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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20100804

Dossier : IMM-6553-09

Référence : 2010 CF 797

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

YOLANDA AVILA DIAZ

NORA CONSUELO AVILA-DIAZ

(alias NORA CONSUELO AVILA DIAZ)

ANDREA LILIANA SEGURA

(alias ANDREA LILIANA SEGURA AVILA)

ADRYNAH JAELEE CASTILLO

DIEGO ALEJANDRO SEGURA

VANESSA SEGURA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a établi que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. 

 

[2]               La décision de la Commission est entachée de nombreuses erreurs importantes. Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie. 

 

Le contexte

[3]               Yolanda Avila Diaz, sa sœur Nora Consuelo Avila-Diaz, ses filles Andrea Liliana Segura et Vanessa Segura, son fils Diego Alejandro Segura et sa petite-fille Adrynah Jaelee Castillo sont des citoyens colombiens. Les trois demandeurs mineurs sont citoyens des États-Unis et leurs demandes ont été rejetées parce qu’ils n’avaient présenté aucune demande auprès de ce pays; cette conclusion n’est pas contestée et ne fera pas l’objet d’un examen plus poussé.

 

[4]               La demande de la demanderesse principale était fondée sur l’allégation que son mari avait fait l’objet de persécution à la fin des années 80. La demanderesse a soutenu que son mari, qui était juge en Colombie, ainsi que ses collègues avaient été approchés par des narcotrafiquants, lesquels leur avaient proposé, en échange d’une somme d’argent, de se prononcer d’une certaine manière dans une affaire où il était question de documents frauduleux. Quand le mari de la demanderesse avait refusé de céder, les narcotrafiquants les avaient menacés. La demanderesse a soutenu que sa famille avait de nouveau reçu des menaces quelque deux ans plus tard, tandis que son mari continuait de mener son enquête sur l’affaire en question. Il ressort du dossier qu’à cette époque, les juges jouaient le double rôle de procureur et de juge en Colombie. 

 

[5]               Les membres de la famille ont contacté la police le jour suivant, mais on leur a répondu « ne pas pouvoir leur fournir de protection ». Compte tenu de la gravité des menaces proférées à l’encontre des représentants du pouvoir judiciaire, la demanderesse et sa famille se sont rendues chez ses parents et ont quitté la Colombie peu de temps après, le 11 juin 1991.

 

[6]               Les demandeurs sont d’abord allés aux États-Unis, où ils ont présenté une demande d’asile. Leur demande a été rejetée et leur renvoi a été ordonné. Ils sont restés aux États-Unis sans avoir de statut légal jusqu’à ce que le mari de la demanderesse soit placé en détention par des agents d’immigration américains et qu’il soit expulsé en Colombie. À l’époque, les agents d’immigration ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de ne pas mettre en détention le reste de la famille. 

 

[7]               À ce stade, la demanderesse principale et les autres membres de sa famille se sont renseignés sur la manière d’entrer subrepticement au Canada ; ils ont finalement passé la frontière à un poste frontalier non surveillé, sans être repérés. Peu de temps après, la famille a présenté une demande d’asile.

 

[8]               La demanderesse principale affirme que les autres membres de sa famille ont reçu au moins deux autres menaces entre-temps, menaces liées au refus de son mari de se laisser corrompre.

 

[9]               Le 2 décembre 2009, la Commission a rejeté la demande des demandeurs. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[10]           La Commission a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de persécution se rattachant à un motif reconnu, de telle sorte que la demande a été examinée uniquement au regard de l’article 97 de la Loi.

 

[11]           La Commission a déclaré que « [l]a question déterminante en l’espèce est la crédibilité quant au bien‑fondé de la crainte de la demandeure d’asile principale ». La Commission a fondé sa conclusion selon laquelle la crainte des demandeurs n’était pas fondée sur cinq motifs : (1) dans son témoignage oral, la demanderesse principale a déclaré que les FARC étaient l’agent de persécution alors que dans l’exposé circonstancié des faits contenu dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), elle a affirmé ne pas être certaine de l’identité des personnes qui les avaient menacés; (2) la demanderesse principale a affirmé que le collègue de son mari (à qui on a également offert une somme d’argent et qui l’a refusé) avait été assassiné, mais qu’elle ne savait pas si ce meurtre avait un lien avec les persécutions dont elle affirme avoir fait l’objet; (3) la demanderesse principale a été dans l’incapacité d’expliquer les raisons pour lesquelles son mari continuait de faire l’objet de menaces à son retour en Colombie; (4) il est notoire que les FARC traquent leurs victimes sans pitié et avec efficacité, ce qui donne à penser que les demandeurs n’étaient pas la cible des FARC; (5) l’écoulement du temps diminue les risques pour les demandeurs de se faire repérer et attaquer. La Commission a conclu que « [c]ompte tenu de tout ce qui précède, le tribunal ne croit pas que les demandeures d’asile ont été prises pour cible par les FARC ou qu’elles le sont actuellement ».

 

[12]           La Commission a alors étudié l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, concluant qu’une telle possibilité existait dans une autre partie de la ville de Bogota, en Colombie, et ce, même si l’agent de persécution demeurait dans la même ville, du fait de la taille de la ville en question. La Commission a affirmé que le mari de la demanderesse principale pourrait trouver un autre emploi, ce qui diminuerait son risque d’être exposé à un danger. La Commission a fondé sa conclusion selon laquelle il y avait une possibilité de refuge intérieur sur le fait qu’une mention avait apparemment été retirée entre 2005 et 2008 des rapports du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR); il s’agissait d’une référence à la capacité des groupes armés illégaux de poursuivre leurs victimes partout en Colombie. La Commission a aussi évoqué « [l]es services municipaux, sociaux, médicaux, gouvernementaux et de sécurité dont peut généralement bénéficier [l’]importante population [de Bogota] ».

 

[13]           À titre subsidiaire, la Commission a conclu que les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé d’être victimes de crime, et qu’ils ne tombaient donc pas sous le coup de la définition énoncée à l’article 97 de la Loi. La Commission a établi que : « [l]es responsables de l’application de la loi et des services judiciaires sont exposés à un risque courant ou répandu auquel est généralement exposé un sous‑ensemble ou un sous‑groupe de l’ensemble de la population de ce pays ». La Commission a examiné les décisions Vickram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 457, et Prophete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, et elle a conclu :

À la lumière de ce qui précède, le tribunal estime que le risque auquel sont exposées les demandeures d’asile, s’il existe, constituerait un risque généralisé et courant auquel est exposée la population en général. À ce titre, le risque décrit ne constitue pas un risque prévu par la loi.

 

La Commission a ainsi conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

Les questions en litige

[14]           Dans leur mémoire, les demandeurs ont énoncé cinq questions; je suis d’avis qu’elles peuvent être résumées de la manière suivante :

a.       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque s’ils étaient renvoyés en Colombie?

b.      La Commission a-t-elle commis une erreur en considérant que Bogota était un refuge intérieur possible?

c.       La Commission a-t-elle commis une erreur en établissant, à titre subsidiaire, que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était un risque que courait généralement toute personne vivant en Colombie ou originaire de ce pays?

 

Analyse

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque s’ils étaient renvoyés en Colombie?

 

[15]           Les demandeurs font valoir que la conclusion défavorable que la Commission a rendue en ce qui concerne leur crédibilité et le fait que leurs craintes n’étaient pas fondées était déraisonnable. Ils affirment que la Commission s’est perdue en conjectures en déclarant que l’agent de persécution était vraisemblablement un « cartel de la drogue » et non les FARC, et que de toute manière, l’identification précise de l’agent de persécution n’était pas pertinente aux fins de l’analyse faite au regard de l’article 97. Les demandeurs ont également soutenu que leurs déclarations relatives à l’assassinat du collègue de la demanderesse principale n’étaient pas un « enjolivement », contrairement à ce que la Commission a conclu, parce que les demandeurs n’ont jamais prétendu qu’il y avait un lien entre cet assassinat et le fait qu’ils soient persécutés. Les demandeurs affirment également que la Commission a commis une erreur de fait en déclarant que le mari de la demanderesse principale résidait à Bogota et qu’il s’efforçait de vérifier des éléments de preuve en vue d’appuyer leur demande aux États-Unis. Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de faire référence à un rapport de police qui a été versé au dossier et qui a trait à de récentes menaces proférées à l’encontre du mari de la demanderesse principale, ce rapport allant directement à l’encontre de la déclaration de la Commission selon laquelle le risque auquel les demandeurs sont exposés diminuerait avec le temps. Les demandeurs prétendent également que la Commission a omis de fournir des éléments de preuve précis pour appuyer sa conclusion selon laquelle la violence des actes de l’agent de persécution n’était pas telle qu’elle trahissait l’implication des FARC.

 

[16]           Le défendeur fait valoir que même si la Commission a commis un certain nombre d’erreurs, l’ensemble de ses motifs est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables. Le défendeur soutient également qu’il existe une présomption selon laquelle la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve, et que même si la Commission avait examiné le rapport de police récent que la famille a versé au dossier, cela n’aurait pas aidé à améliorer la crédibilité de son récit. Le défendeur affirme que la conclusion de la Commission relative au mode opératoire des FARC était étayée par la preuve. 

 

[17]           Les conclusions visant à établir si un demandeur est crédible ou s’il est exposé à un risque sont des questions de fait qui doivent être contrôlées selon la norme de raisonnabilité. 

 

[18]           La Commission a déclaré que sa conclusion défavorable relative à la crédibilité et à la présence d’éléments de preuve attestant l’existence d’un risque était fondée sur l’ensemble de ses motifs. Les cinq motifs de la Commission sont entachés d’erreur, certains plus que d’autres. La conclusion que la Commission a tirée relativement au risque auquel les demandeurs étaient exposés est déraisonnable et ne saurait tenir.

 

[19]           La demanderesse principale a fait preuve de franchise en déclarant ne pas pouvoir résolument affirmer que les gens qui les persécutaient étaient des membres des FARC ou d’un cartel de la drogue. La demanderesse a conjecturé que l’agent de persécution pouvait être les FARC, mais cela n’a pas de répercussions sur sa crédibilité en ce qui a trait à ses allégations voulant que sa famille ait reçu des menaces après que son mari eut refusé de se laisser corrompre. Quoi qu’il en soit, dans les présentes circonstances, l’identité de l’agent de persécution n’est pas un facteur pertinent quand il s’agit d’évaluer l’intensité du risque. 

 

[20]           La demanderesse principale n’a pas enjolivé son témoignage en déclarant que le collègue de son mari, à qui avait été également proposée une somme d’argent, avait été assassiné pendant la période au cours de laquelle la famille de la demanderesse avait reçu des menaces. Le Oxford English Dictionary définit le terme « enjoliver » (« embellish ») comme étant [traduction] « agrémenter, embellir (un récit) au moyen d’ajouts fictifs » : Oxford English Dictionary, 2e éd. Il n’y avait rien de fictif dans le récit que la demanderesse principale a fait de l’assassinat du collègue de son mari. La demanderesse principale n’a pas prétendu que cet assassinat était directement lié aux persécutions dont sa famille faisait l’objet, ce qui, le cas échéant, aurait pu être considéré comme étant un enjolivement. Il était loisible à la Commission d’écarter cet aspect du témoignage de la demanderesse, étant donné que rien ne prouvait sa pertinence; il était déraisonnable par contre de s’en servir afin de jeter une ombre sur la crédibilité de la demanderesse.

 

[21]           La Commission a commis une erreur en concluant que le mari de la demanderesse principale vivait à Bogota et qu’il rassemblait des éléments de preuve pour étoffer le dossier de demande d’asile de la famille aux États-Unis; ces deux conclusions de fait étaient erronées. La demanderesse principale a affirmé que son mari ne vivait pas à Bogota, mais qu’il se déplaçait plutôt en Colombie. La fille de la demanderesse principale a déclaré que sa mère s’était mal exprimée quand elle avait affirmé que son père rassemblait des éléments de preuve aux fins de leur demande d’asile aux États-Unis alors qu’il rassemblait en fait des éléments de preuve aux fins de leur demande d’asile au Canada. En tant que telles, ces erreurs de fait ne peuvent faire l’objet d’une révision, mais elles amènent à douter de la rigueur et de l’exactitude de l’ensemble de l’examen de la Commission.

 

[22]           La Commission a conclu que la persécution dont les demandeurs avaient été victimes n’était pas assez violente pour avoir été exercée par les FARC. La Commission appuie cette conclusion sur le cartable national de documentation, mais elle ne donne aucune raison ou argumentation claire en ce sens. Cette conclusion semble purement conjecturale. Quoi qu’il en soit, comme la Commission l’avait déjà noté, l’identité de l’agent de persécution est un élément pertinent en ce qui a trait au lien, et non à la probabilité de risque au regard de l’article 97. Le fait que l’agent de persécution ne soit pas identifié n’élimine pas la probabilité que les demandeurs soient exposés à un risque s’ils devaient être renvoyés en Colombie, comme ils l’ont allégué, pas plus que cela n’affecte leur crédibilité.

 

[23]           Le passage du temps peut atténuer de nombreuses façons les risques auxquels les personnes sont exposées. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve, sous la forme d’un rapport de police, montrant que le passage du temps n’avait pas minimisé le risque qu’ils couraient. La Commission n’a fait aucune référence à cet élément de preuve, qui était directement contraire à sa conclusion. Le défendeur a raison de prétendre qu’un rapport de police ne constitue pas nécessairement une preuve concluante de persécution, en ce sens que n’importe qui peut déposer une plainte à la police. Cependant, la Commission n’a porté aucune attention à cet élément de preuve, sans toutefois donner les raisons pour lesquelles elle n’en tenait pas compte.  

 

[24]           Les conclusions que la Commission a rendues relativement à la crédibilité de la demanderesse et au risque auquel les demandeurs seraient exposés s’ils étaient renvoyés en Colombie étaient entachées d’erreurs qui, dans l’ensemble, feraient en sorte que la décision de la Commission serait déraisonnable. Toutefois, compte tenu de la conclusion déterminante que la Commission a rendue en ce qui concerne la possibilité de refuge intérieur ou l’existence d’un risque généralisé, cela ne donne pas lieu à révision.

 

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en considérant que Bogota était un refuge intérieur possible?

 

 

[25]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur dans son raisonnement relatif aux changements apparemment survenus entre le rapport de l’UNHCR de 2005 et celui de 2008. Les demandeurs soulignent que le rapport de 2005 émanait du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés alors que celui de 2008 émanait du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Les demandeurs font valoir que même si les rapports avaient été rédigés par le même organisme, le fait que leurs titres soient différents traduisait le fait que leurs buts étaient différents, ce qui n’appuie pas nécessairement la conclusion voulant que l’absence d’un paragraphe précis traduise un changement dans la situation du pays. Les demandeurs affirment que la Commission a omis d’étayer sa conclusion relative à la situation dans le pays par des éléments de preuve.

 

[26]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à la Commission d’accorder davantage de poids au rapport de 2008 de l’UNHCHR qu’à celui de 2005 de l’UNHCR. Le défendeur renvoie à Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] A.C.F. n° 346 (C.A.), pour affirmer que les arguments quant au poids ne donnent à la Cour aucun fondement juridique pour accueillir une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur affirme que le fait que les rapports aient été rédigés par différents auteurs n’appuie en rien l’argument des demandeurs étant donné que la Commission a [traduction] « tenu compte des deux documents, décidant finalement d’accorder plus de poids à l’un d’entre eux [...] ».

 

[27]           La possibilité d’un refuge intérieur est une question mixte de fait et de droit pour laquelle la norme de contrôle judiciaire est la raisonnabilité. Les questions relatives à l’importance adéquate à accorder à des éléments de preuve précis sont des questions de fait auxquelles s’applique également la norme de raisonnabilité.

 

[28]           Dans la décision Augusto c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 673, au paragraphe 9, la juge Layden-Stevenson (aujourd’hui juge à la Cour d’appel fédérale) s’est ainsi exprimée :

À moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire.

 

[29]           En l’espèce, la Commission s’est appuyée sur des critères abusifs.

 

[30]           La raison principale pour laquelle la Commission a conclu qu’il y avait possibilité de refuge intérieur était le fait qu’un paragraphe contenu dans un rapport de 2005 de l’UNHCR avait fait l’objet d’un « retrait » dans un rapport ultérieur. La Commission a déclaré :

Au paragraphe 58 du rapport publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en mars 2005, il est indiqué que des groupes armés irréguliers ont la capacité de retrouver des victimes partout en Colombie et qu’ils l’ont fait fréquemment dans le passé, mais dans le document plus récent publié quatre ans plus tard par la même agence, il n’y a aucune mention à cet égard. Le tribunal est convaincu que cette référence a été retirée puisqu’elle ne s’appliquait plus désormais. [Non souligné dans l’original.]

 

[31]           Les rapports auxquels la Commission a renvoyé n’émanaient pas des mêmes organismes. Le rapport de 2005 venait de l’UNHCR. Le rapport de 2008 venait de l’UNHCHR. Il s’agit d’organismes distincts œuvrant dans le cadre de mandats différents. L’erreur de la Commission fait en sorte que sa conclusion selon laquelle le paragraphe a été « retiré » parce qu’il ne s’appliquait plus désormais est abusive.

 

[32]           L’observation du défendeur selon laquelle la Commission a examiné chaque rapport individuellement et a décidé de s’en remettre au rapport récent de l’UNHCHR plutôt qu’à celui plus ancien de l’UNHCR me semble peu fondée. Il ressort clairement des motifs de la Commission que ses conclusions étaient fondées sur sa méprise que les rapports émanaient du même organisme et qu’ils avaient été rédigés dans le même but. Il est évident que la Commission n’a pas examiné ces rapports séparément et qu’elle s’est fondée sur une erreur pour tirer sa conclusion.

 

[33]           En outre, la Commission n’a fourni aucune raison pour expliquer sa conclusion selon laquelle les organismes d’État à Bogota « offre[nt] des services [...] dont peut généralement bénéficier son importante population », une conclusion qui semble contredire la Commission, considérant son important taux d’admission de ressortissants colombiens. 

 

[34]           Toutefois, n’eût été la conclusion que la Commission a tirée relativement à la troisième question (le risque généralisé par opposition à personnalisé), j’aurais conclu que l’erreur relative à la possibilité de refuge intérieur est une erreur susceptible de révision.

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en établissant, à titre subsidiaire, que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était un risque que courait généralement toute personne vivant en Colombie ou originaire de ce pays?

 

[35]           Les demandeurs font valoir que la Commission a omis de tenir compte de nombreux éléments de preuve documentaire dont elle disposait, lesquels [traduction] « établissent clairement que les représentants du pouvoir judiciaire en Colombie [...] et leurs familles sont exposés à un risque personnalisé dans ce pays ».

 

[36]           Le défendeur affirme que la Commission a conclu que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était qualitativement le même que celui couru par le reste de la population en Colombie et que la conclusion que la Commission avait rendue au regard de l’alinéa 97(1)b) de la Loi était raisonnable.

 

[37]           La question de savoir si les demandeurs sont exposés à un risqué généralisé ou à un risqué personnalisé est une question mixte de fait et de droit qui doit faire l’objet d’une analyse selon la  raisonnabilité : De Parada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845.

 

[38]           Dans la décision De Parada, précitée, au paragraphe 22, j’ai déclaré :

[...] un risque élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnalisé si l’ensemble de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment. Je suis également d’avis que, si un sous-groupe est d’une taille telle que l’on peut affirmer que le risque auquel il est exposé est répandu, alors il s’agit d’un risque généralisé.

 

[39]           En l’espèce, la Commission n’a jamais conclu que les citoyens colombiens couraient un risqué généralisé de violence lorsqu’ils refusaient de se laisser corrompre; une telle conclusion n’apparaît nulle part dans la décision. La Commission a plutôt conclu que: « [l]es responsables de l’application de la loi et des services judiciaires sont exposés à un risque « courant » ou « répandu » auquel est généralement exposé un sous‑ensemble ou un sous‑groupe de l’ensemble de la population de ce pays »

 

[40]           Afin de s’appuyer sur les décisions rendues dans Vickram, Prophete et De Parada, précitées, la Commission doit d’abord conclure que le type de risque allégué est un risque auquel les citoyens du pays concerné sont généralement exposés. Ce n’est qu’une fois qu’une telle conclusion a été tirée que la Commission peut affirmer qu’un risque accru au sein du sous-groupe auquel les demandeurs appartiennent ne leur permet pas de se réclamer de l’alinéa 97(1)b) de la Loi. La Commission a seulement conclu que le risque auquel les représentants du pouvoir judiciaire étaient exposés était répandu, et non que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était un risque que courait également l’ensemble de la population. En outre, je conviens avec les demandeurs que la Commission n’a pas suffisamment fait référence à la preuve documentaire relative à l’intensité du risque auquel les représentants du pouvoir judiciaire étaient exposés en Colombie.

 

[41]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et la demande d’asile des demandeurs doit être renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour qu’il effectue un nouvel examen en tenant compte des faits qui ont été exposés et du droit applicable.

 

[42]           Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier; la Cour n’en certifiera aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et la demande d’asile est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour qu’il effectue un nouvel examen en tenant compte des présents motifs de jugement;

 

2.         Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6553-09

 

INTITULÉ :                                       YOLANDA AVILA DIAZ ET AL.

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 août 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis

 

POUR LES DEMANDEURS

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DAVIS & GRICE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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