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Date : 20080117

Dossier : A-75-07

Référence : 2008 CAF 18

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

JEAN LANGLOIS

Défendeur

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 janvier 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2008.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                             LE JUGE NADON

 


Date : 20080117

Dossier : A-75-07

Référence : 2008 CAF 18

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

JEAN LANGLOIS

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige

 

[1]               Le prestataire était-il justifié, aux termes de l’alinéa 29c) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C., 1996, ch. 23 (Loi) de quitter un emploi permanent pour occuper un autre emploi permanent, mais saisonnier, plus rémunérateur? Et, selon les circonstances de l’espèce, s’agissait-il de la « seule solution raisonnable » suivant l’interprétation qui a été faite de ces termes qui apparaissent au dit paragraphe?

 

[2]               Ce sont là les deux questions dont la Cour est saisie. C’est la première fois que notre Cour est requise de se pencher et de se prononcer sur cette problématique.

 

Les prétentions du demandeur

 

[3]               Déboutée par le conseil arbitral et le juge-arbitre Gobeil, la Commission de l’assurance-emploi (Commission), par l’entremise du Procureur général du Canada, demande la révision judiciaire de la décision du juge-arbitre. Elle soutient que le juge-arbitre a erré en droit dans l’interprétation et l’application du sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi. L’erreur, selon ce qui apparaît au mémoire des faits et du droit, consisterait dans le fait que le départ du défendeur pour occuper un emploi permanent saisonnier ne constituait pas la seule solution raisonnable au sens de ce sous-alinéa.

 

[4]               Avant de résumer et d’analyser la décision du juge-arbitre, il importe de relater les principaux faits qui ont donné naissance au présent litige. Ces faits sont importants pour répondre tant à la première qu’à la deuxième question que soulève l’appel.

 

Les faits

 

[5]               Le défendeur occupait un emploi permanent de boucher, et ce depuis le 23 juillet 2003. Or, le 19 août 2005, il a quitté cet emploi pour un autre emploi permanent, beaucoup plus rémunérateur (17,50 $ au lieu de 9,50 $ l’heure), dans le domaine de la construction, emploi dans lequel il a débuté le lundi suivant, soit le 22 août 2005. Ayant obtenu ses cartes de compétence, il pouvait dorénavant exercer initialement le métier d’apprenti-plâtrier et, par la suite, celui de plâtrier.

 

[6]               Mais voilà, même si l’emploi était permanent, il s’agissait d’un emploi saisonnier. Au moment de son embauche par la compagnie Stuc Acrylique 2000 Inc., le défendeur fut avisé par écrit par ce nouvel employeur que ce dernier pouvait lui garantir du travail jusqu’en décembre.

 

[7]               Or, le nouvel emploi s’est terminé plus tôt que prévu le 21 octobre 2005. Aucune explication ne nous a été fournie quant à cette réalisation précipitée du travail. Il y aurait alors reprise de l’emploi le printemps suivant. Il était aussi possible que le nouvel employeur soit en mesure de lui offrir un contrat durant l’hiver, mais il n’y avait pas de garantie en ce sens à cause de la température. La semaine régulière de travail du défendeur dans le cadre de ce nouvel emploi était d’une durée de quarante (40) heures.

 

[8]               Le 23 octobre 2005, une période de prestations fut établie au profit du défendeur par suite de la perte de son emploi en raison d’un manque de travail. Mais le 15 décembre suivant, la Commission avisait le défendeur qu’il était exclu du bénéfice des prestations parce que son départ de la boucherie où il travaillait auparavant n’était pas justifié. Et ce départ, tel que préalablement mentionné, ne se justifiait pas parce qu’il ne constituait pas la seule solution raisonnable dans son cas.

 

[9]               Selon la Commission, s’offraient au défendeur des solutions raisonnables autres que celle de recevoir des prestations d’assurance-emploi à compter du 25 octobre 2005. Le défendeur pouvait attendre pour quitter son emploi de se trouver un emploi plus rémunérateur qui n’était pas saisonnier et qui ne devait pas prendre fin dans un court laps de temps.

 

[10]           Une fois son emploi dans la construction terminé, le défendeur a entrepris sans succès des démarches auprès de son ancien employeur pour reprendre durant la période hivernale son emploi de boucher.

 

La décision du juge-arbitre

 

[11]           Le juge-arbitre a rejeté la prétention de la Commission que le défendeur ne pouvait pas quitter un emploi permanent pour occuper un emploi saisonnier. Accepter une telle prétention aurait eu pour effet de nier les avantages que confère le sous-alinéa 29c)(vi) qui permet à une personne de quitter un emploi pour en occuper un autre.

 

[12]           Le juge-arbitre a conclu que le défendeur était justifié de quitter son emploi comme boucher puisqu’il avait « l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat », tel que stipulé par le sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi. De plus, il a estimé que le défendeur avait agi prudemment et raisonnablement dans les circonstances, puisqu’il avait obtenu ses cartes d’apprentis avant de quitter son emploi et qu’il avait commencé son nouvel emploi le lundi suivant le vendredi où il a quitté son travail à la boucherie.

 

[13]           Le juge-arbitre s’est aussi dit d’avis que le fait que son premier contrat de travail à titre d’apprenti-plâtrier soit dans un domaine d’emploi saisonnier ne saurait vicier son geste alors qu’il s’agissait d’un emploi dans un domaine où il y a pénurie.

 

[14]           Finalement, quant à la question de savoir si l’abandon de son emploi était pour le défendeur la seule solution raisonnable, le juge-arbitre a répondu positivement à cette question en affirmant que pour occuper à plein temps le métier de plâtrier qui lui était offert, le défendeur devait nécessairement quitter son emploi à plein temps à la boucherie.

 

Analyse de la décision du juge-arbitre et des prétentions des parties

 

a)         Le défendeur pouvait-il quitter un emploi permanent non saisonnier pour un emploi permanent saisonnier plus rémunérateur?

 

 

[15]           Puisqu’ils se situent au cœur du présent litige, je reproduis l’alinéa 29c) ainsi que l’article 30 de la Loi :

 

29. Pour l’application des articles 30 à 33 :

 

[…]

 

c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas :

 

(i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,

 

(ii) nécessité d’accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,

 

(iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,

 

(iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,

 

(v) nécessité de prendre soin d’un enfant ou d’un proche parent,

 

(vi) assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat,

 

(vii) modification importante de ses conditions de rémunération,

 

(viii) excès d’heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci,

 

(ix) modification importante des fonctions,

 

(x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,

 

(xi) pratiques de l’employeur contraires au droit,

 

(xii) discrimination relative à l’emploi en raison de l’appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,

 

(xiii) incitation indue par l’employeur à l’égard du prestataire à quitter son emploi,

 

(xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

 

 

 

30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

 

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

 

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

 

(2) L’exclusion vaut pour toutes les semaines de la période de prestations du prestataire qui suivent son délai de carence. Il demeure par ailleurs entendu que la durée de cette exclusion n’est pas affectée par la perte subséquente d’un emploi au cours de la période de prestations.

 

(3) Dans les cas où l’événement à l’origine de l’exclusion survient au cours de sa période de prestations, l’exclusion du prestataire ne comprend pas les semaines de la période de prestations qui précèdent celle où survient l’événement.

 

(4) Malgré le paragraphe (6), l’exclusion est suspendue pendant les semaines pour lesquelles le prestataire a autrement droit à des prestations spéciales.

 

(5) Dans les cas où le prestataire qui a perdu ou quitté un emploi dans les circonstances visées au paragraphe (1) formule une demande initiale de prestations, les heures d’emploi assurable provenant de cet emploi ou de tout autre emploi qui précèdent la perte de cet emploi ou le départ volontaire et les heures d’emploi assurable dans tout emploi que le prestataire perd ou quitte par la suite, dans les mêmes circonstances, n’entrent pas en ligne de compte pour l’application de l’article 7 ou 7.1.

 

 

(6) Les heures d’emploi assurable dans un emploi que le prestataire perd ou quitte dans les circonstances visées au paragraphe (1) n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées, au titre du paragraphe 12(2), ou le taux de prestations, au titre de l’article 14.

 

(7) Sous réserve de l’alinéa (1)a), il demeure entendu qu’une exclusion peut être imposée pour une raison visée au paragraphe (1) même si l’emploi qui précède immédiatement la demande de prestations — qu’elle soit initiale ou non — n’est pas l’emploi perdu ou quitté au titre de ce paragraphe.

29. For the purposes of sections 30 to 33,

 

 

(c) just cause for voluntarily leaving an employment or taking leave from an employment exists if the claimant had no reasonable alternative to leaving or taking leave, having regard to all the circumstances, including any of the following:

 

(i) sexual or other harassment,

 

(ii) obligation to accompany a spouse, common-law partner or dependent child to another residence,

 

(iii) discrimination on a prohibited ground of discrimination within the meaning of the Canadian Human Rights Act,

 

(iv) working conditions that constitute a danger to health or safety,

 

(v) obligation to care for a child or a member of the immediate family,

 

(vi) reasonable assurance of another employment in the immediate future,

 

(vii) significant modification of terms and conditions respecting wages or salary,

 

(viii) excessive overtime work or refusal to pay for overtime work,

 

(ix) significant changes in work duties,

 

(x) antagonism with a supervisor if the claimant is not primarily responsible for the antagonism,

 

(xi) practices of an employer that are contrary to law,

 

(xii) discrimination with regard to employment because of membership in an association, organization or union of workers,

 

(xiii) undue pressure by an employer on the claimant to leave their employment, and

 

(xiv) any other reasonable circumstances that are prescribed.

 

 

 

30. (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

 

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

 

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

 

(2) The disqualification is for each week of the claimant’s benefit period following the waiting period and, for greater certainty, the length of the disqualification is not affected by any subsequent loss of employment by the claimant during the benefit period.

 

(3) If the event giving rise to the disqualification occurs during a benefit period of the claimant, the disqualification does not include any week in that benefit period before the week in which the event occurs.

 

(4) Notwithstanding subsection (6), the disqualification is suspended during any week for which the claimant is otherwise entitled to special benefits.

 

(5) If a claimant who has lost or left an employment as described in subsection (1) makes an initial claim for benefits, the following hours may not be used to qualify under section 7 or 7.1 to receive benefits:

 

(a) hours of insurable employment from that or any other employment before the employment was lost or left; and

 

(b) hours of insurable employment in any employment that the claimant subsequently loses or leaves, as described in subsection (1).

 

(6) No hours of insurable employment in any employment that a claimant loses or leaves, as described in subsection (1), may be used for the purpose of determining the maximum number of weeks of benefits under subsection 12(2) or the claimant’s rate of weekly benefits under section 14.

 

 

 

(7) For greater certainty, but subject to paragraph (1)(a), a claimant may be disqualified under subsection (1) even if the claimant’s last employment before their claim for benefits was not lost or left as described in that subsection and regardless of whether their claim is an initial claim for benefits.

 

                                                                                                                                        (je souligne)

 

[16]           La principale difficulté qu’il me faut aborder consiste à fournir une interprétation harmonieuse des termes « constitue la seule solution raisonnable dans son cas » de l’alinéa 29c) et ceux du sous-alinéa 29c)(vi), soit « l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat ».

 

[17]           Car il n’est pas évident que ces termes font bon ménage. De fait, il est difficile, voire impossible, de soutenir ou de conclure qu’une personne qui quitte volontairement son emploi pour en occuper un autre le fait nécessairement parce que son départ constitue « la seule solution raisonnable dans son cas » (je souligne). Une personne peut tout simplement vouloir réorienter sa carrière ou progresser à l’intérieur de son métier ou de sa profession en changeant d’employeur.

 

[18]           Cette notion de « seule solution raisonnable dans son cas » s’applique sans aucun doute à bon nombre des situations prévues par l’alinéa 29c). Ainsi, par exemple, dans les cas de harcèlement de nature sexuelle ou autre (sous-alinéa 29c)(i)), de discrimination (sous-alinéa 29c)(iii)), de conditions de travail dangereuses pour la santé ou la sécurité (sous-alinéa 29c)(iv)), d’excès d’heures supplémentaires (sous-alinéa 29c)(viii)), pour n’en nommer que quelques-unes, il est souvent possible de solutionner le problème que posent ces situations par des méthodes autres que celle de quitter l’emploi.

 

[19]           Ainsi, on peut palier aux conditions dangereuses d’un emploi en améliorant les conditions de travail, en portant un masque ou autre équipement sécuritaire ou en étant relocalisé dans un autre endroit de l’usine ou de l’entreprise : voir Canada (Procureur général) c. Hernandez, 2007 CAF 320. Le départ de l’employé dans ces situations constitue l’ultime solution. Et l’on peut comprendre l’exigence du législateur qu’il soit la seule solution raisonnable dans son cas.

 

[20]           La plupart des situations envisagées par l’alinéa 29c) concernent des évènements ou des faits et gestes qui surviennent dans le cadre de l’emploi qu’occupe le prestataire. Le sous-alinéa 29c)(vi) s’adresse à une toute autre situation qui implique un changement d’emploi. Il n’est pas alors question de concocter et d’apporter un remède à l’intérieur du même emploi où il est facile d’imaginer d’autres alternatives que le départ.

 

[21]           Le sous-alinéa 29c)(vi) revêt aussi une autre caractéristique importante qui le démarque des autres situations couvertes par l’article 29. Comme cette Cour le soulignait dans les affaires Canada (Procureur général) c. Campeau, 2006 CAF 376 et Canada (Procureur général) c. Côté, 2006 CAF 219, le sous-alinéa 29c)(vi) est le seul qui, avec la clause résiduaire contenue au sous-alinéa 29c)(xiv) (toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement), ne suppose pas l’intervention d’un tiers. En d’autres termes, la réalisation de la circonstance prévue au sous-alinéa 29c)(vi) dépend de la seule volonté du prestataire. Comme je le soulignerai plus loin, cette caractéristique du sous-alinéa 29c)(vi) nous ramène au fondement même et aux principes du régime de l’assurance qui, faut-il le rappeler, est un régime d’indemnisation fondée sur le risque.

 

[22]           Dans ces circonstances, je ne crois pas que l’on puisse envisager sous le même angle cette exigence du législateur qu’il s’agisse de la seule solution raisonnable dans son cas, et l’interprétation judiciaire qui en fut faite, lorsqu’il a lieu de l’appliquer à la situation visée par le sous-alinéa 29c)(vi) où l’employé quitte son emploi avec l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat.

 

[23]           Le demandeur reconnaît que le défendeur avait l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat. De fait, ce dernier a terminé le vendredi l’emploi qu’il occupait pour débuter son nouvel emploi le lundi suivant.

 

[24]           À l’audience, la procureure du demandeur s’est distanciée de la position prise par ce dernier dans le mémoire des faits et du droit qui, je le rappelle, consistait à dire que le départ du défendeur n’était pas la seule solution raisonnable puisqu’il pouvait attendre de se trouver un emploi plus rémunérateur qui n’était pas saisonnier avant de quitter l’emploi qu’il occupait. Elle a plutôt soumis qu’il fallait aborder la question du départ du défendeur sous l’angle des principes et des objectifs du régime d’assurance-emploi. Pour les motifs ci-après exposés, je crois qu’elle a raison sur ce point. Mais auparavant, il est important de mentionner un autre changement de position effectué par la procureure du demandeur à l’audience.

 

[25]           Alors que la commission contestait le droit du défendeur de quitter un emploi permanent non saisonnier pour un emploi saisonnier, le demandeur a reconnu, à juste titre selon moi, que le défendeur pouvait quitter pour un emploi saisonnier : voir au dossier du demandeur, aux pages 43 et 63 l’argumentation de la Commission à l’intention du conseil arbitral et celle à l’appui de son appel au juge-arbitre. Au moins trois motifs me viennent à l’esprit pour étayer cette conclusion.

 

[26]           Premièrement, le sous-alinéa 29c)(vi) permet à un prestataire de quitter un emploi pour un autre emploi. La disposition législative n’apporte ni qualificatif ni restriction au terme « autre emploi ». Si le législateur avait voulu exclure du bénéfice des prestations les départs pour des emplois saisonniers, il lui eût été facile de dire au sous-alinéa 29c)(vi) « l’assurance raisonnable d’un emploi autre que saisonnier dans un avenir immédiat ».

 

[27]           Deuxièmement, l’alinéa 30(1)a) permet à la personne qui a quitté un emploi pour en occuper un autre de recevoir des prestations si, depuis qu’elle a quitté son emploi, elle a exercé un emploi assurable suffisamment longtemps (i.e. le nombre d’heures requis) pour être admissible au bénéfice des prestations. Encore là, le terme emploi assurable utilisé à l’article 30 n’exclut pas l’emploi saisonnier et les heures comptabilisées par suite de cet emploi.

 

[28]           Enfin, le régime d’assurance-emploi reconnaît l’admissibilité aux bénéfices des prestations pour des travailleurs qui exercent des emplois saisonniers reliés, par exemple, à la pêche, à la chasse et au domaine de la construction.

 

b)         Selon les circonstances de l’espèce, le défendeur était-il justifié de quitter son emploi?

 

[29]           Le départ d’un prestataire pour un emploi saisonnier n’étant pas exclu du champ d’application du sous-alinéa 29c)(vi), comment déterminer si le défendeur était fondé à quitter son emploi pour un autre emploi, saisonnier ou non? Outre l’assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat, l’alinéa 29c) invite à tenir compte de toutes les circonstances qui entourent le départ du prestataire pour déterminer si celui-ci constitue la seule solution raisonnable dans son cas.

 

[30]           Dans la présente instance, le conseil arbitral et le juge-arbitre ont tous deux retenu comme circonstances justifiant le départ du défendeur le fait qu’il améliorait son sort en obtenant une rémunération plus avantageuse et de meilleures conditions de travail, ainsi que le fait qu’il quittait pour aller œuvrer dans un secteur prometteur où il y avait pénurie de main-d’œuvre.

 

[31]           S’il est légitime pour un travailleur de vouloir améliorer son sort en changeant d’employeur ou la nature de son travail, il ne peut faire supporter le coût de cette légitimité par ceux et celles qui contribuent à la caisse de l’assurance-emploi. Cela est vrai autant pour ceux qui décident de retourner aux études pour parfaire leur formation ou de partir en entreprise que pour ceux qui sont simplement désireux d’accroître leur rémunération : voir Canada (Procureur général) c. Tremblay (C.A.F.), [1994] A.C.F. no. 896; Astronomo c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no. 1025; Canada (Procureure générale) c. Martel (C.A.F.), [1994] A.C.F. no. 1458. Reprenant les termes utilisés par cette Cour dans l’arrêt Campeau, précité, au paragraphe 21, « la bonne foi et l’insuffisance du revenu ne constituent pas une justification au sens de l’article 30 autorisant [un prestataire] à abandonner son emploi et à en faire supporter le coût au système d’assurance-emploi ».

 

[32]           La raison de cette approche, dictée par le législateur et suivie avec constance par les tribunaux, tient au fondement du régime d’assurance-emploi. L’assurance prévue par le régime est fonction du risque qu’un salarié peut encourir de perdre son emploi. Sauf exceptions, il incombe à l’assuré, comme contrepartie de sa participation au régime, de ne pas, sans justification, provoquer le risque et, encore moins faut-il le dire, de ne pas transformer un simple risque en une certitude de chômage : voir Tanguay c. Canada (Commission d’assurance-chômage)(C.A.F.), [1985] A.C.F. no. 910. C’est pourquoi le départ volontaire d’un salarié vers un emploi saisonnier pose un problème particulier par rapport aux principes du régime d’assurance-emploi. De fait, la nature saisonnière de l’emploi comporte un risque, voire même une certitude, d’arrêt de travail pouvant donner ou non ouverture au bénéfice de prestations selon que le nombre d’heures requis est atteint ou non aux termes de l’article 30 de la Loi.

 

[33]           À mon sens, dans le cas d’un emploi saisonnier, le moment du départ volontaire et la durée restante de l’emploi saisonnier sont les circonstances les plus importantes à considérer pour déterminer si le départ était une solution raisonnable et donc justifiée.

 

[34]           Un départ tardif vers l’emploi saisonnier, alors que la saison s’achève et qu’il est évident que l’employé ne pourra rencontrer les exigences de l’article 30, crée une certitude injustifiée de chômage. Il est toujours loisible à l’employé de quitter l’emploi qu’il occupait auparavant, mais il doit alors assumer seul les risques de son départ. Qu’en est-il dans le cas qui nous occupe?

 

[35]           Le conseil arbitral et le juge-arbitre ne se sont pas prononcés sur ces deux circonstances importantes et n’en ont pas fait l’analyse. Tel que déjà mentionné, ils ont retenu une première circonstance qui ne pouvait constituer une justification, soit le fait que le défendeur améliorait son sort.

 

[36]           Ils ont également accordé de l’importance au fait que le départ se faisait vers un domaine où il y avait pénurie de main-d’œuvre. Sur ce point, le juge-arbitre a fait une brève référence au caractère saisonnier de l’emploi et à sa durée incertaine pour diminuer l’impact de ces deux circonstances et mettre l’accent sur la pénurie de main-d’œuvre. À la page 2 des motifs de sa décision, il écrit :

 

Le fait que son premier contrat de travail soit saisonnier, donc sans certitude sur sa durée exacte ne saurait vicier son geste alors qu’il s’agit d’un domaine où il y a pénurie.

 

 

[37]           La pénurie de main-d’œuvre dans le domaine où le défendeur s’est dirigé était une circonstance pertinente dont ils pouvaient tenir compte puisqu’elle influe sur le risque de chômage. Mais cette circonstance favorable au défendeur ne pouvait à elle seule supplanter celles du caractère saisonnier de l’emploi et de sa durée incertaine.

 

[38]           Le conseil arbitral aurait dû se pencher sur le moment du départ du défendeur, soit le 19 août 2005, et sur la durée restante de la période anticipée de l’emploi saisonnier, soit jusqu’en décembre 2005. Je note qu’il n’y a aucune indication quant à la date précise de terminaison en décembre. S’agit-il du 1 ou du 31 de ce mois? La lettre laconique du nouvel employeur indique qu’après décembre, l’emploi est « dépendant de la température » : voir le dossier du demandeur, à la page 48. Le dossier semble indiquer que les travaux se faisaient dans la région de Québec, encore que la preuve sur cette question soit déficiente.

 

[39]           En prenant l’hypothèse la plus favorable au demandeur, soit la fin décembre, il faut compter une période de travail d’une durée d’environ quatre mois, incluant les vacances du temps des fêtes. Cette période d’environ quatre mois était-elle suffisante pour permettre au défendeur d’obtenir le nombre d’heures requis dont fait état l’article 30? Ou était-elle trop courte de sorte que le départ provoquait soit un risque déraisonnable, soit une certitude injustifiée de chômage? Quel était le nombre d’heures requis dans la zone où oeuvrait le défendeur? Comment réaliste était la possibilité évoquée par le défendeur qu’il puisse obtenir du travail de l’employeur après décembre lorsque celui-ci dit dans sa lettre qu’il ne peut garantir de l’emploi après décembre à cause, tel que déjà mentionné, de la température? Comment explique-t-on que l’emploi du défendeur ait pris fin le 21 octobre 2005 alors qu’il devait se continuer jusqu’en décembre? Était-il raisonnablement prévisible que le nouvel emploi puisse se terminer plus tôt que prévu? Si oui ou si non, pourquoi?

 

[40]           Ce sont là autant de questions pertinentes à la détermination de la justification du départ, sur lesquelles le conseil arbitral et le juge-arbitre ne se sont pas prononcés. Mais ce sont aussi là des questions pertinentes pour lesquelles il n’y a ni réponse, ni preuve au dossier, de sorte qu’il m’est impossible d’accéder à la demande du demandeur de décider que le défendeur n’était pas justifié de quitter son emploi.

 

[41]           Comme il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire et que nous ne pouvons rendre le jugement qui aurait dû être rendu, ce qui dans l’état du dossier eût été impossible de toute façon, je n’ai d’autre alternative que d’ordonner une nouvelle audition devant le conseil arbitral à moins qu’il n’y ait un règlement du dossier. Il m’est apparu évident que l’intérêt du demandeur était de faire déterminer une question de principe en rapport avec les départs pour des emplois saisonniers et que cet intérêt débordait largement le cadre du présent litige.

 

[42]           Il m’est aussi apparu évident à la lecture du dossier que le débat entre les parties s’est engagé sur une voie empreinte d’une certaine ambiguïté, voire confusion, quant à la position de la Commission. Le défendeur n’est pas responsable de cet état de fait. C’est la raison pour laquelle je ne lui imposerais pas les frais de la demande de contrôle judiciaire.

 

[43]           Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, mais sans frais. J’annulerais la décision du juge-arbitre et je retournerais l’affaire au juge-arbitre en chef, ou au juge-arbitre qu’il désigne, pour qu’il la retourne à un conseil arbitral avec instructions de tenir une nouvelle audition qui tienne compte des présents motifs, à moins qu’il n’y ait un règlement entre les parties.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Marc Nadon, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-75-07

 

 

INTITULÉ :                                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        v. JEAN LANGLOIS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE DÉCARY

                                                                        LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 17 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pauline Leroux

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Gilbert Nadon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ouellet, Nadon et Associés

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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