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Date : 20090127

Dossier : IMM-2825-08

Référence : 2009 CF 83

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

ROCIO MORALES PECH

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 14 mai 2008, qui a rejeté la demande d’asile au motif que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle n’avait pas accès à la « protection de l’État » à Mexico.

 

 

FAITS

[2]               La Commission a reconnu les faits et la crédibilité de la demanderesse en l’espèce. La demanderesse, née le 11 novembre 1986, est citoyenne du Mexique. En juillet 2004, à l’âge de 17 ans, elle est devenue la petite amie d’un officier de l’armée de 47 ans, lieutenant-colonel dans l’armée mexicaine, basé à Mexico. À cette époque, la demanderesse habitait chez ses parents à Mexico.

 

[3]               Le 8 janvier 2005, la demanderesse a déménagé à Veracruz pour vivre avec le colonel, qui y avait été transféré avec l’armée mexicaine. Elle venait tout juste d’avoir 18 ans.

 

[4]               La demanderesse affirme qu’au début de leur relation, à Veracruz, il n’y avait pas de problèmes. Cependant, le 19 septembre 2005, alors qu’elle avait 18 ans, le colonel l’a battue, la blessant grièvement. Après l’incident, le colonel s’est excusé et lui a demandé de ne pas signaler cet incident à la police, car il [traduction] « avait passé une mauvaise journée et ne recommencerait pas ». Cependant, peu après, il s’est de nouveau emporté et l’a battue. Puis, la veille de Noël, le 24 décembre 2005, le colonel est retourné chez lui alors qu’il étais sous l’effet de l’alcool ou de stupéfiants et, sans provocation, il l’a battue, puis il l’a étranglée jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Lorsqu’elle est revenue à elle, elle s’est rendu compte que ses vêtements étaient déchirés et qu’elle avait été violée. La demanderesse a immédiatement signalé le viol, l’agression et les blessures à la police de Veracruz, la veille de Noël. Elle a été examinée par un médecin au poste de police de Veracruz. Elle a ensuite quitté Veracruz et est retournée vivre chez ses parents à Mexico.

 

[5]               Le 2 janvier 2006 (six jours plus tard), le colonel s’est rendu à la maison des parents de la demanderesse à Mexico, a braqué une arme à feu sur la tête de celle-ci et lui a ordonné de revenir avec lui. Elle a refusé. La demanderesse croyait que, comme elle avait rempli un rapport de police à Veracruz, la demanderesse [sic] serait bientôt incarcérée. À la suite de l’incident survenu le 2 janvier, le colonel a commencé à la suivre aux alentours de la maison, et quand elle quittait la maison. Puis, le 15 janvier 2006, le colonel a tenté de l’enlever pendant qu’elle magasinait. Elle s’est débattue, a donné des coups de pied et a crié pendant que le colonel tentait de l’emmener dans sa voiture avec l’aide de deux hommes, si bien que le colonel a eu un accident de voiture à un carrefour très achalandé. Les deux hommes qui étaient à bord de la voiture du colonel et qui la tenaient ont été blessés. Elle a profité de ce que des gens s’approchaient de la voiture pour se sauver. La demanderesse a pris un taxi jusqu’à la gare d’autobus et s’est rendue dans la ville d’Irapuato pour vivre chez ses grands-parents. Le colonel l’a trouvée à Irapuato et a menacé de la tuer si elle ne retournait pas avec lui. Elle a refusé. Puis, le colonel lui a téléphoné et lui a dit qu’il se trouvait à l’extérieur de sa maison à Irapuato. La demanderesse a appelé la police et a déclaré que le colonel se trouvait à l’extérieur de chez elle et voulait la tuer. Après 10 ou 15 minutes, la police est arrivée, le colonel s’est enfui et la police l’a poursuivi.

 

[6]               Le lendemain, le 1er mars 2006, la demanderesse a déménagé dans une ville éloignée du Nord du Mexique, appelée Torreon, pour vivre chez une amie de sa mère. Pendant cette période, elle a rencontré le fils de cette amie et ils ont noué une relation amoureuse. Ce jeune homme était camionneur et elle l’accompagnait continuellement dans ses déplacements, se disant que le colonel ne la trouverait jamais. Puis, le 31 juillet 2006, alors que son petit ami faisait du « camionnage » dans la ville de Guadalajara, elle l’a vu courir et crier à l’aide. Derrière lui, elle a vu une fourgonnette. Le conducteur de la fourgonnette a abattu son petit ami sous ses yeux, en l’atteignant d’une balle dans la tête. La demanderesse a reconnu le conducteur de la fourgonnette comme étant l’un des hommes qui avaient tenté de l’enlever six mois plus tôt, en janvier. Une autre femme, que les assassins ont pu confondre avec la demanderesse, a été tuée en même temps que le petit ami de la demanderesse. La demanderesse s’est enfuie par la porte arrière de l’hôtel et est retournée à Mexico. Elle est allée à l’aéroport, a acheté un billet d’avion à destination du Canada et a quitté le Mexique le 4 août 2006, pour arriver au Canada le même jour.

 

[7]               La demanderesse est restée au Canada, croyant que les choses se calmeraient au Mexique et qu’elle pourrait y retourner. Toutefois, juste avant qu’elle présente sa demande d’asile, son cousin a été enlevé et sauvagement battu à Mexico. Il reposait à l’hôpital dans un état critique. La demanderesse a appris que les personnes qui avaient battu son cousin essayaient de savoir où elle se trouvait.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[8]               La seule question à trancher par la Commission concernait la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État à Mexico. En début d’audience, le commissaire a déclaré que la seule question qu’il voulait examiner était celle de savoir si la demanderesse pouvait établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne pouvait se prévaloir d’une protection de l’État adéquate à Mexico, le District fédéral. Le commissaire a également affirmé ce qui suit en début d’audience :

[traduction]

[…] tel que discuté avec l’avocat, ma décision à cet égard (protection de l’État) se fondera en grande partie sur la preuve documentaire produite par votre avocat et divulguée par la Commission.

(Transcription, page 4, lignes 15 à 18)

 

L’avocat de la demanderesse a ajouté pour les besoins du dossier que le commissaire ne voulait pas que la demanderesse répète son récit personnel parce que ni sa crédibilité ni les faits ne sont en cause. La seule question en litige est celle de la protection de l’État.

 

[9]               Le commissaire a jugé que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État à Mexico. Il a déclaré ce qui suit dans sa décision, à la page 1 :

La demandeure d’asile ne s’est jamais adressée à quelque autorité que ce soit du DF au sujet des incidents survenus sur son territoire.

 

Le conseil a fait valoir que la demandeure d’asile aurait dû être protégée de l’agression survenue dans la capitale dans la mesure où elle avait déposé une plainte à Veracruz. Je ne dispose d’aucune preuve relative aux mesures que la police aurait prises à la suite de cette plainte. Le conseil soutient que l’ex-conjoint de la demandeure d’asile aurait dû être interrogé, voire même arrêté, et, comme au Canada, gardé en détention jusqu’à sa mise en liberté sous cautionnement. Tout cela aurait très bien pu se produire.

 

Je note d’ailleurs que huit jours se sont écoulés avant que l’ex-conjoint de la demandeure d’asile n’aborde cette dernière dans la capitale. Ni le conseil ni moi ne pouvons avoir une réelle idée des mesures véritablement prises par la police à Veracruz.

 

[10]           Le commissaire a déclaré ce qui suit, à la page 21 :

En l’espèce, la demandeure d’asile a effectué deux tentatives en vue d’obtenir une protection, mais à l’extérieur du DF où elle avait vécu, avait été maltraitée et avait été victime d’actes criminels.

 

 

[11]           Le commissaire a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que la protection de l’État serait inadéquate à Mexico si elle y retournait et a donc rejeté sa demande.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           La demanderesse soulève trois questions dans la présente demande :

a.       La Commission a-t-elle tenu compte des Directives de la présidente concernant les « revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe »?

 

b.      La Commission a-t-elle pris dûment en considération la notoriété de l’agresseur de la demanderesse en tant que colonel de l’armée haut gradé pour évaluer si la police prendrait des mesures contre lui?

 

c.       La Commission a-t-elle commis une erreur en procédant à une analyse sélective des éléments de preuve, en se livrant à des conjectures et en rendant une décision non étayée par la preuve dont elle disposait?

 

La Cour a soulevé une autre question à l’audience : l’omission d’évaluer la crédibilité de la demanderesse en l’espèce constitue-t-elle une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a statué, au paragraphe 62, que la première étape d’une analyse relative à la norme de contrôle consiste à « [vérifier] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[14]           La Cour d’appel fédérale a jugé que les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont assujetties à la norme de la décision raisonnable : voir Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1, paragraphe 38. Par conséquent, la Cour aura égard « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

ANALYSE

Question no 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

[15]           La demanderesse allègue que la Commission n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’il n’y avait aucune possibilité de se prévaloir de la protection de l’État. En particulier, la demanderesse se réfère au passage suivant des Directives :

[…] Pour évaluer la crédibilité de l'ensemble de la preuve de la revendicatrice et le poids qu'il faut accorder à cette preuve, il convient de tenir compte, entre autres choses, des facteurs suivants :

[…]

2.  Les décideurs doivent examiner la preuve démontrant l'absence de protection de l'État si l'État et ses mandataires dans le pays d'origine de la revendicatrice ne voulaient pas ou ne pouvaient pas assurer une protection appropriée contre la persécution fondée sur le sexe. Si la revendicatrice peut montrer clairement qu'il était objectivement déraisonnable pour elle de demander la protection de l'État, son omission de le faire ne fera pas échouer sa revendication. En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l'évaluation de la protection qu'offre l'État.

 

[16]           La demanderesse a signalé à la police de Veracruz le viol et l’agression dont elle a été victime la veille de Noël. Au poste de police, on l’a envoyée voir un médecin qui l’a examinée. La conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas démontré que la protection de l’État était inadéquate était fondée sur le fait qu’elle n’avait pas signalé à la police du District fédéral le harcèlement et la tentative d’enlèvement auxquels s’est livré le colonel dans le District fédéral.

 

[17]           Lorsque la demanderesse a été enlevée par le colonel à Mexico, elle en a profité pour se sauver quand la voiture du colonel a été impliquée dans un accident de la circulation qu’elle avait causé en se débattant. De plus, les deux personnes qui aidaient le colonel à l’enlever ont été blessées. La demanderesse a immédiatement pris un taxi jusqu’à la gare d’autobus, puis l’autobus jusque chez ses grands-parents, dans la ville d’Irapuato. Si on applique les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, il appert que la demanderesse a réussi à démontrer qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de solliciter la protection de la police à Mexico. Elle n’avait pas de temps à perdre. Elle venait de signaler à la police que le colonel l’avait battue jusqu’à ce qu’elle perde connaissance et l’avait violée à Veracruz, la veille de Noël. Rien n’est arrivé colonel. De plus, elle n’avait que 18 ans. En conséquence, je conviens que la Commission n’a pas fait preuve, de manière raisonnable, de la sensibilité et de la compréhension exigées par les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe afin de comprendre pourquoi la demanderesse n’a pas signalé son enlèvement, le 15 janvier 2006, à la police du District fédéral.

 

Question soulevée par la Cour : l’omission d’évaluer la crédibilité constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire

[18]           Lors de l’audition de la présente demande, j’ai déploré le fait que la Commission n’a pas évalué la crédibilité du témoignage de la demanderesse et qu’elle n’a tiré aucune conclusion défavorable à cet égard. En fait, le commissaire a limité son analyse à la possibilité de se prévaloir d’une protection de l’État adéquate dans le District fédéral, c.-à-d. à Mexico.

 

[19]           La juge Anne Mactavish a fait observer ce qui suit dans la décision Gutierrez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 971, 169 A.C.W.S. (3d) 175, au paragraphe 13 :

En l'absence de toute analyse de crédibilité […], il faut supposer [que le commissaire] a accepté que le récit [du demandeur] était vrai.

[Je souligne.]

 

Je suis d’accord.

 

 

 

[20]           Si le récit de la demanderesse est considéré comme véridique, la demanderesse ne pouvait avoir d’autre choix logique ou raisonnable que celui de s’enfuir du Mexique, sinon le colonel l’aurait tuée. La police de Mexico n’aurait peut-être pas été en mesure d’empêcher que cela se produise. La demanderesse avait déjà signalé à la police de Veracruz que le colonel l’avait battue et violée la veille de Noël. La demanderesse a résisté au colonel lorsqu’il est allé chez ses parents à Mexico et a braqué une arme à feu sur elle. La demanderesse s’est débattue et s’est enfuie de Mexico lorsque le colonel a tenté de l’enlever et qu’il a perdu le contrôle de sa voiture. Il était raisonnable pour la demanderesse de quitter Mexico dès que possible pour aller très loin. Elle est allée chez ses grands-parents, qui habitent loin de là. Puis, le colonel l’a poursuivie jusque-là et elle a appelé la police. La police a fait fuir le colonel et la demanderesse s’est immédiatement enfuie dans une autre ville éloignée où elle a commencé à fréquenter un camionneur. Après avoir parcouru le Mexique pendant plusieurs mois en compagnie du camionneur, elle a vu l’un des hommes de main du colonel assassiner le camionneur (son petit ami) et une femme qui était avec lui. Naturellement, la demanderesse a pris dès que possible un avion en partance du Mexique. Porter plainte à la police contre le colonel ne constituait peut-être pas une solution logique ou raisonnable. La demanderesse n’avait peut-être d’autre choix raisonnable que celui de s’enfuir du Mexique pour éviter d’être grièvement blessée, voire tuée, par le colonel.

 

[21]           À mon avis, le commissaire ne s’est pas acquitté de sa tâche de façon appropriée lorsqu’il a tenu une audience en l’espèce, car il n’a pas évalué la crédibilité de la demanderesse. Il s’agit d’une erreur de droit dans le déroulement de l’audience, ce qui justifie l’annulation de la décision. Cela est évident en l’espèce, car si le récit de la demanderesse est véridique, ce n’est pas la protection de la police qui pourra empêcher ce colonel de poursuivre la demanderesse comme un fanatique et un psychopathe. Il revient à la Commission de rendre cette décision après avoir évalué la crédibilité de la demanderesse.

 

Question no 2 : La Commission a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en considération la notoriété de l’agresseur de la demanderesse?

[22]           La demanderesse allègue que la Commission n’a pas accordé suffisamment d’attention à la notoriété de l’agresseur de la demanderesse. Elle soutient que lorsque l’agresseur est un membre des autorités étatiques, la Commission doit effectuer plus qu’un examen général de la protection dont on peut se prévaloir dans ce pays. La demanderesse invoque la décision Chaves c. M.C.I., 2005 CF 193, 137 A.C.W.S. (3d) 392, dans laquelle la juge Tremblay-Lamer a statué ce qui suit au paragraphe 15 :

Lorsque les représentants de l'État sont eux-mêmes à l'origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n'est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l'État sans devoir épuiser tout recours possible au pays.

 

[23]           La demanderesse invoque également la décision Gallo Farias, précitée, dans laquelle j’ai statué que la Commission n’avait pas traité de façon adéquate la question de savoir si une demandeure d’asile qui avait été agressée par un politicien mexicain bien connu pouvait se prévaloir d’une protection de l’État adéquate :

¶ 26 […] il est important que la Commission ne se contente pas d'effectuer un examen général de la question de savoir si la demanderesse pouvait se prévaloir d'une protection de l'État adéquate dans le district fédéral de Mexico. Étant donné qu'elle avait accepté que la demanderesse avait été agressée par un politicien mexicain haut placé et bien connu, la Commission devait plutôt tenir compte de tels éléments lorsqu'elle a tranché la question de savoir si la demanderesse pourrait obtenir la protection de l'État.

 

 

[24]           Le défendeur soutient que, en l’espèce, la Commission a de toute évidence tenu compte du fait que la demanderesse était harcelée par un officier de l’armée, et que rien ne prouve que la conduite de l’officier était tolérée par l’État. Il allègue que la Cour ne devrait pas conclure que le colonel exerçait un contrôle ou une influence sur la police mexicaine ou qu’il agissait en sa qualité de représentant du gouvernement. Le défendeur affirme que les actes commis par vengeance personnelle par un représentant de l’État ne démontrent pas la participation de l’État : Dorado c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 928, 159 A.C.W.S. (3d) 564; Singh c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 136, 289 F.T.R. 34; et que la conduite d’un ou plusieurs policiers ne démontre pas que l’État est incapable ou refuse de protéger les membres d’un groupe social : Kadenko c. Canada (M.C.I), [1996] 143 D.L.R. (4th) 532; Soto c. Canada, 2005 CF 1654, 145 A.C.W.S. (3d) 136.

 

[25]           La Commission a fait remarquer à la page 12 de la décision que les organismes de défense des droits de la personne ont indiqué dans un rapport que les actes de violence perpétrés par des militaires ne font l’objet d’une enquête que par les autorités militaires, mais qu’en l’espèce, étant donné que l’officier a agi alors qu’il était en civil, de tels problèmes ne se posaient pas. Il n’existait aucun élément de preuve précis montrant que les officiers de l’armée exerçaient en général un quelconque pouvoir sur la police ou sur le système judiciaire civil. Rien dans le dossier n’indique que l’agresseur de la demanderesse a lui-même exercé une influence sur la police ou disposait de ressources spéciales qui lui auraient permis de l’agresser sans crainte de représailles. Par ailleurs, lorsque la demanderesse a signalé l’agression à la police, des mesures ont été prises. Les autorités de Veracruz ont rédigé un rapport, tandis qu’à Irapuato la police s’est rendue sur les lieux et s’est lancée à la poursuite de la demanderesse [sic]. Ces incidents affaiblissent l’argument de la demanderesse selon lequel la fonction d’officier de l’armée de son agresseur l’empêchait de solliciter la protection de l’État.

 

[26]           Je suis d’accord avec le défendeur que le fait que l’ex-conjoint de la demanderesse est un officier de l’armée ne suffit pas à faire de lui un représentant de l’État en ce qui a trait à sa persécution de la demanderesse. Dans un grand nombre de décisions invoquées par la demanderesse où les demandeures qui ont réussi à obtenir l’asile avaient été victimes d’agression de la part d’un amant bien connu, les demanderesses n’ont pu porter plainte à la police ou ont subi des sévices de la part des policiers eux-mêmes lorsqu’elles ont tenté d’obtenir une protection. En l’espèce, la demanderesse a pu se prévaloir de la protection de l’État à deux reprises quand elle a tenté de le faire. En l’absence d’éléments de preuve indiquant que l’officier a pu influencer les autorités ou que les policiers ont refusé d’aider la demanderesse, l’examen par la Commission de la notoriété de l’agresseur est suffisant.

 

Question no 3 : La décision de la Commission était-elle étayée par la preuve?

[27]           La demanderesse affirme que la Commission a effectué une analyse très sélective de la preuve documentaire concernant la protection de l’État au Mexique. En particulier, la demanderesse se réfère à la conclusion de la Commission selon laquelle la situation dans le District fédéral est plus enviable que dans le reste du pays en ce qui a trait à la corruption et à la violence conjugale. Le tribunal a statué ce qui suit à la page 10 de ses motifs :

Les auteurs du rapport de Human Rights Watch notent que peu de victimes de viol signalent ce crime aux autorités. J’aimerais noter qu’un certain nombre d’initiatives ont été lancées au sein du DF pour faire face à ce problème. D’après le rapport, les lois adoptées par les États ne permettent pas de protéger les femmes de manière adéquate, mais de nouvelles politiques ont récemment été mises en place au niveau fédéral (sic) […] C’est une des raisons pour lesquelles je suis convaincu que la situation des femmes au niveau fédéral est plus enviable que celle des femmes vivant dans d’autres régions.

 

[28]           La demanderesse fait valoir divers éléments de preuve qui contredisent ces conclusions. Tout d’abord, le rapport de 2006 de Human Rights Watch indique ce qui suit :

[traduction]

Ulises Sandal Ramos Koprivitza, directeur des droits de la personne pour le bureau du procureur général dans le District fédéral [...] a dit que le District fédéral appliquait depuis 2004 une politique qui encourage la voie de la médiation pour tous les crimes non graves (notamment la violence conjugale). Selon lui, « [u]ne sanction pénale ne devrait être imposée qu’en dernier recours. Cela vise à ouvrir la porte à d’autres mécanismes de règlement des différends ». Cependant, plus tard dans l’entrevue, il a déclaré que « la victime [de violence conjugale et sexuelle] vient nous voir lorsque l’agresseur l’a maltraitée une fois de trop ou la maltraite continuellement ».

 

[29]           La demanderesse soutient qu’il s’agit d’éléments de preuve déterminants qui montrent la conduite et l’attitude de ceux qui traitent les plaintes de violence sexuelle dans le District fédéral. La demanderesse affirme qu’on ne peut faire raisonnablement abstraction de ces éléments de preuve lorsqu’il s’agit de déterminer si elle pourrait retourner dans le District fédéral en toute sécurité.

 

[30]           La demanderesse soutient également que la Commission a cité le rapport de 2003 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de façon sélective, invoquant un règlement qui oblige les professionnels de la santé à signaler aux autorités les cas d’agression « dans certains cas spéciaux ». La demanderesse affirme que ce même rapport indique également ce qui suit :

 

En ce qui a trait uniquement au District fédéral, selon la présidente du Comité de l'équité et du statut de la femme de l'Assemblée législative du District fédéral, la fréquence de la violence conjugale y est la même que dans l’ensemble du Mexique, c'est-à-dire qu'elle se produirait dans un foyer sur trois.

 

 

[31]           Par conséquent, la demanderesse allègue que la déclaration de la Commission selon laquelle la situation des femmes est plus enviable dans le District fédéral que celle dans d’autres régions n’est pas fondée, et qu’elle fait abstraction d’éléments de preuve directement contradictoires qui montrent que, non seulement le taux de violence conjugale y est tout aussi élevé, mais les initiatives législative dans le District fédéral n’ont pas amené les autorités à considérer ou à traiter la violence conjugale comme un crime grave.

 

[32]           Le défendeur affirme que la Commission s’est appuyée sur de nombreux éléments de preuve pour étayer ses conclusions, notamment les éléments de preuve suivants :

 

a.        Le Code pénal fédéral prévoit une peine allant de six mois à quatre ans de prison pour quiconque ne fait rien pour empêcher des actes de violence physique, mentale ou émotionnelle contre un membre de sa famille;

 

b.      Il existe 44 refuges pour femmes à l’échelle nationale, y compris les refuges situés dans le District fédéral;

 

c.       La demanderesse aurait pu s’adresser à divers organismes publics qui s’occupent de protection contre la violence conjugale, notamment le Réseau d’information et de services aux citoyens (SIAC), mis sur pied par le ministre de la Sécurité publique, et la Direction des services aux victimes de crimes, relevant du bureau du Procureur général;

 

d.      La demanderesse aurait pu obtenir de l’aide auprès du Centre d’aide pour les victimes de violence familiale (CAVI) en déposant une plainte auprès du bureau du ministère public;

 

e.       La demanderesse aurait pu s’adresser à divers organismes si elle avait eu des problèmes avec la police (ce qui n’est pas le cas), notamment le bureau du Procureur général et, dans le District fédéral, la Commission des droits de la personne du District fédéral;

 

f.        Il existe des mesures disciplinaires en cas d’abus commis par des policiers, notamment les suspensions et les amendes;

 

g.       Les trois principaux bureaux du procureur spécial chargé des crimes liés à la violence contre les femmes (FEVIM) sont situés dans le District fédéral.

 

 

 

[33]           Le défendeur allègue que la norme applicable est celle du caractère adéquat de la protection de l’État, non celle de son efficacité, mais affirme que la Commission s’est également penchée sur l’efficacité de la protection de l’État dans le District fédéral, invoquant les statistiques suivantes :

a.        Chaque année, le CAVI aide en moyenne 22 000 personnes dans le District fédéral, qui ont besoin d’aide en raison de problèmes de violence conjugale;

 

b.      On compte deux centres du SIAC à Mexico, qui ont fourni des services à 2 707 personnes en 2006;

 

c.       Le gouvernement a congédié 284 chefs des forces policières fédérales et a assuré une formation et une évaluation rigoureuses de leurs remplaçants.

 

[34]           Le défendeur soutient également que la Commission a reconnu que la protection de l’État au Mexique n’était pas parfaite, et a constaté plusieurs problèmes persistants, notamment la corruption, l’inefficacité et les mauvaises conditions pour les femmes. Toutefois, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que, selon la prépondérance des probabilités, la protection de l’État serait inadéquate si elle retournait au Mexique. Le défendeur allègue qu’il était raisonnable pour la Commission de tirer cette conclusion, que la Commission n’est pas tenue de mentionner expressément tous les éléments de preuve et qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation que le tribunal a faite de la preuve.

 

[35]           Bien que je convienne avec la demanderesse que le dossier contenait certains éléments de preuve qui contredisaient la déclaration de la Commission selon laquelle la situation était plus enviable pour les victimes de violence conjugale dans le District fédéral que celle dans d’autres régions, la Commission disposait également d’éléments de preuve qui justifiaient la conclusion selon laquelle la situation dans le District fédéral était plus enviable que celle dans d’autres régions. Selon les statistiques à la disposition de la Commission, les cas signalés de violence conjugale dans le District fédéral obtenaient un taux de condamnation de 56 %, comparativement au taux de condamnation de 28 % dans l’ensemble du Mexique. Par conséquent, le défendeur allègue que même si le dossier contient des éléments de preuve indiquant que le taux de violence conjugale est le même dans le District fédéral, d’autres éléments de preuve montrent que la réponse à la violence conjugale y est nettement différente et que le District fédéral offre un plus grand choix de recours aux femmes qui souhaitent se prévaloir de la protection de l’État. En conséquence, la Cour estime que la décision de la Commission sur cette question est raisonnable.

 

[36]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, parce que la Commission n’a pas appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe comme elle le devait et qu’elle n’a pas évalué la crédibilité de la demanderesse.

 

[37]           Les deux parties ont indiqué que la présente affaire ne soulève aucune question qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour souscrit à cette opinion et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision de la Commission en date du 14 mai 2008 est annulée;

2.                  la demande d’asile est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue de nouveau sur elle en conformité avec les présents motifs.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2825-08

 

INTITULÉ :                                       ROCIO MORALES PECH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 JANVIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 JANVIER 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay

 

POUR LA DEMANDERESSE

Elanor Elstub

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Karina A.K. Thompson

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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