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Date : 20111109


Dossier : IMM-7836-11

Référence : 2011 CF 1294

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

DURAN ARTIGA, JUAN RAMON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               Selon la présente Cour, un agent de renvoi n’exerce pas de fonction décisionnelle et l’obligation qu’a cet agent de fournir des motifs est minime. En fait, dans la décision Boniowski c Canada (MCI), 2004 CF 1161 (QL/Lexis), la Cour a déclaré ceci au sujet du caractère adéquat des motifs qu’une agente d’exécution avait fournis en réponse à une demande de report :

[11]      […] l’agente s’est acquittée de toute obligation de motiver qu’elle pouvait avoir dans sa lettre de décision du 12 septembre 2003, où elle dit avoir reçu et examiné les arguments des demandeurs et avoir décidé de ne pas surseoir au renvoi. […]

 

 

[2]               Dans la décision dont il est question en l’espèce, l’agente a expressément indiqué qu’elle avait pris en considération la demande de report de la mesure de renvoi du demandeur en se fondant sur la [traduction] « catastrophe écologique » que subit actuellement l’El Salvador. De plus, au cours de son examen de la situation dans ce pays, elle a constaté que l’ASFC n’avait pas conféré à l’égard de l’El Salvador une désignation de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi (SEMR) ou de suspension administrative du renvoi. Par ailleurs, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) n’avait pas émis de mise en garde officielle aux voyageurs au sujet de l’El Salvador (affidavit de Michelle Cruz, pièce « Z » [affidavit de Cruz]).

 

II. Introduction

[3]               Le demandeur, M. Juan Ramon Duran Artiga, est censé être renvoyé du Canada le 11 novembre 2011. Il sollicite un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui jusqu’à ce que l’on ait statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire concernant le rejet de sa demande de report.

 

[4]               La Cour souscrit à la position du défendeur, à savoir qu’il convient de rejeter la requête du demandeur, car celui‑ci n’a pas établi les éléments nécessaires pour obtenir un sursis à la mesure de renvoi. Premièrement, il n’a pas soulevé de question sérieuse au sujet du rejet de sa demande de report; deuxièmement, il n’a pas montré qu’il subira un préjudice irréparable; troisièmement, la prépondérance des inconvénients ne le favorise pas.

 

III. Le contexte     (Le contexte présenté est plus long, car le demandeur a une demande de parrainage à titre de conjoint qui est en cours de traitement.)

 

[5]               M. Juan Ramon Duran Artiga est né à Chalatenango, San Salvador, en El Salvador, le 3 janvier 1986. Après avoir été agressé par des membres du MS‑13 au milieu de l’année 2005 - un incident dont les détails sont exposés dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) - M. Duran Artiga a quitté l’El Salvador pour le Canada, où il est arrivé vers le mois de septembre 2005.

 

[6]               M. Duran Artiga a rencontré Mme Dora Castillo vers le mois de décembre 2008.

 

[7]               Mme Castillo est née le 17 septembre 1983 à San Salvador. Son père, M. Nicolas Argueta, a voyagé seul jusqu’au Canada et a revendiqué le statut de réfugié en mars 1987. Sa demande ayant été accueillie, il a fait venir au Canada son épouse, Mme Marina Castillo, et ses trois enfants : Dora, Maritza et Jose, qui sont arrivés en septembre 1994.

 

[8]               La fille aînée de Mme Castillo, Lizette Nathalie Castillo, est née le 8 février 2003. Le père de Lizette, M. Ronald Ochoa, est originaire du Honduras. Il a été expulsé du Canada vers le Honduras quand Mme Castillo n’était enceinte que de trois mois. À la naissance de Lizette, M. Ochoa avait déjà épousé une autre femme au Honduras. Ni Lizette ni Mme Castillo n’entretiennent une relation quelconque avec M. Ochoa.

 

[9]               Mme Castillo a une seconde fille : Enny Alejandra Vargas Castillo, née le 8 novembre 2006. Le père d’Enny, M. Jose Vargas, a quitté la famille quand Enny n’était âgée que d’un mois. Ni Lizette ni Mme Castillo n’entretiennent une relation quelconque avec M. Vargas.

 

[10]           Quand Mme Castillo a rencontré M. Duran Artiga, elle était la mère monoparentale de deux filles et vivait de l’aide sociale.

 

[11]           La relation entre Mme Castillo et M. Duran Artiga s’est rapidement développée. Il fréquentait l’église régulièrement, ne consommait pas d’alcool et préférait rester à la maison, en famille, plutôt que de sortir avec des amis. Trois mois après le début de leurs fréquentations, Mme Castillo et M. Duran Artiga ont emménagé ensemble.

 

[12]           En novembre 2009, Mme Castillo a appris qu’elle était enceinte. M. Duran Artiga vivait au Canada sans statut depuis environ quatre ans.

 

[13]           En décembre 2009, M. Duran Artiga a demandé l’asile.

 

[14]           Ils se sont mariés le 12 juin 2010, en présence de la famille de Mme Castillo et d’amis de leur église. Mme Castillo a donné naissance à Jeremy Nathaniel Duran Castillo le 26 août 2010. M. Duran Artiga se comporte en père dévoué pour Lizette, Enny et Jeremy. Lizette et Enny l’appellent toutes deux [traduction] « papa ».

 

[15]           En février 2011, M. Duran Artiga a été avisé de son droit à un examen des risques avant renvoi (ERAR). Mme Castillo et lui ont juré qu’ils ont tous deux été surpris par cet avis parce qu’ils croyaient qu’il avait droit à une audience. Mme Castillo et M. Duran Artiga ont rencontré un avocat, Me Robin Bajer, qui s’est informé auprès de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de l’audience relative à sa demande d’asile. À ce stade, ils ont appris que la demande d’asile était considérée comme abandonnée. Mme Castillo et M. Duran Artiga ont tous deux juré ne pas avoir reçu l’avis relatif à l’audience.

 

[16]           Ils ont entrepris de remplir le formulaire d’ERAR par eux-mêmes, sans l’aide d’un avocat.

 

[17]           Mme Castillo et M. Duran Artiga ont également entrepris le processus consistant à remplir une demande concernant la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Il leur a fallu du temps pour remplir cette demande. Ils ont dû également obtenir des documents de l’El Salvador, comme l’attestation de vérification de casier judiciaire le concernant, et les faire traduire. Là encore, ils l’ont fait sans l’aide d’un avocat. Il leur a fallu aussi un temps considérable pour économiser l’argent que représentaient les frais de traitement.

 

[18]           La demande produite de l’intérieur du Canada a été présentée à Vegreville, en août 2011. Le reçu des frais de poste, tout comme celui des droits relatifs à la demande, est inclus dans le dossier du demandeur.

 

[19]           M. Duran Artiga a reçu sa décision d’ERAR défavorable lors d’une entrevue avec une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) le 5 octobre 2011. À la même occasion, on lui a remis une lettre indiquant qu’il devait apporter un billet d’avion émis par une société aérienne à une entrevue avec l’agente de l’ASFC le 13 octobre 2011, avec comme date de départ le 20 octobre 2011 au plus tard.

 

[20]           M. Duran Artiga s’est présenté à la réunion avec l’agente de l’ASFC le 13 octobre 2011. Son avocate a présenté une demande de report du renvoi de M. Duran Artiga en personne. À cette réunion, M. Duran Artiga a informé l’agente qu’il n’avait pas les moyens de payer un billet de retour en El Salvador. L’agente l’a informé que l’ASFC se chargerait des dispositions du voyage.

 

[21]           La demande de report était fondée sur le préjudice que subirait Mme Castillo et les trois enfants si M. Duran Artiga était renvoyé du pays. Ce dernier est actuellement la principale personne qui subvient aux besoins de sa famille. Pendant tout son séjour au Canada, M. Duran Artiga n’a bénéficié de l’aide sociale que durant quatre mois. Il travaille comme couvreur auprès de M. Wilmer Alvarez, et ce, depuis plus d’un an et demi. Il gagne environ 200 $ par jour et travaille six jours par semaine si les conditions météorologiques le permettent. Mme Castillo n’est pas bénéficiaire de l’aide sociale, et M. Duran Artiga subvient aux besoins de la famille tout entière.

 

[22]           À la fin du mois de septembre, Mme Castillo a trouvé un emploi à temps partiel à la boutique Suzy Shier du centre commercial Brentwood. Quand il ne travaille pas, M. Duran Artiga prend soin des enfants lorsque Mme Castillo est au travail. Il va aussi chercher les filles à l’école si Mme Castillo ne peut pas le faire en raison de son travail ou d’autres engagements.

 

[23]           Outre son emploi, M. Duran Artiga aide également Mme Castillo à accomplir diverses tâches autour de la maison, comme nourrir Jeremy, nettoyer la maison, acheter des aliments, de la nourriture pour bébé, des couches et d’autres articles nécessaires.

 

[24]           La gestionnaire de programme régionale de l’agente de l’ASFC a rejeté la demande de report du renvoi le 14 octobre 2011.

 

[25]           Le 21 octobre 2011, M. Duran Artiga a comparu volontairement en vue de son renvoi, ainsi qu’on le lui avait ordonné, à l’Aéroport international de Vancouver. M. Duran Artiga a pris l’avion jusqu’à Toronto, où il a été mis à bord d’un vol en compagnie de deux autres personnes expulsées. À la dernière minute, il a été retiré de ce vol. L’ASFC lui a donné une lettre lui disant de se présenter à son bureau à Toronto le lundi matin.

 

[26]           M. Duran Artiga a passé la nuit de samedi et de dimanche dans une chambre d’hôtel, qu’il a payée, et il s’est présenté au bureau de l’ASFC le lundi matin. Il a ensuite été renvoyé par avion à Vancouver dans la nuit de lundi.

 

[27]           Comme l’ASFC l’avait ordonné, il a ensuite rencontré l’agente de l’ASFC dans la matinée du 25 octobre 2011. On lui a dit à cette occasion que l’ASFC allait tenter, le plus tôt possible, d’obtenir un autre document de voyage et de le renvoyer de nouveau.

 

[28]           Le 28 octobre 2011, une autre demande de report a été présentée. Celle-ci était fondée sur les faits et les documents liés à la première demande de report et elle comportait des observations additionnelles sur les inondations survenues en El Salvador. Il n’y avait pas de renseignements sur la catastrophe dans la demande de report du 13 octobre 2011, car les inondations n’avaient pas encore eu lieu.

 

[29]           Le 31 octobre 2011, l’agente de l’ASFC a rejeté la deuxième demande de report.

 

[30]           Le 2 novembre 2011, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 1er novembre 2011 de l’agente.

 

IV. La question en litige

[31]           Pour qu’un sursis soit accordé, le demandeur doit établir les trois volets du critère en matière de délivrance d’une injonction :

1. La demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent de renvoi soulève une question sérieuse à juger;

2. Il subira un préjudice irréparable si la demande de sursis n’est pas accueillie;

3. La prépondérance des inconvénients le favorise.

(Toth c Canada (MEI) (1988), 86 NR 302, 11 ACWS (3d) 440 (CAF)

 

[32]           La Cour souscrit à la position du défendeur selon laquelle le demandeur, en l’espèce, ne s’est pas acquitté de son fardeau.

 

V. L’analyse

A. La question sérieuse

            (1) Le seuil élevé et la norme de contrôle applicable

[33]           Selon la Cour d’appel, une demande de sursis découlant d’un refus de surseoir au renvoi d’un demandeur est soumise à une norme de preuve plus élevée pour ce qui est de la question sérieuse à juger, car le sursis, s’il est accordé, a pour résultat d’attribuer le redressement sollicité dans la demande sous-jacente de contrôle judiciaire. De ce fait, plutôt que d’appliquer simplement le « critère de la question sérieuse à trancher », la Cour se doit d’examiner de près si, sur le fond, la demande sous-jacente est susceptible d’être accueillie (Baron c Canada (MSPPC), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311, au paragraphe 66 [Baron]).

 

[34]           Pour déterminer s’il existe une question sérieuse à juger, la Cour doit garder à l’esprit que le pouvoir discrétionnaire qu’a un agent d’exécution de reporter un renvoi est restreint. Dans l’arrêt Baron, précité, la Cour d’appel a caractérisé le pouvoir discrétionnaire dont dispose l’agent d’exécution au moment d’examiner une demande de report.

 

[35]           Pour respecter l’économie de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), laquelle impose une obligation positive au ministre, tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, le report devrait être réservé aux demandes où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions extrêmes ou de traitement inhumain (Baron, précité, au paragraphe 51).

 

[36]           De plus, la norme de contrôle qui s’applique à la décision que rend un agent d’exécution au sujet d’un report est la raisonnabilité. De ce fait, la Cour n’interviendra que si cette décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Baron, précité, aux paragraphes 67 et 74); Canada (MSPPC) c Shpati, 2011 CAF 286, au paragraphe 27).

 

(2) La situation en El Salvador

[37]           Le demandeur soutient que la gestionnaire de programme régionale de l’ASFC a restreint son pouvoir discrétionnaire quand elle a refusé de faire droit à la demande de report du demandeur en raison des inondations en El Salvador. Le défendeur est d’avis que l’agente a pris en considération la totalité des éléments de preuve pertinents et a décidé que la situation en El Salvador ne justifiait pas que l’on reporte le renvoi du demandeur du Canada.

 

[38]           La Cour a jugé qu’un agent de renvoi n’exerce pas une fonction décisionnelle et l’obligation qu’a cet agent de fournir des motifs est minime. En fait, dans la décision Boniowski c Canada (MCI), 2004 CF 1161 (QL/Lexis), la Cour a déclaré ceci au sujet du caractère adéquat des motifs qu’une agente d’exécution avait fournis en réponse à une demande de report :

[11]      […] l’agente s’est acquittée de toute obligation de motiver qu’elle pouvait avoir dans sa lettre de décision du 12 septembre 2003, où elle dit avoir reçu et examiné les arguments des demandeurs et avoir décidé de ne pas surseoir au renvoi. […]

 

 

[39]           Dans la décision dont il est question en l’espèce, l’agente a expressément indiqué qu’elle avait pris en considération la demande de report de la mesure de renvoi du demandeur en se fondant sur la [traduction] « catastrophe écologique » que subit actuellement l’El Salvador. De plus, au cours de son examen de la situation dans ce pays, elle a constaté que l’ASFC n’avait pas conféré à l’égard de l’El Salvador une désignation de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi (SEMR) ou de suspension administrative du renvoi. Par ailleurs, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) n’avait pas émis de mise en garde officielle aux voyageurs au sujet de l’El Salvador (affidavit de Michelle Cruz, pièce « Z », DRD, onglet 1, à la page 91 [affidavit de Cruz]).

 

[40]           La décision de l’agente de ne pas reporter le renvoi du demandeur à cause d’inondations en El Salvador était raisonnable, et elle ne soulève pas de question sérieuse à trancher.

 

(3) L’intérêt supérieur des enfants

[41]           Le demandeur soutient que l’agente a fait abstraction d’éléments de preuve concernant les risques auxquels pouvaient s’exposer ses enfants s’il était renvoyé du Canada. Compte tenu du pouvoir discrétionnaire restreint dont bénéficient les agents de renvoi pour ce qui est d’accorder un report temporaire, l’agente a tenu convenablement compte de la totalité des faits pertinents dont elle disposait et a conclu de manière raisonnable que le demandeur n’était pas parvenu à établir les motifs qui justifieraient un report.

 

[42]           L’agente a examiné comme il se devait l’intérêt supérieur des enfants du demandeur, conformément au droit susmentionné. En traitant expressément de cet intérêt, l’agente a déclaré :

                        [traduction]

 

J’ai également pris en compte l’intérêt supérieur de ses enfants, en faisant ressortir les options à court terme. Les enfants sont citoyens canadiens et peuvent donc se rendre en El Salvador et vivre avec M. DURAN ARTIGA, ou ils peuvent rester au Canada avec leur mère biologique. Dans ces deux scénarios, les enfants auront accès à l’un ou l’autre parent. S’ils restent au Canada, ils bénéficieront du soutien additionnel de leur famille élargie. S’ils voyagent avec M. DURAN ARTIGA, cela signifie que leur mère pourra se rendre en El Salvador pour lui rendre visite, ou que la famille a le choix de déménager en El Salvador de façon à préserver l’unité familiale. Ce renvoi ne fera pas courir de risques aux enfants. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[43]           L’examen que l’agente a fait de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur respectait l’obligation restreinte qu’ont les agents de renvoi de prendre cet intérêt en considération. En fait, l’agente a fait plus que ce que l’on exigeait d’elle sur ce plan.

 

[44]           En conclusion, le demandeur n’a soulevé aucune question sérieuse à trancher en rapport avec la décision de l’agente concernant le report.

 

B. Le préjudice irréparable

[45]           La preuve étayant l’existence d’un préjudice irréparable doit être claire et non conjecturale. Plus précisément, la Cour doit être convaincue qu’il surviendra un préjudice irréparable si la réparation demandée n’est pas accordée. En l’espèce, il n’existe aucune preuve claire et non conjecturale que le renvoi du demandeur causera à quiconque un tel préjudice (Wade c Canada (MCI), [1995] ACF no 579 (QL/Lexis), aux paragraphes 3 et 4).

 

(1) La situation en El Salvador

[46]           Le demandeur fait valoir qu’il serait dangereux pour lui de rentrer en El Salvador à ce moment‑ci à cause des inondations dans le pays. Les éléments de preuve concernant les risques que pourrait courir le demandeur en raison des inondations sont, dans le meilleur des cas, de nature conjecturale. De plus, il ressort de la preuve documentaire que les inondations en El Salvador ont nettement diminué ces derniers jours.

 

[47]           Le préjudice irréparable est un critère strict qui oblige à démontrer l’existence d’une menace sérieuse à la vie ou à la sécurité du demandeur (Malagon c Canada (MCI), 2008 CF 1068, aux paragraphes 2 et 57).

 

[48]           À cet égard, la Cour fédérale, dans la décision Yvonne c Canada (MSPPC), 2011 CF 820, a déclaré :

[34]           Un préjudice irréparable « doit […] être beaucoup plus substantiel et plus sérieux que des inconvénients ou difficultés de nature personnelle. Il doit plutôt s’appuyer sur une menace pour la vie ou la sécurité de la personne, ou sur une menace évidente de mauvais traitements dans le pays d’origine. Le préjudice irréparable est le préjudice qui est irrévocable ou permanent » (Perry c. Canada (MSPPC), 2006 CF 378, au paragraphe 29).

 

[49]           La preuve concernant les risques que courrait le demandeur à cause des inondations repose sur des conjectures. De plus, il ressort de la preuve documentaire que les inondations en El Salvador ont nettement diminué ces dernières semaines. Par exemple, dans un rapport récent daté du 24 octobre 2011, l’USAID signale que, dans ce pays, la situation des inondations s’est beaucoup améliorée, puisque les pluies ont nettement diminué et que les niveaux des cours d’eau ont graduellement commencé à baisser. De plus, l’agente d’exécution de l’ASFC a été informée par un courriel émanant de l’ambassade du Canada en El Salvador que, en date du 2 novembre 2011, la situation dans la capitale et les environs était revenue à la normale et que l’aéroport international de San Salvador était pleinement opérationnel (USAID – Update on Central America Floods, 24 octobre 2011, CRSA, onglet C(4); affidavit de Cruz, pièce « AA », DRD, onglet 1, à la page 93).

 

[50]           En l’espèce, le demandeur n’est pas parvenu à établir que les inondations actuelles en El Salvador mettraient sérieusement en péril sa vie ou sa sécurité. De ce fait, le préjudice irréparable n’a pas été établi.

 

(2) L’effet sur la famille

[51]           Le demandeur n’est pas parvenu à établir qu’en le renvoyant en El Salvador, on causerait un préjudice irréparable à cause de l’effet d’une telle mesure sur son épouse et ses enfants.

 

[52]           Le demandeur soutient que son renvoi en El Salvador causera un préjudice irréparable, car son épouse et ses enfants dépendent de lui sur le plan pécuniaire et que, à cause de la séparation, sa famille subira un préjudice à la fois affectif et psychologique. Les conséquences du renvoi dont le demandeur fait état sont de nature conjecturale et ne vont pas au‑delà des difficultés, de la perte et du chagrin que l’on associe habituellement à une expulsion. La situation à laquelle seront confrontés l’épouse du demandeur et ses enfants sera sans nul doute difficile, mais l’épouse a un certain nombre de membres de sa famille immédiate – ses parents, un frère et une sœur – qui vivent dans la région de Vancouver et qui pourraient l’aider à prendre soin de ses trois enfants.

 

[53]           Par ailleurs, le demandeur fait valoir qu’il a en cours de traitement une demande de parrainage à titre de conjoint présentée de l’intérieur du Canada et que, s’il était renvoyé, il lui faudrait en présenter une nouvelle à titre de demandeur à l’étranger. Au Canada, les demandes présentées à titre de conjoint sont soumises à un processus indépendant de celui des expulsions. De plus, sachant qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire, le demandeur aurait pu décider de présenter une demande de parrainage depuis l’étranger ou, sinon, depuis l’intérieur du Canada, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH), lesquelles auraient toutes deux continué d’être traitées après son renvoi du Canada. Le demandeur a plutôt décidé de déposer une demande qui l’oblige à rester au Canada pour être traitée.

 

[54]           Pour tous ces motifs, le demandeur n’est pas parvenu à établir l’existence d’un préjudice irréparable.

 

C. La prépondérance des inconvénients

[55]           En l’espèce, la prépondérance des inconvénients favorise le ministre. Pour apprécier cet aspect, la Cour est tenue de prendre en considération l’intérêt que porte le public à l’application des lois qui ont été adoptées pour le bien public par des assemblées législatives démocratiquement élues. La LIPR exige qu’une mesure de renvoi soit appliquée dès que les circonstances le permettent. Il est dans l’intérêt public d’appliquer les mesures de renvoi d’une manière efficiente, expéditive et équitable et d’appuyer les efforts de ceux qui en sont responsables (LIPR, à l’article 48; RJR- MacDonald Inc c Canada (PG), [1994] 1 RCS 311, aux paragraphes 68 à 71).

 

[56]           De plus, le demandeur a eu la possibilité de bénéficier de deux évaluations de risques différentes, d’une demande d’asile ainsi que d’un examen des risques avant renvoi. Il est maintenant sous le coup d’une mesure de renvoi valide. Il est donc dans l’intérêt public que l’on apporte une finalité au processus. Sans cela, on compromettra l’intégrité et l’équité du système canadien de contrôle de l’immigration, de même que la confiance du public envers ce système (Selliah c Canada (MCI), 2004 CAF 261, aux paragraphes 21 et 22).

 

[57]           Dans ces circonstances, l’intérêt du public à l’égard de l’application appropriée et efficace des mécanismes canadiens de contrôle de l’immigration l’emporte sur le souhait qu’a le demandeur de reporter son renvoi. En conséquence, la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur.

 

VI. La conclusion

[58]           Le demandeur n’est pas parvenu à établir l’un ou l’autre des trois éléments qui auraient permis à la Cour d’ordonner un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. De ce fait, sa requête en sursis est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête du demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7836-11

 

INTITULÉ :                                       DURAN ARTIGA, JUAN RAMON

                                                            c. MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 NOVEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laura Best

 

POUR LE DEMANDEUR

Aman Sanghera

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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