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Dossier : 2002-169(IT)G

ENTRE :

LLOYD STURTEVANT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 21 février 2005, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Robert Jodoin

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Labbé

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1999 est accueilli en partie et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, le tout selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

          L’intimée aura droit à 80% de ses dépens.

 

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 16e jour d’août 2005.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Référence : 2005CCI367

Date : 20050816

Dossier : 2002-169(IT)G

 

ENTRE :

LLOYD STURTEVANT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]     L’appelant interjette appel des cotisations établies à son égard en date du 25 mai 2001 relativement aux années d’imposition 1996, 1997 et 1999. Ces cotisations ont été établies selon la méthode de l’avoir net. Des montants de 157 862 $ en 1999, de 17 338 $ en 1997 et de 14 101 $ en 1996 ont été ajoutés aux revenus de l’appelant pour chacune de ces années d’imposition. À ces sommes se sont ajoutées des pénalités que l’appelant conteste également.

 

[2]     Dans son avis d’appel, l’appelant a soulevé une question constitutionnelle qu’il a abandonnée au début du procès. Il conteste donc les calculs de l’intimée et soutient que les cotisations pour les années d’imposition 1996 et 1997 sont prescrites. Les parties ont convenu que le présent appel est une instance de catégorie B selon les termes de l’alinéa 1b)(i) du Tarif A des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale).

 

[3]     En résumé, il s'agit donc de déterminer si l’appelant était tenu d’inclure dans son revenu les montants de 14 101 $ en 1996, de 17 338 $ en 1997 et de 157 862 $ en 1999. Si la réponse est affirmative, les pénalités sont-elles justifiées? Il faut aussi déterminer si les cotisations pour les années 1996 et 1997 sont prescrites.

[4]     Au début de l’audience, les parties ont également convenu que, dans leur calcul respectif de l’avoir net de l’appelant, les différences se limitaient à deux points, soit une vente d’équipement par encan effectuée par l’appelant en 1999 et un héritage obtenu par ce dernier de la succession de sa mère. Les deux points auraient pour effet de réduire l’écart si la Cour accepte la position de l’appelant. Il est donc opportun de reproduire le calcul de l’écart établi par le vérificateur de même que le bilan sommaire établissant l’avoir net servant à déterminer une valeur au début du calcul.

 

 

[5]     L’appelant a eu recours à un expert-comptable. Ce dernier a fait, à son tour, à l’aide de données obtenues en vertu de la Loi sur l'accès à l’information, un calcul de l’écart par la méthode de l'avoir net. Il a donc utilisé essentiellement les mêmes données que le vérificateur de l’intimée. Ses calculs ont établi un écart semblable à celui du vérificateur pour les années 1996 et 1997, mais un écart considérablement réduit pour l’année 1999. Il attribue cette réduction au fait que le vérificateur de l’intimée n’a pas pris en considération, dans son calcul de l’état du patrimoine à la fin de 1995, le coût en capital des biens amortissables vendus lors d'un encan qui a eu lieu le 24 avril 1999, soit un montant de 92 584 $, ni l’héritage de 50 000 $ qu’a reçu l’appelant de la succession de sa mère. Je reproduis donc ses calculs de l’état de l’avoir net avec cette différence. Je reproduis aussi son calcul établissant l’état du patrimoine servant à déterminer la valeur au début du calcul de l’avoir net et les notes accompagnant ces chiffres, notamment la note 3 expliquant la valeur de l'équipement acquis avant 1995.

 

(La suite des motifs du jugement continue à la page 5.)

 

 

(La suite des motifs du jugement continue à la page 7.)

 

[6]     À la reprise de cette instance, l’expert de l’appelant a modifié ses calculs de l’état du patrimoine de l’appelant en y ajoutant un montant de 27 000 $ au chapitre de l’actif de ce dernier afin de tenir compte de la vente du contenu de la résidence de sa mère et de l’automobile qu’elle possédait à son décès de même qu’un montant de 22 500 $ provenant de la vente d'un stock d’animaux (pièce A‑11). Je suis toutefois d’avis que ce dernier item avait déjà été pris en considération par l’expert dans ses calculs reproduits ci-haut. Ces nouveaux calculs ont par conséquent réduit l’écart à 7 322 $ en 1996, à 12 338 $ en 1997 et à 28 $ en 1999.

 

[7]     Toute cette affaire a commencé lorsque l’appelant a fait l’acquisition en 1999 d’un bien immeuble situé au Lac Brome sur lequel se trouvent sa résidence et une vieille école où sa mère avait enseigné. Il a acheté ce bien immeuble dans l’intention de le convertir en auberge, ce qu’il a réussi à faire une fois qu’un problème de zonage a été résolu. L’appelant a déboursé 375 000 $ comptant pour en faire l’acquisition. Une partie du prix d’achat provenait du produit net de la vente de sa ferme, une autre partie provenait de la vente de son équipement, par encan, pour un montant brut de 102 298,73 $ et une dernière partie provenait de l’héritage reçu de sa mère. Le fait que le revenu de la vente de cet équipement n’a pas été déclaré en 1999 et le fait que le produit de cette vente a été déposé dans un nouveau compte de banque ouvert au nom de l’épouse de l’appelant ont incité le vérificateur à faire un calcul du revenu de l’appelant par la méthode de l'avoir net. Il appert que toute la documentation pertinente de l’appelant visant son entreprise, ses revenus, achats, ventes et autres a été perdu à la suite du vol d’une roulotte dans laquelle tous ces documents avaient été entreposés pour les fins de déménagement.

 

[8]     Aujourd’hui, l’appelant est aubergiste. Il détient une 11e année qu’il a obtenue par correspondance. Il a commencé à travailler à son compte en 1985 comme bûcheron. Il a fait l'acquisition à cette époque de scies à chaîne, de chariots, d'un camion pour le bois, d'une camionnette et d'outils de réparation. Avec les années, il a échangé et acheté d’autre équipement. En 1989, il a constitué en personne morale une société du nom de Développement Bord du Lac Inc. (« la Société »). Les activités principales de cette société étaient les travaux de terrassement et l’aménagement paysager. Elle vendait également de la terre (couche arable). En 1990, la Société a fait construire et a exploité un dépanneur, une cantine et un poste d’essence, mais a vendu le tout en 1993. Elle a accordé à l’acquéreur un prêt pour une partie du prix d’achat et a continué d'effectuer des travaux de terrassement jusqu’en 1995. Selon l’appelant, la Société possédait à cette époque, entre autres, un tracteur à chenilles, trois tracteurs à quatre roues, deux camions dix roues et une camionnette.

 

[9]     En 1995, l’appelant a acheté une ferme pour la somme de 185 000 $ qu’il a payée en partie en vendant sa maison et un terrain. L'appelant s'est procuré le reste des fonds nécessaires à l'achat de la ferme en la grevant d'une hypothèque garantissant un prêt de 90 000 $. Il a échangé l’équipement de la Société afin de se procurer de l’équipement agricole. Dans cette ferme, il y avait déjà beaucoup d’équipement, notamment de l’équipement acéricole. Il s’agissait d’une ferme possédant un bâtiment de 200 pieds de long pour vaches laitières, une cabane à sucre, une vieille grange et une résidence.

 

[10]    L’appelant a donc fait l’élevage d’animaux de 1995 à 1999. Un diagnostic d'arthrite rhumatoïde l'a obligé à tout vendre en 1999. C’est alors qu’il s'est porté acquéreur de l’auberge. Avant d’obtenir le zonage approprié pour exploiter l’auberge, l’appelant tirait ses revenus de l’hypothèque grevant le dépanneur que lui a cédée la Société lors de sa dissolution, de la location de bateaux et du service d’une descente de bateaux sur le lac.

 

[11]    L’appelant et son épouse vivent très sobrement. Ils possèdent encore aujourd’hui les mêmes véhicules à moteur qu’il avait en 1994 et en 1995. Ils ne font pas de voyages et ils subviennent à leurs besoins. L’appelant a déclaré qu’il a payé l’acquisition de l’auberge avec le produit de la vente de la ferme et de l'équipement et avec l’argent qu’il a hérité de sa mère. C’est lors de son déménagement à l’auberge que sa roulotte et son contenu ont été volés. Toute sa documentation pertinente aux fins de l’impôt se trouvait dans la roulotte. La Sûreté du Québec a effectivement confirmé que l’appelant avait rapporté le vol de sa roulotte le 10 juin 1999.

 

[12]    La mère de l’appelant est décédée en 1992. Elle a passé les trois dernières années de sa vie avec l’appelant et sa conjointe. Selon l’appelant, à son décès, sa mère était propriétaire d’une résidence et de son contenu, d’une voiture et de placements. En vertu d'une entente conclue avec ses frères et sœurs, on lui a remis la voiture et le contenu de la résidence. En 1993, l’appelant a vendu la voiture 6 000 $ et le contenu de la résidence 20 000 $. Il a déclaré avoir conservé cet argent chez lui jusqu’à l’achat de l’auberge en 1999.

 

[13]    L’appelant a témoigné qu’il avait reçu, en 1996 ou en 1997, par chèques, environ 50 000 $, soit 25 % de la valeur du patrimoine de sa mère. Un premier chèque était de l'ordre de 44 000 $ et un autre était de l'ordre de 4 000 $. Les chèques auraient été encaissés et l’argent a été déposé dans un coffret de sécurité jusqu’à l’achat de l’auberge. L’appelant a tenté de retracer les chèques et d’obtenir de la banque ou de sa famille certaines confirmations, mais en vain. Il a expliqué être en conflit avec sa sœur. Elle était l’exécutrice testamentaire.

 

[14]    En contre-interrogatoire, il a reconnu ne pas avoir mentionné au vérificateur lors d'une rencontre avec ce dernier, qu'il avait reçu de l’argent provenant de la vente de l’automobile et du contenu de la résidence de sa mère. En fait, cette information n’a été dévoilée qu'à la veille de l’audience, un peu à la surprise de tout le monde. Il a expliqué cette omission en disant que, selon lui, cet argent ne faisait pas partie de sa part du patrimoine de sa mère mais plutôt d’un arrangement avec les autres héritiers et qu'il n'en voyait pas la pertinence. Il a déclaré ne pas comprendre ce qu'est un avoir net. Pour ce qui est de sa part de l’héritage, il a déclaré avoir montré le coffret de sécurité au vérificateur et les rubans élastiques qui servaient à attacher l’argent à l’intérieur du coffret.

 

[15]    Le testament de la mère de l’appelant et la demande d’un certificat autorisant la distribution de biens dans le cas de sa succession ont été déposés en preuve. Le premier confirme le partage en parts égales entre les enfants et le deuxième fixe la valeur nette de la succession à 114 773,65 $ au 1er  décembre 1992. La succession est composée de placements pour 49 683,12 $, d'un fonds de pension (RÉER) de 45 890,53 $ et de la résidence d’une valeur de 19 200 $. Aucune dette n’est indiquée au chapitre des frais d’administration, des frais funéraires ou de l’impôt à payer. Cette même résidence a été vendue en septembre 1993 pour la somme de 37 418,56 $ (voir pièce A‑6), compte tenu des réajustements. Le 1er novembre 1993, la Banque Canadienne Impériale de Commerce émettait, au nom de la succession, un certificat de dépôt au montant de 84 695,91 $. La date d’échéance du certificat de dépôt était le 1er novembre 1994. Les écritures de la même banque indiquent un dépôt de 80 873 $ fait dans le compte de succession le 8 mars 1994. L’appelant n'a pu expliquer la nature de ces deux dernières opérations.

 

[16]    À la reprise de l’audition de cette instance, l’expert de l’appelant a émis l’opinion que ce dernier a reçu en héritage au moins 31 428,51 $. Il est arrivé à cette conclusion en utilisant l’information contenue dans le certificat de distribution, sauf qu’il a utilisé le véritable produit de la disposition de la résidence, soit le 37 418,56 $, a ajouté les intérêts du placement à la Banque de Commerce et une assurance-vie de 2 527,74 $, toutefois il n'a pas soustrait les frais d’administration, les frais funéraires et n’a pas vérifié s’il y avait de l'impôt à payer sur les RÉER.

 

[17]    Le premier point en litige convenu entre les parties vise la vente de l'équipement effectuée par encan le 28 avril 1999. L’appelant, par l’entremise de son expert, a soutenu que le vérificateur aurait dû inclure dans son bilan d’ouverture de l’équipement appartenant à l’appelant et dont le coût en capital, selon l’expert, s’élevait à 92 583 $. Toujours selon l’expert, cet équipement était la propriété de l’appelant en 1995 en raison des dates d’acquisition qu’il a indiquées, en s'appuyant sur certaines factures qui ont pu être retracées et sur l’information fournie par l’appelant. Ces biens sont énumérés à l’annexe G de la pièce A‑1 comme suit :

 

(La suite des motifs du jugement continue à la page 12.)

 

 

 

[18]    C’est effectivement ce montant qui explique la différence entre l’avoir net du début de l’année 1996 calculé par l’expert de l’appelant et par le vérificateur de l’intimée. J’ai donc tenté, malgré certaines incertitudes, de faire l’historique des acquisitions et des ventes de biens de l’appelant et de la Société de 1985 à la date de l’encan. Le fait que l’appelant effectuait de l'achat d’équipement au nom de la Société et fournissait en contrepartie de l’équipement qui lui appartenait rend cet exercice difficile.

 

[19]    Durant la période de 1985 à 1989, l'appelant était un travailleur forestier. Durant cette époque, il possédait beaucoup d’équipement et d’outils, tels que des scies à chaîne, un chariot, des camions, une débusqueuse, des chevaux et des harnais. Le 17 octobre 1989, il a échangé sa débusqueuse pour un Case Payloader W7D et un tracteur Belarus 500. Deux mois plus tard, il a constitué en personne morale la Société qui, comme on le sait, effectuait des travaux de terrassement et faisait la vente de terre arable. L'appelant a donc commencé à acheter de l’équipement à cette fin et à donner de l'équipement en échange. C’est ainsi que, le 5 février 1990, la Société a acheté un tracteur Chenil 450 et un « Excavator » 880 au prix de 14 000 $. L’appelant a donné en échange son Case Payloader W7D, évalué à 8 000 $, dont il était le propriétaire.

 

[20]    Le 14 mars 1990, la Société a acheté un tracteur Zetor à quatre roues motrices au prix de 20 000 $ et l’appelant a donné en échange son Belarus 500 et une pièce d’équipement appelée Oliver et évaluée à 8 000 $, dont il était propriétaire.

 

[21]    Le 1er mai 1990, l’appelant, en sa qualité d’actionnaire, a fait le choix et a transféré à la Société de l'équipement automoteur et un terrain conformément à l’article 85 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi). À cette fin, le formulaire prescrit (pièce I‑3) a été déposé en preuve et révèle que le terrain avait une valeur de 20 000 $ et que l’équipement avait une valeur de 38 000 $. Ce choix a été fait le 1er mai 1990. Selon l’appelant, ce transfert de biens comprenait tout l’équipement dont il était propriétaire, mais il n'a pas été en mesure de décrire cet équipement. Le formulaire fait référence à une camionnette et, possiblement, à l’équipement décrit dans la liste de l’expert comptable au paragraphe 17 des présents motifs.

 

[22]    Il ne peut s’agir de tout l’équipement que l’on trouve sur la liste puisque les factures du 5 février et du 14 mars 1990 indiquent que la Société était l'acheteuse d'une partie de cet équipement. Donc, la Société était déjà propriétaire de cet équipement. Quant a l'équipement donné en échange, l’appelant ne l'avait plus, donc il est impossible qu'il ait transféré cet équipement à la Société le 1er mai 1990. Il ne devait pas s’agir du même équipement. Quant au vérificateur qui a témoigné que l'équipement mentionné sur les deux factures du 5 février et du 14 mars 1990 et dont le prix totalise 34 000 $ était possiblement l’équipement transféré le 1er mai 1990 selon le formulaire T2057, il me paraît peu probable que cette affirmation puisse être véridique pour les mêmes raisons. En échange, l’appelant a reçu 100 autres actions de catégorie B d’une valeur de 1 $ et une créance à l’actionnaire.

 

[23]    La Société a donc fonctionné jusqu’en 1995, soit l’année où l’appelant a fait l’acquisition de sa ferme. On sait que durant cette période, la Société a fait construire un dépanneur qu’elle a subséquemment vendu et qu’elle a financé en partie. Le 6 juin 1994, la Société a acheté un tracteur Zetor à deux roues motrices et d’autre équipement pour ce que l’appelant a appelé le nécessaire pour faire les foins, soit en prévision de l’achat éventuel de la ferme. En échange, elle a donné une rétro caveuse de marque « Case 580K », mais la facturation n’identifie pas son propriétaire. Cependant, il s’agit d’un appareil nécessaire au terrassement, donc, possiblement, il était la propriété de la Société. Le prix d’achat était de 28 000 $ et la valeur de l’échange était de 27 000 $. Le 21 septembre 1994, l’appelant a acheté des barrières, qui sont les trois premiers articles indiqués au paragraphe 17 des présents motifs, aux prix de 2 710 $.

 

[24]    Ces deux derniers achats, selon l’appelant, ont été faits en fonction de l’achat éventuel de sa ferme et d’un changement de vocation en raison de sa santé. Il a acheté la ferme en 1995 au prix de 185 000 $. L’appelant a emprunté 90 000 $ et s'est procuré le reste de l'argent en vendant sa maison et un terrain. Selon l’appelant, il a acquis beaucoup d’équipement, d’accessoires et de bâtiments dans le cadre de cet achat en raison du fait qu’il s’agissait d’une ferme d’élevage d’animaux et d’une ancienne ferme laitière.

 

[25]    Sous la rubrique « Équipements et véhicules » des états financiers de la Société du 30 novembre 1994, la valeur avant l’amortissement s’élève à 96 080 $.

 

[26]    Par contre, dans les états financiers de la Société en date du 28 février 1998, il n’y a rien qui indique que la Société détenait de l'équipement ou de la machinerie en 1997 et durant les trois mois précédant le 28 février 1998. Chose certaine, le 26 février 1998 (onglet 8 de la pièce A‑1), tous les actifs de la Société étaient cédés à l’appelant en paiement des dettes de cette dernière envers ses créanciers, dont l'appelant, dans une proportion de 91.1 % en faveur de celui‑ci. Le sommaire des actifs cédés ne mentionne que le prêt hypothécaire effectué par la Société lors de la vente du dépanneur et le contenu d’un compte en banque.

 

[27]    Ce cheminement nous amène donc au 28 avril 1999. À cette date, la ferme est déjà vendue et les animaux et l'équipement faisant l’objet du présent litige ont été vendus à l'encan. Le détail des biens vendus à l’encan permet de constater que des clous, une motoneige, une fendeuse à bois, des tracteurs et à peu près tout ce qu’on peut imaginer a été vendu. La vente a rapporté un revenu net de 96 873 $. Selon l’expert de l’appelant, la vente des animaux a rapporté 17 500 $, la vente de petits outils et d'articles divers a rapporté 18 500 $ et la vente des biens amortissables, soit l’équipement, a rapporté 61 335 $. Le coût d’acquisition de ces biens amortissables est toujours, selon l’expert, de 92 583,82 $, c'est à dire le montant que l’on trouve au paragraphe 17 des présents motifs, et dont le vérificateur aurait dû tenir compte dans son bilan d’ouverture.

 

[28]    L’appelant est-il propriétaire à la fin de l’année 1995 des biens identifiés par son expert au paragraphe 17? Selon l’historique des opérations visant l'équipement que je viens de décrire, seuls les premiers biens identifiés dans la liste me semblent être la propriété de l’appelant. Les autres achats ont tous été faits au nom de la Société, selon les factures, sauf l’achat du Belarus 500 et du Case Payloader W7D faits par l’appelant le 17 octobre 1989. L’appelant les a échangés lors d’achats faits par la Société en 1990 et ils ne peuvent être considérés comme faisant partie de l’avoir de l’appelant à la fin de l’année 1995. Après la constitution de sa Société en personne morale, l’appelant a transféré un terrain et de l'équipement à cette dernière mais n’a pas pu dresser une liste de l’équipement en question et j’exclus l’équipement qui appartenait déjà à la Société selon les factures de 1994. Chose certaine, tout l'équipement était la propriété de la Société au 1er mai 1990. Aucune preuve soumise ne me permet de conclure de façon certaine que la Société aurait transféré de nouveau l'équipement à l’appelant entre le 1er mai 1990 et la fin de l’année 1995. Les acquisitions identifiées en 1994 ont été faites par la Société et les deux dernières opérations sur la liste au paragraphe 17, soit celles du 10 et du 24 juillet 1995 au montant de 11 697,79 $ et de 3 176,03 $, n’ont pu être identifiées par l’appelant ou par l’expert comptable.

 

[29]    Il y a eu éventuellement un transfert des actifs de la Société à l’appelant le 28 février 1998, mais nous sommes loin de la fin de l’année 1995. Il me faut aussi signaler que le vérificateur, dans son bilan sommaire, a pris en considération l’équipement agricole que l’appelant possédait à la fin de 1995 et a inclus dans la catégorie 8 selon les états financiers personnels de ce dernier. Le type d’équipement n’est toutefois pas précisé.

 

[30]    La prétention de l’appelant est qu'il avait la possession et qu'il était le propriétaire de l'équipement et des biens décrits au paragraphe 17 des présents motifs à la fin de 1995 et que la valeur de ces biens devrait être prise en considération par le vérificateur dans le calcul du bilan d’ouverture de l’appelant à ce moment. Cette prétention, à mon avis, ne peut pas être soutenue dans son entier. Le témoignage de l’expert et la plupart de ses conclusions sont fondées sur des conjectures. Je suis conscient du fait que nous sommes devant un exercice de détermination de l'avoir net où les calculs sont fondés sur des reconstructions imprécises et incertaines dans le but d’établir les revenus et les dépenses d’un contribuable mais il faut quand même être en mesure d'appuyer ce que l’on avance à la lumière des faits connus afin de faire un calcul aussi près que possible de la réalité.

 

[31]    Il est donc difficile en l’espèce de conclure que l’appelant était propriétaire des biens décrits au paragraphe 17 des présents motifs et ce, à la fin de 1995. Les seuls biens, à mon avis, qui étaient la propriété de l’appelant à ce moment sont les premiers mentionnés sur la liste puisque c’est l’appelant lui-même, selon la facture, qui s’en est porté acquéreur le 21 septembre 1994. Il s’agit de barrières qui ont été achetées pour les besoins de sa ferme qu’il exploitait sous la raison sociale « Ranch L.L. » et qu’il a payées 2 710 $. Pour ce qui est du reste des biens figurant sur la liste, du moins, ceux qui n’avaient pas déjà été échangés, ils étaient la propriété de la Société à la fin de 1995. Il faut se rappeler que l'appelant a transféré des biens en effectuant son choix prévu à l’article 85 de la Loi le 1er mai 1990.

 

[32]    Par contre, il ne fait aucun doute que, vers le début de l’année 1997, les états financiers de la Société montraient que la Société ne détenait plus aucune pièce d’équipement et que, le 28 février 1998, à sa dissolution, l’hypothèque que détenait la Société et un montant dans un compte de banque avaient été cédé à l’appelant en paiement de la dette de la Société envers lui. Il n’y a toutefois aucune explication au sujet de la disposition de l'équipement de la Société et de la façon dont cet équipement serait devenu la propriété de l’appelant. Le fait que, souvent, l'appelant ne faisait pas de distinction entre ses propres opérations et celles de sa société y est pour beaucoup. Cet état de choses et la perte de toutes les pièces justificatives légitimisent donc des vérifications basées sur la méthode d'évaluation de l’avoir net et la cotisation qui s’en suit.

 

[33]    Malgré le fait qu’il n’y ait pas d’explications sur la façon dont les biens détenus par la Société se soient retrouvés entre les mains de l’appelant, il me paraît évident que certains biens appartenant à la Société ont été vendus à l’encan du 28 avril 1999. Si cet équipement ne peut être identifié et si sa valeur ne peut être déterminée, il ne devrait pas entrer dans le calcul du vérificateur en l’espèce. En conséquence, je rejette les prétentions de l’expert de l’appelant et son calcul de l’avoir net et, sous réserve des conclusions auxquelles je suis parvenu dans la présente, notamment en ce qui concerne l'ajout de l'équipement figurant en tête de liste au paragraphe 17 des présents motifs, j'accepte le calcul du vérificateur de l’intimée.

 

[34]    Je suis disposé à reconnaître qu’au fil des années, l’appelant a régulièrement acheté et vendu des pièces d’équipement plus petites que celles décrites au paragraphe 17 des présents motifs, de même que de l’outillage qu’il a obtenu lors de l’achat de sa ferme en 1995. Selon la liste des ventes effectuées lors de l’encan, la vente de petits outils et d'articles divers a rapporté 18 500 $. Pour les fins du présent litige, je suis prêt à accorder à l’appelant une valeur additionnelle de 15 000 $ à son bilan d’ouverture à la fin de 1995 pour un total de 17 710 $.

 

[35]    Je reviens maintenant au deuxième point en litige, soit l’héritage qu’a reçu l’appelant après le décès de sa mère. La preuve avancée par l’appelant est contradictoire, c'est le moins que l'on puisse dire. Selon l’appelant, il a reçu en 1996 ou en 1997 une somme de 50 000 $ en deux versements, soit un versement de 44 000 $ et un autre de 4 000 $. Selon le rapport de l’expert, cette somme aurait été versée à l’appelant en deux tranches de 25 000 $ soit, une tranche en 1996 et une autre en 1997. Plus tard, ce même expert a affirmé que la part de l’appelant provenant de la succession de sa mère était de 31 428,51 $. Il s’agit toutefois d’un montant approximatif puisqu’il n’a pas pris en considération les dépenses de l’administration de la succession ou les impôts payables sur les RÉER. De plus, il n'a pas pu préciser la date à laquelle cette somme aurait été versée à l’appelant. Le seul fait non contredit et non confirmé qui a été soulevé à la toute dernière minute est que l’appelant a hérité du contenu de la résidence et de la voiture de sa mère qu’il a vendus 20 000 $ et 6 000 $ respectivement.

 

[36]    L’appelant a témoigné avec beaucoup d’hésitation. Il a été incapable de se souvenir de certains faits qui, à mon avis, auraient dû être faciles à retenir. Il est vrai qu’il avait peut être peu de documents pouvant lui permettre de se remémorer certains évènements et certaines opérations, mais il est habituellement facile de se rappeler de choses telles que des sommes d’argent provenant d’une héritage. Il est étonnant de voir que même l’expert qu’il a retenu pour vérifier le travail du vérificateur n’accepte pas les montants présentés par l’appelant.

 

[37]    Je suis malgré tout convaincu que l’appelant a hérité de la succession de sa mère. Je suis aussi convaincu par la preuve qu’il y avait dans la succession des placements, des RÉER, une police d’assurance-vie et une résidence. Même si la preuve ne me permet pas de déterminer de façon précise la valeur de la succession et la part de l’appelant en raison d’une documentation peu fiable et du fait que le paiement des frais d’administration et des impôts n’a pas été prouvé, j’estime que l’appelant a reçu au moins 30 000 $ de la succession de sa mère, qu’il a probablement reçu ce montant en 1996 et qu’il l’avait en sa possession jusqu’à la date d’acquisition de l’auberge le 28 avril 1999. Le fait que l’appelant et le vérificateur se soient rendus à l’institution financière où cet argent était conservé accorde crédit aux propos de l’appelant à ce sujet.

 

[38]    J’éprouve toutefois plus de difficultés à accepter la version de l’appelant voulant qu’il ait conservé chez lui dans des contenants les sommes provenant de la vente du contenu de la résidence de sa mère et de la vente de la voiture de cette dernière. Aucune preuve précise de la valeur du contenu de la résidence ou de la voiture n'a été présentée et, si je me fie à la capacité limitée de l’appelant de se rappeler du montant de sa part de l’héritage, il est fort probable que les montants mentionnés par ce dernier sont peu fiables. Sur cette question, l'appelant n'a donc fourni aucune preuve.

 

[39]    Toutes ces imprécisions quant à sa part de l’héritage laissent donc planer un doute sérieux sur le montant qu’il aurait pu effectivement percevoir en vendant le contenu de la résidence de sa mère ou la voiture de cette dernière. Même si les autres héritiers auraient convenu de laisser à l’appelant le contenu de la résidence et la voiture, comment se fait-il que ces deux choses là ne paraissent pas dans l’inventaire de la succession?

 

[40]    Même si l’appelant me semblait un peu dépassé par les évènements et même s'il ne comprenait pas ce qu'est un avoir net, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une personne ayant fait des affaires pendant plusieurs années. À mon avis, il n'a fourni aucune raison justifiant son omission de dévoiler à son expert comptable ou à son représentant l’existence d’une aussi grosse somme d’argent avant la veille de l’audience de ses appels devant la Cour. Si cet argent a servi à l’achat de l’auberge, comment a‑t‑il abouti dans les mains du notaire et pourquoi celui‑ci n’a‑t‑il pas été appelé à témoigner pour confirmer la thèse de l'appelant? Ce manque de preuves, les imprécisions et l’invraisemblance des propos de l’appelant m'empêchent de conclure qu’il a effectivement perçu cet argent.

 

 

 

[41]    En raison des présents motifs et du fait que mes conclusions ont pour conséquence d’augmenter l’actif de l’appelant à son point de départ, soit à la fin de 1995, l’écart résultant du calcul effectué par le vérificateur de l’intimée et qui a fait l’objet de la cotisation pour 1996 et 1997 sera ainsi éliminé. Il ne m’est donc pas nécessaire de statuer sur la question que la cotisation pour ces deux années d’imposition est prescrite ou que des pénalités doivent être imposées.

 

[42]    Il y a un écart résultant du calcul effectué selon la méthode de l'avoir net pour l’année d’imposition 1999 auquel le ministre fera des rajustements en conformité avec les présents motifs. L’appelant ne m’a pas convaincu selon la prépondérance des probabilités que cet écart est autre chose qu’un revenu non déclaré.

 

[43]    Pour ce qui est de la pénalité pour l’année d’imposition 1999, il incombait à l’intimée de démontrer que l’appelant a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenu au sens du paragraphe 163(2) de la Loi. En l’espèce, il est évident que l’appelant a omis de déclarer la vente de ses animaux provenant de l’encan. En fait, il n’a même pas consulté son comptable et ne lui a remis aucun document à cet effet, sauf sa nouvelle adresse. Les explications de l’appelant concernant l’ouverture d’un compte de banque au nom de son épouse juste avant la tenue de l’encan et le dépôt du produit de l’encan dans ce compte sont peu convaincantes. L'appelant s'est limité à expliquer qu'il voulait ainsi rassurer son épouse. Il est aussi évident qu’en raison de l’écart établi en vertu de la méthode du calcul de l’avoir net que l’appelant a été plus que négligent en ce sens qu’il se souciait peu de la véracité de sa déclaration et était indifférent aux conséquences fiscales de ses omissions. Je ne peux non plus ignorer le fait que même les calculs de son expert ont établi un écart démontrant que l’appelant ne déclarait pas tous ses revenus. L’intimée était donc justifiée d’imposer une pénalité pour l’année d’imposition 1999.

 

[44]    Les appels sont accueillis en partie et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du présent jugement. Le présent appel étant une instance de catégorie B,  l’intimé aura droit,  en  raison  des  présents  motifs,  à 80% de ses

 

 

dépens aux termes de l’alinéa 1b)(i) du tarif A des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

 

Signé à Edmundston (Nouveau-Brunswick), ce 16e jour d’août 2005.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                  2005CCI367

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2002-169(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Lloyd Sturtevant et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 21 février 2005

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 16 août 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Robert Jodoin

 

Avocat de l'intimée :

Me Nathalie Labbé

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                   Nom :                             Me Robert Jodoin

 

                   Étude :                            Jodoin Huppé

                                                          Granby (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Ontario

 

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