Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20070328

Dossier : A-9-06

Référence : 2007 CAF 127

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

RIAZ A. LARI

appelant

et

THE CANADIAN COPYRIGHT LICENSING AGENCY

(ACCESS COPYRIGHT)

intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), les 26 et 28 mars 2007

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 28 mars 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LE JUGE LÉTOURNEAU

 


Date : 20070328

Dossier : A-9-06

Référence : 2007 CAF 127

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

 

ENTRE :

RIAZ A. LARI

appelant

et

THE CANADIAN COPYRIGHT LICENSING AGENCY

(ACCESS COPYRIGHT)

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 28 mars 2007)

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               L’appelant a été déclaré coupable d’outrage au tribunal dans le cadre d’une procédure en outrage introduite en vertu des articles 466 à 472 des Règles des Cours fédérales. Il s’agit de sa troisième condamnation pour outrage au tribunal.

 

[2]               Par suite de cette déclaration de culpabilité, l’appelant a été condamné à une peine de six mois d’emprisonnement et il lui a été ordonné de payer à l’intimée les dépens de la poursuite pour outrage sur la base avocat‑client.

 

[3]               Il a toutefois été sursis à la peine d’emprisonnement à la condition que l’appelant :

a)         se conforme en tout temps aux injonctions permanentes accordées par le juge Harrington le 19 juillet 2004;

            b)         exécute, sur une période de treize (13) mois, quatre cents (400) heures de travail communautaire.

 

[4]               L’appel a été entendu le lundi et ajourné au mercredi pour le prononcé d’un jugement oral. Les parties ont été informées que la version écrite des motifs du jugement comporterait un résumé des faits et de la preuve.

 

FAITS ET HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE

 

[5]               Le juge de la Cour fédérale qui a entendu la poursuite pour outrage au tribunal a fait résumé de la procédure dans la présente affaire :

 

[5]           Le 29 septembre 2003, la juge Layden-Stevenson a prononcé une ordonnance Anton Pillar, à l’appui d’une action pour violation de droit d’auteur, enjoignant aux défendeurs, U‑Compute et M. Lari, de remettre toutes les copies non autorisées des manuels qu’ils avaient en leur possession ou sous leur garde ou contrôle. L’ordonnance visait l’établissement d’affaires sis au 2159, rue MacKay, Montréal. L’ordonnance Anton Pillar comportait également une injonction provisoire interdisant aux défendeurs de faire ou vendre directement ou indirectement des copies des manuels publiés par les éditeurs dont le nom figurait à l’annexe A, notamment des copies des manuels, ou de parties de ceux-ci, énumérés aux annexes B et C de l’ordonnance Anton Pillar. L’ordonnance n’a été exécutée qu’au début de janvier 2004.

 

[6]           Le 19 janvier 2004, la juge Tremblay‑Lamer, après avoir examiné l’exécution de l’ordonnance Anton Pillar rendue par la juge Layden‑Stevenson, a maintenu l’injonction provisoire jusqu’au jugement ou à tout autre règlement définitif et ordonné que tous les documents remis par les défendeurs demeurent sous la garde ou le contrôle de l’avocat superviseur et ne servent que dans le cadre de l’action.

 

[7]           Le 19 juillet 2004, le juge Harrington a rendu le jugement par consentement suivant :

 

[traduction]
(1)           M. Lari, ses employés, partenaires, représentants, associés, parents collaborant avec lui et toutes les personnes sous ses ordres, ou l’une d’elles, faisant affaire au 2159, rue MacKay, Montréal, Québec, ou ailleurs, (ci-après Lari) se voient par les présentes interdire en permanence de faire, distribuer, vendre, exposer ou offrir en vente, louer, exhiber en public ou se trouver en possession de copies non autorisées, en tout ou en partie importante, des œuvres publiées par l’une des entités énumérées à l’annexe A des présentes;       [Non souligné dans l’original.]

 

(2)           M. Lari est visé de façon permanente par l’interdiction prévue à l’article 39.1 de la Loi sur le droit d’auteur;

 

(3)           M. Lari doit payer à la demanderesse la somme de 500 000 $ en dommages‑intérêts prévus par la loi pour toutes les violations visées par la procédure;

 

(4)           M. Lari doit payer à la demanderesse la somme de 100 000 $ en dommages‑-intérêts punitifs;

 

(5)           M. Lari doit payer à la demanderesse les dépens de l’action sur la base avocat‑client, lesquels sont fixés à 100 000 $.

 

[8]           Le 20 septembre 2004, le juge von Finckenstein a accordé à la demanderesse, au paragraphe 3 de l’ordonnance qu’il a rendue, l’autorisation de se présenter au 2144, rue MacKay, au sous‑sol de l’immeuble (qu’on croit être le 2140, rue MacKay), ainsi qu’au 2153 et au 2155, rue MacKay, sans préavis à M. Lari ou à toute autre personne :

 

[traduction]
(i)            pour y chercher et saisir toutes les copies papier des œuvres publiées par les entités énumérées à l’annexe A du jugement rendu le 19 juillet 2004;

 

(ii)           pour y chercher, inspecter et saisir tous les disques durs ou autres appareils qui, au moment de l’inspection, contiennent des copies des œuvres dont il a été fait état précédemment.

 

[9]           Le paragraphe 8 de l’ordonnance prévoyait que [traduction] « M. Lari ou les autres personnes responsables des lieux doivent permettre l’accès aux lieux à la demanderesse pour l’application du paragraphe 3 ci-dessus ».

 

[10]         L’ordonnance de justification du protonotaire Milczynski en date du 5 octobre 2004 précisait les actes reprochés à M. Riaz A. Lari :

 

[traduction]
a)     avoir continué, durant la période allant du 8 janvier 2004 au 19 juillet 2004, de faire et vendre, et de collaborer avec d’autres personnes qui font et vendent, des copies non autorisées d’œuvres publiées par une ou plusieurs des entités énumérées aux annexes A à C de l’ordonnance du 29 septembre 2003, en violation du paragraphe 31 de celle‑ci et du paragraphe 2 de l’ordonnance rendue le 19 janvier 2004;

 

b)     avoir continué, durant la période allant du 20 juillet 2004 au 22 septembre 2004, de faire et vendre, et de collaborer avec d’autres personnes qui font et vendent, au 2153, rue MacKay et au 2144, rue MacKay (sous-sol), à Montréal, Québec, des copies non autorisées des œuvres publiées par une ou plusieurs des entités énumérées à l’annexe A du jugement en date du 19 juillet 2004, en violation des paragraphes 1 et 2 de celui-ci;

 

c)     avoir refusé le 22 septembre 2004 l’accès au sous‑sol du 2144, rue MacKay comme l’exigeait le paragraphe 8 de l’ordonnance du 20 septembre 2004, rendant ainsi impossible l’exécution de l’ordonnance par la demanderesse et la saisie des copies non autorisées des manuels qui ont été vues à cet endroit entre le 9 septembre 2004 et le 22 septembre 2004 à tout le moins.                                         [Non souligné dans l’original.]

 

[11]         M. Lari est le seul défendeur dans le présent procès pour outrage, la Cour ayant été informée que U‑Compute était en faillite.

 

 

[6]               En résumé, l’appelant a été inculpé d’avoir violé trois ordonnances de la Cour (datées des 29 septembre 2003, 19 janvier 2004 et 20 septembre 2004) ainsi qu’un jugement de la Cour fédérale daté du 19 juillet 2004. Ces violations ont consisté à copier et à vendre, sans autorisation, des manuels publiés par des éditeurs canadiens et étrangers qui étaient titulaires de droits d’auteur sur ces manuels au Canada. Un des chefs d’accusation visait le refus de donner accès aux locaux conformément à l’ordonnance, empêchant ainsi l’exécution de l’ordonnance et la confiscation des copies non autorisées des manuels.

 

LA PREUVE PRÉSENTÉE AU JUGE DE LA COUR FÉDÉRALE

 

[7]               L’appelant n’a pas témoigné au cours de la poursuite pour outrage. Sept témoins ont été entendus à l’appui des allégations d’outrage. Leur témoignage peut être résumé de la façon suivante.

 

[8]               L’intimée exerce ses activités sous le nom commercial Access Copyright. Il s’agit d’une organisation chargée de faire respecter les droits de reproduction et d’une société de gestion au sens de l’article 70.1 de la Loi sur le droit d’auteur. L’intimée accorde des licences à des centres de photocopie, notamment pour la reproduction de manuels moyennant des redevances qu’elle perçoit et distribue aux auteurs et éditeurs.

 

[9]               Au paragraphe 18 de ses motifs de jugement, le juge a relaté de la façon suivante les difficultés que l’intimée a connues avec l’appelant :

 

(1)           À la suite d’une plainte par laquelle l’un des membres éditeurs dénonçait la reproduction illégale de manuels, les avocats de la demanderesse ont envoyé une mise en demeure datée du 8 octobre 1999 à M. Lari puisqu’il était la tête dirigeante de l’entreprise U‑Compute.

 

(2)           Dans un affidavit souscrit le 5 novembre 1999, M. Lari, en sa qualité de président et de seul administrateur de U‑Compute s’est engagé personnellement et au nom de U‑Compute à ne plus jamais faire ou à ne plus jamais faire faire, vendre ou distribuer des copies non autorisées d’œuvres protégées, comme l’interdit la Loi sur le droit d’auteur.

 

(3)           Le juge Gibson a rendu le 31 octobre 2000 une ordonnance sur consentement suivant laquelle il était interdit de façon permanente à M. Lari et à U‑Compute, ainsi qu’à toutes les personnes sous leur autorité, de faire, offrir en vente, vendre, distribuer ou exposer en vente des copies non autorisées, en tout ou en partie importante, des neuf manuels précisés à l’annexe A de l’ordonnance.

 

(4)           Après avoir constaté que l’injonction permanente n’était pas respectée, la demanderesse a engagé une procédure pour outrage contre M. Lari et U‑Compute qui a donné lieu à l’ordonnance du juge O’Keefe en date du 19 mars 2001, laquelle était fondée sur l’aveu de M. Lari quant au non-respect de l’injonction permanente prononcée le 31 octobre 2000. M. Lari et U‑Compute ont été condamnés à payer 2 500 $ d’amende et 10 000 $ d’indemnité à la demanderesse au titre des dépens. De plus, un représentant de la demanderesse s’est vu accorder l’accès aux locaux de l’entreprise U‑Compute. La Cour leur a également ordonné de cesser de faire ce qui leur avait été interdit de faire dans l’ordonnance du 31 octobre 2000.

 

(5)           Après une nouvelle enquête, la demanderesse a engagé une autre procédure pour outrage, compte tenu du non-respect des deux ordonnances mentionnées précédemment, qui a donné lieu à un aveu de non-respect par M. Lari et U‑Compute. Le juge Martineau qui était saisi de l’affaire les a condamnés à une amende de 5 000 $ et au paiement des dépens avocat-client et leur a ordonné de s’abstenir de transgresser les deux ordonnances. M. Sheffer a dit à la Cour qu’Access Copyright avait décidé de renoncer aux dépens avocat-client à la condition que M. Lari se conforme aux ordonnances.

 

(6)           C’est après avoir reçu de nouveaux renseignements concernant des activités de reproduction illégale qu’Access Copyright a demandé et obtenu une ordonnance Anton Pillar en septembre 2003.

 

 

[10]           Il a ensuite examiné la preuve qui lui a été présentée et qui peut être résumée de la façon suivante.

 

[11]           Lors de l’exécution de l’ordonnance Anton Pillar, plus de 2 000 copies illégales d’œuvres ont été découvertes dans les locaux de l’entreprise U‑Compute, ainsi qu’une feuille d’inventaire montrant qu’il y avait 468 œuvres dans « l’inventaire » de U‑Compute : voir le paragraphe 20 des motifs de jugement.

 

[12]           Après une autre enquête, l’intimée a obtenu l’accès aux locaux de l’appelant en vertu d’une ordonnance du juge von Finckenstein et y a découvert ce que le témoin a déclaré être une « activité de contrefaçon à grande échelle », les œuvres étant vendues à un endroit non identifié, situé au 2144 de la rue Mackay, qui se trouvait en face de l’établissement de l’appelant. Cette enquête a permis de découvrir une nouvelle feuille d’inventaire qui indiquait que l’inventaire de l’intimé comportait 288 nouveaux titres, dont 181 étaient des œuvres publiées par des sociétés affiliées de l’intimé : ibidem, au paragraphe 22.

 

[13]           L’intimée a retenu les services de l’agence d’enquête King‑Reid and Associates. Mme Elena Wegner, une agente d’enquête de cette société, s’est rendue à l’établissement de l’appelant sis au 2153, rue Mackay, les 31 août et 1er septembre 2004. Elle a enregistré ses observations au moyen d’un appareil d’enregistrement vidéo. Elle a identifié M. Lari comme étant présent dans les locaux. Elle a également identifié deux employés qui travaillaient comme vendeurs sur les lieux : ibidem, aux paragraphes 23 à 27.

 

[14]           Deux agents d’enquête de la société Chartrand, Laframboise ont observé et enregistré, à l’aide d’enregistreurs vidéo, la présence de M. Lari et celle des deux employés identifiés par Mme Wegner. Ces agents d’enquête ont vu de nombreux jeunes gens quitter l’établissement de l’appelant avec des livres reliés. Ils ont également vu M. Lari en train de balayer dans les lieux non identifiés sis au 2144 de la rue Mackay. Ils ont vu, à plusieurs reprises, M. Lari envoyer des jeunes gens qui se trouvaient dans son établissement aux locaux se trouvant de l’autre côté de la rue. Ils ont noté qu’il y avait constamment des déplacements entre ces deux endroits les jours où ils ont fait enquête, les 8 et 9 septembre 2004. Les agents d’enquête n’ont pas été en mesure de voir les titres des documents achetés à l’appelant : ibidem, aux paragraphes 28 et 29.

 

[15]           Une troisième agente d’enquête pour la société Chartrand, Laframboise, Mme Natasha Schwarzl, a constaté que l’intimée vendait uniquement des volumes reliés dans les locaux non identifiés. Elle a reconnu qu’elle ne pouvait pas voir le titre de ces volumes. Dans les locaux non identifiés, elle a acheté une copie du manuel Organization, Development and Change, publié par Thomson-Southwestern. Elle a également laissé l’original du manuel Organization Theory à un employé de l’intimée, qui l’a informée qu’il lui en ferait une copie pour la somme de 35 $ : ibidem, aux paragraphes 30 à 40.

 

[16]           Catherine Bergeron et Alexandra Steele, avocates au cabinet Léger, Robic, Richard, ont reçu le mandat d’exécuter l’ordonnance du juge von Finckenstein. Me Bergeron a déclaré avoir trouvé trois livres copiés dans les locaux situés au-dessus de l’établissement de l’appelant (2153, rue Mackay). Ces deux locaux communiquaient par un escalier. Me Steele a déclaré avoir signifié l’ordonnance à M. Lari, qui lui a donné accès à son établissement principal ainsi qu’aux locaux situés à l’étage mais pas aux locaux non identifiés situés de l’autre côté de la rue. Me Steele a également déclaré avoir découvert une feuille d’inventaire de 3 350 livres sur le disque dur de l’ordinateur de M. Lari. La plupart de ces livres avaient été numérisés dans l’ordinateur en vue de les imprimer : ibidem, aux paragraphes 41 à 50.


 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

 

[17]           Le juge a effectué un examen approfondi des dépositions des sept témoins assignés par l’intimée. Il a ensuite analysé les principes applicables aux poursuites pour outrage au tribunal. Il a souligné que l’article 469 des Règles des Cours fédérales exige que la déclaration de culpabilité dans le cas d’outrage au tribunal soit fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable. Il a analysé la notion de doute raisonnable. Il a mentionné que la preuve indirecte peut servir de fondement à une déclaration de culpabilité hors de tout doute raisonnable : ibidem, au paragraphe 55.

 

[18]           Le juge a reconnu que, pour obtenir gain de cause, l’intimée devait établir hors de tout doute raisonnable que l’appelant avait continué de faire et de vendre lui-même ou en collaboration avec d’autres catégories de personnes précisées des copies non autorisées des œuvres publiées par une ou plusieurs des entités dont le nom figure dans le jugement rendu par le juge Harrington le 19 juillet 2004.

 

[19]           L’ordonnance de la protonotaire Milczynski, en date du 5 octobre 2004, visait deux périodes, c’est‑à‑dire celle du 8 janvier au 19 juillet 2004 et celle du 20 juillet au 22 septembre 2004.

 

[20]           Le juge a déclaré que l’intimée s’était acquittée de son fardeau de preuve pour la seconde période, mais pas pour la première. Il est arrivé à cette conclusion en se fondant sur une combinaison de la preuve directe et de ce qu’il a qualifié de preuve indirecte « abondante » au point d’être « incompatible avec toute autre conclusion que celle voulant que [l’appelant] ait forcément violé l’injonction lui interdisant de faire et de vendre des copies non autorisées lui-même ou en collaboration avec les personnes identifiées comme étant les employés no 2 et no 3 » : voir le paragraphe 69 des motifs du jugement.

 

ANALYSE DE LA DÉCISION

 

L’omission d’établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable

 

[21]           L’avocat de l’appelant soutient que l’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve que lui imposaient les Règles des Cours fédérales. S’il y a une preuve directe concernant la vente d’œuvres contrefaites par l’appelant, il n’y a pas, selon lui, de preuve concrète établissant que l’appelant a personnellement participé à la fabrication de ces œuvres. L’accusation portant sur le fait de faire et de vendre, il n’y a donc aucune preuve se rapportant à un des éléments matériels de l’infraction. L’acquittement aurait donc dû être prononcé.

 

[22]           De plus, l’avocat a soutenu que la preuve indirecte sur laquelle s’est fondé le juge n’était pas compatible avec la culpabilité de l’appelant sur tous les chefs d’accusation, en particulier celui d’avoir refusé l’accès aux locaux situés au 2144, rue Mackay. Dans ce dernier cas, la preuve indirecte pourrait entraîner une autre conclusion logique, à savoir que les locaux situés au 2144 de la rue Mackay étaient exploités par quelqu’un d’autre.

 

[23]           Avec égards, nous ne pouvons pas retenir l’argument de l’appelant. Nous acceptons la conclusion du juge selon laquelle la preuve directe au dossier a établi la participation de l’appelant à la fabrication non autorisée des manuels, soit par l’intermédiaire de ses employés, soit en collaboration avec d’autres personnes.

 

[24]           Pour ce qui est de la preuve indirecte, l’avocat de l’appelant a astucieusement essayé d’isoler certains des éléments de la chaîne d’événements et de circonstances pour ensuite conclure, après avoir examiné isolément chacun de ces éléments, qu’ils ne pouvaient fonder une déclaration de culpabilité.

 

[25]           À première vue, l’argument peut sembler intéressant. Ce n’est toutefois pas de cette façon dont il convient d’évaluer la force probante de la preuve indirecte. Il faut apprécier la preuve dans son ensemble et c’est ce qu’a fait le juge. Cette preuve a amené le juge à tirer des déductions et des conclusions inattaquables au sujet de la participation de l’appelant à la fabrication et à la vente d’œuvres non autorisées ainsi qu’au sujet du contrôle exercé par l’appelant sur les locaux où les violations du droit d’auteur ont été commises et où l’appelant envoyait des acheteurs.

 

[26]           Malgré les efforts de l’avocat de l’appelant, aucun motif ou justification juridique permettant de modifier la déclaration de culpabilité ne nous a été présenté.

 

La nécessité de réviser la peine

 

[27]           L’avocat de l’appelant soutient que la peine d’emprisonnement est trop sévère et devrait être modifiée. De plus, il affirme que le juge n’aurait pas dû imposer, compte tenu des circonstances de l’affaire, un nombre d’heures de travail communautaire supérieur aux 300 heures demandées par l’intimée.

 

[28]           Il est bien établi que le juge qui fixe la peine n’est pas lié par les suggestions ou par les recommandations des parties. Son rôle est de fixer une peine qui réponde aux principes de détermination de la peine. Ces principes sont énoncés aux articles 718 et 718.1 du Code criminel :

OBJECTIF ET PRINCIPES

 

 

Objectif

 

718. Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a) dénoncer le comportement illégal;

 

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

 

Principe fondamental

 

718.1 La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

PURPOSE AND PRINCIPLES OF SENTENCING

 

Purpose

 

718. The fundamental purpose of sentencing is to contribute, along with crime prevention initiatives, to respect for the law et the maintenance of a just, peaceful et safe society by imposing just sanctions that have one or more of the following objectives :

 

(a) to denounce unlawful conduct;

 

(b) to deter the offender et other persons from committing offences;

 

 

(c) to separate offenders from society, where necessary;

 

(d) to assist in rehabilitating offenders;

 

 

(e) to provide reparations for harm done to victims or to the community; et

 

(f) to promote a sense of responsibility in offenders, et acknowledgment of the harm done to victims et to the community.

 

 

Fundamental principle

 

718.1 A sentence must be proportionate to the gravity of the offence et the degree of responsibility of the offender.

 

 

[29]           L’appelant est bien obligé de reconnaître, ce qu’il a d’ailleurs fait, la gravité des accusations. C’est la troisième fois qu’il est déclaré coupable d’outrage au tribunal après avoir consenti à deux reprises à ce qu’un jugement soit prononcé contre lui. Les accusations sont effectivement très graves parce qu’elles compromettent l’administration de la justice et l’autorité des tribunaux.

 

[30]           L’appelant reconnaît également que la dissuasion, tant particulière que générale, joue un rôle dans la présente affaire. Il soutient toutefois que la dissuasion particulière a déjà fait son œuvre puisqu’il n’exploite plus l’entreprise en cause.

 

[31]           La dissuasion particulière a eu un effet, ainsi que l’a prétendu l’appelant, mais cela ne constitue pas un motif qui justifie de modifier, après le fait, la peine à l’origine du résultat voulu. L’appelant a déjà bénéficié à deux reprises de la clémence des tribunaux. En fait, à la suite de sa première déclaration de culpabilité en 2001 pour violation d’une injonction permanente, il a été condamné à une amende de 2 500 $ et au versement de dépens compensatoires d’un montant de 10 000 $. Cela n’a pas suffi. Après une autre poursuite pour outrage au tribunal, il a plus tard été condamné à une amende de 5 000 $ et au versement de dépens avocat‑client.

 

[32]           Et pourtant, la dissuasion particulière demeure un objectif difficile à atteindre. Dans une action visant à obtenir une injonction et des dommages‑intérêts, l’appelant a été condamné, le 19 juillet 2004, à verser 500 000 $ en dommages‑intérêts préétablis pour toutes ses violations, 100 000 $ en dommages‑intérêts punitifs et 100 000 $ au titre des dépens avocat‑client.

 

[33]           Ces condamnations se sont également avérées totalement insuffisantes puisque l’appelant a immédiatement repris ses activités illégales, même après avoir été averti qu’une peine d’emprisonnement de six mois serait demandée s’il était déclaré encore une fois coupable d’outrage au tribunal : voir dans le dossier d’appel, volume III, pages 437 et 438, une lettre en ce sens adressée à l’appelant.

 

[34]           L’appelant exploitait une entreprise sur une large échelle. Selon l’admission qu’il a faite lors du contre‑interrogatoire pendant qu’il témoignait au sujet de la peine, ses activités illégales, qui ont duré cinq ans, lui ont permis de [traduction] « gagner facilement beaucoup d’argent » : voir dossier d’appel, volume XI, à la page 1559. Manifestement, il était nécessaire de dénoncer le comportement de l’appelant en des termes plus sévères dans le but de le dissuader de poursuivre ses activités.

 

[35]           Le juge qui a eu l’avantage de voir et entendre l’appelant a constaté que celui‑ci n’éprouvait guère de remords et qu’il n’y avait aucune preuve substantielle de bonne foi. Il a douté de la sincérité des excuses de l’appelant : voir le paragraphe 89 des motifs du jugement.

 

[36]           Dans ces circonstances, il nous est impossible de dire qu’une peine d’emprisonnement n’était pas méritée et que la peine infligée n’était pas proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’appelant.

 

[37]           Quant à la durée du travail communautaire, elle reflète la gravité du mépris manifesté par l’appelant à l’égard de la loi et du processus judiciaire. Le travail communautaire n’a pas été conçu comme une solution de rechange facile à l’emprisonnement. Il offre à l’appelant la possibilité de tirer profit des leçons qu’il apprendra en consacrant du temps et des efforts à des causes plus méritoires : voir R. c. Brand (1996), 105 C.C.C. (3d) 225 (C.S.C.-B.). La durée du travail communautaire est plus longue que celle qu’espérait l’appelant mais, compte tenu des circonstances de la présente affaire, elle n’est pas trop longue au point de justifier notre intervention.

 

La condamnation à des dépens avocat-client

 

[38]           La pratique habituelle dans les affaires d’outrage au tribunal consiste à adjuger les dépens sur la base avocat‑client : voir Merck and Co. c. Apotex Inc. (2003), 25 C.P.R. (4th) 289, au paragraphe 93. Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1998), 86 C.P.R. (3d) 33, au paragraphe 8, le juge Hugessen de la Section de première instance de la Cour fédérale a expliqué le fondement de cette pratique :

 

[8] […] Bien entendu, dans des cas semblables, il arrive fréquemment que la personne reconnue coupable d’outrage au tribunal soit condamnée à payer les frais procureur-client à la partie qui a signalé le cas à l’attention de la Cour. La politique sous-jacente à cette tendance jurisprudentielle est claire : une partie qui aide la Cour à appliquer les ordonnances qu’elle rend et à en assurer le respect ne devrait pas être tenue de payer de sa poche les frais qu’elle engage à cette fin.

 

[39]           On trouve la même idée dans la décision Innovation and Development Partners/IDP Inc. c. Canada (1993), 64 F.T.R., à la page 181 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Cullen a statué que la Cour doit veiller à ce que « la partie agissant pour faire respecter une ordonnance de la Cour n’ait pas à supporter les frais d’une procédure visant à assurer la bonne administration de la justice ».

 

[40]           En adjugeant des dépens avocat‑client d’un montant raisonnable, le juge n’a commis aucune erreur qui justifie notre intervention.

 

La nécessité de modifier le paragraphe 4 de l’ordonnance du juge

 

[41]           L’avocat de l’appelant demande que soit précisé le paragraphe 4 de l’ordonnance que le juge a rendue le 7 décembre 2005. Le paragraphe autorise l’intimée à demander un mandat d’incarcération dans le cas où l’appelant ne se conformerait pas à une ou plusieurs des conditions imposées dans l’ordonnance. Il est libellé comme suit :

 

[traduction]
(4) Le cas advenant que la demanderesse souhaite démontrer que M. Lari ne s’est pas conformé à une ou plusieurs des conditions imposées par la Cour, il lui sera loisible de demander un mandat d’incarcération à un juge de la Cour fédérale, en procédant ex parte ou autrement, selon les directives de ce juge, et RIAZ A. LARI, une fois que la Cour a constaté le non‑respect de l’une ou de plusieurs des conditions, sera incarcéré pour une période de six mois.

 

                                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[42]           Le paiement de dépens calculés sur la base avocat-client fait partie de l’ordonnance du juge. Dans un sens large, il s’agit d’une condition de l’ordonnance qui pourrait entraîner l’emprisonnement de l’appelant dans le cas où il ne la respecterait pas. L’avocat de l’intimée a reconnu que ce n’était pas l’effet recherché, ni voulu. En fait, le paragraphe 4 fait référence aux conditions dont est assortie la suspension de la peine d’emprisonnement et qui figurent au paragraphe 3 de l’ordonnance. Nous sommes convaincus que c’était là le but recherché par le juge et nous allons modifier l’ordonnance en conséquence.

 

CONCLUSION

 

[43]           Pour ces motifs, l’appel sera accueilli uniquement pour ce qui est d’ajouter, au paragraphe 4 de l’ordonnance, les mots « au paragraphe 3 » après les mots « conditions imposées ». Sur tous les autres aspects, l’appel sera rejeté, les dépens avocat‑client étant fixés à 22 000 $, incluant les taxes et les débours.

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                               A-9-06

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 7 DÉCEMBRE 2005, DOSSIER T-1758-03)

 

INTITULÉ :                                                               RIAZ A. LARI

                                                                                    c.

                                                                                    THE CANADIAN COPYRIGHT

                                                                                    LICENSING AGENCY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                                     LES 26 et 28 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :           LA JUGE DESJARDINS

                                                                                    LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                    LE JUGE NOËL

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                   LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dany S. Perras

POUR L’APPELANT

 

Arthur B. Renaud

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michelin & Associates

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANT

 

Bennett Jones

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.