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Date : 20090507

Dossier : IMM-4092-08

Référence : 2009 CF 468

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2009

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ALBERTO MORALES ESQUIVEL

CLAUDIA VALLE CARRASCO

RAQUEL MORALES VALLE

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) du 13 août 2008 dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n’étaient ni des « réfugié[s] au sens de la Convention » ni des « personne[s] à protéger » au titre des articles 96 et 97 de la Loi, essentiellement parce qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur (la PRI) au Mexique.

 

I.          Faits

 

[2]               Alberto Morales Esquivel (le demandeur principal), sa conjointe de fait Claudia Valle Carrasco et leur fille Raquel Morales Valle, tous citoyens mexicains, ont demandé l’asile parce qu’ils disent craindre avec raison d’être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social, et être personnellement exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[3]               Le demandeur principal soutient que le 1er mai 2007 son frère Guadalupe Morales Esquivel a été assassiné par des membres d’un gang impliqué dans le trafic de stupéfiants, l’extorsion, des enlèvements et des meurtres. Il affirme également que les autorités mexicaines ont refusé d’enquêter sur cette affaire malgré ses demandes et celles de l’épouse de son frère.

 

[4]               Le demandeur principal soutient que le 19 mai 2007, six membres de ce gang l’ont vu et lui ont dit qu’ils allaient bientôt le descendre parce qu’il avait posé des questions concernant la mort de son frère. Il affirme également qu’à partir de ce jour, il n’a plus senti que sa famille et lui étaient en sécurité. Il soutient qu’il a demandé à son épouse de ne plus rentrer à la maison les fins de semaine et de rester chez ses parents à lui ou à elle, et que lui-même allait travailler mais se tenait caché.

 

[5]               Le 11 juin 2007, il a été agressé par deux individus qui ont volé son sac et son portefeuille où il y avait de l’argent, son permis de conduire et une facture téléphonique. Il soutient aussi que le lendemain on lui a téléphoné et dit qu’il était suivi et qu’il devrait payer s’il ne voulait pas qu’on s’en prenne à sa famille.

 

[6]               Il soutient qu’il a porté plainte au ministère public le 13 juin 2007, mais que la copie de sa plainte reçue cette journée-là ne contenait pas l’ensemble de sa déclaration. Il a demandé pourquoi et on lui a répondu qu’on ne pouvait pas lui remettre tout le contenu de sa plainte.

 

[7]               Deux jours plus tard, les deux individus qui l’avaient agressé le 11 juin 2007 l’ont arrêté et lui ont dit qu’ils savaient qu’il avait déposé une plainte. Le demandeur principal soutient également qu’il a alors voulu ajouter à sa plainte du 13 juin 2007 qu’il avait compris que ces deux individus étaient membres du gang, mais qu’on a refusé en disant que l’enquête était en cours.

 

[8]               Le 17 ou 18 juin 2007, son épouse a été arrêtée par des membres du gang qui lui ont dit que son mari et sa famille allaient mourir. Le demandeur principal soutient que le lendemain il est retourné avec son épouse au ministère public afin d’ajouter cet incident à sa plainte initiale, mais qu’on a refusé sa demande pour les mêmes raisons en lui répétant que l’enquête était en cours.

 

[9]               Finalement, le 14 août 2007, les demandeurs ont quitté le Mexique et ont déposé une demande d’asile au Canada le même jour.

 

[10]           Les demandeurs affirment qu’avant de prendre la décision de quitter le Mexique et de se réfugier au Canada, ils ont songé à déménager dans un autre État au Mexique, mais que, suivant les conseils de leur avocat, ils ont décidé de ne pas le faire.

 

II.         Décision contestée

 

[11]           Après avoir analysé l’ensemble de la preuve, la Commission a conclu qu’il n’était pas objectivement déraisonnable ou trop sévère de s’attendre à ce que les demandeurs déménagent dans une autre partie de leur pays avant de demander l’asile à l’étranger, qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur et qu’en conséquence, ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

III.       Question en litige

 

[12]           La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur?

 

IV.       Analyse

 

Norme de contrôle

[13]           Il est reconnu en droit que la question de la PRI est de nature factuelle, qu’elle relève clairement de l’expertise et de la compétence du tribunal et que les décisions sur ce point commandent donc la déférence (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9). La Cour ne devrait annuler la décision de la Commission que si les demandeurs démontrent son caractère déraisonnable.

 

Possibilité de refuge intérieur (PRI)

[14]           Pour qu’on leur confère la protection, les demandeurs devaient démontrer, selon la prépondérance de la preuve, qu’ils n’avaient pas de PRI dans leur pays d’origine, le Mexique (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.) (1993), 163 N.R. 232 (C.A.F.). Toutefois, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne pouvaient pas vivre ailleurs au Mexique, à Monterrey, Puebla ou Merida par exemple.

 

[15]           En fait, les demandeurs ont expliqué que leur avocat leur avait conseillé de quitter le pays en raison du [traduction] « code d’honneur des gangs », mais la Commission a rejeté cette allégation car les demandeurs ne pouvaient pas la corroborer. De toute façon, et même en admettant qu’ils avaient reçu ce conseil, les demandeurs avaient quand même l’obligation de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, qu’ils n’avaient pas de PRI dans leur pays d’origine, le Mexique, pour qu’on leur confère la protection au Canada.

 

[16]           Il incombait aux demandeurs de démontrer tous les éléments de leur demande (voir l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228; Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 862; Akhtar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1319; Taha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1675).

 

[17]           La Commission a aussi noté que les demandeurs étaient incapables d’identifier leurs agresseurs; la Commission pouvait donc raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas établi l’identité de leurs persécuteurs, ni le fait qu’ils étaient en danger partout dans leur pays. En effet, si les demandeurs ne connaissaient pas l’identité du gang de leurs agresseurs, comment pouvaient-ils prétendre que ce gang inconnu les prendrait pour cible dans tout le pays.

 

[18]           De plus, et pour la même raison, les demandeurs ne pouvaient pas présenter une preuve selon laquelle le gang en cause était puissant et avait des contacts avec les autorités. La Commission pouvait donc raisonnablement conclure qu’il ne serait pas trop sévère de s’attendre à ce que les demandeurs déménagent dans une autre partie de leur pays.

 

[19]           Il est bien établi que l’existence d’une PRI valable tranche la demande d’asile. Par conséquent, la Cour n’a pas à examiner les autres questions soulevées par les demandeurs (Campos Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, au paragraphe 17; Singh Sran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 145, au paragraphe 11).

 

[20]           La Cour est convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que les demandeurs ne risquaient pas sérieusement d’être persécutés dans la PRI proposée, et qu’il n’était pas déraisonnable pour les demandeurs de se réfugier là-bas. Pour décider qu’il existait une PRI pour les demandeurs, la Commission a respecté le critère énoncé dans les arrêts Thirunavukkarasu, précité, et Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.).

 

[21]           Les demandeurs ont invoqué, comme seule excuse pour ne pas avoir cherché une PRI, le fait qu’ils avaient agi conformément aux conseils de leur avocat et décidé de se réfugier à l’étranger. Toutefois, ce conseil ne s’est pas révélé très judicieux en l’occurrence. Les demandeurs devront maintenant vivre avec les conséquences du conseil qu’ils ont décidé de suivre.

 

[22]           Pour ce qui est de la question de la PRI, les demandeurs reprochent uniquement à la Commission de ne pas avoir examiné la preuve à savoir si des efforts sérieux pour combattre la violence donnaient des résultats au Mexique. Comme les demandeurs n’ont rien fait pour trouver une PRI, nous ne saurons jamais si des efforts en ce sens, plutôt qu’une demande d’asile à l’étranger, auraient porté des fruits. En outre, la Commission est présumée avoir examiné toute la preuve et n’est pas obligée de faire référence à chaque élément de preuve soumis (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)).

 

[23]           Comme il n’a pas été prouvé que les demandeurs seraient en danger dans une autre ville du Mexique, la Cour ne voit aucune raison d’intervenir sur la question de la PRI.

 

Intérêt supérieur de l’enfant

[24]           Les demandeurs soutiennent également que la Commission n’a pas tenu compte de l’« intérêt supérieur de l’enfant », leur fille Raquel Morales Valle.

 

[25]           Toutefois, il appert des transcriptions que la Commission a pris en considération l’ « intérêt supérieur » de l’enfant, parce qu’elle a suivi les Directives n3 – Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié (les Directives n3) et s’est assurée que l’enfant avait un représentant pour les besoins de sa demande. L’enfant était présente à l’audience et il ne restait alors que 4 mois et 3 semaines avant qu’elle ait 18 ans.

 

[26]           Les documents indiquent que le conseil de l’enfant a décidé de ne pas la faire témoigner. De plus, la demanderesse mineure a fondé sa demande sur celle de ses parents. Elle ne peut plus vraiment se plaindre maintenant que sa demande a été instruite conjointement avec celle de ses parents. Étant donné que la demande de la jeune fille dépendait complètement de celle de son père visant l’obtention de la même protection, la question est de savoir si la demande de celui-ci a été instruite équitablement; comme les demandeurs n’ont pas soutenu qu’elle ne l’avait pas été, la question ne se pose pas en ce qui a trait à la demande de l’enfant. Par conséquent, que les demandeurs aient reproché à la Commission de ne pas avoir appliqué les Directives n3 est sans importance en l’espèce et rien ne permet à la Cour d’intervenir sur ce fondement.

 

V.        Conclusion

 

[27]           Les demandeurs n’ont pas déposé, à l’appui de leur demande de contrôle judiciaire, des documents qui contiennent des motifs sérieux ou suffisants justifiant l’intervention de la Cour pour annuler la décision de la Commission.

 

[28]           La Cour est d’accord avec les parties pour dire que la présente affaire ne soulève pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS, LA COUR rejette la demande.

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4092-08

 

INTITULÉ :                                       ALBERTO MORALES ESQUIVEL ET AL.

                                                            c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT              

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Lagacé

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cristina Marinelli

 

POUR LES DEMANDEURS

Sherry Rafai Far

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cristina Marinelli

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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