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Dossier : 2006-2572(IT)G

 

ENTRE :

 

HYPOTHÈQUES TRUSTCO CANADA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu les 7 et 8 avril 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge L. M. Little

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

MThomas Sutton et Me Heather Meredith

Avocate de l'intimée :

MJoanna Hill

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'égard des cotisations établies en application du paragraphe 224(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont les avis sont datés du 16 août 2005 et du 21 juin 2006 et portent les numéros 37492 et 37688 respectivement, est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29jour d'août 2008.

 

 

« L. M. Little »

Le juge Little

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 482

Date : 20080829

Dossier : 2006-2572(IT)G

 

ENTRE :

 

HYPOTHÈQUES TRUSTCO CANADA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

 

A.      Les faits

 

[1]              Il s'agit d'un appel interjeté à l'égard des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en application du paragraphe 224(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour défaut de se conformer à trois demandes péremptoires de paiement (les « demandes péremptoires ») signifiées à l'appelante en application du paragraphe 224(1) de la Loi. Les demandes péremptoires sont datées du 28 mai 2004, du 4 mai 2005 et du 24 avril 2006, respectivement.

 

[2]              On a établi deux avis de cotisation, l'un daté du 16 août 2005 pour la somme de 50 808,38 $, et l'autre daté du 21 juin 2006 pour la somme de 126 345,93 $.

 

[3]              Les parties ont produit un exposé conjoint des faits, lequel est ainsi libellé :

 

[TRADUCTION]

 

1.         Pendant la période en cause, Hypothèques Trustco Canada (« HTC ») était une société exploitée sous le régime des lois du Canada à titre d'institution financière. Elle a fait l'objet d'une fusion et elle a poursuivi ses activités sous la dénomination La Société Canada Trust, société constituée en personne morale et exploitée sous le régime des lois du Canada.

 

2.         Le premier avis de cotisation (la « première cotisation ») frappé d'appel est daté du 16 août 2005, il porte le numéro 37492 et il s'élève à 50 808,30 $.

 

3.         Le deuxième avis de cotisation (la « deuxième cotisation ») frappé d'appel est daté du 21 juin 2006, il porte le numéro 37688 et il s'élève à 126 345,93 $.

 

4.         Pendant la période en cause, Cameron C. McLeod (parfois appelé Cameron Clyde McLeod) (« Me McLeod ») exerçait le droit à titre de membre de la Law Society of British Columbia (le Barreau de la Colombie‑Britannique).

 

5.         Le 28 mai 2004, l'impôt à payer par Me McLeod au titre de ses dettes fiscales personnelles pour les années d'imposition 1997 à 2002 s'élevait à environ 305 613,76 $.

 

6.         Maître McLeod était signataire autorisé pour le compte en fiducie numéro 6845002745 (antérieurement le compte numéro 510756) (le « compte en fiducie ») qu'il détenait en sa qualité d'avocat à la succursale King George Highway située à Surrey, en Colombie‑Britannique (la « succursale King George Highway »).

 

7.         Les clauses contractuelles régissant le compte en fiducie sont énoncées dans l'entente relative au compte commercial.

 

8.         Maître McLeod et Herbert Maier détenaient un compte conjoint portant le numéro 684508594 (le « compte conjoint ») auprès de HTC à la succursale King George Highway.

 

9.         Les modalités contractuelles régissant le compte conjoint sont énoncées dans l'entente relative au compte personnel.

 

10.       Le ministre du Revenu national (le « ministre ») savait que des chèques montrant Me McLeod comme bénéficiaire étaient tirés sur le compte en fiducie et déposés dans le compte conjoint.

 

11.       Le 28 mai 2004, en application du paragraphe 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), le ministre a formulé à l'égard de HTC une demande péremptoire de paiement s'élevant à 305 613,76 $ au titre de la dette fiscale de Me McLeod.

 

12.       HTC a reçu la demande péremptoire de paiement vers le 28 mai 2004 à sa succursale King George Highway.

 

13.       Vers le 4 juin 2004, HTC a répondu en remplissant le formulaire de demande péremptoire de paiement.

 

14.       Le 16 août 2005, le ministre a établi la première cotisation, qui s'élève à 50 808,30 $, relativement à la demande péremptoire de paiement du 28 mai 2004.

 

15.       La première cotisation vise des opérations qui se sont déroulées entre le 3 juin 2004 et le 19 octobre 2004.

 

16.       Plus précisément, entre le 3 juin 2004 et le 19 octobre 2004, 28 chèques totalisant 50 808,38 $ ont été tirés sur le compte en fiducie, lesquels chèques montraient C.C. McLeod comme bénéficiaire.

 

17.       Chacun des chèques mentionnés au paragraphe 16 a été présenté à HTC pour dépôt dans le compte conjoint.

 

18.       Dans chaque cas, le chèque a été accepté par HTC pour dépôt dans le compte conjoint. Un crédit a été porté au compte conjoint et un débit a été porté au compte en fiducie.

 

19.       Après avoir reçu la première cotisation, HTC a produit un avis d'opposition le 15 novembre 2005.

 

20.       L'ARC a rejeté l'avis d'opposition de HTC par des lettres du 30 mai 2006 et du 7 juin 2006, ce dernier refus étant accompagné d'un avis de ratification daté du 7 juin 2006.

 

21.       Le 4 mai 2005, le ministre a délivré à HTC une deuxième demande péremptoire de paiement, qui s'élève à 382 079,40 $, au titre de la dette fiscale de Me McLeod. Vers la même date, HTC a reçu la deuxième demande péremptoire de paiement à la succursale King George Highway.

 

22.       Vers le 5 mai 2005, HTC a répondu à l'ARC en remplissant le deuxième formulaire de demande péremptoire de paiement.

 

23.       Le 24 avril 2006, le ministre a délivré à HTC une troisième demande péremptoire de paiement, qui s'élève à 460 102,17 $, au titre de la dette fiscale de Me McLeod. HTC a reçu la troisième demande péremptoire de paiement à la succursale King George Highway vers la même date.

 

24.       Vers le 25 avril 2006, HTC a répondu en remplissant le troisième formulaire de demande péremptoire de paiement.

 

25.       Le 21 juin 2006, le ministre a établi la deuxième cotisation, qui s'élève à 126 345,93 $, relativement aux demandes péremptoires de paiement du 28 mai 2004 et du 4 mai 2005.

 

26.       La deuxième cotisation vise des opérations qui se sont déroulées entre le 26 octobre 2004 et le 19 août 2005.

 

27.       Plus précisément, entre le 26 octobre 2004 et le 19 août 2005, 53 chèques montrant C.C. McLeod comme bénéficiaire et totalisant 126 345,93 $ ont été tirés sur le compte en fiducie.

 

28.       Chacun des chèques mentionnés au paragraphe 27 a été présenté à HTC pour dépôt dans le compte conjoint.

 

29.       Dans chaque cas, le chèque a été accepté par HTC pour dépôt dans le compte conjoint. Un crédit a été porté au compte conjoint et un débit a été porté au compte en fiducie.

 

30.       Après avoir reçu la deuxième cotisation, HTC a produit un avis d'opposition le 4 octobre 2006.

 

31.       L'ARC a rejeté l'avis d'opposition de HTC par une lettre datée du 7 juin 2007, laquelle était accompagnée d'un avis de ratification portant la même date.

 

[4]              L'avocat de l'appelante a également soutenu que [TRADUCTION] « le dossier ne comporte aucun élément de preuve permettant d'identifier la personne qui a présenté les chèques à HTC pour dépôt[1] ».

 

[5]              L'avocate de l'intimée a en outre avancé ce qui suit dans sa réponse à l'avis d'appel modifié une deuxième fois :

 

[TRADUCTION]

 

Vers le 14 décembre 2004, Me Michael Kader (« Me Kader »), conseiller juridique de HTC, a communiqué avec l'ARC pour l'informer que, selon HTC, le manquement aux règles du barreau n'avait aucune pertinence au regard de la question en litige. La Loi sur les banques n'oblige nullement HTC à surveiller les comptes en fiducie pour faire en sorte que les avocats respectent ces règles[2].

 

[6]              La nature de la relation existant entre Me McLeod et M. Maier n'est pas connue[3]. En d'autres termes, nous ne savons pas si M. Maier était un associé à part entière de MMcLeod. On a toutefois établi que le compte bancaire conjoint était un compte bancaire dont Me McLeod et M. Maier étaient les détenteurs conjoints.

 

B.      Les questions en litige

 

[7]              L'avis d'appel modifié une deuxième fois de l'appelante fait état des questions suivantes.

 

[8]              L'appelante était‑elle tenue de faire un paiement à Cameron McLeod à un moment ou à un autre pendant la période d'effet des trois demandes péremptoires en question?

 

[9]              Dans la négative, peut‑on dire que l'appelante a omis de se conformer aux trois demandes?

 

[10]         Dans son mémoire, l'appelante fait observer ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

La principale question en litige dans le présent appel est celle de savoir si l'appelante est tenue de payer à l'intimée une somme égale au montant des 81 chèques tirés sur le compte en fiducie de l'avocat parce que l'appelante a omis de payer ce montant au receveur général conformément aux deux demandes péremptoires délivrées en application du paragraphe 224(1) de la Loi.

 

[11]         La réponse de l'intimée à l'avis d'appel modifié mentionne :

 

[TRADUCTION]

 

La question en litige consiste à savoir si l'appelante était une personne tenue de faire un paiement au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1) de la Loi et, par conséquent, si elle était tenue de se conformer à la demande délivrée en application du paragraphe 224(1).

 

C.      Les aveux de l'avocate de l'intimée

 

a)       Les fonds déposés dans le compte en fiducie n'étaient pas visés par les demandes péremptoires et l'appelante n'avait donc aucune obligation de remettre ces fonds[4].

 

b)      Les fonds déposés dans le compte conjoint n'étaient pas visés par les demandes péremptoires et l'appelante n'avait donc aucune obligation de remettre ces fonds[5].

 

[12]         Ces deux aveux sont compatibles avec le fait que la question en litige touchant l'obligation de payer n'est pas celle de savoir s'il y a une obligation lorsque les sommes sont déposées dans l'un ou l'autre de ces comptes, mais bien si les 81 chèques sont assujettis à une obligation de payer[6]. Le paragraphe 224(1) ne permet pas de mettre la main sur les fonds déposés dans un compte. Ce sont les paiements qui peuvent faire l'objet d'une saisie. Dans la présente situation, nous nous concentrons sur le remboursement des fonds qui étaient déposés dans le compte en fiducie.

 

D.      Les dispositions légales

 

[13]         Les dispositions légales pertinentes sont les suivantes :

 

Loi de l'impôt sur le revenu : paragraphes 224(1), (1.1), (4) et (4.1).

Loi sur les lettres de change : articles 1, 2, 22, 165 et 166.

Loi sur les banques : articles 409 à 413, 437, 461 et 462.

Law Society Rules (Règles du Barreau) de la Colombie‑Britannique : paragraphes 3‑48, 3‑51 et 3‑53 à 3‑57.

 

E.      Analyse et examen

 

[14]         La Cour doit décider si l'appelante est responsable suivant le paragraphe 224(4) de la Loi pour avoir omis de se conformer à la demande péremptoire délivrée en application du paragraphe 224(1) de la Loi. Elle doit se demander si l'appelante était tenue de faire un paiement au débiteur fiscal et si les fonds étaient payables à ce dernier. Il s'agit d'une question de droit fondée sur les faits présentés par les parties.

 

[15]         Selon le paragraphe 224(1) de la Loi, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de délivrer une demande péremptoire de paiement lorsque certaines conditions sont remplies. Dans l'arrêt National Trust Co. c. Canada[7], la Cour d'appel fédérale a mis ces conditions en relief :

 

34        Au paragraphe 224(1), le Parlement a conféré au ministre le pouvoir discrétionnaire de délivrer une demande péremptoire de paiement par écrit en application de ce paragraphe si les conditions suivantes se trouvent préalablement réunies :

 

a) le ministre sait ou soupçonne,

 

b) une personne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à un débiteur fiscal,

 

c) le montant doit être payable immédiatement ou dans le futur.

 

35        Si ces conditions sont remplies, le ministre peut exiger par écrit de la personne tenue de faire le paiement qu'elle le fasse au receveur général, au titre de l'obligation du débiteur fiscal en vertu de la Loi, immédiatement si les fonds sont alors payables, ou, dans les autres cas, au fur et à mesure qu'ils deviennent autrement payables au débiteur fiscal[8].

 

[16]         Il n'est pas allégué en l'espèce que la première condition afférente à la délivrance d'une demande péremptoire de paiement n'a pas été remplie[9].

 

[17]         Dans l'arrêt National Trust, précité, la Cour a également effectué une analyse en deux étapes pour vérifier si les conditions fixées au paragraphe 224(1) étaient réunies de manière à justifier une cotisation en application du paragraphe 224(4) :

 

39        Vu les circonstances, l'intimée est-elle « une personne tenue de faire un paiement » au débiteur fiscal au sens du paragraphe 224(1)? Deuxièmement, le produit du CPG était-il « payable » au débiteur fiscal immédiatement ou dans les 90 jours[10]?

 

[18]         Il faut donc se demander en premier lieu si l'appelante était tenue de faire un paiement à Me McLeod et, en second lieu, si les fonds étaient payables à Me McLeod pendant la période pertinente.

 

[19]         Comme l'a soutenu l'avocate de l'intimée, l'arrêt National Trust, précité, montre que les termes « tenue de faire un paiement » et « payables » ne sont pas mystérieux[11] :

 

46        Le sens ordinaire du mot « tenu » dans un contexte juridique est d'indiquer le fait qu'une personne est responsable en droit. Aussi, je partage l'opinion de madame le juge McLachlin, lorsque, dans l'arrêt Discovery Trust Company v. Abbott et al., un cas où une demande délivrée en vertu du paragraphe 224(1) a été signifiée à un fiduciaire, elle a dit que :

 

[TRADUCTION]

 

[...] la demande aux tierces parties [la demande péremptoire de paiement du paragraphe 224(1)] par laquelle la réclamation de la Couronne est faite en l'espèce n'est pas restreinte aux cas de relation débiteur-créancier, comme l'est une ordonnance de saisie‑arrêt; elle est rédigée de manière à s'appliquer à tout cas où le fiduciaire est « tenu de faire un paiement au contribuable ».

 

[non souligné dans l'original]

 

47        Je suis donc d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en restreignant l'application des termes « tenue de faire un paiement » aux seuls cas où une relation débiteur-créancier existe. En raisonnant de la sorte, il s'est empêché d'examiner la seule question pertinente devant être considérée dans l'interprétation de ce paragraphe. Il s'agit de la question suivante : l'intimée avait‑elle en droit la responsabilité de faire un paiement au débiteur fiscal le 1er février 1994?

 

[...]

 

61        J'aborde maintenant la question de savoir si le produit était « payable » au sens du paragraphe 224(1). J'estime que cette question est régie par l'arrêt DeConinck, précité, et par la décision rendue par la Cour dans l'arrêt Canada c. Yannelis, dans laquelle le juge Stone, s'exprimant au nom de la Cour, a affirmé, à la page 636 :

 

Le mot « payable » n'est pas un mot technique. Il n'est pas non plus défini dans le Règlement. Je ne vois pas qu'il a été utilisé dans un sens spécial. J'estime donc qu'il devrait être interprété à la lumière des définitions lexicographiques.

 

62        et à la page 638 :

 

Je suis parvenu à la conclusion que le mot « payable » figurant au sous‑alinéa 58(8)b)(i) [de la Loi sur l'assurance‑chômage] renvoie au moment où la paye de vacances est due à un prestataire en ce sens qu'il peut, par son contrat de travail et par la règle générale, se la faire payer et que son employeur est tenu de la verser. Autrement dit, elle est payable lorsqu'un demandeur est en mesure, sur le plan juridique, de faire exécuter le paiement.

 

[20]         Je crois que, même si en l'espèce ce sont des chèques qui ont été utilisés, cela ne signifie pas que ces termes devraient être analysés différemment dans le contexte de la Loi sur les lettres de change puisque, comme nous le verrons plus loin, l'analyse devrait s'arrêter avant même qu'il ne soit question du fait que ce sont des chèques qui ont été présentés à la banque. Le fait que la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt National Trust, précité, a renvoyé à une décision concernant l'assurance‑chômage pour interpréter le terme « payable » ne change rien puisque celui‑ci a été utilisé dans un contexte général et non dans le contexte de l'assurance‑chômage.

 

[21]         Je crois qu'en l'espèce il faut entreprendre l'analyse des questions soumises à la Cour par l'examen du second critère, puis passer à l'examen du premier critère.

 

[22]         En ce qui concerne le critère relatif au fait que la somme doit être « payable », les obligations en matière de dépôt rendent l'argent payable sur demande au débiteur fiscal puisque les fonds ont été déposés dans le compte en fiducie.

 

[23]         Le principe de la relation débiteur‑créancier liant la banque et son client a été énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt Foley v. Hill[12]. L'existence de cette relation oblige la banque à rembourser les fonds déposés lorsqu'on le lui demande. Comme ce principe respecte la common law à cet égard, il n'est donc pas nécessaire qu'il ait été prévu dans la Loi sur les banques pour s'appliquer.

 

[TRADUCTION]

 

Les fonds, lorsqu'ils sont remis à la banque, cessent complètement d'appartenir au mandant [...]; les fonds sont alors ceux du banquier, lequel est tenu, lorsqu'on le lui demande, de remettre l'équivalent en payant une somme égale à celle qui a été déposée à sa banque. [...] il n'est pas tenu de conserver les fonds ni de les traiter comme s'ils appartenaient au mandant, mais il doit évidemment rendre compte de la somme puisqu'il s'est engagé, en recevant ces fonds, à les rembourser au mandant au moment où on lui demandera une somme équivalente à celle qui lui a été confiée [...]. Puisqu'il est établi qu'il s'agit là des situations respectives du banquier et de son client, le banquier n'est pas un mandataire ni un commissionnaire, mais un débiteur. [...][13]

 

[24]         De plus, je signale que l'avocat de l'appelante a reconnu que, si une personne dépose de l'argent à la banque, cette dernière est tenue de remettre une somme équivalente si la personne en demande le remboursement[14]. L'avocat de l'appelante a toutefois soutenu qu'aucune demande de remboursement n'a été faite en l'espèce, et qu'il s'agissait plutôt du paiement de frais juridiques. Rien dans la preuve ne permet d'étayer cet argument.

 

[25]         Dans la décision 3087‑8847 Québec inc. c. Canada[15], le juge Lamarre de la Cour canadienne de l'impôt a estimé que, dans le cas d'une relation débiteur‑créancier, il est inutile de demander le paiement pour satisfaire aux exigences fixées au paragraphe 224(1) :

 

40        [...] Il faut donc en déduire que, dans le cas d'une relation créancier‑débiteur, une telle disposition expresse n'est pas nécessaire pour que le paragraphe 224(1) s'applique. Dans la mesure où le débiteur fiscal est également le créancier à l'égard d'un prêt d'actionnaire payable sur demande, il n'est pas nécessaire que le débiteur fiscal ait formellement demandé le paiement dudit prêt pour que son débiteur soit tenu de faire un paiement en vertu du paragraphe 224(1).

 

[26]         Il s'ensuit donc que la responsabilité liée au paiement ne découle pas de la Loi sur les lettres de change, mais bien de la relation débiteur‑créancier qui existe entre la banque et le titulaire du compte.

 

[27]         Par rapport à l'appelante, c'est Me McLeod qui était propriétaire des fonds se trouvant dans le compte en fiducie, peu importe le fait qu'il avait terminé son travail pour ses clients, puisque la banque n'est pas tenue d'exercer une surveillance à l'égard de la fiducie.

 

[28]         Dans la présente affaire, une seule autre exigence devait être remplie : il fallait que la banque soit tenue de faire un paiement à Me McLeod, et c'est ce qui s'est produit lorsqu'une personne, que l'on peut supposer être Me McLeod, a présenté les chèques à la banque.

 

[29]         L'avocate de l'intimée a formulé l'hypothèse selon laquelle les chèques en cause visaient le paiement de frais juridiques, et l'appelante n'a produit aucun élément de preuve à l'effet contraire[16]. De même, rien dans la preuve ne montre que les fonds ont servi à autre chose qu'à rembourser Me McLeod. L'appelante n'a pas appelé ce dernier à témoigner. Rien ne permet de croire que l'argent a été utilisé pour des débours relatifs aux clients. Au contraire, toutes les dépenses réglées au moyen du compte conjoint semblent davantage s'apparenter à des dépenses d'ordre personnel. Parallèlement, aucun élément de preuve n'a été présenté pour établir s'il s'agissait de dépenses engagées par Me McLeod ou par M. Maier.

 

[30]         Cependant, je conclus qu'il n'est pas nécessaire, lors de l'analyse juridique, de s'intéresser au fait que les fonds ont été transférés du compte en fiducie au compte conjoint, et qu'il doit être mis fin à l'examen dès lors qu'une demande de paiement en faveur de Me McLeod a été faite à l'égard du compte en fiducie. Il n'y a pas lieu d'étendre l'analyse à la façon dont l'argent a été utilisé par la suite. En outre, les fonds n'étaient pas censés servir à autre chose qu'à être versés au receveur général conformément aux demandes péremptoires de paiement. À ce moment, la banque aurait dû se conformer à la demande péremptoire.

 

[31]         Je crois que l'avocat de l'appelante avait raison lorsqu'il a affirmé que la préparation d'un chèque ne constitue pas en soi un retrait, mais seulement l'établissement d'un effet de commerce[17]. Il n'en demeure pas moins qu'un chèque est un effet de commerce au moyen duquel le tireur ordonne au tiré de payer conformément à ce document. Dès que le chèque est présenté à la banque, la situation change. Nous ne devons pas seulement considérer Me McLeod comme le bénéficiaire du chèque, mais également comme le tireur de celui‑ci. À titre de titulaire du compte, Me McLeod était en mesure d'exiger le paiement en raison de l'existence de la relation débiteur‑créancier; à l'aide du chèque, il exigeait le remboursement d'une partie d'un dépôt antérieur. Je souligne de nouveau que je ne suis saisi d'aucun élément de preuve établissant que Me McLeod n'était pas la personne qui a présenté les chèques à la banque.

 

[32]         L'avocat de l'appelante a laissé entendre qu'il existait une certaine forme de société de personnes visant le compte en fiducie. Cependant, je conviens avec l'avocate de l'intimée qu'il n'y a pas d'élément de preuve suffisant à cet égard[18].

 

[33]         J'arrive en outre à la conclusion que le fait que Me McLeod n'a jamais personnellement reçu les fonds est dénué de pertinence puisqu'il s'agit plutôt de déterminer si l'appelante était tenue de lui faire un paiement. Le fait que l'appelante n'a jamais remis l'argent à Me McLeod ne peut revêtir une importance que si les autres exigences sont remplies, comme la preuve du défaut de l'appelante de se conformer aux demandes péremptoires conformément au paragraphe 224(1). La personne qui reçoit une demande péremptoire n'est pas censée payer le débiteur fiscal ou un tiers. Elle doit uniquement payer le receveur général dès qu'elle est « tenue de payer » la somme en cause au débiteur fiscal. Le fait que l'argent a été déposé au compte conjoint n'est pertinent que pour étayer la responsabilité qui incombe à l'appelante aux termes du paragraphe 224(4), puisqu'il montre que l'appelante a omis de remettre les fonds au receveur général.

 

[34]         Dans la décision Banque de Montréal c. Canada[19], ce n'est pas le débiteur fiscal qui avait présenté le chèque pour paiement, mais son épouse. Or, je ne suis saisi en l'espèce d'aucun élément de preuve sur ce point. Dans l'affaire Banque de Montréal, précitée, le chèque avait apparemment été endossé par l'épouse, qui a retiré les fonds. En d'autres termes, l'argent était payable à l'épouse du débiteur fiscal.

 

[35]         L'avocat de l'appelante a passé un certain temps à soutenir que les fonds déposés dans le compte en fiducie n'appartenaient ni à la banque, ni à Me McLeod, mais plutôt aux clients de ce dernier[20]. Si les fonds n'étaient pas considérés comme appartenant à Me McLeod, pourquoi la banque aurait‑elle communiqué avec lui et lui aurait‑elle demandé des instructions sur ce qu'il souhaitait faire du solde du compte lorsqu'on a voulu fermer celui‑ci[21]?

 

[36]         Il importe de signaler que la demande péremptoire a été signifiée à l'appelante, non aux clients de Me McLeod.

 

[37]         La Law Society of British Columbia a publié les Law Society Rules. Il s'agit des règles qui régissent l'exercice du droit en Colombie‑Britannique. L'alinéa 3‑56(1.3) de ces règles prévoit le retrait, par chèque, de fonds du compte en fiducie d'un avocat. L'alinéa 3‑56(3) précise expressément que ce retrait de fonds d'un compte en fiducie pour le paiement d'honoraires doit être fait au moyen d'un chèque payable au compte général de l'avocat. L'avocat qui ne suit pas ces règles est responsable envers le barreau de cette province de son défaut de respecter les règles. Toutefois, celles‑ci n'ont aucune incidence au regard de l'appelante. Me McLeod aurait pu fermer le compte et retirer la totalité des fonds ou les transférer dans un autre compte, et l'appelante n'aurait rien pu y faire. L'appelante n'avait pas l'obligation, avant de libérer les fonds du compte, de communiquer avec les clients pour vérifier si cette mesure posait un problème. L'accès au compte ne faisait l'objet d'aucune restriction, et l'appelante n'était pas tenue de surveiller la façon dont le compte en fiducie était utilisé, comme le dispose le paragraphe 437(3) de la Loi sur les banques. Si Me McLeod a retiré des fonds en contravention des Law Society Rules, la banque n'était pas tenue d'en rendre compte. Ce principe a été mis en lumière dans la décision Banque de Montréal, précitée :

 

À mon avis, on ne me demande pas de déterminer si Me Henry D. Morgan a contrevenu aux règlements applicables à la Société du barreau en endossant en blanc les chèques tirés sur son compte en fiducie et en transférant ces chèques à Mme Lynn Morgan. On ne me demande pas non plus de me prononcer sur les actes accomplis par la banque en négociant ces deux chèques ni sur le caractère approprié de ces actes.

 

[38]         Que le compte bancaire ait été un compte en fiducie ne change rien au fait que l'appelante avait une relation contractuelle ainsi qu'une relation débiteur‑créancier avec Me McLeod. La banque devait toujours les fonds au titulaire du compte, Me McLeod[22]. Il s'agissait toujours d'une relation directe.

 

[39]         Il paraît établi en droit que les banques n'ont aucune obligation envers le bénéficiaire d'un chèque[23]. Il reste qu'un chèque est un effet de commerce tiré sur une banque et payable sur demande[24]. Le chèque est la forme, c'est‑à‑dire l'effet de commerce utilisé pour demander le paiement d'une dette. L'alinéa 166(1)a) de la Loi sur les lettres de change envisage la possibilité que le tireur d'un chèque puisse faire payer le chèque.

 

[40]         Les droits de Me McLeod en sa qualité de tireur ont été définis dans l'entente relative au compte commercial. L'avocate de l'intimée a reconnu que cette entente a eu pour effet de modifier l'obligation en common law en ce qui concerne l'effet de commerce, mais pas de modifier l'obligation en common law de la banque de rembourser les dépôts. Par le contrat, les parties se sont uniquement écartées de la common law en ce qui touche les obligations qu'a la banque envers ses clients relativement aux chèques tirés sur un compte en prévoyant que ces obligations sont facultatives[25].

 

[41]         La décision Banque de Montréal, précitée, se distingue de la présente affaire en ce que je ne suis saisi d'aucun élément de preuve quant à la personne qui a présenté les chèques à la banque et que ceux‑ci n'étaient pas endossés par une personne autre que le contribuable. Comme l'a affirmé l'avocate de l'intimée, Me McLeod était toujours le porteur des chèques[26].

 

[42]         La question de savoir quelle entité est la banque chargée de l'encaissement ne devrait pas non plus soulever de difficultés. Si un chèque a d'abord été porté au crédit d'un compte détenu dans une autre banque (dans l'hypothèse où le chèque n'était pas endossé par une personne autre que le débiteur fiscal), il devra encore faire l'objet d'un refus de paiement parce que l'autre banque (la banque tirée) devra refuser de remettre l'argent en raison des demandes péremptoires. Le bénéficiaire du chèque n'aura aucun recours contre cette autre banque lorsqu'elle procédera ultérieurement à l'annulation du crédit qu'elle avait antérieurement porté au compte. Que le chèque soit présenté à une autre banque ne change rien au fait que la banque du tireur demeure visée par une demande péremptoire et qu'elle devra remettre les fonds au receveur général.

 

[43]         Il convient de signaler que l'argument avancé dans la décision Majoca inc. c. La Reine[27] quant à l'application, à titre subsidiaire, du paragraphe 224(1.1) ne peut être invoqué en l'espèce. En effet, la case pertinente à cet égard n'a pas été marquée d'un « X » ni par ailleurs cochée sur aucun des formulaires de demande péremptoire.

 

[44]         Autre aspect important, l'alinéa 437(2)a) de la Loi sur les banques dispose qu'une banque ne peut payer le principal d'un dépôt si l'argent déposé est réclamé par une autre personne dans une procédure à laquelle la banque est partie et à l'égard de laquelle un acte introductif d'instance lui a été signifié. Il semble qu'une demande péremptoire constitue une telle procédure.

 

[45]         L'article 461 de la Loi sur les banques traite de la « succursale de tenue du compte ». Selon le paragraphe 461(2), « la dette de la banque résultant du dépôt effectué à un compte de dépôt est payable à la personne qui y a droit, uniquement à la succursale de tenue du compte ». Une telle mesure n'est pas prévue pour les fonds déposés à d'autres endroits, vraisemblablement parce que ces fonds sont déjà considérés comme payables en common law.

 

[46]         J'arrive à la conclusion que l'appel doit être rejeté parce que l'appelante aurait dû payer certaines sommes au receveur général conformément au libellé précis des demandes péremptoires de paiement.

 

[47]         L'appel est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 29jour d'août 2008.

 

 

« L. M. Little »

Le juge Little

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 482

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-2572(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Hypothèques Trustco Canada et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 7 et 8 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge L.M. Little

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 29 août 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

MThomas Sutton et MHeather Meredith

Avocate de l'intimée :

MJoanna Hill

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Nom :           MThomas Sutton et

                                       MHeather Meredith

 

          Cabinet :                McCarthy Tétrault LLP

                                       Toronto (Ontario)

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 

 

 



[1] Voir le paragraphe 10 du mémoire ainsi que les pages 242 et 243 de la transcription.

 

[2] Paragraphe 1 de la réponse à l'avis d'appel modifié une deuxième fois.

 

[3] Page 35 de la transcription.

 

[4] Mémoire, au paragraphe 14, et avis d'appel modifié une deuxième fois, au paragraphe 15. Nié au paragraphe 2 de la réponse à l'avis d'appel modifié une deuxième fois. Questions 55, 56 et 97, interrogatoire préalable de M. Gill, et pages 12 à 16 de la transcription.

 

[5] Mémoire, au paragraphe 14. Questions 55 à 57, interrogatoire préalable de M. Gill, et pages 12 à 16 de la transcription.

 

[6] Page 17 de la transcription.

 

[7] [1998] A.C.F. no 968, [1998] F.C.J. No 968, 162 D.L.R. (4th) 704, 229 N.R. 3, 19 C.C.P.B. 204, [1998] 4 C.T.C. 26, 98 D.T.C. 6409, 81 A.C.W.S. (3d) 384 [« National Trust »].

 

[8] Ibid.

 

[9] Voir la page 245 de la transcription.

 

[10] La Loi a été modifiée en 1994 et elle prévoit maintenant un délai d'un an.

 

[11] Page 232 de la transcription.

 

[12] (1848), 9 E.R. 1002.

 

[13] Ibid., pages 35 à 37.

 

[14] Voir la page 312 de la transcription.

 

[15] [2007] A.C.F. no 203, 2007 D.T.C. 1064.

 

[16] Page 196 de la transcription.

 

[17] Voir la page 116 de la transcription.

 

[18] Pages 35, 36, 79, et 99 à 105 de la transcription.

 

[19] [1991] A.C.I. no 930, [1991] T.C.J. No. 930, 92 D.T.C. 1133 [« Banque de Montréal »].

 

[20] Pages 37 et 128 de la transcription.

 

[21] Page 288 de la transcription.

 

[22] Voir les pages 142 et 143 de la transcription, où l'appelante reconnaît qu'il s'agit de la relation existant lorsque le compte n'est pas un compte en fiducie.

 

[23] Schroeder and another v. The Central Bank of London (1876), 24 L.T. 734 (C.P. Div.), page 736; Thomson v. Merchants Bank of Canada (1919), 58 S.C.R. 287, page 298; Re Schimnowski Estate, [1996] 6 W.W.R. 194 (C.A. Man.), paragraphes 17 à 19. Même l'intimée a reconnu ce fait, voir la page 284 de la transcription.

 

[24] Voir le paragraphe 165(1) de la Loi sur les lettres de change.

 

[25] Pages 193 et 263 de la transcription.

 

[26] Page 283 de la transcription.

 

[27] 1997 CarswellNat 2612, 98 D.T.C. 1130, [1998] 2 C.T.C. 3095, 1997 CarswellNat 1587.

 

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