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Federal Court

 

Cour fédérale


 

 

Date : 20100129

Dossier : IMM-2928-09

Référence : 2010 CF 106

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

HABIBA FAZIA MADOUI

 

partie demanderesse

 

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Habiba Fazia Madoui est une Algérienne qui s’est rebellée à l’idée d’épouser un homme beaucoup plus âgé, un mariage arrangé par son père qui serait, apparemment, un homme d’une certaine influence. Elle aurait été frappée par ce dernier. Avec l’aide de sa mère, elle a quitté l’Algérie et est arrivée au Canada, où elle fait une demande d’asile. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) qui a rejeté sa demande. La SPR n’a pas cru Mme Madoui. 

 

LES QUESTIONS

[2]               Deux arguments ont été soulevés au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire. Le premier est que l’avocat de Mme Madoui, qui avait été retenu seulement six jours avant l’audience et qui ne disposait pas du dossier complet, avait demandé que l’audience soit reportée. Cette demande a été refusée. Le second est que, de toute façon, la décision est déraisonnable et devrait être annulée.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[3]               Le refus de reporter une audience pour permettre à un avocat de se préparer est une question d’équité procédurale. Aucune retenue s’impose envers la SPR: Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281 ;  Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539. Quant à la décision de rejeter la demande d’asile de Mme Madoui, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

L’ÉQUITÉ PROCÉDURALE

[4]               L’avocat de Mme Madoui a été retenu seulement six jours avant la date prévue de l’audience. C’était la quatrième fois que l’affaire avait été inscrite pour audition.

 

[5]               L’avocat, Me Si Ali, a écrit à la SPR pour demander que l’audience soit reportée aux motifs que: « […] je n’ai pas une copie du dossier et vu la date rapprochée de l’audience soit le 25 mars 2009, je vous demande une remise de cette audience à une date ultérieure ».

 

[6]               Sa demande a été rejetée juste avant le début de l’audience. La décision est simplement libellée comme suit : « Un avocat qui accepte un dossier doit s’assurer d’être disponible le jour convenu ». L’audience a eu lieu. On ne peut reprocher à Me Si Ali de ne pas s’être adressé à cette Cour afin d’obtenir un sursis, considérant la réticence de la Cour de se prononcer sur des questions interlocutoires qui sont soulevées devant la SPR : Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Kahlon, 2005 CF 1000, [2006] 3 R.C.F. 493.

 

[7]               Le Ministre défend la décision de la SPR sur une base autre que celle sur laquelle elle a, en fait, été rendue. Le Ministre soutient que la SPR a refusé la demande parce que c’était tout simplement une autre tactique dilatoire de la part de Mme Madoui. En fait, le nouvel avocat de la demanderesse demande le jour même où il a été mandaté d’ajourner l’audience. Sa demande a été refusée au motif « qu’un avocat qui accepte un dossier doit s’assurer d’être disponible le jour convenu. » De plus, le Ministre prétend que même si Me Si Ali avait eu plus de temps pour se préparer, le résultat aurait été le même.

 

[8]               On peut comprendre que la SPR était frustrée par le comportement de Mme Madoui, y compris son défaut de la tenir informée de ses changements d’adresse. Cependant, les deux premières dates ont été reportées pour des raisons administratives qui n’avaient rien à voir avec Mme Madoui. La troisième date a été reportée parce que le conseiller de Mme Madoui l’avait abandonnée pour défaut de paiement. C’était en septembre 2008. En février 2009, la date de l’audience a été fixée au 25 mars, 2009. Il y est clairement mentionné qu’elle devrait être prête à procéder.

 

[9]               Il se peut bien que la SPR aurait pu refuser de reporter l’audience au motif que Mme Madoui utilise des moyens dilatoires. Cependant, ce n’est pas la raison qu’elle a donné. Elle s’est concentrée sur l’avocat et non sur Mme Madoui.

 

[10]           Il y a clairement des situations où un avocat a non seulement le droit d’accepter un mandat lorsqu’il est incapable de procéder à une date déjà fixée, mais même un devoir d’accepter un tel mandat. Supposons, par exemple, que l’avocat de Mme Madoui serait mort subitement ou serait soudainement nommé à la magistrature. Elle n’aurait tout de même pas été contrainte dans de telles circonstances de trouver un avocat qui se sentirait prêt bien qu’il n’ait pas le dossier, soit de se représenter elle-même.

 

[11]           La règle 48 des Règles de la SPR reflète les principes de justice naturelle. Si une demande est faite pour changer la date d’une procédure, la SPR doit prendre en considération tout élément pertinent notamment:

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

 

[…]

 

f) si la partie est représentée;

 

g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

 

h) tout report antérieur et sa justification;

 

i) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

 

j) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;

 

k) la nature et la complexité de l’affaire.

 

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

[…]

 

 (f) whether the party has counsel;

 

(g) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

 

(h) any previous delays and the reasons for them;

 

(i) whether the date and time fixed were peremptory;

 

 

(j) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings or likely cause an injustice; and

 

(k) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

[12]           En adoptant cette décision, la SPR n’a pas considéré ces éléments. Le ministre a présenté à la Cour un grand nombre d’arrêts concluant que le droit d'une partie à être représentée par un avocat n'est pas absolu.  De même, il faut avoir une raison légitime pour demander un report. J'ai passé en revue un grand nombre des autorités dans l’arrêt Mervilus c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2004 CF 1206. Plus récemment, M. le juge Russell les a analysées dans l’arrêt Khan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 22.

 

[13]           Pour déterminer si le refus d'autoriser un report est susceptible de révision, la Cour doit examiner si le dossier est complexe, si les conséquences de la décision sont sérieuses, et si la personne n'a pas les ressources, que ce soit en termes d'intelligence ou de connaissances juridiques, pour se représenter correctement elle-même.

 

[14]           Le ministre soumet que le dossier n’était pas complexe et que Me Si Ali a fait un excellent travail. De plus, si il y a eu un manque d’équité procédurale, ce manque a été corrigé quand Me Si Ali a eu l’opportunité, après l’audience, de soumettre des renseignements supplémentaires. Cependant cette opportunité était limitée aux renseignements concernant l’influence du père de Mme Madoui en Algérie. À la fin de l’audience, la Commissaire a dit qu’ « étant donné que vous n’avez pas eu beaucoup de temps pour préparer la présente audience, [elle allait lui] donner un petit devoir à faire », soit trouver un document confirmant que le père est directeur du  centre culturel.

 

[15]           À mon avis, la violation initiale de la justice naturelle dans ce dossier n’a pas été corrigée. Ce n’est pas une situation où, au prochain niveau, que ce soit un appel ou une révision, la demanderesse peut présenter de nouvelles preuves et procéder de novo, comme par exemple dans un appel sous la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Voir, par exemple, Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. En contrôle judiciaire, la Cour peut annuler une décision, mais ne peut pas rendre la décision qui aurait dû être prise en première instance.

 

[16]           Les faits de cette affaire relèvent des principes énoncés dans Cardinal c. Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, [1985] S.C.J. No. 78 (QL). Monsieur le juge Le Dain, s’exprimant au nom de la Cour, a indiqué au paragraphe 23:

[J]'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

 

[17]           Je ne suis pas prêt à spéculer sur ce qu’aurait pu être le résultat si Me Si Ali avait eu assez de temps pour se préparer. L’arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 établit le principe que dans certain cas, un manque d’équité procédurale peut être ignoré parce qu’il n’y aurait pas pu avoir d’issue différente. Cependant, dans ce cas là, il ne pouvait pas avoir de différence dans le résultat en vertu de la loi applicable.  Dans la présente affaire, la décision est fondée sur des constatations de fait, un manque de crédibilité de la part de Mme Madoui. Je ne suis pas prêt à conclure que les avocats sont tellement inutiles dans les audiences d’immigration que l’issue n’aurait pu être différente si Me Si Ali avait eu plus de temps pour se préparer. 


ORDONNANCE

 

POUR CES MOTIFS;

LA COUR ORDONNE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié est annulée.

3.      L’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié pour faire l’objet d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

4.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2928-09

 

INTITULÉ :                                       Habiba Fazia Madoui c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 janvier 2010

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       HARRINGTON J.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 29 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Abderrahim Si Ali

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Yaël Levy

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Abderrahim Si Ali

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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