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Dossier : 2012-4735(EI)

ENTRE :

JACQUES VILLENEUVE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appel entendu le 4 mars 2014, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable Rommel G. Masse, juge suppléant


Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Laurianne Dusablon‑Rajotte,
stagiaire en droit
Me Julie David

 

JUGEMENT

 

        L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (« Loi ») est accueilli et la décision est référée au ministre du Revenu national, en tenant pour acquis que monsieur Jacques Villeneuve n’exerçait pas un emploi assurable aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la Loi, au cours de la période du 1er janvier 2010 au 30 août 2011, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Kingston, Ontario, ce 15e jour de juillet 2014.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse


Référence : 2014 CCI 224

Date : 20140715

Dossier : 2012-4735(EI)

ENTRE :

JACQUES VILLENEUVE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

[1]             En l’espèce, il s’agit d’un appel à l’encontre d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») en date du 31 août 2011, confirmée le 30 mai 2012, en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, modifiée (la « Loi »), concernant l’assurabilité de l’emploi pour la période du 1er janvier 2010 au 30 août 2011 (la « période »).

[2]             L’appelant en appelle de cette décision.

Contexte factuel

[3]             Un examen des livres et registres de la société Ayotte Techno‑Gaz (« Techno ») fut effectué par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

[4]             Durant cet examen, il fut déterminé que Techno considérait l’appelant comme étant un travailleur autonome et non un employé à son service. Alors, l’agent d’examen de l’ARC a demandé à la section d’admissibilité de statuer sur la question à savoir si le travail effectué par l’appelant auprès de Techno avait été effectué dans le cadre d’un contrat de louage de service.

[5]             Par lettre en date du 31 août 2011, la division d’admissibilité de l’ARC a informé l’appelant et Techno que, durant la période, l’appelant était un employé et son emploi avec Techno était assurable en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi.

[6]             L’appelant a interjeté appel de cette décision et le 30 mai 2012, le ministre a confirmé la décision du 31 août 2011. D’où le présent appel à la Cour canadienne de l’impôt.

[7]             La question en litige est de savoir si l’appelant occupait un emploi assurable, exercé aux termes d’un contrat de louage de services, auprès de Techno durant la période en litige.

[8]             Monsieur Daniel Ayotte est le président de Techno. Techno exploite une entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente de fours à peinture industriels. Techno ne fabrique pas de peinture. Sa spécialité est le traitement de surface et la cuisson des peintures sur les surfaces industrielles. Techno vend cette technologie partout au monde. En 2009, monsieur Ayotte a fait l’acquisition en France d’une nouvelle technologie qui utilisait un processus de thermoréaction catalytique dans des fours sans flamme. Comme résultat, cette nouvelle technologie permettrait la cuisson de peinture sur les surfaces industrielles que dans une fraction du temps que permettent les techniques actuelles dans l’industrie. Monsieur Ayotte a réalisé que cette nouvelle technologie avait donc un énorme potentiel économique s’il pouvait réussir à commercialiser cette technologie en fabricant des fours thermoréacteurs qui seront en ventes sur le marché à des prix abordables. Monsieur Ayotte a donc transféré la technologie au Québec et il a établi une compagnie sous la raison sociale de Sunkiss‑Thermoreactors Inc. (« Sunkiss »). Sunkiss est une compagnie de conception d’équipements. Le but de Sunkiss était de développer, fabriquer, commercialiser et vendre des fours thermoréacteurs catalytiques capables d’utiliser la nouvelle technologie. Ce but ne pouvait être réalisé à moins que monsieur Ayotte réussisse à obtenir une certification de Canadian Standards Association (« CSA »). Sans cette certification, il ne pouvait pas vendre les fours. Monsieur Ayotte voulait obtenir une certification au Canada et aux États-Unis. Il voulait aussi évaluer le marché pour voir s’il serait rentable de commercialiser le produit. Donc, il avait besoin de quelqu'un qui possédait une connaissance des procédures du CSA et aussi quelqu'un spécialisé dans la rédaction des normes nécessaires à l’obtention d’une certification CSA.

[9]             À l’époque, l'appelant œuvrait dans le domaine de l’aérospatiale pour Sico, un fabricant de peintures y compris les peintures aéronautiques. L’appelant avait l’expertise que Sunkiss cherchait. Donc, Sunkiss a engagé l'appelant, pour évaluer le produit, écrire les normes, obtenir les certifications nécessaires au Canada est aux États‑Unis et évaluer le marché. Monsieur Ayotte a témoigné qu’il n’avait pas les moyens d’embaucher quelqu'un possédant l’expertise de l’appelant comme un employé à plein temps, car c’est trop coûteux. Donc, Sunkiss et l'appelant ont conclu un contrat d’entreprise daté du 17 décembre 2009 (voir la pièce A‑1).

[10]        Par les termes de ce contrat de 24 mois, l’appelant devait 1) produire et rédiger des normes dans le but d’obtenir une certification CSA de nouveaux produits, et 2) présenter les nouveaux produits à des distributeurs potentiels afin d’évaluer leur intérêt. Les principales fonctions de l’appelant étaient :

a.                 Conception et rédaction des documents techniques devant être conformes aux normes CSA Internationales, ISO, Militaire, ATEX/CEE;

b.                 Rédaction de documents techniques concernant l’utilisation et l’opération de ses équipements et des notices de sécurité et des manuels d’utilisation;

c.                  Formation d’employée à l’interne sur les procédés d’application et de séchage des différents revêtements et peintures industrielles;

d.                 Rédaction et production de documents techniques destinés à l’intérêt de la distribution;

e.                  Présentations et démonstrations réelles sur le fonctionnement en ateliers, destinés à la formation des distributeurs potentiels.

Une somme forfaitaire maximale de 30 000 $ par année serait payée selon l’évolution des mandats. Selon monsieur Ayotte, cette somme forfaitaire comprenait non seulement les honoraires de l’appelant, mais aussi ses dépenses. Vu la nature de son travail pour Sunkiss, l’appelant était obligé de signer une entente de confidentialité avec Sunkiss (voir la pièce A‑4 qui est sans date). L'appelant a amorcé ses fonctions le 7 janvier 2010.

[11]        Le processus à obtenir les certifications du CSA peut prendre jusqu’à 36 mois. L’appelant a réussi à avoir les certifications nécessaires à l’intérieur des 16 à 18 mois. Donc, la deuxième phase de son mandat a débuté puis monsieur Ayotte et l’appelant ont convenu que l’appelant aille aux États‑Unis pour faire la prospection afin de voir s’il y avait un intérêt dans le produit. Le but était d’évaluer et de développer le marché en vue d’éventuellement faire la vente du produit. Mais, selon monsieur Ayotte, l’appelant ne faisait pas de ventes comme telles; il s’occupait de la commercialisation du produit. L'appelant a dû prendre le véhicule de service de Sunkiss afin de transporter les prototypes et l’équipement et il se promenait aux États‑Unis pour faire la prospection et la démonstration. Il se servait également de son propre véhicule. Lorsqu’il se servait de son propre véhicule, l’appelant réclamait un taux de 0,45 $ du kilomètre.

[12]        L’appelant planifiait son horaire de travail. Il n’y avait pas d’heures de travail fixes et il n’était pas obligé de remettre un rapport d’heures travaillées. L’appelant pouvait travailler quand et où il voulait sans assentiment ou interférence de la part de monsieur Ayotte. Ce qui était important était d’obtenir les certifications le plus vite possible. L’appelant facturait Sunkiss (sauf pour une facture datée le 22 février 2010) pour ses dépenses et ses honoraires (voir les pièces A‑5 et I‑1). Ses dépenses faisaient partie de la somme forfaitaire de 30 000 $ par année. L'appelant fut payé par chèque. Les chèques étaient tirés sur le compte bancaire de Techno et non de Sunkiss parce que Sunkiss n’avait pas de fonds. Techno considérait ces paiements comme un prêt à Sunkiss. Monsieur Ayotte a produit des registres de paiements qui ont été faits à l'appelant pour les années 2010 et 2011 (voir les pièces A‑2 et A‑3). Il n’y avait pas de déductions à la source pour les impôts, pour le régime de pension du Canada ou pour l’assurance‑emploi. L’appelant n’avait pas d’avantages sociaux, ni de pension, ni de vacances. Il n’était pas payé pour les jours fériés.

[13]        L'appelant avait la faculté de se servir d’un bureau chez Techno ainsi que tout l’équipement qui y était comme ordinateur, téléphone, copieur, meubles. Cet espace de bureau était à la disposition de tout le monde chez Techno, y compris ses employés et/ou consultants. Cet espace n’était pas dédié à l’appelant. Monsieur Ayotte nous dit que Techno ne fournissait pas d’ordinateur à l'appelant. Monsieur Ayotte lui fournissait un téléphone d’urgence, mais l'appelant avait son propre téléphone cellulaire. D’après monsieur Ayotte, l'appelant fournissait tous ses propres outils de travail, comme un ordinateur portatif.

[14]        À la fin des 24 mois, le contrat fut renouvelé. Maintenant, l'appelant vend les services de Sunkiss, mais à l’époque, il n’était pas vendeur; il évaluait l’intérêt dans le marché parmi les distributeurs potentiels. Il s’agissait de la démonstration et non de la vente.

[15]        En contre‑interrogatoire, monsieur Ayotte admet qu’il ne s’occupait pas de la comptabilité et il est évident d’après moi que la comptabilité laisse beaucoup à désirer. Malgré l’état des factures qui ont été produites, il affirme que pour l’année 2011, toutes les factures étaient destinées à Sunkiss. Le véhicule de service de Techno fut mis à la disposition de l’appelant en 2011 et non en 2010, pour qu’il puisse transporter les prototypes et les équipements, car c’est en 2011 que l’appelant faisait la prospection et la démonstration. En 2010, l’appelant se servait de son propre véhicule. Il admet que tout ce qui était à la disponibilité de l'appelant provenait de Techno. Des cartes d’affaires avaient été données à l'appelant lorsqu’il a commencé à présenter le produit sur le marché, mais ces cartes d’affaires étaient au nom de « Sun Spot », une société mandatée à faire la vente de produit pour Sunkiss. Techno s’occupait du financement, Sunkiss s’occupait du développement de produits et Sun-Spot s’occupait du développement du marché. L’appelant n’avait pas de cartes d’affaires durant la période en litige. Durant la période, monsieur Ayotte exigeait des rapports d’activités afin de connaître le progrès que faisait l’appelant. Il demandait des rapports d’activités pour s’assurer que son objectif serait atteint. Il n’a aucune idée de combien de temps l’appelant aurait pu passé à s’occuper de ses fonctions. La certification de CSA n’a été reçue qu’à la fin de 2011, début de 2012. Techno n’a jamais eu aucun employé ni consultant qui s’est déjà occupé des fonctions de l'appelant. Monsieur Ayotte nous dit que l'appelant aurait pu embaucher quelqu’un comme un assistant, mais je conclus que les honoraires de l’assistant seront payés de la somme forfaitaire de 30 000 $. Techno a émis un T4A à l’appelant et non un T4, car l’appelant était un consultant indépendant et non un employé.

[16]        L'appelant a témoigné. Il est un ancien militaire ayant fait 20 ans dans les Forces canadiennes à titre de technicien spécialisé en finition d’aéronefs. Il a pris sa retraite en 1997. Depuis, il a accepté des mandats contractuels avec plusieurs organismes y compris l’École nationale d’aérotechnique à St‑Hubert. Il a acquis une expertise dans la certification des peintures spécialisées dans le domaine de l’aéronautique. Il a travaillé pour Sico comme consultant pour l’intégration de leurs nouveaux produits aéronautique dans l’industrie.

[17]        Il a rencontré monsieur Ayotte lorsqu’il travaillait en entreprise dans le monde de la peinture aéronautique. Monsieur Ayotte voulait lancer un nouveau projet. Monsieur Ayotte venait d’acquérir une nouvelle technologie française dans le domaine de la catalyse thermoréacteur et il voulait développer des équipements standards, au lieu des équipements fabriqués sur mesure, et il voulait commercialiser ces nouveaux produits. C’était une technologie très pointue. Pour en faire ainsi, monsieur Ayotte avait besoin de quelqu'un qui avait les connaissances et les aptitudes nécessaires pour obtenir les certifications du CSA. Donc, l'appelant et monsieur Ayotte ont conclu un contrat à cet effet. L'appelant était aussi mandaté à évaluer le potentiel de la mise en marché des produits. Cette entente fut conclue à la fin de 2009. La confidentialité était absolument essentielle et l’entente de confidentialité (pièce A‑4) fut signée avant le contrat d’entreprise (pièce A‑1). Son mandat était un mandat à deux volets : (1) évaluer les prototypes par moyen d’épreuves dans le champ et ensuite écrire les normes nécessaires à la certification, et (2) évaluer le potentiel commercial des produits. L'appelant avait un réseau de personnes et organismes qu’il connaissait et il pouvait donc sonder l’intérêt des distributeurs potentiels dans les produits.

[18]        Monsieur Ayotte et l’appelant ont établi un budget de 30 000 $ par année au maximum. Ce montant forfaitaire comprenait les dépenses ainsi que les honoraires de l'appelant. C’est monsieur Ayotte qui a proposé ce montant et l'appelant l’a accepté, car il croyait qu’il pouvait faire quelque chose avec ce montant. C’était un budget de fonctionnement.

[19]        L'appelant nous dit qu’il travaillait de chez lui; il a un bureau dans sa résidence avec un ordinateur. Au début, il était assez souvent au bureau chez Techno (environs 20 % du temps il nous dit) afin de se familiariser avec toute la technologie. Il n’avait pas d’heures de travail fixes et il travaillait comme il voulait. Il présentait des factures qui représentaient ses dépenses. Bien qu’il pouvait utiliser un bureau chez Techno, il travaillait la plupart du temps à sa résidence. Ses heures de travail variaient beaucoup d’une semaine à l’autre. Il se permettait de légers honoraires, car il n’en avait pas besoin dû au fait qu’il recevait une pension fédérale, il était célibataire et il en avait très peu besoin d’argent. Il nous dit qu’il était passionné de ce projet. Son rôle n’était pas de faire des ventes, mais seulement d’inciter et d’évaluer l’intérêt dans le produit parmi les distributeurs potentiels. S’il y avait des ventes durant la période, il ne s’en occupait pas. Il se voit comme étant un contractuel et non un employé.

[20]        En contre‑interrogatoire, il dit qu’au début il préparait des rapports d’activités, mais il a arrêté, car ça prenait trop de temps. Il n’a pas consulté monsieur Ayotte avant de prendre cette décision. Par contre, les deux hommes étaient en communication assez souvent et c’était facile de tenir monsieur Ayotte au courant. Il a reçu deux certifications en décembre 2010 et en mai 2011, car il y avait deux produits. Ces certifications sont souvent sujettes à des modifications qui se font continuellement. L’appelant se servait de son propre ordinateur portatif, mais il avait accès à l’ordinateur au bureau s’il voulait, en se servant d’une clé mémoire USB. Il faisait des tests en laboratoire chez Techno au début du processus de la certification.

[21]        L’appelant décidait qui aller voir pour faire la commercialisation et l’évaluation du marché, car il s’agissait de son réseau de contacts. Bien que monsieur Ayotte connut des gens et suggéra à l’appelant parfois qui aller voir, monsieur Ayotte laissait ça à la discrétion de l'appelant. L’appelant affirme que monsieur Ayotte ne lui établissait pas d’horaire pour aller voir les clients. Il se présentait comme consultant ou conseillé technique de Sunkiss. C’est l’appelant lui‑même qui planifiait son plan de voyage. Il partait quand il voulait et restait sur la route aussi longtemps qu’il voulait et il visitait les distributeurs potentiels qu’il voulait. Il se servait de son véhicule à moins que ce fût nécessaire d’apporter les équipements pour faire de la démonstration dans quel cas il se servait du véhicule de service de la compagnie. L’appelant admet que ça faisait partie de son travail de faire la formation sur l’opération des équipements auprès des distributeurs et leurs représentants.

[22]        L’appelant nous affirme qu’il n’avait pas d’autres clients durant la période.

[23]        Monsieur Elio Palladini est un agent d’appel à l’emploi de l’ARC. Il a préparé son rapport CPT110 daté du 29 mai 2012 (pièce I‑2). Monsieur Palladini considérait que l'appelant était employé comme vendeur sur la route pour Techno en vertu d’une entente verbale et il n’était pas un travailleur autonome. Donc, d’après monsieur Palladini, l’appelant exerçait un emploi assurable. Par contre, il est évident d’après monsieur Ayotte et l’appelant qu’en 2012 lors de l’entrevue téléphonique avec monsieur Palladini, l’appelant travaillait comme vendeur, mais il ne l’était pas pendant la période. L’appelant et monsieur Ayotte affirment que durant la période, l’appelant travaillait comme consultant indépendant en vertu d’un contrat d’entreprise écrit, et non une entente verbale. En fait, monsieur Ayotte et l’appelant contestent presque toutes les conclusions de monsieur Palladini. D’après eux, si l’appelant travaillait comme vendeur, ce travail a débuté après la période en litige.

Position des parties

[24]        L’appelant soutient qu’il était en tout temps un travailleur autonome et donc il n’exerçait pas un emploi assurable. Donc, l’appel doit être accueilli.

[25]        L’intimé soutient que l’appelant exerçait un emploi aux termes d’un contrat de travail au sens de l’article 2085 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (le « C.c.Q. »). et donc cet emploi était un emploi assurable au sens du paragraphe 5(1) de la Loi pendant la période en litige. Donc, d’après l’intimé, l’appel doit être rejeté.

Analyse

[26]        Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[Non souligné dans l’original.]

[27]        Donc, si l’appelant était lié par un contrat de louage de service avec monsieur Ayotte ou avec une de ses compagnies, il était un employé qui exerçait un emploi assurable. Par contre, si l’appelant était un travailleur autonome qui effectuait son travail aux termes d’un contrat d’entreprise ou de service, il n’exerçait pas un emploi assurable au sens du paragraphe 5(1) de la Loi.

[28]        En l’espèce, le contrat qui existait entre l’appelant et monsieur Ayotte ou une de ses compagnies doit être interprété à la lumière des dispositions du C.c.Q. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

1425.   Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426.   On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

[…]

2085.   Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

2086.   Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

[…]

2098.   Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2099.   L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[Je souligne.]

[29]        Trois éléments constitutifs caractérisent le « contrat de travail » en droit québécois : (1) une prestation de travail, (2) une rémunération et (3) un lien de subordination. C'est l’élément de subordination qui est à la source de la plupart des litiges. La définition même du contrat de travail que l’on retrouve à l’article 2085 du C.c.Q. met l'accent sur « la direction ou le contrôle » ce qui fait du contrôle l'objet même de l'exercice et donc beaucoup plus qu'un simple indice d'encadrement, comme il est dans la common law : voir 9041‑6868 Québec Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CAF 334, [2005] A.C.F. no 1720 (QL), au paragraphe 12.

[30]        Quelle est l’interaction entre le droit civil québécois et la common law dans l’interprétation d’un contrat de travail ou un contrat d’entreprise conclu au Québec? Dans Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, [2009] 4 R.C.F. 592, le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale a eu à considérer cette question. Il nous instruit que le droit civil du Québec définisse les éléments constitutifs requis pour l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat d’entreprise. Pour sa part, la common law énumère plutôt des facteurs ou critères qui, si présents, servent à déterminer l’existence ou non de tels contrats. Un contrat de travail au sens de l’article 2085 du C.c.Q. exige la présence d’une direction ou d’un contrôle du travail par l’employeur. Un contrat d’entreprise au sens de l’article 2099 du C.c.Q. requiert une absence de lien de subordination entre l’entrepreneur et le client quant à l’exécution du contrat. Le contrat d’entreprise se caractérise donc par une absence de contrôle de l’exécution du travail, un contrôle qu’il ne faut pas confondre avec celui de la qualité et du résultat. Le législateur québécois y ajoute également comme élément de définition le libre choix par l’entrepreneur des moyens d’exécution du contrat. Dans le droit civil, l’élément de subordination ou de contrôle est un élément constitutif essentiel d’un contrat de travail. Par contre, la common law a développé des critères pour analyser la relation entre les parties. Ces tests de la common law, que le juge Létourneau qualifie de critères, de points de repère ou d’indices d’encadrement, sont utiles dans la qualification juridique d’un contrat de travail ou un contrat d’entreprise en vertu du droit civil québécois. Le juge Létourneau résume au paragraphe 43 de ses motifs de jugement :

[43]      En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est‑à‑dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour l’existence d’un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise.

[31]        La Cour d’appel fédérale a encore repris cette thèse dans l’arrêt NCJ Educational Services Limited c. Canada (Revenu national), 2009 CAF 131, [2009] A.C.F. no 507 (QL). La juge Desjardins nous instruit :

[58]      Bien que le critère du contrôle et la présence ou l’absence de lien de subordination constituent les éléments caractéristiques du contrat de travail, la multiplication des situations factuelles a contraint les tribunaux à élaborer des indices d’analyse dans leur recherche de la véritable nature d’une relation déterminée.

[59]      Dans l’édition la plus récente de l’ouvrage de Robert Gagnon (6e édition, mise à jour par Langlois Kronström Desjardins, sous la direction de Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche), les indices suivants (ci-après soulignés) ont été ajoutés à ceux que l’on trouvait dans la 5e édition. Ces nouveaux indices sont les mêmes que ceux qui avaient été élaborés dans l’arrêt Montreal Locomotive Works et que notre Cour avait appliqués dans l’arrêt Wiebe Door.

92 – Notion – Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.‑C.; art.  1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

[Non souligné dans l’original.]

[32]        Quels sont les critères de la common law? Le juge MacGuigan de la Cour d’appel fédérale a effectué un examen approfondi de la jurisprudence pertinente dans l’affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, [1986] 2 C.T.C. 200 (F.C.A.). Il a cité avec approbation le critère à quatre volets énoncé par lord Wright par l’arrêt Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.). Ces quatre volets sont : (1) le contrôle, (2) la propriété des instruments de travail, (3) les possibilités de profit et les risques de pertes, et (4) l’intégration du travailleur dans l’entreprise. L’intégration prend une importance limitée et ne joue que du point de vue du travailleur. Le juge MacGuigan a remarqué que le critère de contrôle ou le droit de donner des ordres et instructions sur la manière d’effectuer le  travail est le critère essentiel destiné à déterminer l’existence d’une relation employeur/employé : voir aussi Laurent c. Hôpital Notre‑Dame de l’Espérance, [1978] 1 R.C.S. 605, p. 613.

[33]        Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Major, a approuvé la démarche proposée par le juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door, précité. Il a statué ainsi aux paragraphes 47 et 48 :

47.       Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui‑même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

48.       Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

[34]        Il y a un autre courant jurisprudentiel qui accorde un poids substantiel à l’intention des parties : voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, 2002 D.T.C. 6853 (C.A.F.), 2002 CAF 96, et Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national), [2007] 1 R.C.F. 35, 2006 CAF 87, Wolf, précité, est un cas qui est semblable au cas qui nous occupe. Monsieur Wolf, un Américain, était un ingénieur mécanicien spécialisé en aérospatiale. Il a conclu un contrat avec une société canadienne ayant comme but de rendre des services professionnels spécialisés à une tierce partie. Par ce contrat, monsieur Wolf est décrit comme consultant et comme entrepreneur indépendant. Le ministre avait refusé la déduction de dépenses d’entreprise (soit plus particulièrement la déduction de frais de logement et de déplacement) parce qu’il considérait que monsieur Wolf avait gagné un revenu d’emploi et non un revenu d’entreprise. La Cour canadienne de l’impôt a déterminé que monsieur Wolf n’était pas un travailleur autonome, mais il était un employé. Donc, les dépenses d’entreprise n’étaient pas déductibles. La Cour d’appel fédérale, en accordant l’appel de monsieur Wolf, était unanime en décidant que monsieur Wolf était un travailleur autonome et non un employé. La juge Desjardins a constaté que les tribunaux québécois ont reconnu que la distinction clé entre un contrat de travail et un contrat de service consistait dans l’élément de subordination ou contrôle (voir l’article 2085 du C.c.Q.). Elle dit que la distinction entre un contrat de travail et un contrat de service aux termes du C.c.Q. peut être examinée à la lumière des critères élaborés au cours des années, tant en droit civil qu’en common law. La juge Desjardins a examiné le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, la propriété du matériel nécessaire pour exécuter le travail, la possibilité d’engager des assistants, le degré de risque financier et de profit, dans la mesure où il concerne une personne dotée de compétences spécialisées engagée pour exécuter un travail de spécialiste. Le juge Noël était d’avis que la qualification que les parties ont donnée à leur relation devrait se voir accorder un grand poids. Il a constaté que la façon dont les parties décident de décrire leur relation n’est pas habituellement déterminante, en particulier lorsque les critères juridiques applicables pointent dans l’autre direction; mais si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peut pas être laissée de côté. Le juge Décary était aussi d’avis que l’intention contractuelle constituait un facteur très important à considérer et peut être déterminant. Il nous instruit ainsi :

[117]    Le critère consiste donc à se demander, en examinant l’ensemble de la relation entre les parties, s’il y a un contrôle d’un côté et une subordination de l’autre. Je déclare, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l’essence d’une relation contractuelle, à savoir l’intention des parties. L’article 1425 du Code civil du Québec établit le principe selon lequel « on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés ». L’article 1426 du Code civil du Québec poursuit en disant : « on tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages ».

[118]    Nous sommes en présence ici d’un type de travailleur qui a choisi d’offrir ses services à titre d’entrepreneur indépendant et non pas d’employé et d’un type d’entreprise qui choisit des entrepreneurs indépendants au lieu de prendre des employés. Le travailleur sacrifie délibérément sa sécurité d’emploi en échange de la liberté [TRADUCTION] « le salaire était beaucoup plus élevé, il n’y avait pas de sécurité d’emploi, pas d’avantages sociaux comme ceux que touche l’employé, par exemple l’assurance-maladie, la retraite, des choses de ce genre... » (témoignage de M. Wolf, Dossier d’appel, vol. 2, page 24). La société qui embauchait utilise délibérément des entrepreneurs indépendants pour effectuer un certain travail à un certain moment [TRADUCTION] (« Le salaire est plus élevé avec une sécurité d’emploi moindre, parce que les consultants sont engagés pour combler les besoins lorsque l’emploi local ou la charge de travail sont anormalement élevés, ou quand l’entreprise ne veut pas engager d’autres employés et les mettre à pied ensuite. Ils engageront des consultants parce qu’ils peuvent mettre fin à leur contrat en tout temps sans avoir de responsabilités à leur égard » (ibid., page 26). La société qui embauche ne traite pas ses consultants, dans son exploitation quotidienne, de la même manière qu’elle traite ses employés (voir par. 68 des motifs de Madame le juge Desjardins). Toute la relation de travail commence et se maintient selon le principe voulant qu’il n’y a pas de contrôle ou de subordination.

[119]    Les contribuables peuvent organiser leurs affaires de la façon légale qu’ils désirent. Personne n’a suggéré que M. Wolf ou Canadair ou Kirk‑Mayer ne sont pas ce qu’ils disent être ou qu’ils ont arrangé leurs affaires de façon à tromper les autorités fiscales ou qui que ce soit. Lorsqu’un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu’il est exécuté comme tel, l’intention commune des parties est claire et l’examen devrait s’arrêter là. Si ce n’était pas suffisant, il suffit d’ajouter qu’en l’espèce, les circonstances dans lesquelles le contrat a été formé, l’interprétation que lui ont donnée les parties et l’usage dans l’industrie aérospatiale conduisent tous à conclure que M. Wolf n’est pas dans une position de subordination et que Canadair n’est pas dans une position de contrôle. La « question centrale » a été définie par le juge Major dans l’affaire Sagaz comme étant : « si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte ». Il est clair, à mon avis, que M. Wolf a exécuté des services professionnels à titre de personne qui travaillait pour son propre compte.

[120]    De nos jours, quand un travailleur décide de garder sa liberté pour pouvoir signer un contrat et en sortir pratiquement quand il le veut, lorsque la personne qui l’embauche ne veut pas avoir de responsabilités envers un travailleur si ce n’est le prix de son travail et lorsque les conditions du contrat et son exécution reflètent cette intention, le contrat devrait en général être qualifié de contrat de service. Si l’on devait mentionner des facteurs particuliers, je nommerais le manque de sécurité d’emploi, le peu d’égard pour les prestations salariales, la liberté de choix et les questions de mobilité.

[35]        Donc, le juge Décary a attribué un poids très important au fait que les parties aient postulé que le travailleur était un entrepreneur indépendant. Le juge Décary a statué que, en l’absence de tout élément tendant à prouver le contraire sans ambiguïté, l’intention expresse des parties devrait l’emporter lorsqu’il s’agit d’établir si la relation professionnelle est une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant.

[36]        Dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, précité, la Cour d’appel fédérale a encore repris et clarifié l’importance de l’intention contractuelle des parties. La Cour était d’avis que certains danseurs engagés par le Royal Winnipeg Ballet étaient des entrepreneurs indépendants et non des employés. La juge Sharlow était d’avis que le juge de la Cour canadienne de l’impôt ait conclu à tort qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de l’intention des parties pour statuer sur la nature juridique du statut d’employé ou d’entrepreneur indépendant. La juge Sharlow a tracé l’évolution de la jurisprudence depuis Montréal Locomotive Works Ltd., précité, jusqu’à présent. Elle a ensuite résumé les principes applicables :

[60]      … Un de ces principes veut que, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. Un autre principe est que, pour interpréter un contrat, il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que lui ont déjà donnée les parties ou d’autres personnes, ainsi que de l’usage. La conclusion inévitable est qu’il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée.

[61]      Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

[…]

[64]      Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

[37]        Dans la décision récente de 1392644 Ontario Inc., s/n Connor Homes c. Canada (M.R.N.), 2013 CAF 85, [2013] F.C.J. No. 327 (QL), 444 N.R. 163, la Cour d’appel fédérale nous donne le dernier mot. Connor Homes est titulaire d’une licence de la province de l’Ontario l’autorisant à gérer des foyers d’accueil et des foyers collectifs où elle fournit des services à des enfants atteints de troubles graves de comportement et de développement. La prestation de ces services est assurée par de nombreuses personnes que Connor Homes a recrutées à cette fin, notamment des travailleurs auprès des enfants et des jeunes, des travailleurs sociaux, et des psychologues et thérapeutes agréés. L’Agence du revenu du Canada a conclu que certaines travailleuses auprès des enfants et des jeunes ainsi qu’une surveillante occupaient des emplois assurables et ouvrants droit à pension chez Connor Homes pendant les périodes en litige. Le ministre a confirmé ces décisions et donc, les appelantes ont attaqué ces décisions devant la Cour canadienne de l’impôt. L’appel fut rejeté, alors les appelantes ont interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale.

[38]        Le juge Mainville de la Cour d’appel fédérale, après avoir fait une étude de la jurisprudence, nous suggère une analyse à deux étapes afin de déterminer si quelqu’un travaille comme employé ou comme entrepreneur indépendant.

[39]      La première étape consiste à établir l’intention subjective de chacune des parties à la relation. On peut le faire soit d’après le contrat écrit qu’elles ont passé, soit d’après le comportement effectif de chacune d’elles, par exemple en examinant les factures des services rendus, et les points de savoir si la personne physique intéressée s’est enregistrée aux fins de la TPS et produit des déclarations d’impôt en tant que travailleur autonome.

[40]      La seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. Comme le rappelait la juge Sharlow au paragraphe 9 de l’arrêt TBT Personnel Services Inc. c. Canada, 2011 CAF 256, 422 N.R. 366, « il est également nécessaire d’examiner les facteurs exposés dans Wiebe Door afin de déterminer si les faits concordent avec l’intention déclarée des parties ». Autrement dit, l’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs. À cette seconde étape, on peut aussi prendre en considération l’intention des parties, ainsi que les modalités du contrat, puisqu’elles influent sur leurs rapports. Ainsi qu’il est expliqué au paragraphe 64 de l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, les facteurs applicables doivent être examinés « à la lumière de » l’intention des parties. Cela dit, cependant, la seconde étape est une analyse des faits pertinents aux fins d’établir si le critère des arrêts Wiebe Door et de Sagaz est, ou non, rempli, c’est‑à‑dire si la relation qu’ont nouée les parties est, sur le plan juridique, une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé.

[41]      La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour assurer les services le fait, concrètement, en tant que personne travaillant à son compte. Comme l’expliquent aussi bien les arrêts Wiebe Door que Sagaz, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et il n’y a pas de formule fixe qu’on puisse appliquer, dans l’examen qui permet de répondre à cette question. Les facteurs à prendre en considération varient donc selon les faits de l’espèce. Néanmoins, les facteurs que spécifient les arrêts Wiebe Door et Sagaz sont habituellement pertinents, ces facteurs étant le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit lui‑même son outillage, engage ses assistants, gère et assume des risques financiers, et peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

[39]        Mon collègue, le juge Bédard de la Cour canadienne de l’impôt nous éclaire à l’égard de la façon dont on doit analyser la question qui est ici en litige : voir Promotions C.D. Inc. c. Canada (Ministre du Revenu National), 2008 CCI 216, [2008] A.C.I. no 321 (QL), paragraphes 12 à 16 :

[12]      On peut dire que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail est l'absence, dans le premier cas, d'un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l'employeur de diriger et de contrôler l'employé. Il faut donc déterminer en l’espèce s'il y avait ou non un lien de subordination entre l'appelante et les travailleurs.

[13]      L'appelante a le fardeau de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des faits en litige pour établir son droit à l'annulation des décisions du ministre. Elle doit prouver le contrat que les parties ont conclu et établir leur intention commune quant à la nature de ce contrat. S'il n'y a pas de preuve directe de cette intention, l’appelante peut avoir recours à des indices conformément au contrat qui avait été convenu et aux dispositions du Code civil qui le régissaient. L’appelante devra en l’espèce prouver l’absence d'un lien de subordination si elle veut établir l’inexistence d'un contrat de travail et, pour ce faire, elle peut utiliser, si nécessaire, des indices d’autonomie tels que ceux qui ont été énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, précité, soit la propriété des outils ainsi que le risque de perte et la possibilité de profit. Je suis d’avis toutefois que, contrairement à l’approche qui a cours en common law, une fois qu’un juge est en mesure de conclure à l’absence d’un lien de subordination, son analyse s’arrête là pour déterminer s’il s’agit d’un contrat de service. Il n’est pas nécessaire de considérer la pertinence de la propriété des outils ainsi que le risque de perte ou la possibilité de profit, puisqu’en vertu du Code civil, l’absence du lien de subordination constitue le seul élément constitutif du contrat de service qui le distingue du contrat de travail. Les éléments tels la propriété des outils et les risques de perte ou la possibilité de profit ne sont pas des éléments essentiels à un contrat de service. Par contre, l’absence d'un lien de subordination est un élément essentiel. À l’égard des deux formes de contrat, il faut décider s'il existe ou non un lien de subordination. Évidemment, le fait que le travailleur se comportait comme un entrepreneur pourrait être un indice de l’absence de lien de subordination.

[14]      En dernier ressort, c’est habituellement sur la base des faits révélés par la preuve au sujet de l’exécution du contrat qu’une décision devra être rendue par la Cour, et cela, même si l’intention manifestée par les parties indique le contraire. Si la preuve au sujet de l’exécution du contrat n’est pas concluante, une décision peut quand même être rendue selon l’intention des parties et la façon dont elles ont décrit le contrat, si la preuve est probante sur ces questions. Si cette preuve non plus n'est pas concluante, alors la sanction sera le rejet de l’appel de l’appelante pour cause de preuve insuffisante.

[15]      La question consiste alors à déterminer si, en l’espèce, les travailleurs travaillaient sous le contrôle ou la direction de l’appelante ou encore si l’appelante pouvait ou était en droit de contrôler ou de diriger les travailleurs.

[16]      Le contrat entre les travailleurs et l’appelante mentionne clairement que le contrat qui les lie est un contrat d’entreprise. Toutefois, même si les parties contractantes ont, en l’espèce, manifesté clairement, librement et en toute connaissance de cause leur intention dans leur contrat écrit, cela ne signifie pas que je dois considérer ce fait comme décisif. Encore faut‑il que le contrat soit exécuté conformément à ce qui y est prévu. Ce n’est pas parce que les parties ont stipulé que le travail sera exécuté par un travailleur autonome qu’il n’existe pas de relation employeur‑employé. En définitive, je dois vérifier si la relation contractuelle correspond à la réalité.

[40]        Ayant considéré l’ensemble de la preuve, j’arrive à la conclusion que monsieur Ayotte et l’appelant sont des témoins crédibles et j’accepte leur témoignage. Monsieur Ayotte et l’appelant sont d’accord que Sunkiss était le client de monsieur Villeneuve et non Techno. Par contre, l’intimé soutient que Techno était l’employeur de l’appelant. À mon avis, qui était l’employeur ou le client de l’appelant a peu d’importance, car c’est le statut juridique de l’appelant que je dois déterminer. En fait, le client ou l’employeur de l’appelant était monsieur Ayotte par le biais d’une de ses compagnies.

[41]        Ayant fait un survol de la jurisprudence québécoise ainsi que de la jurisprudence de la common law, et ayant considéré les principes qui y sont énoncés, j’arrive à la conclusion que le contrat qui liait l’appelant et monsieur Ayotte est un contrat de service ou un  contrat d’entreprise puisqu’il n’y avait pas de subordination.

L’intention

[42]        La commune intention des parties est un facteur qui est très important en l’espèce. Il ne peut pas être contesté que monsieur Ayotte et l’appelant aient l’intention de qualifier leur relation comme étant une de client et entrepreneur. Il est aussi évident que les modalités de travail reflètent la relation juridique qu’ils affirmaient avoir créée. L’appelant s’est comporté comme un entrepreneur indépendant et monsieur Ayotte ne lui a pas imposé de limites sur les moyens que l’appelant choisissait d’exécuter son travail. Bien sûr qu’au début l’appelant fournissait des rapports  d’activités, mais monsieur Ayotte avait certainement le droit de savoir le progrès que réalisait l’appelant. La contrepartie pour le travail était une somme forfaitaire de 30 000 $ ce qui comprenait les dépenses de l’appelant ainsi que ses honoraires. Je rejette la prétention de l’intimé comme quoi l’appelant travaillait pour un salaire fixe. Il n’y avait pas de déductions à la source pour impôt, régime de pension du Canada, assurance‑emploi, etc. L’appelant n’avait pas d’avantages sociaux comme vacances, pension, plan médical, assurance, etc. Il n’était pas payé pour les jours fériés. Bien qu’il se servît d’un bureau chez Techno, il avait un bureau à la maison ou il travaillait la plupart du temps. Il recevait un T4A comme entrepreneur au lieu d’un T4 comme employé. Je suis d’avis que la réalité objective confirme l’intention subjective des parties.

Contrôle et subordination

[43]        Ce facteur est l’élément essentiel à considérer. Il est évident que l’appelant pouvait travaillé quand il voulait et où il voulait sans l’assentiment ni l’intervention de monsieur Ayotte. L’appelant était responsable de la planification de son travail, il décidait du nombre d’heures à travailler ainsi que des journées de travail. Il décidait quand il prenait ses vacances. Bien qu’il acceptât les suggestions de monsieur Ayotte, c’est l’appelant qui décidait qui il allait visiter lorsqu’il sondait l’intérêt du marché. Je suis d’avis que monsieur Ayotte exerçait que très peu de contrôle sur les activités de l’appelant durant la période en litige. Ce facteur important suggère que l’appelant était un travailleur autonome.

Outils et équipements

[44]        Techno fournissait un bureau ainsi que l’équipement qui s’y trouvait. L’appelant s’en servait environ 20 % du temps. L’appelant se servait du laboratoire chez Techno. Monsieur Ayotte lui avait aussi donné un téléphone cellulaire en cas d’urgence. De plus, l’appelant se servait du véhicule de service de Techno lorsqu’il se promenait pour faire la démonstration des prototypes. Par contre, l’appelant se servait de son propre véhicule, il se servait de son bureau à la maison, de son ordinateur portatif et de son propre cellulaire. À mon avis, ce facteur est un facteur neutre, mais si je dois y accorder du poids, ce facteur suggère légèrement un contrat de travail.

Assistants

[45]        Monsieur Ayotte a témoigné voulant que l’appelant eût le droit d’embaucher des assistants pour l’aider s’il voulait. Malgré le fait que l’appelant a fait tout le travail lui-même, le fait qu’il pouvait embaucher un assistant suggère un  contrat d’entreprise.

Risque de pertes et chance de profits

[46]        Il est évident que la contrepartie pour les services de l’appelant était une somme forfaitaire de 30 000 $. Ceci comprenait les dépenses de l’appelant ainsi que ses honoraires. L’appelant peut maximiser ses revenus s’il peut minimiser ses dépenses. S’il ne pouvait pas contrôler ses dépenses, il risquait des pertes. Ce facteur suggère un contrat d’entreprise.

Investissement

[47]        L’appelant n’a  rien investi sauf son temps, ses connaissances, ses habilités et ses efforts. Ceci est un facteur neutre, mais si je dois y accorder du poids, ce facteur suggère un contrat de travail.

Intégration

[48]        En 2012, lorsque l’appelant faisait les ventes, il était intégral aux opérations de monsieur Ayotte. Mais, pendant la période il ne faisait pas de ventes. Il faisait de la consultation et il rendait des services spécialisés à monsieur Ayotte. Ce facteur, qui doit être considéré au point de vue du travailleur, n’est pas important et ne figure pas dans mon analyse.

Conclusion

[49]        Je suis convaincu par la prépondérance de la preuve que l’appelant exerçait son travail en vertu d’un contrat d’entreprise et donc, il n’exerçait pas un emploi assurable au sens du paragraphe 5(1) de la Loi.

[50]        Pour ces motifs, l’appel est accordé et l’affaire est référée au ministre pour réévaluation en tenant pour acquis que l’appelant n’exerçait pas un emploi assurable au sens du paragraphe 5(1) de la Loi.

Signé à Kingston, Ontario, ce 15e jour juillet 2014.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 224

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-4735(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JACQUES VILLENEUVE c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 mars 2014

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable Rommel G. Masse,
juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 juillet 2014

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Laurianne Dusablon‑Rajotte,
stagiaire en droit
Me Julie David

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

n/a

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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