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Date : 20080116

Dossier : A-104-07

Référence : 2008 CAF 17

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

MUHAMMAD IMRAN

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 15 janvier 2008.

Jugement rendu à Edmonton (Alberta), le 16 janvier 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW

 

 


Date : 20080116

Dossier : A-104-07

Référence :  2008 CAF 17

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

MUHAMMAD IMRAN

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RYER

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre en chef désigné, Paul Rouleau (décision CUB 67542), rendue le 19 janvier 2007 en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi), accueillant l’appel interjeté par M. Muhammad Imran à l’égard de la décision du conseil arbitral (le « conseil »), selon laquelle M. Imran n’avait pas droit à des prestations en vertu de la Loi puisqu’il avait quitté volontairement son emploi sans justification.

 

[2]               En vertu du paragraphe 30(1) de la Loi, le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il quitte volontairement un emploi sans justification, sauf dans des circonstances limitées, qui ne s'appliquent pas aux faits faisant l’objet de l’examen. L’alinéa 29c) de la Loi prévoit que le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi si son départ constitue la seule solution raisonnable. Il dispose en outre que la justification peut être prouvée lorsque l’existence de l’une ou l’autre des quatorze situations énumérées peut être établie. Ces circonstances figurent au sous-alinéa 29c)(i) à (xiv) de la Loi.

 

[3]               Dans cette demande, la question à trancher est celle de savoir si le départ volontaire de M. Imran constituait la seule solution raisonnable ou si les circonstances décrites au sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi existaient, à savoir si M. Imran avait l’assurance raisonnable d’obtenir un autre emploi dans un avenir immédiat.

 

[4]               Devant le conseil, M. Imran a fait valoir qu’il avait quitté l’emploi qu’il détenait auprès de CBCL Outsourcing Inc., un centre d’appels, notamment afin de se trouver un meilleur travail qui lui permettrait de mettre à profit son diplôme de maîtrise en génie civil. Comme autres raisons de son départ, M. Imran a mentionné que le fait de traiter avec des clients américains qui le rabaissaient en raison de son accent et de son origine raciale le stressait, qu’il avait dû séjourner au Pakistan pour des raisons familiales et qu’il souffrait d’un problème auditif qui rendait son travail difficile, car il devait utiliser un casque téléphonique (même s’il a été prouvé que M. Imran n’a jamais fait part de ce problème à son employeur).

 

[5]               Le 9 février 2006, le conseil a jugé que même si d’autres facteurs ont pu contribuer à sa décision de quitter son emploi, M. Imran l’avait fait principalement parce qu’il voulait se trouver un meilleur emploi pour mettre à profit ses études et sa formation. Le conseil a estimé que, même si M. Imran a quitté son emploi pour ce qui peut être considéré comme une bonne raison, cela n’était pas suffisant pour établir qu’il était « fondé » à le faire, au sens de l’alinéa 29c) de la Loi. À cet égard, le conseil a jugé que M. Imran n’a pas démontré que son départ constituait la seule solution raisonnable. Le conseil a confirmé que la position de la Commission de l'assurance-emploi, selon laquelle il aurait été plus raisonnable pour M. Imran de chercher un meilleur emploi alors qu’il était encore en emploi. Par conséquent, le conseil a conclu que M. Imran n’était pas obligé de quitter son emploi et a rejeté l’appel.

 

[6]               Le jour suivant la décision du conseil, M. Imran a fourni au conseil un certificat médical confirmant qu’il souffrait d’un problème auditif. M. Imran a demandé que le conseil réexamine sa décision, en application de l’article 120 de la Loi, en s’appuyant sur la « nouvelle » preuve concernant son problème auditif.

 

[7]               Le 9 mars 2006, le conseil a statué que même si le certificat médical constituait un « fait nouveau», il ne faisait que corroborer le témoignage présenté par M. Imran à la première audience et que, de ce fait, il ne fournissait aucun élément nouveau, en ce sens que s’il avait été connu au moment de l’audience initiale, il aurait pu amener le conseil à rendre une autre décision. En conséquence, le conseil a refusé de réexaminer sa décision initiale.

 

[8]               M. Imran a interjeté appel devant un juge-arbitre. Rien n’indique si l’appel se limitait à la décision du conseil concernant le réexamen ou s’il visait également la décision initiale du conseil. Quoi qu'il en soit, le juge-arbitre a retenu la conclusion du conseil, selon laquelle M. Imran a quitté son emploi pour se trouver un poste en ingénierie, mais il n’a pas souscrit à sa décision, selon laquelle M. Imran n’était pas fondé de le faire. À cet égard, le juge-arbitre a conclu que le critère relatif à la justification, pour les besoins de l’alinéa 29c) de la Loi consiste à savoir si  :

…[le] prestataire […] a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans des circonstances similaires.

 

Il a ensuite rejeté la proposition selon laquelle une personne raisonnable et prudente aurait, si elle avait été dans la situation de M. Imran, cherché un autre emploi tout en continuant de travailler. Le juge-arbitre a accepté la preuve de M. Imran démontrant qu’il ne disposait pas d’une autre solution raisonnable que celle de quitter son travail pour se trouver un emploi en ingénierie car il n’aurait pas pu atteindre son but s’il avait continué à travailler. Selon le juge-arbitre, cette conclusion était appuyée par le fait que M. Imran avait obtenu un emploi en ingénierie moins d’un un mois après avoir effectué des recherches intensives à cette fin. Le juge-arbitre a donc conclu pour ce motif que M. Imran était fondé à quitter son emploi pour les raisons qu’il avait invoquées.

 

[9]               Je ne suis pas d’accord avec la décision du juge-arbitre pour les raisons qui suivent.

 

[10]           En se demandant si le prestataire a agi comme l’aurait fait une personne raisonnable et prudente dans des circonstances similaires, le juge-arbitre n’a pas appliqué le bon critère relativement à la justification. Le critère approprié pour établir la justification a été décrit par le juge Létourneau dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Laughland, 2003 CAF 129, aux paragraphes 9 et 10 : 

Notre Cour a clairement jugé que bon motif et motif valable sont des concepts différents. Dans l'arrêt Tanguay c. Commission d'assurance-chômage et autres, (1986) 68 N.R. 154, au paragraphe 10, le juge Pratte, J.C.A., déclare ceci :

 

... il semble clair que le Conseil a décidé comme il l'a fait parce qu'il était d'opinion que les requérants avaient agi raisonnablement en quittant leur emploi. Cela manifeste une incompréhension totale du mot « justification » dans le paragraphe 41(1). En effet, le mot, dans le contexte où il est employé, n'est pas synonyme de « raison » ou « motif » .

 

Au paragraphe 11, il continue en citant lord Denning dans l'arrêt Crewe and others v. Social Security Commission, [1982] 2 All E.R. 745 :

 

[traduction]

... il ne suffit pas qu'il démontre avoir agi de façon raisonnable en quittant son emploi. Faire ce qui est raisonnable peut constituer un bon motif, mais il ne s'agit pas là nécessairement d'un motif valable.

 

[11]           Le juge-arbitre a accepté l’argument de M. Imran selon lequel il n’aurait pu réussir à se trouver un meilleur emploi s’il était demeuré en poste. C’est en se fondant sur ce motif que le juge-arbitre a conclu que M. Imran n’avait pas d’autre solution raisonnable que celle de laisser son emploi. Avec égards, cette conclusion est contraire à la décision rendue par la Cour dans Canada (Procureur général) c. Traynor, [1995] A.C.F. no 836, dans laquelle le juge Marceau déclare au paragraphe 11 : « la lettre aussi bien que le fondement et l'objectif du programme d'assurance-chômage » ne permet pas à la prestataire de quitter son travail « dans le seul dessein d'améliorer sa situation sur le marché ». En outre, la Cour a statué dans Laughland, au paragraphe 12 :

Le régime d'assurance-emploi a pour objectif de protéger les personnes pour qui le fait de quitter est la seule solution raisonnable. Cet objectif ne consiste pas à fournir à des personnes qui ont un emploi instable qu'ils quittent sans motif valable des prestations lorsqu'elles recherchent un travail plus intéressant et mieux payé.

 

[12]           M. Imran prétend que, puisque les emplois abondent dans le domaine du génie civil, il était raisonnablement assuré d’obtenir un autre emploi dans un avenir immédiat et ainsi fondé à quitter volontairement son emploi, conformément au sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi. Dans la décision Canada (Procureur général) c. Bordage, 2005 CAF 155, le juge Décary a exprimé, au paragraphe 11, l’avis suivant :

Le sous-alinéa 29c)(vi) requiert l'assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat. En l'espèce, aucune de ces trois exigences n'est rencontrée. L'offre de la Commission de la construction du Québec est une offre de cours, pas une offre d'emploi. Au moment où il choisit de lui-même de devenir chômeur, le défendeur ne sait pas s'il aura un emploi, il ne sait pas de quel emploi auprès de quel employeur il s'agirait, il ne sait pas à quel moment dans l'avenir il aurait un emploi (voir Canada (Procureur général) c. Sacrey, [2004] I R.C.F. 733; Canada (Attorney General) v. Laughland, (2003) 301 N.R. 331 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Bédard, (2004) 241 D.L.R. (4th) 763 (C.A.F.); Canada v. Wall, (2002) 293 N.R. 338 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Lessard, 2002 CAF 469).

 

[13]           Bien que M. Imran ait réussi à se trouver un emploi en ingénierie rapidement après avoir quitté son travail, au moment où il l’a quitté, on ne peut pas affirmer qu’il savait quel emploi il obtiendrait ou qu’il connaissait l’identité de son futur employeur. Il n’a donc pas établi qu’il était fondé à quitter son emploi pour le motif prévu au sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi.

 

[14]           M. Imran fait valoir que les autres motifs qu’il a invoqués pour quitter son emploi, à savoir le harcèlement de la part de certains clients de son employeur, son désir d’assurer certains soins à sa mère au Pakistan et son problème auditif, devraient être acceptés comme motif justifiant sa cessation d’emploi. La décision de M. Imran de quitter son emploi est une conclusion de fait qui doit être confirmée à moins que, selon ce que prévoit l’alinéa 115(2)c) de la Loi, le conseil arbitral ait fondé sa décision sur une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. Aucune de ces autres raisons n’a été acceptée par le conseil ou le juge-arbitre comme motif justifiant la décision de M. Imran de quitter son emploi et je ne suis vois pas convaincu qu’il existe une raison pour laquelle je devrais intervenir sur ce point.

 

[15]           Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’infirmerais la décision du juge-arbitre et je renverrais l’affaire au juge-arbitre en chef, ou à la personne qu’il désignera, pour qu’ils la réexaminent et rendent une décision en tenant compte des présents motifs.

 

 

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

     Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

     K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Danielle Benoit, trad. a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-104-07       

 

 

INTITULÉ :                                                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                c.

                                                                                                MUHAMMAD IMRAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 15 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE RYER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL 

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

MOTIFS CONCOURANTS :                                              

MOTIFS DISSIDENTS :                                                     

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 16 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carrie Mymko

POUR LE DEMANDEUR

 

Muhammad Imran

LE DÉFENDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John M. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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