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Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20111212

Dossier : A-358-11

Référence : 2011 CAF 343

 

Présent :         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

MICHEL THIBODEAU

et

LYNDA THIBODEAU

intimés

et

 

LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

 

intervenant-intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2011.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2011.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 


 

Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

 

Date : 20111212

Dossier : A-358-11

Référence : 2011 CAF 343

 

Présent :         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

ENTRE :

AIR CANADA

appelante

et

MICHEL THIBODEAU

et

LYNDA THIBODEAU

intimés

et

 

LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

 

intervenant-intimé

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF BLAIS

[1]               La Cour est saisie d’une requête d’Air Canada en sursis d’exécution d’une ordonnance pendant l’appel en vertu de l’article 398(1)b) des Règles des Cours fédérales.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la requête d’Air Canada est accueillie.

 

FAITS PERTINENTS

[3]               À l’origine, les intimés Michel Thibodeau et Lynda Thibodeau ont déposé huit plaintes auprès du Commissaire aux langues officielles concernant les services qu’ils ont reçus d’Air Canada à l’occasion de huit vols différents.

 

[4]               La Cour fédérale, dans un jugement rendu le 13 juillet 2011, a conclu qu’Air Canada avait enfreint de son propre aveu les exigences de la Loi sur les langues officielles à quatre reprises, soit plus précisément :

-         Vol AC8627 : Air Canada reconnaît qu’il n’y avait aucun agent de bord bilingue à bord du vol Toronto-Atlanta, un vol à demande importante de services en français;

 

-         Vol AC8622 : Air Canada admet que l’annonce du pilote concernant l’heure d’arrivée et la météo n’a pas été traduite par l’agent de bord bilingue, bien qu’il s’agissait pourtant d’un vol à demande importante de services en français;

 

-         Vol AC7923 : Air Canada reconnaît qu’il n’y avait aucun agent de bord bilingue sur ce vol à demande importante de services en français;

 

-         Aéroport de Toronto : Air Canada admet que l’annonce faite aux passagers du vol AC7923 concernant la réception des bagages n’a pas été faite en français, malgré la demande importante de services en français à l’aéroport de Toronto.

 

 

 

[5]               Pour remédier à la situation, la Cour a ordonné à Air Canada:

  1. de remettre aux demandeurs une lettre d'excuse contenant le texte apparaissant à l'Annexe "A" de la présente ordonnance, lequel correspond au texte du projet de lettre d'excuse versé au dossier par Air Canada;
  2. de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l'ensemble des obligations qui lui incombent en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles;
  3. d'instaurer, dans les six mois suivant le présent jugement, des procédures et un système de surveillance adéquats visant à rapidement identifier, documenter et

 

 

quantifier d'éventuelles violations à ses obligations linguistiques, tel qu'énoncés à la partie IV de la LLO et au paragraphe 10 de la LPPCAC, notamment en instituant un processus permettant d'identifier et de documenter les occasions où Jazz n'affecte pas des agents de bord en mesure d'assurer des services en français à bord des vols à demande importante de services en français;

  1. de verser la somme de 6 000 $ en dommages-intérêts à chacun des demandeurs;
  2. de verser aux demandeurs la somme totale de 6 982,19 $ à titre de dépens, incluant les déboursés.

 

 

[6]               À la suite de l’ordonnance, Air Canada a versé une somme totale de 18,982.10 $, soit la somme totale prévue aux paragraphes 4 et 5 de l’ordonnance, ainsi qu’une lettre d’excuses conforme au paragraphe 1 de l’ordonnance.

 

[7]               Le 28 septembre 2011, Air Canada a néanmoins déposé auprès de la Cour d’appel fédérale un avis d’appel demandant de mettre de côté les paragraphes 2, 3 et 4 de l’ordonnance, contestant ainsi l’octroi des dommages-intérêts et l’ordonnance dite structurelle de la Cour fédérale.

 

[8]               Le 28 octobre 2011, Air Canada a déposé la présente requête par laquelle elle demande à cette Cour d’accorder le sursis des deuxième et troisième éléments de l’ordonnance.

 

QUESTION EN LITIGE

[9]               La Cour devrait-elle suspendre la décision de la Cour fédérale pendant l’appel d’Air Canada?

 

 

 

 

 

ANALYSE

[10]           Les parties sont d’accord quant aux critères applicables à une demande de sursis. Les critères ont été établis par l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire RJR-MacDonald Inc. v. Canada (Attorney General), [1994] 1 S.C.R. 311.

 

[11]           D’après cet arrêt, une requête en sursis peut être accordée seulement si la partie requérante démontre :

  • l’existence d’une question sérieuse;
  • un préjudice irréparable à défaut d’obtenir le sursis;
  • une prépondérance des inconvénients en sa faveur.

 

La question sérieuse

[12]           Pour établir l’existence d’une question sérieuse, le juge qui examine la requête doit procéder à un examen sommaire du fond de l’affaire et s’assurer que la réclamation n’est pas futile ni vexatoire.

 

[13]           Air Canada de son côté soutient que la question est sérieuse. Elle prétend que la juge de la Cour fédérale a erré en émettant une ordonnance générale de respecter la loi ainsi qu’une ordonnance structurelle. Toujours selon Air Canada, l’ordonnance générale de respecter la loi l’expose perpétuellement à la menace d’un outrage au tribunal.

 

 

[14]           Les intimés, de leur côté, admettent que les droits constitutionnels garantis par la Charte et l’intérêt public sont des questions sérieuses. Par conséquent, ils concèdent au paragraphe 13 de leurs prétentions que la requête d’Air Canada répond au critère de la question sérieuse. Quant au Commissaire aux langues officielles, il concède également l’existence d’une question sérieuse.

 

[15]           Vu le caractère exceptionnel de l’ordonnance de la juge de la Cour fédérale ainsi que les concessions des intimés et de l’intervenant-intimé, je n’ai aucune hésitation à conclure que les questions soulevées par l’appel d’Air Canada sont bel et bien sérieuses.

 

Le préjudice irréparable

[16]           Le critère du préjudice irréparable s’intéresse à la nature du préjudice et non à son étendue (RJR-MacDonald, ci-dessus, aux paragraphes 79-80). Un préjudice irréparable est un « préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre » (RJR-MacDonald, ci-dessus, au paragraphe 59). L’impécuniosité d’une partie, bien que non prépondérante dans l’étude de la requête, constitue néanmoins une considération pertinente (RJR-MacDonald, ci-dessus, au paragraphe 59).

 

[17]           À cette étape de notre examen, il m’apparaît utile d’examiner les paragraphes 2 et 3 du dispositif du jugement, lesquels posent problème pour Air Canada. En fait, il est important de

déterminer si le fait pour Air Canada d’exécuter les obligations prévues aux paragraphes 2 et 3 de l’ordonnance lui causerait un tort irréparable.

 

 

 

[18]           Au paragraphe 2, la juge de la Cour fédérale ordonne « de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent en vertu de la partie IV de la Loi sur langues officielles ».

 

[19]           Les injonctions structurelles ne sont pas légion au Canada. Dans les décisions recensées, les injonctions structurelles prévoient parfois une ordonnance de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ordonnance – et non la loi. Par exemple, dans l’affaire Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3 au paragraphe 7, le juge de première instance avait ordonné aux défendeurs de « faire de leur mieux pour se conformer à la présente ordonnance. » [Nous soulignons.] On trouve un autre exemple dans Brown v. Board of Education, 349 U.S. 294 au paragraphe 6, un arrêt de la Cour suprême des États-Unis : « [T]he courts will require that the defendants make a prompt and reasonable start toward full compliance with our May 17, 1954, ruling. »

 

[20]           L’ordonnance de faire tous les efforts nécessaires est une ordonnance floue. Je n’ai trouvé aucun commentaire à son sujet, ni dans la jurisprudence, ni dans la doctrine. À mon avis, il s’agit d’une ordonnance qui accompagne les injonctions structurelles complexes. Elle précède généralement une ordonnance par laquelle le juge de première instance retient juridiction afin de surveiller la mise en œuvre de l’ordonnance.

 

 

 

 

[21]           En l’espèce, l’ordonnance requiert d’Air Canada de faire tous les efforts nécessaires pour respecter la loi et non pas l’ordonnance. Or, tel que mentionné dans les prétentions d’Air Canada au paragraphe 9, il n’était pas nécessaire de rendre une ordonnance de faire tous les efforts de respecter la Loi sur les langues officielles, puisque la Loi sur les langues officielles est en soi une injonction de respecter les normes énumérées à ses articles. Ici, je fais miens les commentaires de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Métromédia CMR inc. c. Tétreault, [1994] J.Q. no 2785 au paragraphe 36, [1994] R.J.Q. 777 (C.A.Q.) :

36.     En règle générale est à l’effet que toute infraction doit être punie par la sanction prévue par la loi qui crée l’infraction. Dans le cours normal des choses, les tribunaux supérieurs n’ont pas à rendre des ordonnances d’injonction pour dire aux gens de respecter la loi. La loi est en soi une injonction. Or, il arrive exceptionnellement que certaines personnes laissent clairement savoir qu’elles ont l’intention bien arrêtée de ne pas obéir à la loi, de commettre systématiquement les mêmes infractions à répétition et qu’elles préfèrent plutôt payer l’amende.

 

 

[22]           Il m’apparaît raisonnable de prétendre qu’Air Canada est tenue de respecter ses obligations en vertu de la loi. Certes, il reviendra aux juges d’appel d’examiner en profondeur cette partie de l’ordonnance qui semble ajouter une obligation supplémentaire à celle de respecter la loi. L’imprécision de cette partie de l’ordonnance m’amène à conclure qu’il est préférable de suspendre son application jusqu’au moment où la Cour d’appel se prononcera sur son bien-fondé et sur sa portée. Il est bien clair, toutefois, que l’obligation de respecter la Loi sur les langues officielles n’est pas suspendue.

 

[23]           Air Canada prétend que la mise en œuvre de l’ordonnance de la juge, particulièrement celle mentionnée au paragraphe 3, exigerait le déploiement immédiat de mesures complexes, onéreuses et

 

 

irréversibles. Elle note qu’à l’intérieur d’un délai de six mois, l’ordonnance la force à procéder à des modifications structurelles majeures. Elle mentionne qu’elle devra développer des procédures et des systèmes d’identification, de quantification et de documentation du travail de plusieurs milliers d’employés d’Air Canada et de Jazz.

 

[24]           Dans ses prétentions, Air Canada mentionne que l’ordonnance touche plus de 10,100 employés d’aéroports soit 7,500 agents de bord ainsi que 2,600 employés affectés aux services aux passagers dans les aéroports, comme les kiosques d’embarquement, services de conciergerie, salons privés, comptoirs d’enregistrement, comptoirs de dépôt de bagages, billetteries, comptoirs de récupération des bagages et l’assistance spéciale à l’embarquement et au débarquement des vols.

 

[25]           Air Canada ajoute qu’une telle opération structurelle occasionnerait un processus complexe et irréversible dont le coût est difficile à quantifier. Elle ajoute qu’une ordonnance de faire peut en soi causer un préjudice irréparable. À cet effet, elle cite l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Université Laval c. Syndicat des employés et employées de l’Université Laval, J.E. 2001-214 au paragraphe 15, 102 A.C.W.S. (3d) 953 (C.A.Q.) :

En l'espèce, les conclusions 1, 2 et 3 comportent des ordonnances de faire qui ne sont pas, de par la loi, des ordonnances exécutoires nonobstant appel. Cette règle s'explique par le fait que l'exécution des ordonnances de faire, place généralement les parties dans l'impossibilité de défaire ce qui a été fait et de les replacer dans le « statu quo ante »; en ce sens, la situation devient « irréparable ».

 

 

 

 

 

 

[26]           Je note que dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec a accordé une requête en sursis afin de suspendre l’ordre du Tribunal des droits de la personne de modifier la structure de rémunération de la partie requérante.

 

[27]           Selon Air Canada, la possibilité de revenir en arrière une fois l’ordonnance mise en œuvre, soit particulièrement le paragraphe 3 de l’ordonnance, est théorique et ne saurait faire disparaître le caractère irréparable du préjudice. Air Canada demande donc le maintien du statu quo ante pendant l’instance afin de préserver son droit d’appel.

 

[28]           De leur côté, les intimés Thibodeau soumettent qu’Air Canada n’a pas démontré de préjudice irréparable. Ils prétendent au contraire que l’ordonnance structurelle est compatible avec l’énoncé de mission d’Air Canada en termes de langues officielles, tel que décrit dans leur Rapport annuel 2010.

 

[29]           Par ailleurs, les intimés réfèrent également au rapport du Commissaire aux langues officielles publié à la suite d’une vérification d’Air Canada en 2010-2011. Dans ce rapport, il est mentionné qu’Air Canada s’est engagé à entreprendre une série de mesures pour rectifier les manquements à la Loi sur les langues officielles.

 

[30]           Au cours de l’audience, Air Canada a concédé qu’un sursis partiel du paragraphe 3 serait suffisant. Plus spécifiquement, elle mentionne avoir déjà mis en place le processus visé par la deuxième partie du paragraphe, lequel se lit comme suit :

 

 

En instituant un processus permettant d’identifier et de documenter les occasions où Jazz n’affecte pas des agents de bord en mesure d’assurer des services en français à bord des vols à demande importante de services en français.

 

[31]           Air Canada prétend qu’elle a été en mesure de mettre en place un processus conforme à l’ordonnance de la juge de la Cour fédérale pour les exigences concernant Jazz, mais que la première partie du paragraphe 3 de l’ordonnance apparaît beaucoup trop imprécise et quasi impossible à satisfaire dans les circonstances. À vrai dire, c’est la première partie de l’ordonnance qui, selon Air Canada, constitue la base même de l’appel qu’elle a logé devant cette Cour.

 

[32]           De son côté, le Commissaire soutient qu’Air Canada n’a pas décrit la nature du préjudice avec suffisamment de précisions et de détails.

 

[33]           À cet égard, le Commissaire cite la version originale anglaise de la décision du juge Stratas, de notre Cour, dans l’affaire Shotclose v. Stoney First Nation, 2011 FCA 232 aux paragraphes 48-49 :

On the issue of the irreparable nature of the harm, the evidence offered by the appellants also falls short. The evidence offered in support of a stay must demonstrate with particularity - not just assert with generality - the actual existence or real probability of harm that cannot be repaired later. It is all too easy for those seeking a stay in a case like this to enumerate problems, call them serious, and then, when describing the harm that might result, to use broad, expressive terms that essentially just assert - not demonstrate to the Court's satisfaction - that the harm is irreparable.

 

A stay of a judgment must be regarded for what it is. It is the temporary prevention of a judgment - made on the basis of evidence, submissions and due consideration - from having force according to its terms. To get that sort of remedy, the moving party must do more than identify harm or inconvenience. The moving party must

 

 

 

 

 

 

 

 

demonstrate (along with the other branches of the RJR-Macdonald test) that harm will actually be suffered and that it will not be able to be repaired later. It must do this by providing evidence concrete or particular enough to allow the Court to be persuaded on the matter.

 

[Au moment de l’audience, seule la version anglaise originale était disponible.]

 

[34]           Cependant, je ne suis pas convaincu que cette affaire s’applique ici. Dans l’affaire Shotclose, l’ordonnance visée par la requête en sursis ordonnait la tenue d’élections dans un conseil de Premières Nations. Les avantages découlant de la tenue d’élections surpassaient clairement les craintes alléguées de chaos qui règnerait dans la communauté advenant l’absence de gouvernance pour le temps des élections. En l’espèce, le préjudice que subirait Air Canada à défaut d’accorder le sursis est loin d’être hypothétique.

 

[35]           Le Commissaire ajoute que les craintes d’Air Canada de faire l’objet d’un outrage au tribunal sont spéculatives et hypothétiques. Selon lui, le risque d’une condamnation pour outrage au tribunal ne constitue pas un préjudice irréparable au sens de l’arrêt RJR-MacDonald, mais plutôt une conséquence usuelle d’une ordonnance de la Cour fédérale

 

[36]           En cela, je suis tout à fait d’accord avec le Commissaire que les craintes d’outrage au tribunal ne sont en aucun cas suffisantes pour constituer un préjudice irréparable.

 

[37]           Après examen du libellé particulier du paragraphe 3 de l’ordonnance de la Cour fédérale, je n’ai d’autre choix que de me ranger du côté d’Air Canada : l’exécution de l’ordonnance structurelle

 

 

 

et, particulièrement, de la première partie du paragraphe 3 causerait, à mon avis, un préjudice irréparable.

 

[38]           Il est clair que les modifications structurelles pour répondre à une obligation très large d’identification et de documentation d’infractions potentielles à la loi pourraient occasionner des coûts considérables à Air Canada; que les intimés ne pourraient indemniser ces coûts advenant l’accueil de l’appel d’Air Canada; que les modifications structurelles affecteraient plus de 10,000 employés d’Air Canada, lesquels sont en contact avec plus de 223,000 passagers par jour. En plus d’être difficile pour Air Canada de répondre aux exigences d’une ordonnance imprécise, il lui serait ardu, en cas de victoire en appel, de démanteler un système qui aurait sans doute pris des mois à mettre en place.

 

[39]           En conséquence, je n’ai aucune hésitation à conclure que sans l’octroi d’un sursis, Air Canada subirait un préjudice irréparable.

 

La balance des inconvénients

[40]           Suivant le critère établi par l’arrêt RJR-MacDonald, ci-dessus, cette étape requiert de ma part de considérer le préjudice que chaque partie subirait, selon l’issue de la requête, ainsi que l’intérêt du public.

 

[41]           Pour ce qui est du préjudice qu’Air Canada subirait, j’en ai déjà discuté précédemment. Air Canada soumet que ni les intimés ni le public, advenant le refus du sursis, ne subiront de préjudice

 

 

comparable aux modifications structurelles permanentes qu’elle-même devrait mettre en place avant même d’exercer son droit d’appel.

 

[42]           De plus, Air Canada suggère que l’intérêt public sera sauvegardé en cas de sursis, puisqu’elle demeurera tenue de respecter l’ensemble de la Loi sur les langues officielles et que le public continuera d’avoir accès aux recours prévus à la Loi sur les langues officielles.

 

[43]           Comme dernier argument, Air Canada ajoute qu’il ne semble pas s’agir d’une affaire urgente puisque la juge de première instance a retenu qu’Air Canada et Jazz faisaient des efforts non négligeables et investissaient des sommes importantes pour respecter leurs obligations en matière de droits linguistiques. La juge a également souligné le faible ratio des plaintes, soit un ratio de 12 plaintes pour environ 47 millions de points de contacts (0.0000255%). Ce ratio, souligne Air Canada, est bien inférieur au ratio de 0.006% qui prévalait dans l’affaire Via Rail Canada Inc. and Canadian Transportation Agency, T-2311-03, T-2312-03 (19 décembre 2003).

 

[44]           Les intimés Thibodeau n’acceptent pas les arguments d’Air Canada. Ils prétendent plutôt qu’un sursis équivaudrait à sanctionner la situation actuelle de violation des droits linguistiques constitutionnels du public et que cet intérêt public doit primer sur les considérations économiques invoquées par Air Canada.

 

[45]           Par ailleurs, force est d’admettre que le fait d’accorder ou non un sursis à l’application des paragraphes 2 et 3 de l’ordonnance de la juge de la Cour fédérale ne changerait pas énormément la

 

 

situation quotidienne. En fait, l’installation d’un système de surveillance pour identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations aux obligations linguistiques d’Air Canada n’aura aucunement pour effet de limiter, contrôler ou réduire, du moins à court terme, le nombre éventuel d’infractions qui pourront être commises. Par conséquent, l’intérêt public ne sera pas compromis par un sursis, puisque seule la connaissance et l’identification de manquements à ces obligations linguistiques seraient répertoriées par la mise en place du système proposé par la juge.

 

[46]           Je n’ai aucun doute dans les circonstances que la balance des inconvénients penche du côté d’Air Canada. En effet, Air Canada continue de déployer des efforts pour offrir ses services en français aux passagers, bien que ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles ne soient pas respectées à cent pour cent.

 

CONCLUSION

[47]           Considérant que la requête d’Air Canada rencontre les trois critères énoncés dans l’arrêt RJR-MacDonald, c’est-à-dire la présence d’une question sérieuse, l’existence d’un tort irréparable advenant le refus du sursis et le fait indéniable que la balance des inconvénients penche en sa faveur, je n’ai aucune hésitation à conclure qu’un sursis est justifié dans les circonstances.

 

[48]           Je prends évidemment en considération l’admission d’Air Canada concernant le troisième élément de l’ordonnance. Sans préjudice à ses prétentions en appel, Air Canada prétend avoir déjà mis en place un processus permettant d’identifier et de documenter les occasions où Jazz n’affecte pas d’agents de bord en mesure d’assurer les services en français à bord des vols à demande

 

 

importante de services en français, tel que stipulé par le paragraphe 3 de l’ordonnance de la juge de la Cour fédérale. Il reviendra aux juges au fond de décider sur le long terme.

 

[49]           En conséquence, la Cour

 

1.         ordonne que la présente requête pour l’obtention d’un sursis d’exécution d’une ordonnance pendant l’appel soit accueillie;

 

2.         ordonne qu’un sursis soit accordé quant à l’obligation de faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombe en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles;

 

3.         ordonne qu’un sursis soit accordé quant à l’obligation d’instaurer dans les six mois suivant le présent jugement, des procédures et un système de surveillance adéquat visant à rapidement identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations à ses obligations linguistiques, tel qu’énoncé à la partie IV de la Loi sur les langues officielles et au paragraphe 10 de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada;

 

4.         le tout frais à suivre l’issue du dossier;

 

5.         ordonne également que l’audition sur le fond de la demande d’appel soit fixée le 25 avril 2012 pour une durée de quatre heures; et

 

6.         les parties devront respecter les dispositions des Règles des Cours fédérales quant au dépôt des différents documents et s’assurer que le dossier soit en état et prêt à être entendu 30 jours avant l’audience, soit au plus tard le 22 mars 2012.

 

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge en chef


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-358-11

 

Appel d’une ordonnance de la Cour fédérale, le 13 juillet 2011 (T-450-10, T-451-10)

 

INTITULÉ :                                                                         Air Canada c. Michel Thibodeau et

                                                                                              Lynda Thibodeau et Le Commissaire                                                                                          aux langues officielles

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 22 novembre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 12 décembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

David Rhéault

POUR L’APPELANTE

 

 

n/a

POUR LES INTIMÉS

 

 

Pascale Giguère

Kevin Shaar

POUR L’INTERVENANT-INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Centre Air Canada, services juridiques

POUR L’APPELANTE

 

 

n/a

POUR LES INTIMÉS

 

 

Direction des affaires juridiques

Commissariat aux langues officielles du Canada

 

 

POUR L’INTERVENANT-INTIMÉ

 

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