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Référence : 2009 CCI 214

Date : 20090617

Dossier : 2008-1488(IT)I

ENTRE :

HAROLD CILEVITZ,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Angers

 

          Les présents motifs du jugement modifiés remplacent les motifs du jugement datés du 26 mai 2009.

 

[1]              Harold Cilevitz a interjeté appel de la cotisation établie à son égard pour l’année d’imposition 2004 en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2004, l’appelant a demandé la déduction d’une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise (la « PDTPE »). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a soutenu que l’appelant n’a pas droit à cette déduction parce que la perte en cause n’est pas visée par l’alinéa 39(1)c) de la Loi, car l’appelant n’a pas établi qu’il avait subi une perte en capital au sens de l’alinéa 39(1)b) de la Loi pendant l’année d’imposition 2004.

 

[2]              En 1999, l’appelant a rencontré un certain Haygo Demirion à un salon commercial sur les bijoux. Ensemble, ils ont décidé de lancer une entreprise d’importation de certaines marques de montres pour les revendre au Canada. L’appelant et M. Demirion ont constitué une société en personne morale (1403762 Ontario Ltd.) et ont commencé à exploiter leur entreprise sous la dénomination commerciale de D.G.I (ci‑après « D.G.I. »). Ils détenaient chacun cinquante pour cent des actions de D.G.I. Ils ont aussi ouvert un compte bancaire pour celle‑ci.

 

[3]              Le 18 avril 2000, l’appelant a versé une avance de 25 000 $ à D.G.I. au moyen d’un chèque fait à l’ordre de cette dernière. Le 11 août 2000, l’appelant a versé une avance de 1 000 $ à D.G.I., toujours au moyen d’un chèque fait à l’ordre de celle‑ci. De plus, l’appelant a témoigné avoir versé des avances en espèces totalisant 6 000 $ à D.G.I., mais il a dit à la Cour qu’il n’avait pas demandé la déduction de cette somme‑là à titre de PDTPE. Ainsi, la PTDPE dont l’appelant a demandé la déduction pour l’année d’imposition 2004 ne s’élève qu’à 13 000 $, c’est‑à‑dire la moitié de sa perte au titre d’un placement d’entreprise de 26 000 $ pour cette année‑là.

 

[4]              Aucun contrat de prêt écrit n’avait été fait entre l’appelant et D.G.I. au sujet des avances, et aucun accord n’avait été conclu quant aux intérêts. L’appelant a affirmé qu’un accord oral avait été conclu, et que cet accord stipulait simplement que les avances seraient remboursées à l’appelant, avec intérêts, lorsque D.G.I. serait devenue rentable. Peu après, l’appelant a commencé à être mal à l’aise à l’égard de son nouvel associé, et il a fini par quitter D.G.I. en 2001, neuf mois après, et transférer ses actions à M. Demirion. À ce moment‑là, l’appelant a appris de M. Demirion que le neveu de ce dernier allait se joindre à D.G.I.

 

[5]              Pendant les deux années qui ont suivi le départ de l’appelant de D.G.I., il a tenté à plusieurs reprises de recouvrer les avances qu’il avait versées. Il rencontrait M. Demirion de temps en temps et ils discutaient du remboursement des avances faites par l’appelant, mais ces discussions n’ont donné aucun résultat. L’appelant savait que D.G.I. n’était pas rentable, et il a appris que M. Demirion avait quitté le Canada pour les États-Unis en 2002. Pour tenter de recouvrer ses avances, l’appelant a parlé à l’aide‑comptable et au comptable de M. Demirion, qui lui ont dit que le compte bancaire de D.G.I. était vide. L’appelant a aussi consulté un avocat, et ce dernier lui a expliqué qu’il lui aurait fallu dépenser entre 5 000 $ et 10 000 $ pour prendre des mesures légales de recouvrement. Comme l’appelant savait que le compte bancaire de D.G.I. était à sec, il a choisi de ne pas prendre de mesures légales. De plus, l’appelant soupçonnait que D.G.I. n’avait jamais réellement exploité d’entreprise, parce que les marques de montres qui devaient être importées n’avaient pas été vendues au Canada et que le neveu de M. Demirion ne s’était jamais joint à D.G.I.

 

[6]              C’est en 2004 que l’appelant a conclu que ses avances ne seraient jamais remboursées et qu’il a demandé la déduction d’une perte d’entreprise. Les dossiers de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») indiquent que D.G.I. (la société à numéro) avait été constituée en personne morale, mais qu’aucun formulaire T2 et aucun état financier n’avait été produit auprès de l’ARC.

 

[7]              Dans une lettre datée du 11 décembre 2007 qu’il a envoyée à l’ARC, M. Demirion a confirmé qu’aucune contrepartie n’avait été payée ou n’allait être payée pour les actions de l’appelant qui lui avaient été transférées. Dans le passage suivant, tiré du paragraphe 2 de cette lettre, M. Demirion s’est exprimé au sujet des avances versées à D.G.I. par l’appelant :

 

[TRADUCTION]

 

2.   Les deux parties ont convenu que le prêt d’environ 32 000 $ consenti par l’actionnaire n’a pas été remboursé et ne le sera jamais. Lorsque l’actionnaire a consenti le prêt à la société, un accord oral a été conclu selon lequel le prêt allait être remboursé quand la société serait devenue rentable. Quand Harold Cilevitz a vendu et transféré ses actions à Haygo Demirion, le remboursement du prêt de l’actionnaire a fait l’objet de discussion, et les parties ont convenu que le prêt n’allait pas être remboursé.

 

[8]              Pour pouvoir déduire une perte au titre d’un placement d’entreprise, l’appelant doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait une créance, que la créance avait été engagée en vue de produire un revenu, que D.G.I. était une société exploitant une petite entreprise admissible en 2004 et que la créance est devenue irrécouvrable en 2004.

 

[9]              Les éléments de preuve présentés par l’appelant sont suffisants pour que je puisse conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant a versé à D.G.I. des avances totalisant la valeur nominale des deux chèques en cause, c’est‑à‑dire 26 000 $. La date et le mode de remboursement des avances, de même que le paiement d’intérêts, n’avaient pas fait l’objet d’un accord. Il est vrai que l’appelant s’attendait à ce que les avances lui soient remboursées, mais, comme son ancien associé a affirmé que les avances devaient seulement être remboursées lorsque D.G.I. serait devenue rentable, le moment de ce remboursement était très incertain. Ces incertitudes font en sorte qu’il m’est difficile de conclure qu’une créance existait au moment du paiement des avances, et ce, même si l’appelant a versé des avances.

 

[10]         Le même problème se pose pour la deuxième question, celle de savoir si l’appelant a fait les avances en vue de produire un revenu. Aucun taux d’intérêt n’avait été fixé. Le seul revenu que l’appelant aurait pu avoir venait de son droit au dividende.

 

[11]         L’autre problème de l’appelant est qu’il n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que D.G.I. était une société exploitant une petite entreprise au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. Ce terme est ainsi défini à cette disposition :

 

« société exploitant une petite entreprise » Sous réserve du paragraphe 110.6(15), société privée sous contrôle canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d’actif est attribuable, à un moment donné, à des éléments qui sont :

 

            a) soit utilisés principalement dans une entreprise que la société ou une société qui lui est liée exploite activement principalement au Canada;

 

            b) soit constitués d’actions du capital-actions ou de dettes d’une ou de plusieurs sociétés exploitant une petite entreprise rattachées à la société au moment donné, au sens du paragraphe 186(4) selon l’hypothèse que les sociétés exploitant une petite entreprise sont, à ce moment, des sociétés payantes au sens de ce paragraphe;

 

            c) soit visés aux alinéas a) et b).

 

Pour l’application de l’alinéa 39(1)c), est une société exploitant une petite entreprise la société qui était une telle société à un moment de la période de douze mois précédant le moment donné; par ailleurs, pour l’application de la présente définition, la juste valeur marchande d’un compte de stabilisation du revenu net est réputée nulle.

 

[12]         Le paragraphe 125(7) de la Loi définit de la façon suivante l’entreprise exploitée activement et la société privée sous contrôle canadien :

 

125(7) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« entreprise exploitée activement » Toute entreprise exploitée par une société, autre qu’une entreprise de placement déterminée ou une entreprise de prestation de services personnels mais y compris un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.

 

« société privée sous contrôle canadien » Société privée qui est une société canadienne, à l’exception des sociétés suivantes :

 

            a) la société contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par une ou plusieurs personnes non‑résidentes, par une ou plusieurs sociétés publiques (sauf une société à capital de risque visée par règlement), par une ou plusieurs sociétés visées à l’alinéa c) ou par une combinaison de ces personnes ou sociétés;

 

            b) si chaque action du capital‑actions d’une société appartenant à une personne non‑résidente, à une société publique (sauf une société à capital de risque visée par règlement) ou à une société visée à l’alinéa c) appartenait à une personne donnée, la société qui serait contrôlée par cette dernière;

 

            c) la société dont une catégorie d’actions du capital‑actions est cotée à une bourse de valeurs visée par règlement;

 

            […]

 

[13]         La société à numéro (D.G.I.) reste bien mystérieuse. On sait qu’elle a été constituée en personne morale en vue d’importer certaines marques de montre pour les revendre au Canada, et que l’appelant et M. Demirion étaient actionnaires à parts égales. Par contre, on ne sait rien de l’historique commercial ou de l’évolution de l’entreprise, ni même si elle a jamais été véritablement active. D.G.I. n’a produit aucune déclaration de revenus et aucun état financier. La preuve donne à penser qu’aucune des montres qui devaient être importées n’a été revendue au Canada. De plus, rien dans la preuve ne démontre que l’entreprise était active ou qu’elle était contrôlée par les personnes résidentes.

 

[14]         Ces conclusions sont suffisantes pour disposer de l’appel. Pour la question de savoir si, compte tenu des circonstances, l’appelant a pris des mesures raisonnables pour récupérer les avances qu’il avait versées, la preuve démontre qu’il s’est informé de la capacité de payer de D.G.I. et de ses chances de récupérer les avances. Comme prendre des mesures légales aurait été coûteux et que les chances de récupérer son argent étaient faibles, l’appelant a conclu qu’il aurait été futile de prendre des mesures de recouvrement. Compte tenu des circonstances, l’appelant a peut‑être agi raisonnablement en déclarant que sa créance était irrécouvrable. Cependant, on peut remettre en cause la décision de l’appelant de déclarer que sa créance était devenue irrécouvrable en 2004, car, selon la lettre de M. Demirion, il avait été convenu dès 2001 que les avances de l’appelant n’allaient pas lui être remboursées.

 

[15]         En l’espèce, la preuve présentée n’est pas suffisante pour que j’accorde la déduction de PDTPE demandée. L’appel est donc rejeté.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de juin 2009.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juillet 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 214

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2008-1488(IT)I

 

INTITULÉ :

Harold Cilevitz et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 mai 2009

 

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS :

Le 17 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocate de l’intimée :

Me Mahvish Mian

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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