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Date : 20070515

Dossier : T-2126-06

Référence : 2007 CF 517

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

I.M.P. GROUP LIMITED,

AEROSPACE DIVISION (COMOX)

 

demanderesse

et

 

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

1. Introduction

[1]        La présente demande concerne un conflit de travail entre la demanderesse, I.M.P. Group Limited, Aerospace Division (Comox), une division de I.M.P. Group Limited (IMP ou l’employeur), et certains de ses employés dont l’agent négociateur est la défenderesse, l’Alliance de la Fonction publique du Canada, UEDN section 1018 (l’AFPC ou le syndicat). La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision sur l’arbitrage d’un différend rendue par l’arbitre Vincent L. Ready, le 24 mai 2006.

 

[2]        IMP est une entreprise fédérale en raison de ses opérations aériennes et aérospatiales. Par conséquent, à des fins de relations de travail, elle est régie par les dispositions du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code).

 

2. Les faits

[3]        Je commence par donner un aperçu des événements à l’origine de la présente demande.

 

[4]        Le 7 juillet 2003, l’AFPC a été accréditée en vertu du Code à titre d’agent négociateur pour les employés d’IMP travaillant à la BFC de Comox, Hangar 14, à Lazo (Colombie-Britannique), à l’exception des postes de directeur du site, de directeur adjoint du site et de chef d’équipe. Entre le 20 octobre et le 3 décembre 2003, les parties ont tenté de négocier une première convention collective, sans succès. Par la suite, le syndicat et l’employeur ont conclu une convention d’arbitrage aux termes de laquelle les autres points en litige seraient tranchés par voie d’un arbitrage exécutoire et sans appel des différends (la convention d’arbitrage).

 

[5]        Conformément à la convention d’arbitrage, laquelle est expressément autorisée par le paragraphe 79(1) du Code, M. Vincent Ready a été nommé pour se prononcer sur les autres dispositions de la première convention collective des parties. La séquence chronologique des événements est exposée ci-après.

 

  1. Décision arbitrale no 1 : À la suite d’une audience tenue le 12 août 2004, l’arbitre Ready a rendu publique une décision arbitrale le 17 septembre 2004 (décision arbitrale no 1), dans laquelle il a tranché les questions en litige entre les parties, sauf pour un point (l’ajout des postes de chef d’équipe et d’agent de formation à l’unité de négociation) qui faisait l’objet d’une autre procédure devant le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI). Dans sa décision arbitrale no 1, l’arbitre Ready a conservé sa compétence à titre d’arbitre des différends pour régler les modalités au cas où il serait décidé qu’un de ces postes fait partie de l’unité de négociation. De plus, l’arbitre Ready a déclaré, de sa propre initiative, qu’il conservait sa compétence pour régler toute question découlant de l’application de la décision arbitrale no 1.

 

  1. Décision arbitrale no 2 : Le 1er octobre 2004, le CCRI a statué que le poste de chef d’équipe ferait partie de l’unité de négociation. À la suite de l’inclusion du poste de chef d’équipe dans l’unité de négociation, l’arbitre Ready a reçu et examiné des observations concernant le taux de salaire du chef d’équipe. Le 20 décembre 2004, l’arbitre Ready a rendu une autre décision arbitrale (décision arbitrale no 2) dans laquelle il traitait des questions liées au taux de salaire du chef d’équipe ainsi que de plusieurs autres questions.

 

  1. Décision arbitrale no 3 : Le 27 janvier 2005, le syndicat a écrit à l’arbitre Ready pour lui demander d’examiner de nouveau les taux de salaire pour le poste de chef d’équipe et d’ordonner que la grille salariale ait un effet rétroactif. Le 15 mars 2005, après avoir examiné les observations, l’arbitre Ready a rendu une autre décision arbitrale portant sur les questions du taux de salaire adéquat pour le chef d’équipe et sur la rétroactivité (décision arbitrale no 3).

 

  1. Convention collective : À partir des trois décisions arbitrales de l’arbitre Ready, le syndicat et l’employeur ont rédigé et signé leur première convention collective le 15 mars 2005 (la convention collective). La convention collective contient une procédure de règlement des griefs (procédure de règlement des griefs).

 

  1. Grief : Peu après la signature de la convention collective, les parties ont constaté qu’elles n’avaient pas du tout la même compréhension de la décision arbitrale de l’arbitre Ready concernant les primes et la rémunération provisoire du chef d’équipe. Le syndicat a déposé un grief collectif le 7 avril 2005.

 

  1. Réponse de l’AFPC concernant l’arbitre Ready : Les parties se sont entendues sur l’arbitre de grief qui instruirait l’arbitrage (M. Brian Foley) et elles en étaient à négocier des dates pour celui-ci lorsque, le 5 janvier 2006, le syndicat a demandé que l’arbitre Ready tranche les questions liées aux primes et au salaire rétroactif du chef d’équipe, même si des griefs avaient été déposés à ce sujet.

 

  1. Décision arbitrale no 4 : Dans une lettre datée du 8 février 2006, l’arbitre Ready a informé les parties de sa conclusion selon laquelle les questions entraient dans le champ d’application de ses décisions arbitrales antérieures, et il a demandé que les parties lui présentent des observations écrites sur ces questions. Le 24 mai 2006, après avoir reçu d’autres observations, l’arbitre Ready a rendu une décision arbitrale (décision arbitrale no 4) dans laquelle il a écarté de nouveau les objections de l’employeur concernant sa compétence. Il a aussi ordonné que des primes soient versées aux chefs d’équipe de la demanderesse et que la rémunération provisoire soit versée de façon rétroactive, pour toutes les heures où un employé exerce les attributions d’un poste supérieur, sans période d’attente.

 

[6]        C’est la décision arbitrale no 4 qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

3. Les questions en litige

[7]        Le présent litige concerne le pouvoir de l’arbitre Ready de rendre la décision arbitrale no 4 étant donné l’existence de la convention collective. Si je comprends bien les observations, l’employeur n’aborde pas, dans la présente demande, le bien-fondé de la décision arbitrale n4. La question déterminante est donc la suivante :

 

L’arbitre Ready était-il dessaisi après la signature de la convention collective ou pouvait-il invoquer une des exceptions au dessaisissement?

 

4. La compétence de la Cour fédérale

[8]        Étant donné que la Cour fédérale ne statue pas souvent sur des conflits de travail de ce genre, j’examinerai la compétence de la Cour fédérale pour connaître de la présente demande. La compétence conférée par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, varie selon que l’organisme qui a pris la décision trouve sa source de compétence ou de pouvoirs dans une loi fédérale. En l’espèce, M. Ready est censé exercer son pouvoir en vertu de l’article 79 du Code. Cette disposition prévoit ce qui suit :

 

79. (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente partie, l’employeur et l’agent négociateur peuvent convenir par écrit, notamment dans une convention collective, de soumettre toute question liée au renouvellement ou à la révision d’une convention collective, ou à la conclusion d’une nouvelle convention collective à une personne ou un organisme pour décision définitive et exécutoire.

 

(2) L’entente suspend le droit de grève ou de lock-out et constitue l’engagement de mettre en œuvre la décision.

 

79. (1) Despite any other provision of this Part, an employer and a bargaining agent may agree in writing, as part of a collective agreement or otherwise, to refer any matter respecting the renewal or revision of a collective agreement or the entering into of a new collective agreement to a person or body for final and binding determination.

 

 

 

(2) The agreement suspends the right to strike or lockout and constitutes an undertaking to implement the determination.

 

[9]        En l’espèce, les parties avaient entrepris d’arrêter définitivement les modalités de leur convention collective en ayant recours à ce qu’on appelle communément l’« arbitrage de différends », conformément à l’article 79 du Code. Les parties reconnaissent que la Cour fédérale a compétence pour effectuer le contrôle judiciaire de la décision de M. Ready.

 

[10]      Il est intéressant et, en l’espèce, très pertinent de souligner que le Code exclut expressément la compétence de la Cour fédérale concernant certaines décisions arbitrales rendues en vertu de ses dispositions. Les articles 56 à 69 du Code, sous la rubrique « Contenu et interprétation des conventions collectives », créent un régime détaillé pour le règlement des questions découlant de conventions collectives existantes. Il s’agit de dispositions portant sur le rôle et la nomination des arbitres pour le règlement de « tout désaccord entre les parties à la convention collective » (article 57). Le paragraphe 58(3) prévoit ce qui suit :

 

58. (3) Pour l’application de la Loi sur les Cours fédérales, l’arbitre nommé en application d’une convention collective et le conseil d’arbitrage ne constituent pas un office fédéral au sens de cette loi.

58. (3) For the purposes of the Federal Courts Act, an arbitrator appointed pursuant to a collective agreement or an arbitration board is not a federal board, commission or other tribunal within the meaning of that Act.

 

 

 

[11]      Ainsi, si les parties avaient procédé à l’arbitrage de leurs différends conformément aux dispositions de leur convention collective, la décision de l’arbitre ne pourrait pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Une cour supérieure provinciale aurait eu compétence. On appelle souvent ce type d’arbitrage « arbitrage des griefs » ou « arbitrage de droits ». (Une description de la différence entre ces deux types d’arbitrage est donnée dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S. no 28, au paragraphe 53.)

 

5. La décision de l’arbitre Ready de se déclarer compétent pour rendre la décision arbitrale no 4

[12]      Je vais maintenant examiner la décision en cause dans la présente demande. Comme je l’ai mentionné plus haut, le différend au sujet des primes et du salaire rétroactif du chef d’équipe est survenu après la signature de la convention collective. Le syndicat a demandé à l’arbitre Ready de trancher ces questions.

 

[13]      L’employeur a exposé très clairement dans des observations écrites qu’il a adressées à l’arbitre Ready son objection au pouvoir de ce dernier de rendre la décision arbitrale no 4. La première réponse de l’arbitre Ready, datée du 8 février 2006, était simplement que [traduction] « ces deux questions entrent dans le champ d’application de mes décisions arbitrales » et que, par conséquent, elles [traduction] « relèvent de ma compétence ». Une explication plus approfondie de cette réponse a été incluse dans la décision arbitrale n4 :

[traduction] Bien que la décision [du 8 février 2006] fournisse une réponse complète et détaillée à l’observation de l’employeur, je prendrai le temps d’expliquer davantage que les questions qui me sont soumises en l’espèce sont des questions de « clarification » ayant trait à l’application des décisions datées du 17 septembre et du 20 décembre 2004, et du 15 mars 2005.

 

La question des primes du chef d’équipe provient de ma décision concernant les deux dernières décisions arbitrales [décision arbitrale no 2 et décision arbitrale no 3] selon laquelle :

 

En plus des taux de salaire indiqués plus haut, j’ordonne le paiement des primes applicables.

 

Le présent différend est lié à ce qu’on entendait par « primes applicables ». Le règlement de ce différend relève carrément de la compétence que je me réserve à titre d’arbitre des différends.

 

En ce qui concerne la question de la rétroactivité du salaire de la rémunération provisoire, j’ai abordé cette question dans ma décision arbitrale du 17 septembre 2004 […]

 

En plus de conserver expressément la compétence, la question en litige en l’espèce est encore une fois une question de clarification de ce qui précède, car elle se rapporte au versement de la rémunération provisoire et au moment où elle doit l’être.

 

6. Analyse

6.1 La norme de contrôle judiciaire

[14]      Il ressort clairement de la jurisprudence que, lors de l’examen de la décision de l’arbitre Ready, je dois procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable (dans le domaine des relations de travail, voir, par exemple, Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, 2004 CSC 23, 238 D.L.R. (4th) 217, 318 N.R. 332, [2004] A.C.S. no 2, au paragraphe 15). Comme l’a déclaré le juge Major dans l’arrêt Voice, précité, au paragraphe 15, « Le but de cette démarche est de vérifier l’intention du législateur quant à l’étendue du contrôle judiciaire auquel doit être soumise une décision particulière du tribunal administratif en cause ».

 

[15]      L’analyse pragmatique et fonctionnelle exige l’examen de quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; (2) l’expertise relative du tribunal par rapport à celle de la cour de révision sur le point en litige; (3) l’objet de la loi et de la disposition particulière en cause; et (4) la nature de la question – de droit, de fait ou mixte de droit et de fait.

 

[16]      L’obligation d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle dans tous les cas fait ressortir l’importance de préciser la question en litige dans la décision visée par le contrôle (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, 263 D.L.R. (4th) 113, 344 N.R. 257, [2005] A.C.F. no 2056, au paragraphe 50 (CAF) (QL)). En l’espèce, la question déterminante est celle de savoir si l’arbitre Ready était dessaisi étant donné l’existence de la convention collective entre les parties. Je souligne qu’il s’agit d’une question préliminaire. Si l’arbitre Ready était dessaisi, il n’avait pas compétence pour examiner l’interprétation correcte des dispositions de ses décisions arbitrales antérieures concernant les questions liées aux primes et au salaire rétroactif des chefs d’équipe.

 

a)        La clause privative

[17]      Le Code ne contient aucune clause privative relativement à la décision d’« une personne ou [d’]un organisme » en vertu du paragraphe 79(1). Néanmoins, l’expression « décision définitive et exécutoire », au paragraphe 79(1), semble suggérer un certain degré de retenue.

 

[18]      En ce qui concerne l’utilisation des termes « définitive et exécutoire », je signale que cette terminologie a été analysée par la Cour suprême dans l’arrêt Voice Construction, précité, aux paragraphes 25 et 26, où les termes « définitive et exécutoire » apparaissaient dans la convention collective et où on utilisait le terme « définitive » dans des dispositions législatives pertinentes. Selon le juge Major, ces dispositions n’assuraient pas la protection complète d’une clause privative; toutefois, il a dit qu’elles « suggèrent une plus grande déférence à l’égard des décisions des arbitres du travail » (aux paragraphes 25‑26).

 

[19]      Aux fins de mon analyse, il est important que la « personne ou organisme » qui effectue un arbitrage en vertu de l’article 79 ne soit pas visé par la définition du terme « arbitre » prévue par le Code (article 3). L’article 58 du Code s’applique à un arbitre, tel que défini par le Code, et prévoit ce qui suit :

58. (1) Les ordonnances ou décisions d’un conseil d’arbitrage ou d’un arbitre sont définitives et ne peuvent être ni contestées ni révisées par voie judiciaire.

 

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre ou d’un conseil d’arbitrage exercée dans le cadre de la présente partie.

 

(3) Pour l’application de la Loi sur les Cours fédérales, l’arbitre nommé en application d’une convention collective et le conseil d’arbitrage ne constituent pas un office fédéral au sens de cette loi.

 

58. (1) Every order or decision of an arbitrator or arbitration board is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

 

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an arbitrator or arbitration board in any of their proceedings under this Part.

 

 

(3) For the purposes of the Federal Courts Act, an arbitrator appointed pursuant to a collective agreement or an arbitration board is not a federal board, commission or other tribunal within the meaning of that Act.

 

 

 

[20]      Ainsi, même si la décision d’un « arbitre » est protégée par une clause privative solide, il n’existe aucune clause privative similaire concernant l’arbitre Ready.

 

[21]      On doit présumer que le législateur a volontairement omis d’inclure une clause privative pour les décisions rendues par « une personne ou un organisme » en vertu de l’article 79 (Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto : Butterworths Canada Ltd. 2002), aux pages 162‑163).

 

[22]      Je conclus donc que l’absence d’une clause privative indique qu’un degré de retenue moins élevé s’impose envers « une personne ou un organisme » qui agit en vertu de l’article 79.

 

b)      L’expertise

[23]      Il ne fait aucun doute que l’arbitre Ready est hautement qualifié et qu’il a une grande expérience des questions liées aux relations de travail. Comme l’ont illustré les commentaires du juge Major dans l’arrêt Voice Construction, précité, au paragraphe 27, les arbitres, « qui travaillent dans le domaine particulier des relations du travail, sont susceptibles d’avoir dans ce domaine plus d’expérience et d’expertise en ce qui concerne l’interprétation des conventions collectives ». Cependant, la question en l’espèce n’a pas trait, à mon avis, à l’expertise de l’arbitre Ready en matière de négociations collectives. J’estime que la Cour est aussi bien placée que l’arbitre Ready pour aborder la question préliminaire de savoir s’il avait conservé le pouvoir de rendre la décision arbitrale no 4. Cela permet de penser qu’un degré de retenue moins élevé s’impose.

 

c)      L’objet de la loi et de l’article 79 du Code

[24]      De façon générale, l’objet du Code est de favoriser de bonnes relations de travail entre les employés syndiqués et les employeurs. Dans le contexte particulier de la présente demande, l’article 79 offre aux parties un mécanisme leur permettant d’arrêter une convention collective. Le rôle de la « personne ou organisme » qui agit en vertu de l’article 79 est de régler un différend survenant entre deux parties. Il ne s’agit pas d’une décision « polycentrique ». Cela ne suggère pas un degré de retenue plus élevé.

 

d)      La nature de la question

[25]      Le dernier facteur se rapporte à la nature de la question. S’agit-il d’une question de droit, d’une question de fait ou d’une question mixte de fait et de droit? La question de savoir si l’arbitre Ready était autorisé à invoquer l’exception du dessaisissement est une question mixte de fait et de droit, car il doit appliquer les principes généraux du dessaisissement aux faits particuliers en l’espèce.

 

[26]      Au moment d’aborder la question de savoir si une décision arbitrale supplémentaire d’un conseil d’arbitrage a concrétisé l’intention manifeste dans la décision principale rendue plus tôt, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a souligné que, parmi toutes les questions mixtes de fait et de droit, celle-ci était principalement axée sur les faits (Capital District Health Authority c. Nova Scotia Government and General Employees Union, 2006 NSCA 85, [2006] N.S.J. no 281, au paragraphe 50 (C.A.N.‑É.) (QL)). Ainsi, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a jugé que cela justifiait une certaine retenue envers le conseil d’arbitrage (Capital District, précité, au paragraphe 50). Cependant, je souligne que, dans l’arrêt Capital District, la Cour n’avait pas à se prononcer sur une convention collective signée. Par conséquent, même si je reconnais en l’espèce que la décision repose en partie sur les faits, je suis d’avis que la question est davantage une question de droit.

 

[27]      Pour conclure sur la question de la norme de contrôle, j’estime que la décision de l’arbitre Ready concernant la question de savoir s’il était dessaisi peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[28]      Ma conclusion cadre bien avec le point de vue qu’a exprimé le juge LeBel dans l’arrêt Isidore Garon Ltée c. Tremblay, 2006 CSC 2, 262 D.L.R. (4th) 385, 344 N.R. 1, [2006] A.C.S. no 3, au paragraphe 90. En s’exprimant au nom de la minorité (la majorité n’a pas donné son point de vue sur la norme de contrôle) et sans effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge LeBel a dit ce qui suit :

Le présent pourvoi pose la question de savoir si l’arbitre détient le pouvoir d’appliquer les articles 2091 et 2092 C.c.Q. afin de trancher les griefs. Il s’agit d’une question de droit portant sur la compétence de l’arbitre. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte [...] [Renvois omis.]

 

6.2 Les principes du dessaisissement

[29]      La règle appelée le « dessaisissement » vise à rendre les décisions définitives. De façon générale, une fois qu’un tribunal a rendu sa décision – qu’il s’agisse d’une cour de justice ou d’un tribunal administratif – il ne peut pas revenir sur celle‑ci.

 

[30]      L’arrêt de principe quant à cette règle juridique dans le contexte des décideurs administratifs est Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, 62 D.L.R. (4th) 577, 99 N.R. 277. La Cour suprême a affirmé qu’un tribunal administratif ne pouvait revenir sur sa décision que s’il y était autorisé par la loi ou si une erreur avait été commise dans l’expression de « l’intention manifeste » de la cour (Chandler, à la page 860, citant Paper Machinery Ltd. c. J. O. Ross Engineering Corp., [1934] R.C.S. 186). S’exprimant au nom de la majorité aux paragraphes 21 à 23, le juge Sopinka a fourni les motifs et les principes suivants :

[Dans le contexte des tribunaux administratifs, le principe du dessaisissement] se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

 

Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante […]

 

De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l’avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires […]

 

[31]      En résumé, la règle du dessaisissement doit être appliquée avec une certaine souplesse afin de garantir que justice est faite entre les parties. À mon avis, pour ce faire, il faut examiner les circonstances entourant le rôle et la fonction de l’arbitre Ready. Je commencerai par la question fondamentale du mandat (en vertu de la loi et de la convention d’arbitrage) de l’arbitre Ready. J’examinerai ensuite le rôle de la procédure de règlement des griefs dans la convention collective. Enfin, j’examinerai si, en dépit de l’analyse, on devrait permettre à l’arbitre Ready de transmettre aux parties la décision arbitrale no 4 en partant de l’exception de « l’intention manifeste » à la règle du dessaisissement.

 

6.3 Le mandat de l’arbitre Ready

[32]      Le pouvoir de l’arbitre Ready découle des dispositions du Code et de la convention d’arbitrage. Bien qu’il soit désigné sous le nom d’« arbitre » par les parties et dans les présents motifs, l’arbitre Ready n’est pas un « arbitre » au sens du Code; il s’agit plutôt d’une « personne » qui a été choisie par les parties aux fins limitées énoncées au paragraphe 79(1) du Code.

 

[33]      À mon avis, il y a plusieurs facteurs découlant du Code, de la convention d’arbitrage et des actions des parties qui permettent de conclure que le rôle de l’arbitre Ready a pris fin au moment de la signature de la convention collective. Ma conclusion se fonde sur trois de ces facteurs :

 

  • les termes du paragraphe 79(1);

 

  • le but de la convention d’arbitrage tel qu’il a été énoncé par les parties et reconnu par l’arbitre Ready;

 

  • le désaccord de l’employeur avec la poursuite du mandat au-delà de la convention collective.

 

Aucun de ces facteurs pertinents n’a été pris en considération par l’arbitre Ready lorsqu’il a décidé de rendre la décision arbitrale no 4.

 

[34]      Conformément au paragraphe 79(1) du Code, un employeur et une unité de négociation peuvent convenir par écrit « de soumettre toute question liée au renouvellement ou à la révision d’une convention collective, ou à la conclusion d’une nouvelle convention collective à une personne ou un organisme pour décision définitive et exécutoire » [non souligné dans l’original]. En vertu de cette disposition, le pouvoir de l’arbitre Ready concernait la conclusion de la première convention collective entre les parties. De toute évidence, le paragraphe 79(1) indique que le mandat de la « personne ou organisme » choisi se limite à la conclusion de la convention collective. Il s’ensuit qu’une fois la convention collective signée par les parties, son mandat prend fin.

 

[35]      Je souligne également que l’article 79 prévoit un processus volontaire; aucune des parties n’est obligée de s’en prévaloir pour régler un différend. Il est donc important que le pouvoir de l’arbitre des différends, tel qu’interprété, n’aille pas au-delà de celui convenu par les parties.

 

[36]      Je vais maintenant examiner la convention d’arbitrage datée du 4 mars 2004. Dans cette convention, aucune référence n’est faite à une « convention collective ». Ce qui s’en rapproche le plus sont les deux attendus qui prévoient ce qui suit :

 

[traduction]

ATTENDU que les parties ne sont pas en mesure de régler certaines questions découlant de la négociation collective.

 

ET ATTENDU que les parties ont convenu que les questions en litige restantes seraient tranchées de façon définitive par voie d’arbitrage exécutoire.

 

[37]      Les clauses de la convention sont axées sur la procédure à suivre concernant l’« arbitrage exécutoire » et ne prévoient pas à quel moment le mandat de l’arbitre Ready prendra fin. Toutefois, à mon avis, l’absence de ce renseignement dans la convention collective ne signifie pas que le mandat d’arbitrage est d’une durée illimitée. Dans la décision arbitrale no 1, l’arbitre Ready décrit clairement sa tâche dans les termes suivants :

[traduction] Le 30 juillet 2003, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a signifié un avis de négociation à I.M.P. Les parties se sont rencontrées à Comox (Colombie‑Britannique) du 20 au 28 octobre et du 1er au 3 décembre 2003 dans le but de négocier une première convention collective. Bien que des progrès importants eurent été réalisés concernant un certain nombre de questions, les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur toutes les questions en suspens.

 

Les parties ont pris part à des séances de conciliation du 2 au 4 mars 2004. À la fin du processus, les parties ne s’entendaient toujours pas sur la question du salaire et sur d’autres questions. Elles ont convenu de régler les questions en suspens par voie d’arbitrage des différends. Ces questions me sont maintenant soumises.

 

[38]      Dans la décision arbitrale no 1, l’arbitre Ready n’a pas écarté la possibilité qu’il y ait d’autres décisions arbitrales lorsqu’il a dit : [traduction] « Je conserve ma compétence pour le règlement de toute question découlant de l’application de la présente décision ». Exerçant ce pouvoir, dont il s’était lui-même investi, l’arbitre Ready a abordé d’autres questions concernant le poste de chef d’équipe et les salaires rétroactifs, puis il a rendu les décisions arbitrales no 2 et no 3, dont la substance a été intégrée à la convention collective. Aucune des parties n’a contesté le pouvoir de l’arbitre Ready de continuer à jouer son rôle jusqu’au moment de la signature de la convention collective. Cependant, après l’entrée en vigueur de la convention collective, il est clair que l’employeur croyait que les tâches dont il est question au paragraphe 79(1) du Code et dans la convention d’arbitrage étaient terminées. En fait, il n’y avait aucune entente concernant la poursuite des tâches de l’arbitre Ready; on peut donc dire qu’il n’en existait aucune. L’allégation de l’arbitre Ready selon laquelle il demeurait saisi ne pouvait pas non plus protéger la décision arbitrale n4 s’il était par ailleurs dessaisi. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, l’arrêt Chandler montre clairement que le fait de se réserver le droit de rendre d’autres décisions ne permet pas nécessairement de maintenir sa compétence.

 

[39]      Enfin, je souligne que, d’après l’interprétation de l’arbitre Ready, sa compétence ne prendrait jamais fin. Une fois de plus, cela ne peut pas avoir été l’intention des parties à la convention d’arbitrage, ni celle du paragraphe 79(1) du Code.

 

[40]      Pour conclure sur ce point :

 

  • le paragraphe 79(1) du Code limite le mandat de l’arbitre Ready au règlement de différends survenant avant la signature de la convention collective;

 

  • l’intention des parties à la convention d’arbitrage était que l’arbitre Ready mette au point une convention collective, tâche qui a pris fin à la signature de la convention;

 

  • les parties n’ont pas consenti à ce que l’arbitre Ready puisse fournir des « clarifications » après la signature de la convention collective.

 

[41]      Par conséquent, lorsque l’arbitre Ready a établi qu’il n’était pas dessaisi et qu’il pouvait exercer son pouvoir relativement à ces présumées questions de « clarification », il a commis une erreur. Compte tenu de ces facteurs, l’arbitre Ready n’avait pas le pouvoir de rendre la décision arbitrale no 4.

 

6.4 Les clauses d’arbitrage de la convention collective

[42]      Même si les principes du dessaisissement sont souples, je ne crois pas que cette souplesse puisse raisonnablement être appliquée dans les circonstances de la présente demande. Outre les facteurs qui indiquent que le mandat de l’arbitre Ready prenait fin après la mise en place de la convention collective, il existe une politique générale et des facteurs contextuels qui font obstacle au maintien de la compétence.

 

[43]      Le syndicat fait valoir que [traduction] « S’il survient un différend sur la signification d’une disposition de la convention collective, qui est mieux placé que la personne qui l’a créée? » Je reconnais que l’arbitre Ready possède les connaissances nécessaires à la tâche qu’il a accomplie. Par contre, le fait qu’il pouvait interpréter les dispositions de la convention collective ne signifie pas qu’il a eu raison d’imposer son interprétation aux parties dans le cadre de l’exercice de son mandat aux termes de la convention d’arbitrage. À mon avis, le fait que l’arbitre Ready ait aidé les parties à arrêter les dispositions de la convention collective n’est tout simplement pas un motif suffisant pour présumer qu’il continuait d’avoir compétence pour l’interpréter. Le principal obstacle à l’allégation du syndicat est la présence d’une procédure de règlement des griefs dans la convention collective.

 

[44]      En général, les droits et les obligations fondamentales d’un employeur et d’une unité de négociation sont énoncés dans une convention collective. Évidemment, tout n’est pas inscrit dans une convention collective. Par exemple, la convention ne définit habituellement pas les concepts du droit commun sur lesquels elle se fonde; le recours aux principes du droit commun trouve sa pertinence lors de l’interprétation des conditions de travail incluses dans la convention (Isidore Garon, précité, au paragraphe 28). Toutefois, lorsqu’une convention collective prévoit un mécanisme pour l’interprétation de ses dispositions, les parties devraient y faire appel en premier lieu pour régler leurs différends. Les parties ne devraient avoir recours à d’autres méthodes que si la convention ne prévoit pas de mécanisme pour le règlement d’une affaire ou d’une question particulière. Je ne vois aucune raison pour laquelle le pouvoir d’un arbitre des différends changerait du simple fait qu’il avait les connaissances nécessaires pour interpréter les dispositions de la convention collective.

 

[45]      Compte tenu de cet aperçu du rôle d’une convention collective, la décision de l’arbitre Ready de continuer d’exercer son pouvoir après la signature de la convention collective comporte trois principaux problèmes :

 

  • la codification d’une procédure de règlement des griefs dans la convention collective;

 

  • la possibilité de décisions doubles ou incompatibles sur le fond du différend;

 

  • la possibilité de décisions doubles ou incompatibles découlant d’un contrôle judiciaire par deux différents tribunaux.

 

[46]      Le premier problème lié à la décision de l’arbitre Ready est qu’il n’a pas tenu compte de l’existence et des dispositions de la procédure de règlement des griefs de la convention collective. Il ne fait aucun doute que les questions tranchées par l’arbitre Ready auraient pu être tranchées en appliquant l’article 29 de la convention collective, soit la procédure de règlement des griefs.

 

[47]      Fait particulièrement pertinent à la présente demande, en vertu de l’article 29.01, les parties reconnaissent que des griefs peuvent découler [traduction] « de l’interprétation ou de l’application d’une […] disposition de la présente convention ». La dernière étape de la procédure de règlement des griefs est énoncée aux articles 29.08 et 29.09 de la convention collective dont voici le texte :

                [traduction]

29.08      Si le grief n’est pas réglé de façon satisfaisante à l’étape 3, il peut être renvoyé à l’arbitrage dans les quinze (15) jours ouvrables qui suivent la décision rendue à l’étape 3.

 

29.09         Les parties conviennent que les griefs seront entendus par un seul arbitre nommé d’un commun accord par les parties. Si les parties ne parviennent pas à un accord mutuel sur le choix d’un seul arbitre dans un délai de trente (30) jours civils à partir de la date à laquelle l’une ou l’autre des parties est avisée qu’un arbitrage est demandé, le ministre du Travail doit désigner un arbitre. Cette désignation doit être acceptée par les deux parties.

 

L’arbitre possède tous les pouvoirs conférés aux arbitres en vertu du Code canadien du travail, en plus de tout pouvoir prévu à la présente convention, mais il n’a pas le pouvoir de modifier ou de changer une disposition de la présente convention ni de la remplacer par une nouvelle disposition, de rendre une décision qui va à l’encontre des dispositions de la présente convention, ou d’augmenter ou de réduire les salaires.

 

L’employeur et le syndicat doivent chacun verser la moitié de la rémunération et des dépenses de l’arbitre, et chacune des parties assume ses propres dépenses pour chaque arbitrage. La décision de l’arbitre sera exécutoire pour les deux parties.

 

[48]      En fait, les parties avaient déjà effectué toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective et avaient même déjà choisi un arbitre des griefs. L’arbitre Foley était tout à fait disposé à effectuer l’arbitrage du grief; il ne restait pour les parties qu’à s’entendre sur les dates d’audience. Dans la plaidoirie qui m’a été présentée, l’avocat du syndicat n’a pas nié que celui-ci aurait pu faire appel à la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective pour faire déterminer ses droits sur ces questions.

 

[49]      Dans des circonstances comme celles-ci, les conséquences du postulat selon lequel l’arbitre des différends conserverait sa compétence sautent aux yeux. Premièrement, il y a l’aspect « recherche d’un arbitre favorable »; cela ne peut avoir été l’intention de la convention d’arbitrage ou de la convention collective.

 

[50]      Il y a aussi la possibilité de deux résultats différents, et probablement contradictoires. Cette situation pourrait se produire comme suit. Même si l’employeur a accepté, pour le moment, de suspendre l’arbitrage des griefs, supposons que l’employeur ou le syndicat n’est pas d’accord avec l’interprétation de la convention collective donnée par l’arbitre Ready relativement aux questions en cause. La partie perdante pourrait prétendre qu’elle a encore un grief découlant [traduction] « de l’interprétation ou de l’application d’une disposition de la présente convention » (alinéa 29.01a)ii)). Dans un tel cas, je ne vois pas comment une partie à la convention collective pourrait refuser de suivre la procédure de règlement des griefs et de procéder par arbitrage en dernier ressort, ainsi que le prévoient les articles 29.08 et 29.09 de la convention collective. Par conséquent, même en présence de la décision arbitrale no 4, je ne suis pas persuadée que l’employeur serait privé du droit de recourir à la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective. En présumant qu’il avait compétence pour rendre la décision arbitrale no 4, l’arbitre Ready a créé la possibilité de décisions arbitrales incompatibles et d’un doublement du processus. Cela ne peut certainement pas avoir été l’intention de la convention d’arbitrage.

 

[51]      De plus, il y a la question du contrôle judiciaire. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, la Cour fédérale a le pouvoir de contrôler les décisions des arbitres des différends seulement. Une fois que la convention collective est en place et que les griefs sont commencés, le tribunal effectuant le contrôle judiciaire serait la Cour suprême de la Colombie-Britannique. En procédant à l’arbitrage en vertu de la convention d’arbitrage au lieu de la convention collective, nous sommes en présence d’une possibilité de décisions judiciaires incompatibles ou, au mieux, doubles. Cela ne peut sûrement pas avoir été l’intention des parties. Même si c’était leur intention, il s’agit d’un abus important de ressources judiciaires restreintes.

 

[52]      Le syndicat invoque l’arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans Capital District Health Authority c. Nova Scotia Government and General Employees Union, précité. Dans cet arrêt, la Cour a statué qu’un conseil d’arbitrage des différends n’était pas dessaisi, même s’il avait rendu une décision antérieurement. La Cour a conclu ce qui suit au paragraphe 61 :

                [traduction] À mon avis, le conseil a raisonnablement conclu que les termes utilisés dans la décision arbitrale principale pour décrire l’admissibilité à des augmentations de salaire de rattrapage n’ont pas concrétisé l’intention manifeste de cette décision. Ayant tiré cette conclusion, le conseil était autorisé en vertu des principes juridiques pertinents de rendre sa décision arbitrale supplémentaire afin de clarifier cette question, et c’est ce qu’il a fait.

 

Autrement dit, le conseil n’était pas dessaisi.

 

[53]      La principale différence entre l’affaire dont était saisie la Cour dans l’arrêt Capital District Health Authority et celle devant moi est l’existence de la convention collective. Dans l’arrêt Capital District Health Authority, aucune mention n’a été faite d’une convention collective. Les principes sur lesquels s’est fondée la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse auraient pu, sans doute, s’appliquer aux décisions arbitrales nos 2 et 3, qui ont été rendues avant la signature de la convention collective. Toutefois, j’estime que l’arrêt Capital District Health Authority n’est d’aucune utilité pour le syndicat en ce qui a trait à la décision de rendre la décision arbitrale no 4 après la signature de la convention collective.

 

[54]      Pour résumer sur cette question, je conclus que les circonstances de la présente espèce empêchent l’application d’une exception à la règle du dessaisissement, à cause principalement :

 

  • de l’existence de la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective;

 

  • de la possibilité de décisions arbitrales et judiciaires incompatibles.

 

6.5 L’intention manifeste

[55]      Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, un tribunal peut invoquer une exception à la règle du dessaisissement « s’il y a une erreur dans l’expression de l’intention manifeste du tribunal » (Chandler, précité). C’est à partir de ce principe que la Cour, dans l’arrêt Capital District Health Authority, a permis une autre décision arbitrale.

 

[56]      En l’espèce, le syndicat fait valoir que la décision arbitrale no 4 répond à l’exception de l’« intention manifeste » à la règle du dessaisissement. Je ne suis pas d’accord.

 

[57]      La question de savoir s’il y a eu une erreur dans l’expression de l’« intention manifeste » de l’arbitre Ready doit être établie d’après les faits de la présente espèce.

 

[58]      Après avoir examiné les circonstances de la présente demande, je suis d’avis qu’il n’y avait aucune erreur « manifeste » à corriger. La convention collective, tel que signée, aborde les questions des primes et du salaire rétroactif du chef d’équipe. De plus, il semble n’y avoir aucune allégation selon laquelle la convention collective, dans la mesure où elle traitait des questions en litige, n’était pas conforme aux décisions arbitrales antérieures. Ainsi qu’il l’a reconnu dans la décision arbitrale no 4, l’arbitre Ready clarifiait plutôt des questions qui avaient déjà été abordées dans les décisions arbitrales nos 2 et 3. Nulle part dans ses motifs il ne déclare que la convention collective n’exprimait pas son intention manifeste. En réalité, il a étoffé ses motifs. À mon avis, ce genre de correction ne constitue pas une exception à la règle du dessaisissement.

 

[59]      Un autre élément important au sujet de cette question est le fait que les parties ont estimé qu’elles disposaient de suffisamment de renseignements pour conclure une convention collective. Puisque les parties ont effectivement conclu une convention collective après que la décision arbitrale no 3 a été rendue, nous ne pouvons pas dire qu’elles n’ont pas pu appliquer les décisions arbitrales visées par la convention d’arbitrage. Le simple fait que les parties aient constaté par la suite qu’elles n’étaient pas d’accord avec l’interprétation des dispositions de la convention collective ne signifie pas que la convention n’exprimait pas l’intention manifeste de l’arbitre Ready.

 

[60]      Même en supposant que la clarification effectuée par l’arbitre Ready permet de conclure à une « intention manifeste », je conclurais quand même que l’arbitre Ready était dessaisi après la signature de la convention collective. Le pouvoir continu de l’arbitre Ready doit être établi seulement après un examen de l’ensemble des circonstances. Devant une interprétation raisonnable du paragraphe 79(1) du Code, de la convention d’arbitrage et de la convention collective, il s’agit d’une situation où le principe du dessaisissement devrait s’appliquer.

 

7. Conclusion

[61]      Pour ces motifs, je conclus que l’arbitre Ready a eu tort de présumer qu’il avait compétence pour rendre la décision arbitrale no 4. Une fois les décisions arbitrales cristallisées dans la convention collective, le travail de l’arbitre Ready était terminé. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, avec dépens à IMP, et la décision arbitrale no 4 sera annulée.

 

[62]      Ainsi qu’il a été expliqué plus haut, le syndicat n’est pas sans recours : il peut toujours présenter son grief en utilisant les dispositions de la convention collective.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens à la demanderesse.

 

  1. La décision arbitrale no 4 de l’arbitre Ready est annulée.

 

 

 

 

  « Judith A. Snider »

                                                                                          ____________________________

                                                                                                                  Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             T-2126-06

 

INTITULÉ :                                                            I.M.P. GROUP LIMITED et al.

                                                                                 c.

                                                                                 ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 24 AVRIL 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 15 MAI 2007           

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Geoffrey J. Litherland

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Andrew Raven

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harris & Company

Vancouver (C.-B.)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.

Ottawa (Ont.)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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