si les hypothèses relatives au critère de l'objet sont inadmissibles parce qu'il s'agit de déclarations mixtes de fait et de droit ou parce qu'elles ne font que répéter le contenu de la Loi.

 

[27]        Les parties pertinentes du paragraphe 94.1(1) sont ainsi rédigées :

 

94.1(1) Bien d'un fonds de placement non‑résident — Lorsque [...] l'on peut raisonnablement conclure [...]

 

que l'une des raisons principales pour le contribuable d'acquérir, de détenir ou de posséder un droit sur un tel bien était de tirer un bénéfice de placements de portefeuille dans des biens visés à l'un des sous‑alinéas b)(i) à (ix) de façon que les impôts sur les revenus, bénéfices et gains provenant de ces biens pour une année donnée soient considérablement moins élevés que l'impôt dont ces revenus, bénéfices et gains auraient été frappés en vertu de la présente partie s'ils avaient été gagnés directement par le contribuable, celui‑ci doit inclure dans le calcul de son revenu pour l'année [...]

 

[28]        Bien que, dans les hypothèses, on reproduise le libellé de la Loi jusqu'à un certain point, je ne trouve pas que cela soit l'approche qu'il convienne d'adopter à l'égard de la question. Le fait de reproduire le libellé ne pose pas problème en soi. La question plus importante est de savoir si nous sommes en présence d'hypothèses contenant des déclarations mixtes de fait et de droit.

 

[29]        Il est utile de tenir compte des lignes directrices que la juge Sharlow a énoncées aux paragraphes 92 à 94 de l'arrêt Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada, 2013 CAF 122 :

 

[92]      Il est bien établi que les conclusions de droit n'ont pas leur place dans l'énoncé des hypothèses de fait du ministre (Anchor Pointe (2003), au paragraphe 25), et que lorsque la cotisation faisant l'objet de l'appel est fondée sur une conclusion mélangée de fait et de droit, le ministre doit extraire les éléments de fait présumés et les énoncer en tant qu'hypothèses de fait (Anchor Pointe (2003) au paragraphe 26). Sa Majesté n'a pas respecté ces principes à de nombreux endroits de l'énoncé de ses hypothèses, et le juge n'a pas commis d'erreur en exigeant que les hypothèses soient révisées en conséquence.

 

[93]      Voici un exemple qui illustre ce point. Le paragraphe 28.22.7 de la réponse est ainsi libellé : [TRADUCTION] « les paiements effectués à titre de règlement n'étaient pas des dépenses engagées par l'appelante en vue de tirer un revenu de l'entreprise qu'elle exploitait ». Il ne s'agit de rien de plus qu'une paraphrase de l'alinéa 18(1)a) qui ne nous apprend absolument rien. Cet énoncé aurait sa place dans la partie de la réponse dans laquelle Sa Majesté expose ses moyens de droit. Il n'a pas sa place dans l'énoncé des hypothèses de fait du ministre. Malgré la difficulté dont Sa Majesté se plaint lorsqu'il s'agit d'établir la différence entre les faits et le droit, il me semble que le paragraphe 28.22.7 de la réponse pourrait être révisé sans difficulté pour en extirper les faits et pour les énoncer en tant qu'hypothèses de fait. Il existe potentiellement plusieurs éléments factuels — l'objet des paiements, l'entreprise exploitée par la CIBC, le rapport factuel ou l'absence de rapport factuel entre les deux — qui auraient fort bien pu faire l'objet des hypothèses de fait formulées par le ministre pour arriver à sa conclusion que le critère de la production de revenu de l'alinéa 18(1)a) n'avait pas été respecté. Si le ministre n'a formulé aucune hypothèse de fait pour arriver à cette conclusion, aucune hypothèse de fait ne peut être formulée, mais la conclusion peut néanmoins être plaidée ailleurs dans la réponse.

 

[94]      Je n'ai pas fait abstraction de la jurisprudence citée par Sa Majesté par laquelle la Cour de l'impôt a permis que des affirmations semblables à celles que l'on trouve au paragraphe 28.22.7 restent dans l'énoncé des hypothèses du ministre. Il se peut fort bien que, dans certains cas, il soit raisonnable de laisser en l'état un acte de procédure qui présente certaines lacunes si, par exemple, les faits sont relativement simples, qu'il y ait peu ou pas de controverse au sujet des principes juridiques applicables, ou s'il y a peu de risques que la partie adverse subisse un préjudice ou soit obligée de consacrer à l'affaire inutilement des ressources. Tel n'est toutefois manifestement pas le cas en l'espèce.

 

[30]        Lorsqu'on applique ce principe à l'hypothèse énoncée à l'alinéa 19zz) reproduit ci‑dessus, il ressort clairement que cet alinéa contient des éléments de fait et de droit. Il contient au moins deux éléments de droit inadmissibles : « Qu'est-ce qu'un placement de portefeuille? » et « Quand les considérations fiscales satisfont‑elles au critère de l'objet? »

 

[31]        N'eût été l'application possible de la règle de la nouvelle mesure, les hypothèses relatives au critère de l'objet auraient dû être radiées, avec autorisation d'apporter des modifications afin d'extraire les éléments de fait en cause.

 

[32]        La seconde question en litige est de savoir si la requête devrait être rejetée en raison de la règle de la nouvelle mesure énoncée à l'article 8 des Règles parce que la requête a été présentée après que Gerbro eut terminé les interrogatoires.

 

[33]        L'article 8 des Règles est ainsi libellé :

 

8. La requête qui vise à contester, pour cause d'irrégularité, une instance ou une mesure prise, un document donné ou une directive rendue dans le cadre de celle-ci, ne peut être présentée, sauf avec l'autorisation de la Cour :

 

a) après l'expiration d'un délai raisonnable après que l'auteur de la requête a pris ou aurait raisonnablement dû prendre connaissance de l'irrégularité, ou

 

b) si l'auteur de la requête a pris une autre mesure dans le cadre de l'instance après avoir pris connaissance de l'irrégularité.

 

[34]        L'avocat de Gerbro a déclaré qu'il n'avait pas contesté les hypothèses plus tôt parce qu'il avait l'impression qu'il [TRADUCTION] « avait besoin des outils nécessaires pour voir s'il existait des faits concrets précis sur lesquels cette hypothèse était fondée [...] afin d'accélérer la procédure » (transcription de l'audience du 6 décembre 2013, page 94).

 

[35]        On peut penser que les outils dont il est question ci‑dessus font référence à l'interrogatoire préalable de la représentante de la Couronne effectué par Gerbro.

 

[36]        Je suis d'avis que la Couronne se trouve lésée par le caractère tardif de la requête. La Couronne a déposé des listes de documents et a terminé le processus des interrogatoires préalables en croyant que les hypothèses ne présentaient aucune irrégularité. Dans le cas contraire, la Couronne aurait pu présenter sa cause différemment.

 

[37]        J'accepte le fait que Gerbro s'efforçait d'accélérer la procédure, mais il semble que cette stratégie se soit retournée contre elle. L'avocat de Gerbro a reconnu à l'audience que, si les hypothèses sont modifiées de telle sorte que les éléments factuels en sont extraits, il pourrait être nécessaire de mener d'autres interrogatoires préalables. L'article 8 des Règles vise à proscrire d'étirer la procédure de la sorte. Je voudrais aussi souligner le fait que, le 23 avril 2014, les parties ont informé la Cour que les appels en cause étaient prêts à être entendus et que, depuis, des dates ont été fixées pour l'audition de ces appels.

 

[38]        Je conclus que la règle de la nouvelle mesure devrait empêcher Gerbro de remettre en cause les hypothèses énoncées, qui sont clairement des irrégularités visées à l'article 8 des Règles (Sandia Mountain Holdings Inc. et Kulla c. La Reine, 2005 CCI 136, aux paragraphes 7 à 10).

 

[39]        Pour finir, Gerbro fait valoir qu'elle n'a décidé d'aller de l'avant à l'égard de la requête que lorsqu'elle a pris conscience du fait qu'il était possible que les hypothèses fussent fondées sur un modèle.

 

[40]        J'accepte le fait qu'il s'agissait de ce qui a motivé Gerbro à présenter la requête en cause, mais il ne s'agit pas d'une raison suffisante pour permettre à Gerbro de ne soulever cette question qu'après que les interrogatoires préalables ont été terminés. Une fois que les interrogatoires préalables ont été conclus, il ne convient pas d'autoriser Gerbro à faire marche arrière dans la procédure, et ce, au détriment de la Couronne.

 

[41]        La requête devrait être rejetée.

 

Requête no 3 — La requête de la Couronne en divulgation des communications avocat‑client

 

[42]        Dans la requête, la Couronne demande la divulgation des conseils juridiques fournis à Gerbro au sujet des modifications proposées à l'article 94.1. La Couronne demande notamment la divulgation des communications que Gerbro et ses avocats ont eues au sujet de la déclaration suivante, qui apparaît dans l'avis d'appel relatif à l'année d'imposition 2005 :

 

[TRADUCTION]

 

67. Jusqu'au 8 novembre 2006, et notamment au moment d'effectuer les investissements dans les fonds, Gerbro croyait que les modifications proposées à l'article 94.1 de la Loi entreraient en vigueur et auraient un effet rétroactif remontant à 2003.

 

[43]        Gerbro a refusé de divulguer ce renseignement lors des interrogatoires préalables, en invoquant le secret professionnel de l'avocat.

 

[44]        À titre de commentaire préliminaire, je voudrais souligner le fait qu'à l'audience, la Couronne a semblé adopter une vision très large des conseils juridiques qui ont été donnés à l'égard du paragraphe 67, à savoir qu'ils comprennent tous les conseils juridiques relatifs aux modifications proposées. Je souscrirais plutôt à l'observation de Gerbro selon laquelle les conseils juridiques pertinents ne sont que ceux relatifs à l'entrée en vigueur des modifications proposées.

 

Les thèses des parties

 

[45]        La Couronne est d'avis que Gerbro a renoncé au privilège en déposant l'avis d'appel parce que, dans ce document, il était question de l'état d'esprit de Gerbro à l'égard du droit. Vu que l'état d'esprit de Gerbro est en cause, et que celui-ci reposait sur les conseils juridiques qu'elle avait reçus, l'intimée fait valoir que Gerbro a renoncé au privilège. L'intimée laisse entendre que le fait qu'il ne soit pas question de conseils juridiques dans l'acte de procédure n'est pas déterminant.

 

[46]        Cette thèse est énoncée au paragraphe 75 des observations écrites de la Couronne :

 

[TRADUCTION]

 

Gerbro ne devrait pas être autorisée à tirer avantage du fait qu'elle invoque, dans ses actes de procédure, sa connaissance du droit, qui était en partie fondée sur les conseils juridiques qu'elle recevait, tout en empêchant la divulgation de ces mêmes conseils juridiques. En invoquant son état d'esprit, Gerbro a renoncé au privilège. Il convient de réduire au minimum l'élimination de renseignements pertinents.

 

[47]        Gerbro avance deux moyens de contestation de la requête. Premièrement, elle fait valoir que la Couronne n'a pas réussi à établir que la référence aux conseils juridiques était volontaire. La Couronne a plutôt soulevé la question des conseils juridiques à l'occasion de l'interrogatoire préalable du représentant de Gerbro. En outre, Gerbro soutient qu'elle n'a rien fait pour qu'on considère que les conseils juridiques étaient pertinents dans l'appel en cause, par exemple en justifiant sa conduite en se réclamant des conseils juridiques reçus.

 

[48]        Deuxièmement, Gerbro fait valoir que la déclaration contenue au paragraphe 67 de l'avis d'appel n'est pas volontaire parce qu'elle est contrainte de prouver ses raisons par suite des hypothèses que le ministre a formulées.

 

Analyse

 

[49]        La requête porte sur une question importante, celle de la portée du principe de la renonciation implicite au privilège du secret professionnel de l'avocat, tel que ce principe s'applique aux appels en matière d'impôt sur le revenu. Mon collègue le juge D'Arcy a également examiné ce problème récemment, dans la décision Imperial Tobacco Canada limitée c. La Reine, 2013 CCI 144.

 

[50]        On peut trouver un résumé général des principes applicables à l'examen de la question de savoir s'il y a eu renonciation implicite au privilège dans la décision Re Mahjoub, 2011 CF 887, au paragraphe 10 :

 

[10]      La jurisprudence étaye les thèses suivantes à propos de la renonciation implicite au privilège :

 

a)         la renonciation au privilège relatif à une fraction d'une communication sera jugée équivalente à la renonciation à l'égard de l'ensemble de cette communication : S. & K. Processors Ltd. c. Campbell Ave. Herring Producers Ltd (1983), 35 C.P.C. 146, 45 B.C.L.R. 218 (SC) (S & K);

 

b)         quand une partie se fonde sur un avis juridique en tant qu'élément de sa demande ou de sa défense, le privilège qui se rattacherait par ailleurs à cet avis est perdu (S & K);

 

c)         dans les cas où il a été conclu que l'équité exige une renonciation implicite, il y a toujours une certaine manifestation de la volonté de renoncer au privilège, du moins jusqu'à un certain point. Les règles de droit applicables font alors en sorte que l'équité et la cohérence exigent une renonciation intégrale (S & K);

 

d)         il sera réputé y avoir eu renonciation au privilège dans les cas où les principes de l'équité et de la cohérence l'exigent ou dans les cas où une communication entre un avocat et un client est légitimement mise en cause dans une action : Bank Leu Ag c. Gaming Lottery Corp., [1999] O.J. no 3949 (Lexis); (1999), 43 C.P.C. (4th) 73 (C.S. Ont.), au paragraphe 5;

 

e)         le fardeau d'établir la renonciation au privilège incombe à la partie qui l'invoque (S & K, au paragraphe 10).

 

[51]        La requête a essentiellement trait à l'alinéa d) du résumé reproduit ci‑dessus, qui pose la question de savoir si les principes de l'équité et de la cohérence exigent la divulgation, ou si une communication entre un avocat et un client est légitimement mise en cause. Les conseils juridiques relatifs au paragraphe 67 devraient‑ils être divulgués pour une de ces raisons?

 

[52]        J'examinerai d'abord la question de savoir si l'on a mis en cause les conseils juridiques.

 

[53]        Pour remettre le paragraphe 67 en contexte, dans une de ses observations, Gerbro a affirmé qu'il n'avait pas été satisfait au critère de l'objet parce qu'elle avait investi dans les fonds tout en sachant que les modifications proposées pourraient avoir des répercussions défavorables sur le traitement fiscal au Canada de ses investissements.

 

[54]        Selon moi, le paragraphe 67 ne met pas en cause les conseils juridiques. Ce paragraphe met en cause la connaissance de la date d'entrée en vigueur des modifications proposées, mais il n'y est pas fait mention du fait, pas plus qu'il n'y est sous‑entendu, que Gerbro a l'intention de se fonder sur les conseils juridiques qu'elle a reçus pour établir cette connaissance.

 

[55]        Il semble que Gerbro n'a aucune intention de renoncer au privilège en se fondant sur ces conseils juridiques à l'audience. Bien entendu, si Gerbro ne renonce pas au privilège, elle prend le risque de voir le juge du procès conclure que la preuve qu'elle a produite est insuffisante. Toutefois, dans l'état actuel des choses, Gerbro n'a pas mis en cause les conseils juridiques qu'elle a reçus.

 

[56]        La seconde question est de savoir si les principes d'équité et de cohérence exigent qu'on procède à la divulgation en dépit du fait que les conseils juridiques n'ont pas été mis en cause.

 

[57]        Les parties m'ont renvoyée à un grand nombre de décisions judiciaires au sujet de la renonciation tacite au privilège. Chaque affaire semble reposer sur des faits qui lui sont propres, et, dans l'approche générale que les cours ont adoptée, on reconnaît l'importance de confirmer le privilège du secret professionnel de l'avocat.

 

[58]        Selon moi, ces décisions judiciaires suivent généralement l'approche que la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a adoptée dans l'arrêt Procon Mining & Tunnelling Ltd. c. McNeil, 2009 BCCA 281, au paragraphe 19 : [TRADUCTION] « Pour établir qu'il y a eu renonciation, la communication doit être « essentielle » ou nécessaire pour que la partie adverse soit en mesure de répondre à une allégation. »

 

[59]        Il est très difficile pour une cour d'exiger la divulgation de conseils juridiques quand aucune partie ne les a mis en cause. Dans la requête, la Couronne n'a pas établi que les communications juridiques étaient d'une importance telle pour sa cause qu'elles devraient faire l'objet d'une divulgation.

 

[60]        La Couronne est d'avis qu'il incombe à Gerbro de prouver qu'elle ne détenait pas les fonds en cause pour des raisons fiscales. Par conséquent, il revient à Gerbro de décider si elle souhaite se décharger de ce fardeau en divulguant les communications avec son avocat. Au présent stade de la procédure, il n'est pas essentiel pour la Couronne qu'il y ait divulgation.

 

[61]        La requête sera rejetée.

 

Les dépens

 

[62]        En ce qui a trait aux dépens, vu que les deux parties ont eu partiellement gain de cause, chaque partie assumera ses propres frais.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 27e jour de mai 2014.

 

 

« J. M. Woods »

La juge Woods

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d'août 2014.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 179

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-739(IT)G

2012-4194(IT)G

 

INTITULÉ :

Gerbro Inc. c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :

Le 6 décembre 2013 et le 27 février 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

L'honorable juge Judith Woods

 

DATE DE L'ORDONNANCE :

Le 27 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Stéphane Eljarrat

Me Olivier Fournier

Me Joel Scheuerman

 

Avocates de l'intimée :

Me Naomi Goldstein

Me Rita Araujo

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelante :

 

Nom :

Stéphane Eljarrat

 

Cabinet :

Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l'intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

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