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Date : 20081215

Dossiers : A-122-08

A-123-08

A-121-08

 

Référence : 2008 CAF 400

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

 

A-122-08

ENTRE :

CDSL CANADA LIMITED

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

-----------------------------------------------------------------

 

A-123-08

ENTRE :

GROUPE CGI INC. / CGI GROUP INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

-----------------------------------------------------------------

 

A-121-08

ENTRE :

CGI INFORMATION SYSTEMS AND

MANAGEMENT CONSULTANTS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 3 décembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

 


Date : 20081215

Dossiers : A-122-08

A-123-08

A-121-08

 

Référence : 2008 CAF 400

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

 

A-122-08

ENTRE :

CDSL CANADA LIMITED

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

-----------------------------------------------------------------

 

A-123-08

ENTRE :

GROUPE CGI INC. / CGI GROUP INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

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A-121-08

ENTRE :

CGI INFORMATION SYSTEMS AND

MANAGEMENT CONSULTANTS INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

 

[1]               Il s’agit de trois appels dirigés à l’encontre de décisions rendues par le juge en chef adjoint Rip de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) (tel était son titre) (juge de la CCI) confirmant, suite à une audition commune et selon un seul jeu de motifs, les cotisations émises par le Ministre du Revenu national (le ministre) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1, (5e suppl.) (la Loi) à l’égard des trois appelantes.

 

[2]               Sont en litige, dans le cas de l’appelante CDSL Canada Limited (CDSL) la cotisation émise à l’égard de son année d’imposition 1998; dans le cas de l’appelante Groupe CGI Inc./CGI Group Inc. (CGI) la cotisation émise à l’égard de son année d’imposition 1998 et la détermination de perte établie à l’égard de son année d’imposition 1999; et dans le cas de l’appelante CGI Information Systems and Management Consultants Inc. (Systems) les cotisations émises à l’égard de ses années d’imposition 1998 et 1999.

 

[3]               La question à trancher dans chacun des appels est la même : la Loi, et plus particulièrement son paragraphe 10(l), autorise-t-elle les appelantes à calculer leurs revenus de façon non-conforme aux Principes Comptables Généralement Reçus (PCGR). Le juge de la CCI a répondu à cette question par la négative et a rejeté les trois appels, avec dépens. De là, les trois pourvois devant nous.

 

MISE EN CONTEXTE

 

[4]               Les faits sont relatés dans une entente qui est reproduite de façon intégrale dans les motifs du juge de la CCI. Je m’en tiens dans les paragraphes qui suivent à un court résumé. Avant d’aborder ce résumé, il y a lieu de reproduire le paragraphe 10(1) de la Loi :

10. (1) Pour le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition tiré d'une entreprise qui n'est pas un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, les biens figurant à l'inventaire sont évalués à la fin de l'année soit à leur coût d'acquisition pour le contribuable ou, si elle est inférieure, à leur juste valeur marchande à la fin de l'année, soit selon les modalités réglementaires.

 

10. (1) For the purpose of computing a taxpayer's income for a taxation year from a business that is not an adventure or concern in the nature of trade, property described in an inventory shall be valued at the end of the year at the cost at which the taxpayer acquired the property or its fair market value at the end of the year, whichever is lower, or in a prescribed manner.

[Je souligne.]

[5]               Les appelantes sont des sociétés qui fournissent des services de consultation dans le domaine de l’informatique. Chacune exploite une entreprise dans le sens propre du terme. Aux fins comptables, elles ont comptabilisé leurs travaux en cours sur une base d’exercice modifiée, laquelle tient compte de la portion des profits applicables aux travaux exécutés mais non facturés. Cette méthode dite « d’avancement des travaux » qui comptabilise les résultats de contrats à long terme selon le degré d’avancement des travaux est conforme aux PCGR (entente, para. e.).

 

[6]               Les parties conviennent que les travaux en cours reliés aux services en voie de parachèvement constituent des biens en inventaire assujettis au paragraphe 10(1) et que, conformément à cette disposition, ces travaux en cours doivent être évalués au moindre de leur coût et de leur juste valeur marchande (JVM). Aux fins du calcul de leur revenu pour fins fiscales, les appelantes ont évalué leurs travaux en cours selon leur coût, cette valeur étant moindre que la JVM (entente, para. i.).

 

[7]               Aucune preuve d’expertise ne fut déposée devant la CCI, les parties ayant convenu que le débat se limitait à la question de savoir si l’article 9 et les PCGR qu’il incorpore ont préséance sur l’article 10 (D.A., p. 82 (A-121-08); p. 57 (A-122-08); p. 95 (A-123-08)). Au lieu de reconnaître leurs revenus sur la base des revenus gagnés, comme l’exigent les PCGR, les appelantes se sont plutôt imposées sur la base des revenus facturés. Les appelantes concèdent que leur méthode ne procure pas une image fidèle de leurs revenus.

 

[8]               Selon l’entente sur les faits, Systems a établi à 7 234 328 $ et à 11 819 377 $ le coût de son inventaire de travaux en cours pour ses années d’imposition se terminant le 30 septembre 1998 et le 30 septembre 1999 respectivement, alors que la JVM de cet inventaire s’établissait à 11 859 554 $ et à 19 376 028 $ aux mêmes dates (entente, paras. b. et f.). De même, CGI a établi à 2 594 920 $ et 523 597 $ le coût de son inventaire de travaux en cours pour ses années d’imposition se terminant le 30 septembre 1998 et le 30 septembre 1999 respectivement, alors que la JVM de cet inventaire s’établissait à 4 253 967 $ et à 858 356 $ aux mêmes dates (entente, paras. c. et g.). Finalement, CDSL a établi à 1 032 767 $ le coût de son inventaire de travaux en cours pour l’année d’imposition se terminant le 30 septembre 1998, alors que la JVM de cet inventaire s’établissait à 1 693 060 $ à cette même date (entente, paras. d. et h.).

 

[9]               Les déclarations d’impôt remplies par les appelantes pour l’année 1998 révèlent qu’afin de réconcilier leur revenu fiscal avec leur revenu comptable et donner effet à la réduction de revenu découlant de l’application du paragraphe 10(1), elles ont effectué un ajustement négatif (qu’elles qualifient de « réserve ») représentant la différence entre la JVM et le coût des travaux en inventaire (D.A., p. 66 (A-121-08); p. 42 (A-122-08); p. 74 (A-123-08)). Pour l’année suivante, Systems et CGI ont annulé la réserve réclamée en 1998, pour en prendre une nouvelle qui tient compte des coûts des travaux en cours à la fin de 1999 (D.A., p. 43 (A-121-08); p. 46 (A-123-08)).

 

[10]           Le ministre, étant d’avis que cette façon de procéder avait comme effet de différer indûment, de façon contraire aux PCGR, la reconnaissance des revenus générés par les appelantes, a rajouté dans le calcul du revenu des appelantes pour l’année d’imposition 1998 la différence entre le coût et la JVM des travaux en cours détenus en inventaire, soit 4 625 226 $ dans le cas de Systems;
1 659 047 $ dans le cas de CGI; et 660 293 $ dans le cas de CDSL (entente, paras. m., n., o.).

 

[11]           En ce qui a trait à l’année 1999 de Systems, le ministre a ajouté dans le calcul de son revenu le montant de 2 931 425 $, soit la différence entre l’ajustement net au titre de travaux en cours pour l’année 1999 (7 556 651 $) et l’ajustement net pour 1998 (4 625 226 $) (entente, para. p.). Pour ce qui en est de CGI, le ministre a ajouté dans le calcul de son revenu pour l’année 1999 la différence entre le coût et la JVM des travaux en cours qu’elle détenait en inventaire, soit 334 759 $. La cotisation ainsi émise était une cotisation « nil » (entente, para. q.). Il a par la suite déterminé la perte de CGI pour 1999 en tenant compte de cet ajout tout en reconnaissant une réduction de
1 659 047 $ pour tenir compte du montant ajouté pour l’année 1998 (entente, para. s.).

 

[12]           L’effet des ajustements apportés par le ministre est le même dans les trois cas, soit de substituer la JVM au coût dans le calcul de la valeur des travaux en cours détenus en inventaire pendant les années en litige, éliminant ainsi l’avantage fiscal qui selon les appelantes découlait de l’application du paragraphe 10(1).

 

DÉCISION SOUS APPEL

 

[13]           Au début de son analyse, le juge de la CCI indique que la question en litige telle qu’elle lui fut présentée est la suivante : l’article 10 a-t-il préséance sur le paragraphe 9(1)? C’est ainsi que les parties avaient d’un commun accord défini la question qui devait être débattue devant la CCI (D.A., p. 82 (A-121-08); p. 57 (A-122-08); p. 95 (A-123-08)).

 

[14]           Le juge de la CCI a refusé d’aborder le litige de cette manière. Selon lui, le paragraphe 9(1) et l’article 10 n’opèrent pas de façon contraire l’un à l’autre (motifs, para. 8). Ce disant le juge de la CCI se fonde sur un passage de la décision de notre Cour dans Canada c. Cyprus Anvil Mining Corp., [1989] A.C.F. no 1146 (QL), au paragraphe 22 où il est dit que « l’on [ne peut] prétendre que le paragraphe 10(1) est une disposition précise qui l’emporte sur la disposition générale, l’article 9 ». Selon le juge de la CCI, ces deux dispositions se complètent et peuvent s’appliquer ensemble de façon harmonieuse.

 

[15]           Le juge de la CCI reconnaît que les conditions d’application de l’article 10 sont rencontrées en l’espèce (motifs, para. 10). Il précise que le paragraphe 9(1) est une disposition générale tandis que l’article 10 vise plus spécifiquement l’évaluation de l’inventaire d’une entreprise (motifs, para. 11). La méthode choisie par un contribuable pour établir son bénéfice doit donner tout de même « une image fidèle » de ses revenus (Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147).

 

[16]           La formule utilisée au paragraphe 10(1) exige que l’on soustraie des ventes de l’entreprise le coût relié à ces ventes, en l’occurrence le coût relié aux services rendus (motifs, para. 15). Selon le juge de la CCI, la détermination du montant de l’inventaire n’est qu’une étape dans le processus de détermination du revenu, et non une autre façon de déterminer le revenu (motifs, para. 17).

[17]           Au niveau fiscal, les appelantes ont pris une réserve à l’encontre de leur bénéfice pour différer l’inclusion des profits reliés aux travaux en cours. Le juge de la CCI constate que, comme les parties en avaient convenu dans leur entente (para. i.) :

 

[18]      […] Cette pratique a pour effet de différer d’un an l’inclusion du profit relié aux travaux en cours. Au lieu de déclarer leurs revenus sur la base de leurs revenus gagnés, ils se sont plutôt imposés sur la base de leurs revenus facturés. C’est là que se situe le problème car rien dans la Loi ne permet la déduction d'une telle réserve.

 

 

[18]           Selon le juge de la CCI, la méthode d’évaluation prévue au paragraphe 10(1) ne permet pas de déduire toute perte qui en découle (motifs, para. 20). Ce n’est que dans le cas où la JVM des biens détenus en inventaire est inférieure au coût que l’article 10 permet indirectement de constater une perte avant la disposition réelle des biens (idem). Le juge de la CCI conclut en disant (para. 22) :

 

Ainsi, l’article 10 vient seulement déterminer la façon de comptabiliser l’inventaire à utiliser dans le calcul du revenu prévu au paragraphe 9(1) et ne fait pas en sorte qu’il faille faire fi des profits tirés des travaux en cours. Encore une fois, cet article traite seulement de la façon dont il faut « comptabiliser » l’inventaire pour fins fiscales. […]

 

 

[19]           Le juge de la CCI ajoute que tirer la conclusion contraire enlèverait à l’article 34 de la Loi tout son sens. Cet article autorise certains professionnels à exclure de leur revenu leurs travaux en cours en effectuant un tel choix. Le paragraphe 10(5) précise que les travaux en cours d’une entreprise qui est une profession libérale, font partie de l’inventaire. L’article 10 s’applique donc lorsque l’article 34 s’applique. Si, comme le prétendent les appelantes, l’article 10 permettait d’exclure la partie profit des travaux en cours du calcul du revenu, l’article 34 n’aurait pas sa raison d’être (motifs, para. 23).

[20]           Au-delà du paragraphe 10(1) de la Loi (qui est reproduit au para. 4, ci-haut), le juge de la CCI cite au cours de ses motifs les dispositions suivantes :

 

ARTICLE 9 :

 

(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

 

[...]

SECTION 9:

 

(1) Subject to this Part, a taxpayer's income for a taxation year from a business or property is the taxpayer's profit from that business or property for the year.

 

...

 

 

ARTICLE 10 :

 

[…]

 

(2) Malgré le paragraphe (1), pour le calcul du revenu tiré d'une entreprise au cours d'une année d'imposition, les biens figurant à un inventaire au début de l'année sont évalués au même montant que celui auquel ils ont été évalués à la fin de l'année d'imposition précédente pour le calcul du revenu de cette année précédente.

 

(2.1) La méthode, permise par le présent article selon laquelle les biens figurant à l'inventaire d'une entreprise d'un contribuable qui n'est pas un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial sont évalués à la fin d'une année d'imposition doit servir, sous réserve du paragraphe (6), à évaluer les biens qui figurent à cet inventaire à la fin de l'année d'imposition subséquente pour le calcul du revenu que le contribuable tire de cette entreprise, sauf si celui-ci, avec l'accord du ministre et aux conditions précisées par ce dernier, adopte une autre méthode permise par le présent article.

 

[...]

 

 

(5) Sans préjudice de la portée générale du présent article:

 

a) il demeure entendu que les biens (autres que les immobilisations) d'un contribuable qui sont des travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale, du matériel de publicité ou d'emballage, des pièces ou des fournitures doivent figurer parmi les éléments portés à son inventaire;

 

[...]

SECTION 10:

 

 

(2) Notwithstanding subsection (1), for the purpose of computing income for a taxation year from a business, the inventory at the commencement of the year shall be valued at the same amount as the amount at which it was valued at the end of the preceding taxation year for the purpose of computing income for that preceding year.

 

(2.1) Where property described in an inventory of a taxpayer's business that is not an adventure or concern in 2008 CCI 106 (the nature of trade is valued at the end of a taxation year in accordance with a method permitted under this section, that method shall, subject to subsection (6), be used in the valuation of property described in the inventory at the end of the following taxation year for the purpose of computing the taxpayer's income from the business unless the taxpayer, with the concurrence of the Minister and on any terms and conditions that are specified by the Minister, adopts another method permitted under this section.

 

[...]

 

 

(5) Without restricting the generality of this section,

 

a) property (other than capital property) of a taxpayer that is advertising or packaging material, parts or supplies or work in progress of a business that is a profession is, for greater certainty, inventory of the taxpayer;

 

[...]

 

 

ARTICLE 34 :

 

Les règles suivantes s'appliquent au calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition tiré d'une entreprise qui consiste en l'exercice de la profession de comptable, de dentiste, d'avocat, de médecin, de vétérinaire ou de chiropraticien:

 

a) aucun montant n'est inclus pour le travail en cours à la fin de l'année, si le contribuable en fait le choix dans sa déclaration de revenu produite en vertu de la présente partie pour l'année;

 

b) l'alinéa a) s'applique au calcul du revenu du contribuable tiré de l'entreprise pour les années d'imposition ultérieures, si celui-ci a fait le choix prévu au présent article, à moins qu'il ne le révoque en ce qui concerne l'application de cet alinéa avec l'accord du ministre et aux conditions fixées par ce dernier.

 

SECTION 34:

 

In computing the income of a taxpayer for a taxation year from a business that is the professional practice of an accountant, dentist, lawyer, medical doctor, veterinarian or chiropractor, the following rules apply:

 

a) where the taxpayer so elects in the taxpayer's return of income under this Part for the year, there shall not be included any amount in respect of work in progress at the end of the year; and

 

b) where the taxpayer has made an election under this section, paragraph (a) shall apply in computing the taxpayer's income from the business for all subsequent taxation years unless the taxpayer, with the concurrence of the Minister and on such terms and conditions as are specified by the Minister, revokes the election to have that paragraph apply.

 

 

 

[21]           Il y a lieu de reproduire aussi la définition du mot « inventaire » que l’on retrouve au paragraphe 248(1) de la Loi :

 

« inventaire » Description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise pour une année d’imposition ou serait ainsi entré si le revenu tiré de l’entreprise n’avait pas été calculé selon la méthode de comptabilité de caisse. S’il s’agit d’une entreprise agricole, le bétail détenu dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise doit figurer dans cette description de biens.

"inventory" means a description of property the cost or value of which is relevant in computing a taxpayer’s income from a business for a taxation year or would have been so relevant if the income from the business had not been computed in accordance with the cash method and, with respect to a farming business, includes all of the livestock held in the course of carrying on the business;

 

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[22]           À titre de remarque préliminaire, chacune des appelantes a affirmé que la méthode utilisée pour calculer leur bénéfice pour fins fiscales est conforme à la pratique adoptée par le passé (mémoire des appelantes, para. 15 ou 17 selon le cas). Cette affirmation même si elle ne fait pas partie de l’entente sur les faits n’a pas été remise en question par l’intimée. Je la tiens donc pour avérée.

 

[23]           Les parties ne font aucune mention de la norme de contrôle dans leurs mémoires respectifs. Je rappelle que les décisions portant sur des questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte alors que celles portant sur des questions de faits ou des questions mixtes de faits et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

[24]           Il est acquis que la détermination du bénéfice d’une entreprise en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi est une question de droit et que le bénéfice tiré d’une entreprise pour une année donnée est déterminé en déduisant des revenus tirés de l’entreprise pour l’année les dépenses engagées pour gagner ces revenus (M.R.N. v. Irwin, [1964] R.C.S. 662; Associated Investors c. M.R.N., [1967]
2 R.C. de l’É. 96; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; Canderel, supra).

 

[25]           Il est aussi acquis que la détermination doit s’effectuer conformément aux « principes reconnus de la pratique des affaires (ou comptable) », ce qui inclut les PCGR, sauf lorsque ceux-ci sont incompatibles avec une ou plusieurs dispositions expresses de la Loi (voir Friesen, supra, para. 41 et les décisions qui y sont citées; voir aussi Canderel, supra, paras. 40 et 54).

 

[26]           En l’occurrence, il n’est pas contesté que dans le cas des appelantes, la comptabilisation de leurs travaux en cours sur une base d’exercice modifiée, laquelle tient compte de la portion des profits applicable aux travaux exécutés mais non facturés, est conforme aux PCGR et procure une image fidèle de leur revenu.

 

[27]           Par ailleurs, il n’est pas non plus contesté que, pendant les années en cause, les appelantes détenaient un « inventaire » tel que défini au paragraphe 2(1), et qu’elles devaient donc se conformer aux règles du paragraphe 10(1) pour établir la valeur de cet inventaire.

 

[28]           La première étape dans la détermination du revenu est le calcul du bénéfice brut. Dans le cas d’une entreprise de vente, le calcul s’effectue selon la formule suivante (Friesen, supra, para. 42) :

 

bénéfice brut = produit des ventes - coût des ventes.

 

 

Lorsque des biens sont détenus en inventaire au début ou à la fin d’une année ou les deux, le coût des ventes s’établit comme suit (idem) :

 

coût des ventes = (valeur des biens figurant dans l'inventaire au début de l'année + coût des acquisitions) - valeur des biens en inventaire à la fin de l'année.

 

[29]           Le paragraphe 10(1) exige que, dans le calcul de la valeur des biens en inventaire selon cette formule, le moindre de leur coût ou de leur JVM soit utilisé. La première conséquence qui découle de cette règle est que, s’il devait s’avérer dans une année donnée que la JVM des biens détenus en inventaire chute en-deçà de leur coût, la « perte » reflétée par cette diminution est constatée dans l’année (Friesen, supra, para. 45). L’autre conséquence qui découle de la méthode d’évaluation prévue au paragraphe 10(1) est la suivante (Friesen, supra, para. 46) :

 

[…], le principe de prudence reconnu qui sous-tend la méthode d'évaluation prévue au par. 10(1) représente une exception non seulement au principe de réalisation (dans le cas de pertes), mais aussi au principe de symétrie, puisque les gains ne sont constatés que lorsqu'ils sont matérialisés. Par conséquent, le contribuable qui est habilité à invoquer le par. 10(1) peut déclarer une perte d'entreprise en cas de baisse de la valeur des biens figurant dans son inventaire, mais il n'est pas tenu de déclarer un bénéfice d'entreprise tant que les biens figurant dans son inventaire ne sont pas vendus, même si leur valeur augmente.

 

[Je souligne.]

 

 

[30]           C’est là que se situe le conflit entre l’application de l’article 10, dont se réclament les appelantes, et les PCGR applicables en vertu de l’article 9, lesquels, comme nous l’avons vu, exigent que les travaux en cours des appelantes soient comptabilisés en tenant compte de la portion des profits applicables aux travaux exécutés mais non facturés. Puisque le calcul de la valeur des biens en inventaire est une étape nécessaire dans le calcul du revenu (Friesen, supra, para. 44), les deux méthodes procurent nécessairement une image du revenu qui n’est pas la même. C’est à bon droit, selon moi, que les parties au litige ont soutenu devant le juge de la CCI qu’il y avait conflit.

 

[31]           En tirant la conclusion que le paragraphe 10(1) et l’article 9 n’étaient pas en conflit, le juge de la CCI se fonde sur la décision de notre Cour dans Cyprus Anvil Mining Corp., supra. Cependant, la Cour dans cette affaire tire la conclusion que les dispositions ne sont pas en conflit parce que le paragraphe 9(1) s’applique au calcul du revenu « pour une année d’imposition » et à l’époque le paragraphe 10(1) s’appliquait au calcul du revenu sans égard à une année particulière (idem, para. 22). Or, la Loi fut amendée peu de temps après que la décision fut rendue pour préciser que le paragraphe 10(1), tout comme l’article 9, s’applique au calcul du revenu pour une année d’imposition donnée.

 

[32]           Il semble indéniable qu’il y a ici conflit entre l’article 9 qui fait appel aux PCGR et le paragraphe 10(1) qui exige que la valeur des biens en inventaire soit établie au moindre du coût et de la JVM. La question de savoir si le paragraphe 10(1) de la Loi a préséance sur l’article 9 devait donc trouver réponse.

 

[33]           Selon moi, cette question a déjà été résolue. La Cour suprême dans Friesen a jugé que le paragraphe 10(1) est une disposition impérative qui oblige un contribuable, lors du calcul du revenu tiré d’une entreprise qui comporte un inventaire, à évaluer son inventaire conformément aux termes de l’article 10 (Friesen, supra, para. 12) soit au moindre de la JVM et du coût. Il s’agit d’une disposition impérative qui écarte l’application générale de l’article 9 quant au calcul du coût des biens en inventaire. Le fait que cette méthode procure un résultat qui n’est pas conforme aux PCGR n’est pas un obstacle (Friesen, supra, para. 41; Canderel, supra, paras. 40 et 54).

 

[34]           La conclusion additionnelle du juge de la CCI selon laquelle cette application du paragraphe 10(1) enlève à l’article 34 sa raison d’être se fonde sur le raisonnement suivant (motifs, para. 23) :

 

L'article 34 prévoit un choix pour certains professionnels afin de ne pas inclure dans le calcul de leur revenu des montants concernant leurs travaux en cours. Le paragraphe 10(5) prévoit spécifiquement que des travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale font partie de l’inventaire. L’article 10 s’applique donc lorsque l’article 34 s’applique. Si, comme le prétendent les appelantes, l’article 10 permettait d’exclure la partie profit des travaux en cours du calcul du revenu, l’article 34 n’aurait pas sa raison d’être.

 

 

[35]           Avec égards, il est inexact de dire que l’article 10 s’applique lorsque l’article 34 s’applique. Ces deux dispositions opèrent différemment. Alors qu’un contribuable assujetti à l’article 10 doit tenir compte de la valeur de son inventaire de travaux en cours au coût ou selon la JVM, selon les circonstances, l’article 34 permet à un contribuable qui effectue le choix prescrit de ne pas tenir compte de son inventaire de travaux en cours dans le calcul de son revenu. Le cas échéant, l’article 10 n’a aucune application.

 

[36]           Même s’il existait une quelconque incongruité entre ces deux dispositions, le paragraphe 10(1) ne pourrait être plus clair et comme nous l’a rappelé la Cour suprême dans l’affaire Shell Canada Limitée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 au paragraphe 45, il incombe aux tribunaux d’interpréter et d’appliquer la Loi telle qu’elle a été adoptée par le Parlement. Dans l’état actuel des choses, rien ne permet de réserver l’application de l’article 10 aux seules entreprises visées par l’article 34.

 

[37]           Finalement, l’avocate de l’intimée a soulevé pour la première fois en appel l’argument selon lequel les réserves réclamées par les appelantes ne reflètent pas les montants auxquels elles ont droit même en tenant pour acquis qu’elles sont assujetties au paragraphe 10(1). Pourtant, la seule question devant la CCI était celle de savoir si les appelantes devaient calculer le coût de leur inventaire selon la règle établie au paragraphe 10(1). Nulle part n’est-il suggéré que le montant des ajustements était contesté. Selon moi, il est trop tard au stade où nous en sommes pour changer la nature du débat.

 

[38]           Pour ces motifs, j’accorderais les trois appels, j’annulerais le jugement de la CCI et rendant le jugement que le juge de la CCI devait rendre, je déférerais les cotisations au ministre pour nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les appelantes ont droit aux ajustements qu’elles ont réclamés dans leurs déclarations d’impôt pour tenir compte de l’application du paragraphe 10(1) de la Loi. J’accorderais aux appelantes leurs dépens devant la CCI et devant nous, calculés en tenant compte de l’audition commune qui a eu lieu dans chaque cas.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

        Robert Décary j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

        Gilles Létourneau j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-122-08,

 

(APPEL DU JUGEMENT DU JUGE EN CHEF ADJOINT RIP, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DU 25 FÉVRIER 2008, N° DE DOSSIER 2006-1596(IT)G)

 

INTITULÉS :                                                                         CDSL CANADA LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 3 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Décary

                                                                                                Le juge Létourneau

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 15 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wilfrid Lefebvre

Vincent Dionne

 

POUR L’APPELANTE

 

Marie-Andrée Legault

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-123-08,

 

(APPEL DU JUGEMENT DU JUGE EN CHEF ADJOINT RIP, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DU 25 FÉVRIER 2008, N° DE DOSSIER 2006-1597(IT)G)

 

INTITULÉS :                                                                         GROUPE CGI INC. / CGI GROUP INC.. c. SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 3 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Décary

                                                                                                Le juge Létourneau

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 15 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wilfrid Lefebvre

Vincent Dionne

 

POUR L’APPELANTE

 

Marie-Andrée Legault

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-121-08,

 

(APPEL DU JUGEMENT DU JUGE EN CHEF ADJOINT RIP, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DU 25 FÉVRIER 2008, N° DE DOSSIER 2006-1605(IT)G)

 

INTITULÉS :                                                                         CGI INFORMATION SYSTEMS AND MANAGEMENT CONSULTANTS INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 3 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Décary

MOTIFS CONCOURANTS :                                               Le juge Létourneau

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 15 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wilfrid Lefebvre

Vincent Dionne

 

POUR L’APPELANTE

 

Marie-Andrée Legault

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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