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Date : 20080409

Dossier : T-1594-06

Référence : 2008 CF 460

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2008

 

En présence de monsieur le juge Martineau

 

DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu

 

ET DANS L’AFFAIRE de cotisations établies par le ministre

 du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

CONTRE :

MARIO LAQUERRE

FIDUCIE MARIO LAQUERRE

FIDUCIE ML

9075-3153 QUÉBEC INC.

9015-7769 QUÉBEC INC.

9067-6388 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

 

9029-0065 QUÉBEC INC.

825, chemin Hibou

Stoneham (Québec) G0A 4P0

 

Intimés

-ET-

 

9011-1345 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

Mise en cause

(pour les fins de

la requête en

constitution

de charge)

 

 

 

Dossier : T-699-07

DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu

 

ET DANS L’AFFAIRE de cotisations établies par le ministre

du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

CONTRE :

MARIO LAQUERRE

FIDUCIE MARIO LAQUERRE

FIDUCIE ML

FIDUCIE MJ

9122-9831 QUÉBEC INC.

9067-6388 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

 

 

Intimés

-ET-

 

9011-1345 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

Mise en cause

(pour les fins de

la requête en

constitution

de charge)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La requérante, Sa Majesté la reine du chef du Canada (le créancier judiciaire) désire obtenir en vertu de la Règle 459 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, telles que modifiées (les Règles), une ordonnance de constitution de charge définitive contre six immeubles déjà grevés d’une charge provisoire à la suite de l’ordonnance provisoire modifiée de constitution de charge rendue ex parte par la Cour le 11 octobre 2007 (l’ordonnance provisoire).  

.

 

[2]               Cinq de ces immeubles appartiennent à la société 9067-6388 Québec Inc. (9067) qui est un des intimés, tandis que le sixième appartient à la société 9011-1345 Québec Inc. (9011), qui est ajoutée à titre de la mise en cause pour les fins de la requête en constitution de charge du créancier judiciaire.   

 

[3]               L’ordonnance provisoire dont la requérante demande aujourd’hui le maintien fait suite à l’enregistrement, à différentes dates, de certificats délivrés en vertu de l’article 223 de la Loi de l’Impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), c-1 (la Loi). En l’espèce, le ministre du Revenu national (le ministre) agissant par l’entremise d’un représentant autorisé de l’Agence du revenu du Canada (l’Agence), a déjà été autorisé par deux ordonnances de recouvrement compromis émises ex parte par la Cour le 6 septembre 2006 (dossier T-1594-06) et le 25 avril 2007 (dossier T-699-07) respectivement, à prendre immédiatement toutes et chacune des mesures visées aux alinéas a) à g) du paragraphe 225.1(1) de la Loi, ou l’une d’entre elles afin de pouvoir et/ou garantir le paiement des nouvelles cotisations établies par le ministre le 31 août 2006 et le 25 avril 2007. Faut-il le rappeler, l’enregistrement d’un certificat du ministre équivaut à un jugement de cette Cour. Or, l’enregistrement d’un certificat est une mesure de recouvrement mentionnée spécifiquement à l’alinéa 225.2(1)b) de la Loi. Par conséquent, le créancier judiciaire peut inscrire immédiatement une charge provisoire sur tout immeuble appartenant au débiteur judiciaire visé par le certificat en question.

 

[4]               Une première question se pose en l’espèce à savoir le caractère ou non prématuré de la requête du créancier judiciaire pour obtenir une ordonnance définitive de constitution de charge dans le cas où la Cour canadienne de l’impôt n’a pas encore statué sur les appels formulés à l’encontre des nouvelles cotisations.

 

[5]               La Règle 459(1) prévoit « À l’audience visée à l’alinéa 458(1)b), la Cour déclare définitive la charge provisoire, selon la formule 459, ou l’annule. » En l’espèce, la Cour a donc deux options : déclarer la charge définitive ou l’annuler. Je note que selon les Règles 458 et 459, le créancier judiciaire ne procède pas immédiatement à la saisie de l’immeuble (il pourra le faire éventuellement), mais il veut le grever de l’équivalent d’une hypothèque judiciaire pour assurer la protection de ses droits : R. v. Mullin, [1985] 2 C.T.C. 128. Plus précisément, ces Règles ont pour objet et pour effet la création d'une charge sur l'immeuble du débiteur judiciaire en vertu d'un jugement, affectant ledit immeuble à l'exécution éventuelle de ce jugement : Re Beaudry, [1979] 2 C.F. 138. Étant donné qu’il s'agit donc d'une simple mesure d'exécution d'un jugement et que selon la Règle 462, la Cour peut, sur requête du débiteur judiciaire ou de toute autre personne ayant un droit sur les biens grevés par une charge provisoire ou définitive, annuler ou modifier l’ordonnance constituant la charge, aux conditions qu’elle estime équitables quant aux dépens, je suis d’avis qu’il n’est pas prématuré d’ordonner une constitution de charge définitive en l’espèce.

 

[6]               En rendant l’ordonnance provisoire le 11 octobre 2007, la Cour conclut, à la lumière des preuves alors présentées par la requérante, que prima facie et sous réserve de preuve contraire il y a lieu de lever le voile corporatif et de considérer le patrimoine de la mise en cause comme faisant partie des débiteurs judiciaires suivants : Mario Laquerre (Laquerre), 9122-9831 Québec Inc. (9122), 9075-3153 Québec Inc. (9075), 9015-7769 Québec Inc. (9015) et 9029-0065 Québec Inc. (9029). Étant donné qu’en date du 28 septembre 2007, Laquerre, 9122, 9075, 9015 et 9029 sont redevables envers l’Agence de diverses sommes totalisant alors 1 813 868,02 $ et que ces sommes sont dues et impayées, la Cour conclut qu’il y a lieu de constituer une charge provisoirement, soit jusqu’à ce qu’il soit adjugé s’il y a lieu d’émettre une ordonnance définitive à cet égard, et ce, seulement pour les fins de permettre des mesures de recouvrement de la requérante pour les dettes fiscales de ces débiteurs judiciaires.

 

[7]               Les débiteurs judiciaires, qui sont intimés dans les dossiers T-1594-06 et/ou T-699-07, ont demandé par requêtes distinctes l’annulation des deux ordonnances de recouvrement compromis dont il est fait état plus haut. Les intimés et la mise en cause s’opposent à la présente requête du créancier judiciaire au motif que les conditions pour lever le voile corporatif ne sont pas rencontrées en l’espèce. Dans des motifs concurrents, la Cour rejette aujourd’hui les deux requêtes des intimés en annulation des ordonnances de recouvrement compromis (2008 CF 458; 2008 CF 459). D’autre part, pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir la présente requête pour une constitution de charge définitive contre les immeubles en cause.

 

[8]               Laquerre est résidant de la ville de Québec. Il effectue depuis plusieurs années des investissements dans le domaine immobilier en se portant acquéreur (en son nom personnel, ou par le biais de fiducies et de sociétés numériques qu’il contrôle), d’immeubles en reprise de finance ou en difficulté. À cet égard, il a constitué de nombreuses compagnies numériques et fiducies :

a)                  La Fiducie Mario Laquerre (la Fiducie Laquerre) est une fiducie non testamentaire qui a été constituée le 21 août 1996 en la ville de Québec. Laquerre est fiduciaire (avec sa mère Monique Carignan) de la Fiducie Laquerre. Laquerre (avec ses fils Hugo et Michel-Olivier Laquerre) est bénéficiaire de la Fiducie Laquerre. Cette dernière est propriétaire de divers immeubles.

b)                  ML est une fiducie non testamentaire qui a été constituée le 21 août 1996 en la ville de Québec. Laquerre est fiduciaire (avec sa mère Monique Carignan) de ML. Laquerre (avec ses fils Hugo et Michel-Olivier Laquerre) est bénéficiaire de ML. Cette dernière est également propriétaire de divers immeubles.

c)                  MJ est une fiducie non testamentaire qui a été constituée le 11 juillet 2000 en la ville de Québec. Laquerre est fiduciaire (avec sa mère Monique Carignan) de MJ. Laquerre (avec sa fille Mélissa Tremblay Laquerre et avec madame Josée Tremblay) est bénéficiaire de MJ. Les actifs de MJ sont principalement des placements.

d)                  9075 a été constituée le 15 mars 1999 et le siège de cette société est situé au 1392, 4e avenue, Québec (Québec). 9075 gère des complexes funéraires qui appartenaient à ML. Laquerre est l’unique administrateur et ML est l’unique actionnaire de la société 9075.

e)                  9015 a été constituée le 7 février 1995 et le siège de cette société est situé au 1187, 1ère avenue, Québec (Québec). L’actif immobilier détenu par 9015 était l’hôtel Faubourg Stoneham situé au 825, chemin de Hibou, Stoneham (Québec). 9015 a vendu cet hôtel à 9075 dont il a déjà été question plus haut. Laquerre est l’unique administrateur et ML est l’unique actionnaire de 9015.

f)                    9067 a été constituée le 26 août 1998 et le siège de cette société est situé au 1392, 4e avenue, Québec (Québec). Les actifs immobiliers détenus par 9067 sont constitués de divers immeubles et des locaux commerciaux. 9067 a signé deux promesses d’achat en juin et septembre 2006. Laquerre est l’unique administrateur et actionnaire de 9067.

g)                  9029 a été constituée le 11 décembre 1995 et le siège de cette société est situé au 1392, 4e avenue, Québec (Québec). L’actif immobilier détenu par 9029 est une ancienne usine de peinture et le terrain sous-jacent.

h)                  9122 a été constituée le 12 novembre 2002 et le siège de cette société est situé au 1392, 4e avenue, Québec (Québec). L’actif immobilier géré par 9122 est un immeuble appartenant à ML. Laquerre est l’unique administrateur et ML est l’unique actionnaire de 9122.

 

[9]               Le 3 octobre 2007, la requérante dépose une requête ex parte pour obtenir dans un premier temps, la levée du voile corporatif de même qu’une ordonnance provisoire de constitution de charge contre les immeubles en cause conformément à la règle 458 des Règles. Selon les prétentions écrites de la requérante, les seuls actifs de valeur des débiteurs judiciaires que l’Agence n’a pas encore saisis ou grevés d’une hypothèque appartiennent à 9067 et 9011. L’équité de ces actifs est estimée à  315 000,00 $ et 320 000,00 $ respectivement. La requérante allègue que la levée du voile corporatif est justifiée puisque « plusieurs compagnies liées à [Laquerre] ont été mises sur pied afin de permettre à certaines d’entre elles et à lui-même d’échapper au fisc ». En effet, l’enquête et la vérification menées par l’Agence démontrent que Laquerre et ses sociétés alter ego ont sciemment utilisé leur personnalité juridique distincte dans le but de contourner leurs obligations fiscales et ainsi d’éviter le paiement des sommes dues au ministre en vertu de la Loi. Il y a ici contravention à l’ordre public et fraude au sens de l’article 317 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (C.c.Q.).

 

[10]           Les intimés allèguent aujourd’hui que l’imposition d’une charge (qu’elle soit provisoire ou définitive) les empêche indûment d’exercer leurs activités commerciales légitimes d’achat et de vente d’actifs immobiliers, ce qui les poussera à la faillite. Or, en aucun temps, les paiements auxquels font référence les deux affidavits de M. Ferland (dont l’un est assermenté le 1er octobre 2007 et l’autre est assermenté le 20 novembre 2007) ont été effectués dans le but de confondre les patrimoines des différentes entités. En l’espèce, il n’y a aucun acte frauduleux de la part des intimés. De plus, le non-paiement de dettes fiscales ne constitue pas une contravention à l’ordre public : les débiteurs judiciaires sont bien fondés de ne pas payer les dettes fiscales en question avant qu’une décision finale n’ait confirmé la validité des avis de cotisation contestés, et ce, suite aux appels qui ont été formulés auprès de la Cour canadienne d’impôt. La levée du voile corporatif ne peut avoir lieu que dans les conditions limitées. Or, rien n’indique que les sociétés alter ego de Laquerre sont utilisées pour masquer une fraude.

 

[11]           Une corporation peut être considérée comme l'alter ego d'une autre lorsqu'on retrouve entre celles-ci une relation si intime que ce qui, en apparence, relève des affaires de l'une appartient, en réalité, aux activités de l'autre : Buanderie centrale de Montréal Inc. c. Montréal (Ville), [1994] 3 R.C.S. 29 au para. 34 (Buanderie centrale). Un nombre important de facteurs peut être identifié pour déterminer l'existence d'une telle relation, mais, selon la Cour suprême du Canada, l'élément le plus explicite et le plus susceptible d'englober la réalité du concept est le contrôle : Buanderie centrale, précitée.

 

[12]           Selon l'article 317 C.c.Q., « [l]a personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre public. » Ce texte législatif interdit d'invoquer la personnalité juridique distincte d'une corporation lorsqu'on tente alors de masquer la fraude, l'abus de droit ou la contravention à une règle d'ordre public : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Coutu, [1998] A.Q. no 2779 (QL) (C.A.Q.). Il est clair que cette décision peut trouver application dans la présente instance.

 

[13]           Comme règle générale, je suis d’avis que le non-paiement de dettes fiscales peut constituer une contravention à l’ordre public. Les auteurs Paul et Maurice Martel écrivent dans La Compagnie au Québec, Montréal, Wilson et Lafleur, Martel Ltée., 2005, à la page I-64 : 

Quant à l’expression « une contravention à une règle intéressant l'ordre public » elle vise, notamment, nous informe le ministre de la Justice, « des contraventions à la réglementation en matière d’environnement, de sécurité publique, de communications ou de services d’utilité publique ». Il s’agit en fait de contraventions à des règles juridiques à caractère impératif et auxquelles il ne peut être dérogé par convention, dont celles énoncées dans les lois sur l’organisation de l’État, les lois administratives et fiscales, les lois d’organisation des ordres professionnels, les lois pénales, les lois du travail et les chartes de droits et libertés. Ceci codifie une autre série des exceptions jurisprudentielles susmentionnées, soit l’utilisation de la compagnie comme écran pour masquer une contravention à une prohibition d’ordre public.

[Mes soulignements]

 

[14]           De plus, dans l’affaire Sous-ministre du Revenu du Québec c. Couverture C.G.L. Inc. et les entreprises Yvon Latouche Inc. (Décision non publiée, rendue le 15 février 1995 – No de dossier GST-100-94), la Cour fédérale a appliqué le principe prévu par l’article 317 C.c.Q. dans le contexte d’une requérante (les entreprises Yvon Latouche) qui s’oppose à une saisie effectuée par le Sous-ministre du Revenu du Québec contre la défenderesse (Couverture C.G.L. Inc.). Il est clair du jugement du juge Denault que la requérante avait machiné toute une série de transactions pour éviter de payer les sommes qu'elle devait au ministère du Revenu :

En l'instance, après avoir entendu le témoignage d'Yvon Latouche et de son épouse Ginette Giroux, je n'ai aucune hésitation à conclure qu'Yvon Latouche est l'alter ego de la compagnie les entreprises Yvon Latouche Inc., comme il l'a admis dans son témoignage, mais surtout qu'il est l'âme dirigeante de Couvertures C.G.L. Inc. L'incorporation par Yvon Latouche de diverses compagnies tantôt à son nom tantôt au nom de son épouse en prenant soin de ne jamais transférer les actifs de la compagnie qu'il mettait au rancart au nom de celle avec laquelle il s'apprêtait [sic] à faire affaires, a manifestement été fait dans le but de tromper les créanciers, d'éviter du paiement de dettes et, comme en l'instance, d'éviter d'avoir à rembourser des sommes qu'il avait perçues en tant que fiduciaire mais qu'il avait négligé de rembourser. La Cour ne saurait être dupe au complice de telles machinations.

 

 

[15]           Plus loin, le juge conclut :

Dans les circonstances de l'espèce, l'opposition de la requérante constitue un abus de droit et une tentative, par l'âme dirigeante tant de la défenderesse que de la requérante, de se soustraire à ses obligations. Son opposition ne peut donc être recueillie.

 

 

[16]           En l'espèce, le non-paiement de dettes fiscales par Laquerre et ses sociétés et fiducies ne fait aucun doute. Malgré les mesures de recouvrement entreprises suite à l’émission des deux ordonnances de recouvrement compromis, en date du 28 septembre 2007, la totalité de la dette fiscale de Laquerre, 9122, 9075, 9015, 9029, ML, Fiducie Laquerre et MJ s’élevait alors à 2 809 313,22 $ (paragraphe 23 d’affidavit de M. Ferland assermenté le 20 novembre 2007). Je note que la créance totale du créancier judiciaire à l’encontre des intimés visés par les sept certificats enregistrés en vertu de l’article 223 de la Loi s’élève à 1 720 588,80 $ (voir la pièce 19.1 d’affidavit de M. Ferland assermenté le 1er octobre 2007).

 

[17]           De plus, selon la preuve au dossier, je n’ai aucun doute que Laquerre a tenté de camoufler ses actes par le véhicule des nombreuses compagnies composant une structure commerciale planifiée. Selon l’affidavit d’Annie Valois, assermenté le 31 août 2006, Laquerre et les sociétés liées ou les fiducies dont il est un des bénéficiaires utilisent de nombreux stratagèmes afin d’éluder le paiement de leurs impôts. En date du 27 février 2004, Mme Valois rencontre Laquerre et son comptable agréé, M. Laurier Edmond. Ce dernier affirme que Laquerre « ne veut tellement pas payer d’impôt ». De plus, Mme Valois décrit quatre stratagèmes dans son affidavit du 31 août 2006. L’un de ceux-ci est expliqué de la façon suivante sous la rubrique «  B. LE STRATAGÈME DE L’AVANCE DE FOND D’UNE SOCIÉTÉ QUI SERA ÉVENTUELLEMENT DISSOUTE » :

15.        Au cours de ma vérification, j’ai retracé que Laquerre a également élaboré un stratagème afin que les sommes touchées suite aux ventes d’immeubles soient détournées dans une de ses fiducies ou sociétés sans implications fiscales;

 

16.        En effet, par l’entremise d’une de ses fiducies ou sociétés liées, Laquerre inscrit plusieurs hypothèques sur les immeubles appartenant à ses fiducies ou sociétés, en indiquant dans les contrats hypothécaires qu’il s’agit de sommes octroyées au moyen d’avances de fonds;

 

17.        Cependant, les avances de fonds réelles sont de loin inférieures au montant des hypothèques inscrites;

 

18.        Ce qui fait en sorte que lorsque la société ou la fiducie vend l’immeuble à un tiers, le notaire – souvent choisi par l’acheteur – doit s’assurer que toutes les dettes rattachées à l’immeuble sont payées avant de remettre les sommes au vendeur;

 

19.        Le notaire acquitte donc les hypothèques au nom des entités appartenant à Laquerre sans avoir à valider si les sommes avaient réellement été avancées;

 

20.        À ce moment, le notaire fait un chèque au détenteur de l’hypothèque pour obtenir une quittance de la dette. La plupart du temps, l’encaissement de l’hypothèque entraîne un solde créditeur des avances. Lors d’une telle transaction, habituellement, aucun avantage ne doit être calculé parce que l’entité qui reçoit l’argent inscrit un compte à payer à l’entité à qui les avances sont dues.

 

21.        Cependant, dans les faits, ses entités ont liquidé leurs entreprises, n’opèrent plus, n’ont pas d’écriture de contrepartie, ne produisent plus de déclarations et se font radier par l’Inspecteur général des Institutions Financières ce qui fait en sorte que l’avance due par la société ou fiducie qui a vendu l’immeuble n’est jamais remboursée;

 

22.        J’estime que les avantages ainsi octroyés représentent des revenus non déclarés pour un montant total d’environ 1 888 952,67 $, pour les diverses entités concernées, le tout tel qu’il appert de la référence 2 de l’annexe 2 du rapport de vérification produit comme pièce « 65 » au soutien de mon affidavit;

 

 

[18]           Les intimés allèguent qu’ils sont bien fondés de ne payer quelque dette fiscale avant qu’une audition à la Cour canadienne de l’impôt n’ait confirmé leur validité dans les circonstances.   Malheureusement, ils ne citent aucune jurisprudence ou autorité pertinente pour défendre cette proposition. Aussi, je suis d’avis que le non-paiement de dettes fiscales en l’espèce constitue une contravention à l’ordre public. Il serait peut-être aussi utile de réitérer que selon la Règle 462 les intimés peuvent (par voie d’une requête), demander à la Cour d’annuler ou modifier l’ordonnance définitive de constitution de charge si la Cour canadienne de l’impôt accueille leur appel et refuse de confirmer la validité des nouvelles cotisations émises par le ministre le 31 août 2006 et le 25 avril 2007.

[19]           Finalement, je remarque qu’il y a une confusion entre les biens personnels de Laquerre et ceux de ses sociétés liées. Je souscris aux propos du juge Barbe, dans l'affaire Échafaudages Fast Montréal Inc. c. Alfredo Masciotra, [2001] AZ-01036292.7 lorsqu'il écrit :

L'utilisation des biens d'une compagnie à des fins personnelles plutôt qu'à l'avantage de celle-ci, constitue un acte malhonnête. L'article 317 C.c.Q. permet de faire abstraction de la personne morale lorsque cette dernière invoque cette personnalité pour masquer la fraude. L'implication de l'actionnaire comme administrateur unique et président de la compagnie dans les actes de la compagnie constitue un élément clé permettant de lever le voile corporatif. Le fait d'avoir utilisé l'argent de la compagnie à des fins personnelles de bronzage, ou le fait de ne pas avoir dénoncé à la demanderesse sa situation financière précaire constitue un abus au sens de l'article 317 C.c.Q.

[mes soulignements]

 

 

[20]           Dans les faits du dossier, je conclus que Laquerre utilise des biens de ses sociétés et fiducies à des fins personnelles. Selon l’affidavit de M. Ferland assermenté le 1er octobre 2007, les biens personnels (comme les véhicules automobiles et résidence) que Laquerre utilise sont au nom de ses compagnies ou fiducies. De plus, 9122 a émis en 2006 des chèques afin de payer les cartes de crédit personnelles de Laquerre. Je note qu’en 2005, la société 9067 a émis des chèques pour le bénéfice d’entités contrôlées par le débiteur judiciaire pour un montant total de 195 643,19 $. Plusieurs autres exemples au dossier démontrant qu’il y a confusion entre les affaires personnelles de Laquerre et celles de ses sociétés et fiducies : Voir l’affidavit de M. Ferland assermenté le 1er octobre 2007 aux paras. 113 à 135.

 

[21]           Cette confusion constitue un geste pouvant permettre la levée du voile corporatif. Selon la Cour du Québec (Chambre civile) dans l’affaire Buccaneer Industries Ltd. c. Bresee, [2003] J.Q. no 369 (QL), en confondant le compte d’une compagnie avec son compte personnel, un individu se place dans une situation inconfortable et conflictuelle permettant la levée du voile corporatif :

Il vient alors inverser le fardeau de la preuve et il doit démontrer qu'il n'a jamais profité des recettes de la compagnie. Cette confusion entre les affaires personnelles de la famille Bresee et celles de la compagnie, constitue un geste pouvant permettre la levée du voile corporatif. Il s'agit d'un acte condamnable.

 

[22]           En conclusion, les arguments des intimés pour obtenir le rejet de la requête du créancier judiciaire pour obtenir la levée du voile corporatif ne sont pas convaincants. Vu la preuve concluante présentée par la requérante dans les dossiers T-1574-06 et T-699-07, je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice que les débiteurs judiciaires soient considérés comme une seule et même personne possédant un seul patrimoine pour l’ensemble des mesures de recouvrement des dettes fiscales des débiteurs judiciaires.

 

[23]           Compte tenu de ce qui précède, le créancier judiciaire est aussi justifié d’obtenir une constitution de charge définitive sur les immeubles en cause. Vu l’issue de l’affaire, le créancier judiciaire aura droit aux dépens contre les débiteurs judiciaires.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         La requête en constitution de charge définitive est accueillie avec dépens.

 

2.                  Une charge définitive est constituée conformément à la Règle 459 des Règles des Cours fédérales contre les immeubles décrits aux annexes 1 à 6 ci-jointes.

 

 

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge


Annexe 1

 

 

Le lot numéro TROIS MILLIONS SEPT CENT SOIXANTE-DOUZE MILLE QUATRE CENT  TROIS (3 772 403), cadastre du Québec, circonscription foncière de Québec.

 

Avec la bâtisse y dessus construite portant le numéro civique 1095, chemin de la Canardière, Québec, province de Québec, G1J 2C2, circonstances et dépendances.

 

 

 


Annexe 2

 

 

Un immeuble connu et désigné comme étant une partie du lot numéro QUATRE CENT CINQUANTE-SIX (456 ptie), cadastre officiel pour la paroisse de St-Jean-Deschaillons; circonscription foncière de Lotbinière, de figure irrégulière, bornée vers le Nord-Ouest par la rue Principale montrée à l’originaire et mesurant le long de cette limite treize mètres et quatre-vingt huit centièmes (13,88m), vers le Nord-Est par une autre partie du lot 456 et mesurant le long de cette limite trente-sept mètres et quatre-vingt-trois centièmes (37,83m) vers le Sud-Est par une autre partie du lot 456 et mesurant le long de cette limite vingt et un mètres et quarante-neuf centièmes (21,49m), vers le Sud-Ouest par une autre partie du lot 456 (rue Thibodeau) et mesurant le long de cette limite trente-quatre mètres et quatorze centièmes (34,14m), et vers l’Ouest par une autre partie du lot 456 (intersection rue Thibodeau et rue Principale) et mesurant le long de cette limite onze mètres et quarante huit centièmes (11,48m) le long d’un arc de cercle d’un rayon de six mètres et dix centièmes (6,10m) contenant en superficie huit cent quarante mètres carrés et sept dixièmes (840,7m2) le coin Sud de cet immeuble étant situé à vint-sept mètres et quarante trois centièmes (27,43m) du coin Ouest du lot 456-1 mesuré le long de la limite nord-est de l’emprise de la rue Thibodeau.

 

Avec la bâtisse y dessus construite portant le numéro 1000, rue Principale, Parisville, province de Québec, G0X 1X0, circonstances et dépendances.

 


Annexe 3

 

 

Un local commercial comprenant trois (3) unités portant les numéros 101, 102 et 201 d’un immeuble tenu en copropriété situé au 385 et 387, rue St-Paul Ouest, Montréal, province de Québec, H2Y 2A7, circonstances et dépendances.

 

La partie exclusive désignée comme étant le lot numéro UN MILLION CENT SOIXANTE-DIX-NEUF MILLE HUIT CENT QUATRE-VINGT-CINQ (1  179 885) cadastre du Québec, circonscription foncière de Montréal.

 

La partie exclusive désignée comme étant le lot numéro UN MILLION CENT SOIXANTE-DIX-NEUF MILLE HUIT CENT QUATRE-VINGT-QUATRE (1 179 884), cadastre du Québec, circonscription foncière de Montréal.

 

La partie exclusive désignée comme étant le lot numéro UN MILLION CENT SOIXANTE-DIX-NEUF MILLE HUIT CENT QUATRE-VINGT-SIX (1 179 886), cadastre du Québec, circonscription foncière de Montréal.

 


Annexe 4

 

 

a)                  Le lot numéro TROIS MILLIONS CINQ CENT TRENTE ET UN MILLE CENT SEPT (3 531 107), cadastre du Québec, circonscription foncière de Chambly.

 

b)                  Le lot numéro UN MILLION HUIT CENT QUATRE-VINGT-SEIZE MILLE NEUF CENTS CINQUANTE-SEPT (1 896 957), cadastre du Québec, circonscription foncière de Chambly.

 

 

 

Avec la bâtisse y dessus construite portant le numéro civique 3350, boulevard Sir Wilfrid-Laurier, Saint-Hubert, province de Québec, J3Y 6T1, circonstances et dépendances.

 

 


Annexe 5

 

 

Le lot TROIS MILLIONS CINQ CENTS VINGT-SEPT MILLE NEUF CENT VINGT (3 527 920), cadastre du Québec, circonscription foncière de Chambly.

 

Avec circonstances et dépendances.

 

 


Annexe 6

 

 

 

Un immeuble connu et désigné comme étant le lot numéro DEUX MILLONS HUIT CENT QUATRE-VINGT-DIX-HUIT MILLE QUATRE CENTS SOIXANTE-SIX (2 898 466), cadastre du Québec, circonscription foncière de Dorchester.

 

Avec la bâtisse y dessus construite portant le numéro 1089, Route Kennedy, Scott, province de Québec, G0S 3G0, circonstances et dépendances.

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1594-06

 

INTITULÉ :                                       DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu

ET DANS L’AFFAIRE D’UNE de cotisations établies par le ministre  du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

CONTRE :

MARIO LAQUERRE

FIDUCIE MARIO LAQUERRE

FIDUCIE ML

9075-3153 QUÉBEC INC.

9015-7769 QUÉBEC INC.

9067-6388 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

 

9029-0065 QUÉBEC INC.

825, chemin Hibou

Stoneham (Québec) G0A 4P0

 

et

 

9011-1345 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue, Québec (Québec) G1J 3B6 (mise en cause – pour les fins de la requête en constitution de charge)

 

 

DOSSIER :                                        T-699-06

 

                                                            DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu

ET DANS L’AFFAIRE D’UNE de cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

FIDUCIE MARIO LAQUERRE

FIDUCIE ML

FIDUCIE MJ

9122-9831 QUÉBEC INC.

9067-6388 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

 

et

 

9011-1345 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue, Québec (Québec) G1J 3B6 (mise en cause – pour les fins de la requête en constitution de charge)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 février 2008

 

MOTIFS D’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Martin Lamoureux                                                        PARTIE DEMANDERESSE

 

Jacques Trudeau                                                           INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.                                                         PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

Gauthier Paquette Trudeau Bélanger

Avocats                                                                        INTIMÉS

Laval (Québec)

 

 

 

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