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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20090723

Dossier : IMM-4783-08

Référence : 2009 CF 751

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SUISHAN HUANG

JIA HAO HUANG (un mineur)

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 7 octobre 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui n’a pas reconnu aux demandeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse principale et son fils, Jia, sont des citoyens de la République populaire de Chine (la Chine). La demanderesse est née dans la ville de Guangzhou, dans la province de Guangdong, en Chine.

 

[3]               La demanderesse s’est mariée le 28 novembre 1995 et a eu son premier enfant, une fille, le 28 octobre 1996. Peu de temps après la naissance de sa fille, la demanderesse principale a dû porter un dispositif intra­utérin. Après l’installation de ce dispositif, la demanderesse a dû passer des tests de grossesse jusqu’à quatre fois par année pendant les trois premières années suivant la naissance. À compter de l’année 2000, le nombre de tests de grossesse a diminué à deux par année.

 

[4]               En mai 2002, la demanderesse principale s’est sentie malade et a commencé à vomir et à réagir aux odeurs des aliments et de l’huile, elle a donc pensé qu’elle pourrait être enceinte. Elle a confirmé qu’elle était enceinte à l’aide d’un test de grossesse acheté par sa tante. Elle a annoncé la nouvelle à son mari et ils sont devenus inquiets parce qu’ils sont bouddhistes et s’opposent à l’avortement. Ils ont convenu que la demanderesse devrait se cacher dans le logement de sa tante.

 

[5]               Alors que la demanderesse principale était cachée, des agents de régulation des naissances se sont rendus à son logement parce qu’elle ne s’était pas présentée à son rendez­vous pour la vérification de grossesse. Lorsque les agents de régulation des naissances ont demandé au mari de la demanderesse principale où se trouvait cette dernière, le mari leur a dit qu’elle était malade et qu’elle s’était rendue dans la maison d’un parent dans une autre province afin de recevoir des traitements médicaux et qu’elle ne serait pas de retour avant un certain temps. Les agents de régulation des naissances ont cru le mari et l’ont informé que la demanderesse principale devait aller les voir afin de procéder à la vérification dès qu’elle serait de retour au logement.

 

[6]               La demanderesse a donné naissance à Jia le 27 janvier 2003 alors qu’elle était cachée dans le logement de sa tante. Un mois après la naissance de Jia, la tante a trouvé un médecin privé dans la région qui a pu installer un dispositif intra­utérin. La demanderesse principale a laissé Jia à sa tante. Elle est par la suite retournée à son logement et s’est rendue au bureau local de régulation des naissances pour que la vérification soit effectuée. On lui a permis de partir, mais elle a écopé d’une amende parce qu’elle ne s’était pas présentée pour la vérification de son dispositif intra­utérin au moment approprié.

 

[7]               Le 20 juillet 2006, la tante a téléphoné à la demanderesse principale et lui a dit que son fils avait une grave fièvre et qu’il était à l’hôpital pour des traitements. La tante l’a informée que les agents de régulation des naissances à l’hôpital avaient demandé à ce que la demanderesse principale et son mari signent des documents avant que le traitement soit donné. Cependant, le médecin a effectué le traitement parce qu’il fallait faire une injection à Jia sur‑le‑champ afin qu’il évite d’attraper une pneumonie. Les agents de régulation des naissances ont demandé à la tante pourquoi elle accompagnait Jia et ils ont dit qu’ils se pencheraient sur la situation.

 

[8]               La demanderesse principale et son mari ont envoyé la mère de la demanderesse principale voir Jia afin qu’elle le ramène après le traitement. La demanderesse principale et son mari se sont cachés dans le logement du cousin de la demanderesse principale.

 

[9]               Le 21 juillet 2006, deux agents de régulation des naissances se sont rendus au logement de la demanderesse principale; ils cherchaient la demanderesse principale et son mari. Les agents ont dit aux parents du mari que la demanderesse principale et son mari avaient gravement contrevenu aux politiques de régulation des naissances et avaient trompé les agents de régulation des naissances en ayant un second enfant. Les agents de régulation des naissances ont donné un avis aux parents du mari selon lequel la demanderesse principale et son mari devaient se rendre au bureau de régulation des naissances afin d’être stérilisés et devaient payer une amende de 70 000 yuans dans la semaine qui suivait.

 

[10]           Moins d’une semaine plus tard, les agents de régulation des naissances, accompagnés de deux agents de police, se sont de nouveau rendus au logement de la demanderesse principale et ont laissé un avis auprès de ses beaux­parents. Après que la demanderesse principale et son mari l’eurent appris, ils ont réalisé qu’ils étaient [traduction] « dans de beaux draps ». Ils ont demandé de l’aide au cousin du mari. Le cousin a trouvé un passeur qui allait amener la demanderesse principale en dehors du pays. La demanderesse principale et le passeur ont prétendu être un couple. Jia n’a aucun statut juridique en Chine, la demanderesse principale a donc demandé au passeur si elle pouvait amener Jia avec elle. Le passeur a accepté.

 

[11]           Les demandeurs sont arrivés au Canada en avion, à l’Aéroport international Lester B. Pearson, le 13 août 2006 et ils ont présenté une demande d'asile au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Etobicoke le 15 août 2006.

 

[12]           La demanderesse principale affirme craindre avec raison d’être persécutée par le régime communiste en Chine et, en particulier, par les agents de planification familiale, parce que Jia est son second enfant. Jia affirme craindre avec raison d’être persécuté parce qu’il ne pourra pas obtenir d’éducation ni d’autres avantages sociaux. Les demandeurs affirment être des personnes à protéger parce qu’ils seraient exposés à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un danger de torture en Chine. La demanderesse principale est la représentante désignée de Jia.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[13]           La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[14]           La Commission a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, la crainte de persécution des demandeurs était sans fondement. La Commission a fait remarquer que la loi portant sur la politique de l’enfant unique en vigueur dans la province de Guangdong interdisait les stérilisations forcées et prévoyait l’imposition d’une amende payable dans les trois années suivantes. Jia pourrait également figurer sur le hukou familial, ce qui lui permettrait d’aller à l’école et de bénéficier d’autres avantages sociaux.

 

[15]           Lorsque la Commission a demandé à la demanderesse principale pourquoi son mari et elle n’auraient disposé que d’une semaine pour payer l’amende et pourquoi l’un d’eux devrait subir une stérilisation (ce qui, selon la Commission, est contraire à la loi), la demanderesse a dit qu’elle n’en savait rien. La Commission a invoqué des documents sur la situation au pays pour établir que les stérilisations forcées étaient contraires à la loi dans la province de Guangdong. La Commission a également demandé à la demanderesse principale pourquoi l’un d’eux devait être stérilisé, mais elle n’en savait rien. La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse principale n’était pas vraisemblable, au motif que les stérilisations forcées sont contraires à la loi dans la province de Guangdong.

 

[16]           En outre, la Commission a noté que l’avis du Bureau de la sécurité publique, que la demanderesse principale avait affirmé avoir reçu, ne renfermait aucune signature ni la perforation appropriée. Lorsque la Commission a demandé à la demanderesse principale d’expliquer ces manquements, la demanderesse principale a mentionné que l’avis provenait du Bureau de la sécurité publique local, qui est différent du Bureau de la sécurité publique. La Commission n’a pas accepté cette explication et a noté qu’elle avait vu des centaines d’avis du Bureau de la sécurité publique portant signatures et perforations.

 

[17]           La Commission a également fait remarquer à la demanderesse principale que rien dans les documents sur la situation au pays ne mentionnait qu’il fallait payer deux amendes, et que la demanderesse principale n’avait pu fournir aucune preuve documentaire à l’appui de l’allégation portant sur le paiement de deux amendes.

 

[18]           La Commission n’a accordé aucun poids aux deux avis fournis par la demanderesse principale quant au paiement d’amendes et à la stérilisation forcée. La Commission a invoqué des documents sur la situation au pays qui révélaient que les documents frauduleux, notamment les pièces d’identité utilisées par les demandeurs d’asile, font l’objet d’un commerce florissant. La Commission a également fait remarquer que l’amende d’environ 10 000 $US était inférieure à la somme que la demanderesse principale a dû débourser pour venir au Canada avec son fils et qui s’élevait, d’après ses dires, à 30 000 $US.

 

[19]           La Commission a conclu que la demanderesse principale devrait être capable de retourner en Chine, de payer une amende en raison de son second enfant et d’enregistrer Jia sur le hukou familial. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas de sérieuses possibilités que les demandeurs soient persécutés ou exposés personnellement à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou bien à un danger de la part de quelque autorité que ce soit en Chine. Par conséquent, les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[20]           En l’espèce, les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

a.                   La Commission a­t­elle commis une erreur en concluant que les stérilisations forcées étaient contraires à la loi dans la province de Guangdong ou en interprétant et en analysant les Réponses aux demandes d’information CHN43031.EF et CHN43165.EF?

b.                   La Commission a­t­elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas vraisemblable que des agents de planification familiale aient mentionné dans un avis que quelqu’un pourrait subir une stérilisation forcée, étant donné que les documents sur la situation au pays révélaient que les personnes pouvaient être emprisonnées pour avoir contrevenu à la loi?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[22]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à la décision contestée est la raisonnabilité. Lorsque la décision de la Commission est fondée sur un examen ou une appréciation des faits présentés, elle n’est susceptible de contrôle que si elle est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont la Commission disposait. Il faut faire preuve de déférence envers la Commission vu son rôle en tant que tribunal spécialisé. Voir : Pratap c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (le 26 mars 2008) IMM-3500-07 (C.F.) [non publiée]. Je souscris aux observations du défendeur.

 

[23]           Les points soulevés par les demandeurs concernent les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission. Les demandeurs allèguent que la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait qui n’était pas étayée par la preuve dont elle disposait puis qu’elle a utilisé cette conclusion de fait pour tirer des conclusions défavorables relatives à la crédibilité. Avant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir), la norme de contrôle applicable aux questions de crédibilité était la décision manifestement déraisonnable : Hou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1586, paragraphe 13, et Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), paragraphe 4 (Aguebor).

 

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable constituent des normes de contrôle différentes en théorie, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre les deux normes de « raisonnabilité » en une seule.

 

 

[25]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir a également statué qu’il n’est pas toujours nécessaire d’effectuer l’analyse relative à la norme de contrôle. Au contraire, lorsque la jurisprudence a clairement établi la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que le tribunal entreprendra l’analyse des quatre facteurs permettant d’établir la norme de contrôle applicable.

 

[26]           Ainsi, vu l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et la jurisprudence de notre Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable quant aux questions en litige en l’espèce est la raisonnabilité. Lorsque la Cour contrôle une décision selon la norme de raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES OBSERVATIONS

            Les demandeurs

 

La Commission a­t­elle commis une erreur en concluant que les stérilisations forcées étaient contraires à la loi dans la province de Guangdong ou en interprétant et en analysant les Réponses aux demandes d’information CHN43031.EF et CHN43165.EF?

 

[27]           Les demandeurs avancent que la Commission a cité la Réponse aux demandes d’information CHN43031.EF à l’appui de sa conclusion selon laquelle la stérilisation forcée est contraire à la loi dans la province de Guangdong. Ils affirment que cette preuve documentaire n’appuie pas les conclusions de la Commission, étant donné que la Réponse aux demandes d’information CHN43031.EF porte sur le nouveau règlement sur la population et sur la planification familiale dans la province de Guangdong, lequel règlement est entré en vigueur le 1er septembre 2002. Les demandeurs font remarquer qu’un examen du règlement sur la planification familiale dans la province de Guangdong révèle que ce règlement ne dispose pas que les stérilisations forcées sont contraires à la loi dans la province de Guangdong.

 

[28]           Les demandeurs citent et font valoir la décision Chow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 788, paragraphe 9, pour affirmer qu’il est irrationnel et déraisonnable pour la Commission d’utiliser la preuve documentaire d’une façon contradictoire et qu’une telle utilisation constitue une erreur susceptible de contrôle. En outre, les demandeurs citent et font valoir le paragraphe 34 de la décision Luzi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1179 :

34     Comme ce fut le cas dans la décision Hajai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 192 F.T.R. 141, en l’espèce, la Commission a mal interprété la preuve dont elle disposait quand elle a tiré conclusions quant au manque de vraisemblance. Ses conclusions sur d’autres aspects de la cause deviennent donc également suspectes. Tel que l’a déclaré le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance, au paragraphe 14 de la décision Hajai, précitée :

 

Il arrive un moment où l’accumulation des erreurs, qu’elles soient déterminantes ou non, laisse planer un doute sur la justesse des autres conclusions auxquelles en est arrivé le tribunal. Il est clair que la SSR a fondé sa décision sur des conclusions de fait qui ne tiennent pas compte des documents qui lui ont été présentés. Pour ces motifs, la décision doit être annulée et l’affaire renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision.

 

[29]           Les demandeurs soutiennent que la preuve documentaire corroborante révèle que les stérilisations forcées se pratiquent encore et qu’il est [traduction] « pratique courante » que les parents se fassent stériliser par suite de naissances non planifiées. En particulier, le règlement sur la planification familiale dans la province de Guangdong prévoit ce qui suit :

[traduction]

Afin de prévenir les naissances non voulues et d’en diminuer le nombre, les sections administratives chargées de la planification familiale dans chaque ordre de gouvernement doivent établir les conditions préalables et informer les couples en âge de procréer sur la façon de faire un choix éclairé au sujet des mesures de contraception. Le premier choix pour une femme en âge de procréer et qui a déjà donné naissance à un enfant est le dispositif intra­utérin. Si la femme a déjà eu deux enfants ou plus, le premier choix est la vasectomie pour le mari ou la ligature des trompes pour l’épouse.

 

 

[30]           Les demandeurs renvoient également à l’article 27 du règlement sur la planification familiale au Guangdong :

[traduction]

Si un enfant meurt après qu’un couple a déjà subi l’opération de stérilisation, on peut effectuer une remise en état des trompes de Fallope ou du canal déférent si le couple respecte les conditions relatives à la planification familiale, le mari et l’épouse présentent une demande conjointe et la section administrative chargée de la planification familiale au sein du comté ou d’un ordre supérieur l’approuve.

 

 

[31]           Les demandeurs soutiennent que, selon la Réponse aux demandes d’information CHN43031.EF, le règlement sur la planification familiale au Guangdong prévoit clairement la stérilisation des parents qui ont deux enfants ou plus, ce qui réfute la conclusion de la Commission, selon laquelle les stérilisations forcées sont contraires à la loi dans la province de Guangdong.

 

[32]           Les demandeurs citent et invoquent la décision Egeresi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1133, paragraphe 7 :

[…] Il n’y a aucune mention de la preuve documentaire considérable qui n’appuyait pas sa position, ni de mention des éléments de preuve fournis par le demandeur à ce sujet. Il est fort possible qu’il était loisible à la SPR de tirer cette conclusion, mais il doit clairement ressortir des motifs qu’elle a entrepris une analyse judicieuse au soutien de sa conclusion. La SPR a failli à cette tâche et, à mon avis, cela constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

 

[33]           Les demandeurs se fondent également sur la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, paragraphe 17 :

17     Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

[34]           Les demandeurs ont également souligné l’extrait suivant tiré de la Réponse aux demandes d’information CHN43165.EF :

Selon un article du 8 octobre 2004 d’Amnesty International (AI), les organisations de défense des droits de la personne n’ont pas été capables d’effectuer des recherches indépendantes sur les allégations d’avortements et de stérilisations forcés en Chine, car les autorités exercent un contrôle sévère de l’information.

[…]

La conférencière en relations internationales a mentionné que même si elle ne pouvait pas prouver qu’il y avait eu des stérilisations forcées durant la période couverte par la réponse, cela ne voulait pas dire qu’il n’y en avait pas eu […].

[…]

[...] [l]orsque les frais de dédommagement social et les pressions psychologiques et sociales intenses n’ont pas été suffisants pour convaincre une femme de se faire avorter, les autorités ont déjà utilisé la force physique, mais ces cas sont de plus en plus rares [...]. Les stérilisations forcées se produisent encore et elles sont plus fréquentes lorsqu’un couple a un plus grand nombre d’enfants que ce qui est permis […].

[…]

Selon un article du Quotidien du Peuple, le directeur adjoint du Bureau des affaires législatives du Conseil d’État a signalé que la Chine ne resserrerait ni n’assouplirait sa politique de planification familiale et qu’elle [traduction] « devait imposer des limites sévères sur les naissances excédentaires » […].

 

 

[35]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la Réponse aux demandes d’information CHN43165.EF en se fondant sur la conclusion que la demanderesse principale ne subirait pas une stérilisation forcée si elle contrevenait à la politique de l’enfant unique.

 

[36]           Les demandeurs affirment également que la Commission semble reconnaître que la stérilisation peut être imposée comme peine à ceux qui contreviennent à la politique de planification familiale de la Chine, mais que la peine imposée, à supposer qu’il y en ait une, est le paiement d’une amende. Les demandeurs soutiennent que la Commission a mal interprété la punition imposée aux personnes qui contreviennent à la politique de l’enfant unique en Chine.

 

La Commission a­t­elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas vraisemblable que des agents de planification familiale aient mentionné dans un avis que quelqu’un pourrait subir une stérilisation forcée, étant donné que les documents sur la situation au pays révélaient que les personnes pouvaient être emprisonnées pour avoir contrevenu à la loi?

 

[37]           Les demandeurs se fondent sur la décision Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 37 (C.F. 1re inst.), paragraphe 24 :

24     Les motifs invoqués pour conclure à l’invraisemblance des aspects particuliers du témoignage des requérants ne se rapportent raisonnablement pas aux éléments de preuve dont disposait le tribunal. Un autre tribunal pourrait tirer ses conclusions, mais les motifs de ces conclusions doivent se rapporter rationnellement aux éléments de preuve. Or, ce n’est pas le cas de l’espèce. La décision est manifestement déraisonnable en l’absence de motifs liés aux éléments de preuve produits.

 

[38]           Les demandeurs avancent que la conclusion de la Commission, selon laquelle il était invraisemblable que les agents de planification familiale mentionnent dans un avis qu’une personne subirait une stérilisation forcée, est fondée sur la conclusion que les stérilisations forcées en Chine sont illégales. Cette conclusion n’est pas étayée par la preuve. Par conséquent, les erreurs commises par la Commission ne peuvent pas résister à un contrôle judiciaire.

 

Le défendeur

            La crédibilité

 

[39]           Le défendeur soutient que la Commission a rejeté la demande d'asile des demandeurs sur le fondement de nombreux doutes quant à la crédibilité du récit des demandeurs. La Commission a fourni des motifs clairs, exhaustifs et convaincants pour l’ensemble de ses conclusions relatives à la crédibilité.

 

[40]           Le défendeur affirme qu’il est de droit constant que la Cour doit accorder le plus haut degré de retenue aux conclusions de faits et de crédibilité tirées par la Commission. Voir : Aguebor.

 

[41]           Le défendeur fait remarquer que les documents CHN43031.EF et CHN43165.EF, auxquels renvoient les demandeurs, mentionnent des « frais de dédommagement social » imposés aux personnes ayant plus d’un enfant dans la province de Guangdong. Ces documents ne révèlent pas que les stérilisations forcées sont utilisées en tant que sanction. Par conséquent, ces documents appuient la conclusion de la Commission selon laquelle il y a peu de stérilisations forcées en Chine.

 

[42]           Le demandeur a également avancé que la Commission avait eu raison d’affirmer qu’il n’y avait eu aucun cas de personne ayant subi une stérilisation forcée entre 2002 et 2005, comme en témoigne le document CHN43165.EF. Le fait que ces documents citent des personnes qui tirent des conjectures non étayées par la preuve, selon lesquelles la stérilisation forcée est encore pratiquée, ne constitue pas une preuve que les demandeurs risquent de subir une stérilisation forcée.

 

[43]           Le défendeur avance que la preuve corrobore la conclusion de la Commission selon laquelle la sanction pour une naissance non autorisée dans la province de Guangdong est une amende visant le dédommagement social et que la stérilisation forcée n’est pas une sanction prévue dans le règlement sur la population et la planification familiale de la province de Guangdong.

 

[44]           Le défendeur soutient également que les observations des demandeurs équivalent à un désaccord avec la Commission quant au poids qui a été accordé à la preuve. Les demandeurs n’ont pas fourni d’observations convaincantes donnant à penser que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables.

 

ANALYSE

 

[45]           La Commission a tiré une importante conclusion relative à la vraisemblance fondée sur son opinion selon laquelle les stérilisations forcées étaient contraires à la loi dans la province de Guangdong :

Ces stérilisations forcées étant illégales dans la province de Guangdong, je juge invraisemblable que des fonctionnaires responsables de la planification familiale aient délivré un avis enjoignant l’intéressée ou son mari de subir une stérilisation forcée, puisque les documents se rapportant au pays indiquent que de tels fonctionnaires pourraient être incarcérés pour avoir violé la loi.

 

 

[46]           Si la décision est interprétée dans son ensemble, il est clair que la Commission a accordé beaucoup de poids à son opinion selon laquelle la stérilisation forcée était contraire à la loi au Guangdong, et qu’elle a mentionné la Réponse aux demandes d’information CHN43031.EF, à laquelle elle a renvoyé en note de bas de page, comme preuve corroborant son opinion.

 

[47]           Le problème est que la Réponse aux demandes d’information CHN43031.EF ne mentionne pas que la stérilisation forcée est illégale au Guangdong.

 

[48]           Le défendeur affirme que cette absence de mention importe peu parce que le cartable de documentation établit de façon prépondérante que la demanderesse principale ne ferait pas face à une stérilisation forcée si elle retournait en Chine. C’est possible, mais les documents donnent également à penser que des stérilisations sont parfois pratiquées, et la Commission a estimé que le récit des demandeurs n’était pas vraisemblable, du moins en partie, parce qu’elle a conclu que les avis n’étaient pas authentiques aux motifs que la stérilisation était illégale au Guangdong.

 

[49]           Le défendeur affirme également que le renvoi au document CHN43031.EF dans les motifs constituait simplement une erreur dans les notes de bas de page. Cela me semble bien peu probable parce que le renvoi est répété à plusieurs reprises. En outre, le renvoi, par le défendeur, au document CHN40685.EF, qui se trouvait également dans le cartable de documentation dont disposait la commissaire, n’atténue pas le problème à mon avis.

 

[50]           Le défendeur affirme que l’extrait suivant étaye l’opinion de la Commission quant à l’illégalité de la stérilisation forcée :

[traduction]

La discrimination et la violence à l’égard des femmes qui donnent naissance à une fille et des femmes stériles sont strictement interdites. La discrimination et la violence à l’égard des enfants de sexe féminin de même que leur abandon sont strictement interdits (Xinhua, le 2 janvier 2002).

 

[51]           Il n’est pas tout à fait clair ce sur quoi porte cette interdiction, mais cela ne confirme pas que les stérilisations forcées sont illégales au Guangdong et, quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de l’élément de preuve sur lequel la Commission avait dit s’être fondée pour étayer son opinion selon laquelle les « stérilisations forcées éta[ient] illégales dans la province de Guangdong ».

 

[52]           Le document sur lequel s’est fondée la Commission est la Réponse aux demandes d’information CHN43031.EF, qui ne fournit aucun fondement de preuve étayant une telle opinion. En fait, le document CHN43031.EF mentionne le règlement actuellement en vigueur qui porte sur le nouveau règlement sur la population et la planification familiale dans la province de Guangdong et qui est entré en vigueur le 1er septembre 2002 (Chine, le 25 juillet 2002). Dans sa traduction, ce règlement prévoit effectivement le recours à la stérilisation à l’article 25:

[traduction]

Le premier choix pour une femme en âge de procréer et qui a déjà donné naissance à un enfant est le dispositif intra­utérin. Si la femme a déjà eu deux enfants ou plus, le premier choix est la vasectomie pour le mari ou la ligature des trompes pour l’épouse.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[53]           Cet extrait n’appuie pas l’opinion de la Commission, selon laquelle la stérilisation forcée est illégale au Guangdong.

 

[54]           À mon avis, il ne s’agissait donc pas d'une simple affaire dans laquelle la Commission a examiné et apprécié la preuve sur la stérilisation forcée au Guangdong et a conclu que la demanderesse ne ferait pas face à une stérilisation forcée. Il s’agissait d’une affaire dans laquelle la preuve établissait que la stérilisation pourrait être encore pratiquée, même si cela devenait de moins en moins fréquent, et le récit des demandeurs concernant d’importants éléments de preuve (les avis de sommation) a été écarté, du moins en partie, en raison de l’opinion non corroborée de la Commission concernant l’illégalité de la stérilisation forcée au Guangdong. Autrement dit, étant donné que les avis ont été écartés, ils n’ont pas pu être examinés lors de l’appréciation de la preuve.

 

[55]           Rien dans la preuve n’étayait l’allégation maintes fois répétée par la Commission selon laquelle la stérilisation forcée était illégale au Guangdong. La Commission a en grande partie fondé ses conclusions relatives à la crédibilité sur ses propres conjectures non étayées par la preuve. À mon avis, la décision est donc déraisonnable.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.      que la demande est accueillie, et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

2.      qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4783-08

                       

INTITULÉ :                                                   SUISHAN HUANG

                                                                        JIA HAO HUANG (UN MINEUR)

                                               

c.

           

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 JUILLET 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Leonard H. Borenstein                                      POUR LES DEMANDEURS

 

Brad Gotkin                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leonard H. Borenstein                                      POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

                       

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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