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Dossier : 2010-2251(IT)I

 

ENTRE :

GARY RICHARD,

appelant,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 25 novembre 2010, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Jill Chisholm

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation de 9 011,78 $ que le ministre du Revenu national a établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2011.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’avril 2011.

 

Marie-Christine Gervais


 

 

 

Référence : 2011 CCI 136

Date : 20110303

Dossier : 2010-2251(IT)I

 

ENTRE :

 

GARY RICHARD,

appelant,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]     Il s’agit d’un appel d’une cotisation de 9 011,78 $ que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

 

Le paragraphe 160(1) de la LIR est libellé ainsi :

 

160. (1) Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

                 a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

 

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

 

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[2]     Pour déterminer l’obligation fiscale de l’appelant, le ministre s’est fondé sur les faits énoncés au paragraphe 6 de la réponse à l’avis d’appel (la « réponse »), lequel est reproduit ci‑dessous :

 

[traduction]

 

a)         pendant la période pertinente, l’appelant était le conjoint de fait de Brenda Boates Rock (« Brenda »);

 

b)         pendant la période pertinente, il existait un lien de dépendance entre l’appelant et Brenda;

c)         Mildred Dinsdale (« Mildred ») était la tante de Brenda;

 

d)         Mildred est décédée le 6 janvier 2003;

 

e)         la disposition des biens de la succession de Mildred (la « succession ») était régie par un testament;

 

f)          au moment de son décès, Mildred possédait une propriété sise au 20, avenue Patillo, à Truro (Nouvelle-Écosse) (la « propriété »);

 

g)         aux termes du testament, Brenda pouvait à son gré acheter, en versant 75 000 $, la propriété de la succession;

 

h)         Brenda a exercé le choix qu’elle avait d’acheter la propriété;

 

i)          la succession a transféré la propriété à Brenda en vertu d’un acte formaliste bilatéral daté du 21 février 2003;

 

j)          l’appelant a remis un montant de 75 000 $ à Brenda pour lui permettre d’acheter la propriété;

 

k)         Brenda a transféré la propriété à l’appelant le 14 mars 2003 moyennant le versement d’un montant d’un dollar;

 

1)         la juste valeur marchande de la propriété, au moment où elle a été transférée à l’appelant, le 14 mars 2003, s’élevait à au moins 171 000 $;

 

m)        le total des montants dont Brenda était redevable en vertu de la Loi au cours de l’année d’imposition 2001 ou pour l’année d’imposition 2001 s’élevait à au moins 9 011,78 $ au 7 novembre 2008.

 

[3]     Au début de l’audience, l’appelant a admis tous les faits susmentionnés, sauf celui qui est énoncé à l’alinéa 6j), l’appelant ayant déclaré avoir versé le montant de 75 000 $ directement à la succession.

 

[4]     L’appelant ne conteste pas que le transfert de la propriété a été effectué par la succession en faveur de sa conjointe et de sa conjointe en sa faveur afin de respecter le testament de la testatrice.

 

[5]     Dans son avis d’appel, l’appelant a soutenu que ce qu’il en coûtait pour exercer le choix en question avait été fixé par un tiers et qu’aucune analyse de la juste valeur marchande n’était nécessaire. Lors de l’audience, l’appelant n’a pas produit de preuve en vue de contester la juste valeur marchande de la propriété, telle qu’elle avait été estimée par le ministre. Au contraire, il a admis le paragraphe 6(1) de la réponse, selon lequel cette valeur était établie à 171 000 $. 

 

[6]     Dans son avis d’appel, l’appelant a également déclaré que sa conjointe n’avait pas d’impôts à payer au moment du transfert et qu’il ne devrait pas avoir à payer les pénalités dont sa conjointe avait fait l’objet. Au cours de l’audience, l’appelant a également contesté tous les intérêts censément courus sur la dette fiscale de sa conjointe après la date du transfert.

 

[7]     En ce qui concerne l’impôt dû par la conjointe de l’appelant, l’intimée a produit un état de compte qui avait été envoyé à cette dernière, indiquant le montant de l’impôt que celle-ci devait payer pour son année d’imposition 2001, lequel était encore dû au 6 octobre 2005. Ce montant de 7 019,27 $ était constitué des montants mentionnés dans l’état de compte produit sous la cote R‑1, onglet 8, et à l’annexe A des observations écrites de l’intimée, déposées auprès de la Cour le 15 décembre 2010 :

 

Solde impayé des frais juridiques aux fins de la certification par la Cour fédérale d’une dette fiscale relative aux années d’imposition 1999 et 2000

 

 

41,07 $

Cotisation (2001)

Impôt provincial

 

1 403,44 $

Impôt fédéral

2 269,65 $

Pénalité de production tardive répétée

1 836,55 $

Arriéré des intérêts exigés

1 468,56 $

 

 

Total

7 019,27 $

 

 

[8]     L’appelant a fait l’objet d’une cotisation le 7 novembre 2008. À ce moment‑là, les intérêts sur le montant dû par sa conjointe s’élevaient à 3 461,07 $ (comme le montre l’annexe A jointe aux observations écrites de l’intimée), ce qui veut dire qu’à compter du 6 octobre 2005 et jusqu’à la date de la cotisation établie à l’égard de l’appelant, des intérêts additionnels de 1 992,51 $ s’étaient accumulés, lesquels, si on les ajoute au montant total de 7 019,27 $, qui était dû le 6 octobre 2005, donne le montant global de 9 011,78 $ établi à l’égard de l’appelant.

 

[9]     Dans les observations écrites qu’il a déposées devant la Cour le 29 décembre 2010, l’appelant a allégué que le solde existant de 41,07 $ susmentionné, de 41,07 $, avait été payé au mois de mars 2004. Cela ne figure pas dans l’état de compte joint à ses observations, lequel montre clairement un solde impayé de 41,07 $, une fois crédité le paiement de 23 951,78 $ le 17 mars 2004. Par conséquent, l’appelant ne peut pas soutenir que l’intimée réclame ce montant à deux reprises.

 

[10]L’appelant a en outre soutenu que le montant des intérêts courus après qu’il eut personnellement fait l’objet d’une cotisation portait à 9 986,90 $ le montant global qui était dû le 8 novembre 2010, selon le même document qui était joint à ses observations. Toutefois, ce document est l’état de compte de la conjointe à cette date et n’influe pas sur la cotisation de l’appelant ici en cause, par laquelle le montant est établi à 9 011,78 $.

 

[11]L’appelant a également soutenu qu’il n’est pas redevable de la pénalité pour production tardive répétée étant donné qu’il a uniquement fait l’objet d’une cotisation le 6 octobre 2005, soit après la date du transfert de la propriété en sa faveur. L’état de compte de la conjointe de l’appelant qui a été produit sous la cote R‑1, onglet 8, montre clairement que cette pénalité s’applique à l’année d’imposition 2001, soit avant la date du transfert.

 

[12]Ce qui est encore plus important, c’est que l’appelant a soutenu devant la Cour, quoique cet argument n’ait pas été invoqué dans l’avis d’appel, qu’il n’est pas redevable, en vertu de l’article 160 de la LIR, des intérêts établis ou des intérêts courus après la date du transfert. À l’appui de cet argument, l’appelant a invoqué la décision que la présente cour a rendue dans Currie c. M.R.N., 2008 CCI 338, que le juge Rossiter (tel était alors son titre) a entendue sous le régime de la procédure informelle et dans laquelle la décision que le juge Dussault avait rendue oralement dans Algoa Trust v. R., [1998] 4 C.T.C. 2011, a été interprétée. L’appelant, qui était lui-même avocat, n’avait pas ces décisions devant lui à l’audience. Étant donné que tous ont été pris par surprise, j’ai brièvement suspendu l’audience pour trouver moi-même ces décisions. À première vue, la décision rendue dans l’affaire Currie semblait étayer l’argument de l’appelant, mais j’ai demandé à l’avocate de l’intimée d’appeler un représentant de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») pour qu’il donne des explications au sujet de la cotisation de l’appelant, de façon qu’il soit possible de déterminer le montant des intérêts courus après la date du transfert. Étant donné la confusion générale qui régnait, j’ai décidé d’ajourner l’audience afin de donner à l’intimée la possibilité d’expliquer en détail la cotisation, et en particulier le montant des intérêts courus après l’année du transfert. À ce moment‑là, l’avocate de l’intimée m’a demandé la permission de soumettre des observations écrites sur ce point particulier, permission que j’ai accordée. J’ai également informé l’appelant qu’il aurait la possibilité de répondre. Contrairement à ce que l’appelant allègue dans une lettre produite le 16 décembre 2010 en réponse aux observations écrites de l’intimée, je n’ai jamais rendu de décision à l’audience. J’ai informé l’appelant qu’il avait peut-être raison, mais j’ai reporté ma décision à plus tard, en attendant de recevoir les observations des deux parties sur ce point particulier. La Cour a reçu les observations de l’intimée le 15 décembre 2010 et celles de l’appelant le 29 décembre 2010. L’intimée a répondu le 12 janvier 2011.

 

[13]Maintenant que j’ai tous les documents entre les mains, je suis en mesure de faire connaître ma décision. Il est vrai que dans la décision Currie, précitée, le juge Rossiter a conclu que le bénéficiaire d’un transfert ne peut pas faire l’objet, après l’année du transfert, d’une cotisation au titre des intérêts courus sur la dette de l’auteur du transfert. Le juge McArthur semble avoir suivi cette décision dans un jugement modifiant le jugement qu’il avait antérieurement rendu oralement dans Provost c. La Reine, 2009 CCI 585 (toutefois, la décision Provost ne montre pas clairement si les intérêts annulés se rapportaient à la cotisation établie en vertu de l’article 160 ou s’il s’agissait d’intérêts courus sur la dette de l’auteur du transfert après l’année du transfert). Comme l’appelant l’allègue, il est également vrai qu’il existe un projet de modification du sous-alinéa 160(1)e)(ii) de la LIR, en date du 16 juillet 2010, lequel n’a pas encore été adopté. Je reproduis ci-dessous le sous‑alinéa 160(1)e)(i) , tel qu’il existe à l’heure actuelle, suivi du projet de modification (tel qu’il figure dans Carswell, TaxnetPro) :

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

Projet de modification – fin du sous-alinéa 160(1)e)(ii) et du paragraphe 160(1)

(ii)  le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi (notamment un montant ayant ou non fait l’objet d’une cotisation en application du paragraphe (2) qu’il doit payer en vertu du présent article) au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

 

Toutefois, le présent paragraphe n’a pas pour effet de limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi ni celle du bénéficiaire du transfert quant aux intérêts dont il est redevable en vertu de la présente loi sur une cotisation établie à l’égard du montant qu’il doit payer par l’effet du présent paragraphe.

 

[traduction]

 

Application : Le passage suivant le sous-alinéa 160(1)e)ii) sera remplacé par le paragraphe 114(1) du projet de loi du 16 juillet 2010 (Partie 1 – modifications techniques), de façon qu’il soit libellé tel qu’il est prévu ci‑dessous, et cette modification s’appliquera aux cotisations établies après le 20 décembre 2002.

 

Notes explicatives (juillet 2010) : Le montant dont un contribuable est redevable au titre d’un transfert de bien effectué par un débiteur fiscal avec lequel il a un lien de dépendance est déterminé selon le paragraphe 160(1) de la Loi. Le ministre du Revenu national peut établir, à l’égard du contribuable, une cotisation relative à ce montant en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi. L’alinéa 160(1)e) est modifié, pour ce qui est des cotisations établies après le 20 décembre 2002, de façon à préciser que des intérêts peuvent être calculés sur le montant de la cotisation établie à l’égard du contribuable, et que les intérêts dont le contribuable peut être redevable ne sont limités d’aucune façon.

 

[traduction]

 

Notes :

 

Cela a pour effet d’annuler Algoa Trust, [1984] 4 C.T.C. 2001 (C.C.I.), et Currie [2009] 1 C.T.C. 2139 (C.C.I.); mais, dans Zen, [2010] 6 C.T.C. 28 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 2011 CarswellNat 47 (C.S.C.), la C.A.F. laisse entendre que la décision Algoa Trust est erronée parce que « les dispositions de la section s’appliquent », aux cotisations établies en vertu du paragraphe 160(2) et que les intérêts sont de toute façon cumulés. L’ARC exige les intérêts à compter de la date de la cotisation, et non à compter de la date du transfert, selon VIEWS doc 2008-0287751E5 (mais dans la cotisation fondée sur l’article 160 il ne sera probablement pas tenu compte des intérêts dus par l’auteur du transfert). [...]

 

[14]Néanmoins, je souscris entièrement à la décision que le juge Archambault, de la présente cour, vient de rendre, sous le régime de la procédure générale, dans Christiane Gagnon c. La Reine, 2010 CCI 482. Le juge Archambault n’a pas suivi la décision Currie, et il a décidé que le ministre pouvait légitimement établir une cotisation à l’égard du bénéficiaire d’un transfert au titre des intérêts dus par l’auteur du transfert pour toute période postérieure au transfert, dans la mesure où il s’agissait d’intérêts se rapportant à un montant d’impôt dû pour l’année de cotisation au cours de laquelle le transfert avait eu lieu ou pour une année d’imposition antérieure. Je suis entièrement d’accord avec le juge Archambault lorsqu’il affirme qu’on ne saurait dire (comme l’a conclu le juge Rossiter) que dans la décision Algoa Trust, le juge Dussault a conclu que le bénéficiaire du transfert ne pouvait pas être tenu responsable des intérêts courus après l’année du transfert à l’égard de la dette fiscale de l’auteur du transfert.

 

[15]Dans la décision Gagnon, le juge Archambault a énoncé l’argument invoqué par la contribuable sur ce point (paragraphe 16) :

 

·        Si la dette fiscale comporte des intérêts

 

                  [16]         L’avocat de Mme Gagnon a soutenu que la cotisation ne pouvait viser qu’un montant de 14 855 $, à savoir uniquement le montant de l’impôt, et que les intérêts de 7 257 $ devaient être exclus puisqu’ils ne faisaient pas partie de la dette fiscale existant au cours de l’année du transfert. En effet, au 31 décembre 2001, aucune obligation n’existait à cet égard. Les intérêts ne couraient qu’à compter du 30 avril 2002. À l’appui de sa prétention, il a cité la décision du juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) dans l’affaire Currie c. Canada, 2008 CCI 338, [2008] A.C.I. n266 (QL), en particulier les paragraphes 22 et 27, que je reproduis ici10 :

                  _______________

 

                        10            Selon ce que je comprends des faits de cette affaire, les transferts de biens s’étaient effectués en 1996 et en 1999. Le cessionnaire avait fait l’objet d’une cotisation établie en vertu de l’article 160 le 3 février 2004. Le montant de la dette fiscale dont on l’avait tenu pour responsable s’élevait à 544 146 $, dont 321 444 $ au titre d’intérêts. De juillet 2004 à mars 2006, le cessionnaire avait versé un total de 620 289 $ au ministre (paragraphe 16 des motifs). Le cessionnaire se reconnaissait solidairement responsable, avec le cédant, de la dette de la succession jusqu’au 3 février 2004, date de la cotisation, mais soutenait ne pas être responsable des intérêts accumulés sur la dette entre le 3 février 2004 et la date du paiement. Par conséquent, il réclamait les intérêts payés en trop, soit les montants accumulés et payés après le 3 février 2004. Il reconnaissait ainsi devoir les intérêts courus après l’année d’imposition au cours de laquelle avait eu lieu le transfert. Toutefois, la Cour a annulé les intérêts à compter du 31 décembre de l’année du transfert.

 

      22     De toute évidence, le sous‑alinéa 160(1)e)(i) ne peut s’appliquer. Selon le sous‑alinéa 160(1)e)(ii), l’appelant est responsable de toutes les sommes que l’auteur du transfert, c’est-à-dire la succession, doit payer sous le régime de la Loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années – ce qui signifie les sommes dues au titre du transfert de la succession jusqu’au 31 décembre de l’année du transfert inclusivement. L’appelant est donc uniquement responsable des sommes pour lesquelles la succession était elle-même responsable aux termes du sous‑alinéa 160(1)e)(ii). Le transfert a très certainement eu lieu avant l’établissement de la cotisation n1. Par conséquent, la cotisation n1 doit être renvoyée au ministre pour nouveaux calculs et nouvel examen compte tenu du fait que l’appelant est uniquement responsable des sommes dues par l’auteur du transfert, c’est-à-dire la succession, jusqu’au 31 décembre de l’année du transfert inclusivement, et que sa responsabilité s’arrête là. Cela est certainement compatible avec la décision Algoa Trust, précitée. En outre, l’appelant demandait précisément le remboursement de la somme de 75 000 $ qu’il a payée à titre d’intérêts courus après la cotisation n1. Cette somme sera supprimée de la cotisation en conformité avec mes observations précédentes, et cette mesure est très certainement nécessaire pour respecter la décision Algoa Trust, précitée. Dans cette décision, M. le juge Dussault précise aux pages 2 et 3 que le ministre du Revenu national ne peut imposer des intérêts au bénéficiaire du transfert :

[...]

[3] Le principe énoncé à l’article 160 de la Loi n’a pas pour effet de créer une dette fiscale. La disposition n’a pas pour effet de créer une deuxième dette, il n’y a qu’une seule dette fiscale. Le libellé de la Loi est très clair : le but de l’article 160 est essentiellement d’ajouter un autre débiteur qui est solidaire avec l’auteur du transfert. Ce nouveau débiteur est désigné comme étant le bénéficiaire d’un transfert. Il n’y a donc pas de nouvelle dette créée en vertu de la Loi, et ce n’est pas la cotisation qui fait naître l’obligation, c’est la Loi elle-même. Ainsi, fondamentalement il n’y a qu’une seule dette et c’est cette seule dette qui peut porter intérêt.

[4] D’abord, le premier paragraphe de l’article 160 établit effectivement une responsabilité solidaire du bénéficiaire d’un transfert et sa responsabilité est limitée au moins élevé des deux montants que l’on retrouve aux deux sous‑alinéas 160(1)e)(i) et (ii), soit (i) la valeur du bien transféré moins la contrepartie et (ii), le total des montants que l’auteur doit payer au cours de l’année du transfert ou d’une année antérieure ou pour ces années-là, c’est‑à‑dire pour l’année du transfert et pour toutes les années antérieures.

[5] Deuxièmement, le paragraphe 160(2) stipule que le ministre du Revenu national (le « Ministre ») peut établir une cotisation à tout moment. Cela est aussi très clair. Toutefois à l’égard de chaque cotisation émise la limite fixée à l’alinéa 160(1)e) doit être respectée.

[6] Troisièmement, je dirais qu’il n’y a aucune disposition de la Loi concernant les intérêts qui peut être applicable concernant une cotisation émise en vertu de l’article 160 de la Loi. Cela est logique puisqu’il n’y a pas de nouvelle dette fiscale et que la cotisation en vertu de l’article 160 reflète déjà les intérêts que l’auteur du transfert devait en plus de l’impôt. La cotisation peut refléter aussi des pénalités et des intérêts sur les pénalités. [...]

27     L’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur le fondement que l’appelant n’a pas à payer les intérêts courus sur la dette de la succession après le 31 décembre de l’année du transfert.

 

[Je souligne.]

 

[16]Le juge Archambault a ensuite procédé à une analyse approfondie de ce point particulier, analyse à laquelle je souscris entièrement. Je reproduis ici le raisonnement qu’il a fait :

 

[17]         Comme toujours, il est important de citer les dispositions pertinentes de la Loi comme point de départ de toute analyse pour régler une question litigieuse d’interprétation :

 

160. (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

[...]

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)      l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

160. (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

 

[...]

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

 

(ii)    the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

 

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

 

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.

 

                                                                                          [Je souligne.]

 

[18]         À l’encontre de la décision rendue dans l’affaire Currie, l’avocate de l’intimée a invoqué la décision rendue en 1994 par le regretté juge Dussault dans l’affaire Montreuil c. R., 1994 CarswellNat 2034, [1994] A.C.I. n418 (QL), [1996] 1 C.T.C. 2182. Dans cette décision, qui n’est pas mentionnée dans l’affaire Currie, le juge Dussault adopte une interprétation du sous‑alinéa 160(1)e)(ii) qui est à l’opposé de celle adoptée dans l’affaire Currie. En effet, il conclut que cet alinéa vise « tous les intérêts qui s’accumulent sur une dette fiscale impayée pour une année d’imposition donnée antérieure au transfert ou pour l’année d’imposition au cours de laquelle le transfert a lieu que ceux-ci s’accumulent avant ou après l’année du transfert. » [Je souligne.] Voici l’analyse qu’a faite le juge Dussault pour justifier cette conclusion, aux paragraphes 43 à 46 CarswellNat (39 à 42 QL) :

 

      43     Sur la deuxième question, il importe au départ de rappeler qu’à la date du décès qui me paraît également être celle du transfert comme je l’ai indiqué plus haut, l’alinéa 160(1)e) de la Loi prescrivait qu’il y avait responsabilité conjointe et solidaire de l’auteur et du bénéficiaire d’un transfert jusqu’à concurrence du moins élevé des montants mentionnés aux sous‑alinéas 160(1)e)(i) et (ii) soit :

 

(i)   la fraction, si fraction il y a, de la juste valeur marchande des biens à la date du transfert qui est en sus de la juste valeur marchande à cette date de la contrepartie donnée pour le bien, et

 

(ii)  le total de tous les montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi à l’égard de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou de toute autre année d’imposition antérieure.

 

      44     Compte tenu des faits admis, la seule difficulté concerne ici l’interprétation du sous‑alinéa 160(1)e)(ii) aux fins d’établir la dette fiscale de l’auteur du transfert en vertu de cette disposition puisque celle-ci est utilisée comme l’un des paramètres pour déterminer le quantum de responsabilité du bénéficiaire. [...]

 

      45     Le paragraphe 161(1) de la Loi prescrit que des intérêts sont payables sur tout excédent d’impôt impayé pour une année d’imposition et qu’ils sont « calculés au taux prescrit pour la période pendant laquelle cet excédent est impayé ». En fait, les intérêts s’accumulent quotidiennement et, depuis 1987, sont composés quotidiennement en vertu du paragraphe 248(11) de la Loi. Le taux est prescrit par la Partie XLIII du Règlement de l’impôt sur le revenu. Les intérêts sont payables comme en dispose le paragraphe 161(1) tant que la dette pour une « année d’imposition » est impayée. Ainsi, la seule relation qui existe entre les intérêts sur une dette fiscale impayée et une « année d’imposition » donnée est justement celle qui est établie par le paragraphe 161(1) de la Loi en fonction du montant d’impôt impayé pour cette année d’imposition et « pour la période pendant laquelle » ce montant est impayé. L’impôt est le principal et les intérêts sont l’accessoire. En ce sens, les intérêts qui s’accumulent jusqu’au paiement complet sur un montant d’impôt impayé pour une « année d’imposition » donnée antérieure au transfert constituent, quelle que soit l’année au cours de laquelle ils s’accumulent, un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la Loi « à l’égard de » cette année d’imposition antérieure selon le libellé du sous‑alinéa 160(1)e)(ii) tel qu’il était applicable avant le 17 décembre 1987 ou « pour » cette année antérieure selon le libellé qui est applicable depuis cette date. En effet, le dictionnaire Bordas définit l’expression « à l’égard de » dans son sens usuel et moderne comme signifiant « envers » et « en ce qui concerne ». Par ailleurs, le Grand Robert de la langue française donne notamment au mot « pour » le sens de « en ce qui concerne » et de « par rapport à ». L’expression anglaise utilisée au sous‑alinéa 160(1)e)(ii) « in respect of » a le même sens et confirme à mon avis l’interprétation donnée à l’effet que ces expressions couvrent tous les intérêts qui s’accumulent sur une dette fiscale impayée pour une année d’imposition donnée antérieure au transfert ou pour l’année d’imposition au cours de laquelle le transfert a lieu que ceux-ci s’accumulent avant ou après l’année du transfert. D’ailleurs, on sait que les mots « in respect of » ont un sens très large tel que reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Nowegijick. Dans son jugement dans cette affaire, le juge Dickson, qui devait devenir plus tard juge en chef, analysait ces mots dans les termes suivants :

 

À mon avis, les mots « quant à » ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression « quant à » qui est la plus large.

 

      46     À mon avis, ceci est suffisant pour disposer du deuxième point. La question de savoir si un montant cotisé en vertu de l’article 160 porte lui-même intérêt par application de l’article 161 n’a pas été soulevé comme tel et ne fait pas directement l’objet du litige de telle sorte que je n’ai pas à me prononcer sur cette question.11

 

[Je souligne.]

______________

11    Il répondra à cette question dans l’affaire Algoa Trust c. Canada, [1998] A.C.I. no 292 (QL), 98 DTC 1614. Les notes infrapaginales du texte du juge Dussault ont été omises.

 

[19]         À mon avis cette interprétation du juge Dussault est tout à fait conforme au libellé du paragraphe 160(1) de la Loi. S’il est vrai, comme l’a conclu le juge Dussault, que l’expression « pour une de ces années » est assez large pour avoir le sens de « en ce qui concerne » ou  « par rapport à », la version anglaise du sous‑alinéa 160(1)e)(ii) ne laisse planer à aucun doute lorsqu’il définit la dette fiscale aux fins de l’article 160 comme étant « an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year ». Si l’expression « in respect of » était absente, on pourrait avoir raison d’affirmer que la dette fiscale est celle qui existait à la fin de l’année au cours de laquelle le transfert a eu lieu. Mais le législateur a de toute évidence voulu, en ajoutant « or in respect of », qu’une telle limite ne s’applique pas.

 

[20]         Non seulement cette interprétation du juge Dussault est plus conforme au libellé de l’article, mais elle est plus conforme aussi à l’intention du législateur. En effet, lorsqu’un contribuable transfère à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance un bien pour une contrepartie inférieure à la valeur marchande du bien, il se trouve à appauvrir son patrimoine d’un montant qui aurait pu servir au paiement de sa dette fiscale. La dette fiscale d’un contribuable ne se limite pas à l’impôt payable, mais comprend également les intérêts et, le cas échéant, les pénalités. Pourquoi le législateur aurait-il voulu que les autorités fiscales ne puissent pas recouvrer les intérêts dus par le débiteur fiscal si l’avantage reçu par le cessionnaire est suffisant pour lui permettre d’assumer une telle obligation?

 

[21]         En outre, je ne crois pas que le juge Dussault ait abandonné cette interprétation lorsqu’il a écrit ses motifs dans Algoa Trust qui sont mentionnés dans l’affaire Currie. D’une part, il ne l’a pas fait explicitement puisqu’il ne cite pas sa décision dans Montreuil. D’autre part, rien dans le raisonnement exposé dans ses motifs dans l’affaire Algoa Trust ne permet de croire qu’il a changé son interprétation du sous‑alinéa 160 (1)e)(ii) de la Loi.

 

[22]         Rappelons rapidement les faits de cette affaire. Algoa Trust était un actionnaire de la société Jaans. Cette dernière avait déclaré des dividendes totalisant 78 000 $ en mai et en septembre 1982 en faveur d’Algoa Trust. Au moment du transfert, Jaans avait une dette fiscale de 88 244,82 $ dont 21 952,37 $ au titre de l’impôt pour les années 1980 et 1981 et 66 292.45 $ au titre des intérêts (soit un montant plus de trois fois supérieur à l’impôt) à l’égard des années d’imposition 1978 à 1982. (Voir les motifs du juge Rip rendus dans l’affaire Algoa Trust c. Canada, [1993] A.C.I. no 15 (QL), 93 DTC 405 à la page 406.) Une des questions importantes en litige devant le juge Rip était de savoir si les dividendes constituaient un transfert de biens au sens de l’article 160. Le juge Rip a conclu que tel était le cas et a confirmé la cotisation qu’aurait établie le ministre en vertu de l’article 160. Toutefois, des paiements avaient été effectués par ou pour le compte de Jaans en réduction de sa dette fiscale et ces paiements avaient été affectés à des années d’imposition différentes de celles indiquées lors du paiement. En accueillant l’appel, le juge Rip a renvoyé l’avis de cotisation au ministre pour qu’on recalcule les intérêts en tenant compte de l’affectation qui avait été faite par l’auteur du paiement.

 

[23]         Dans la nouvelle cotisation résultant de la décision du juge Rip, le ministre a calculé un solde de dette fiscale de 25 278,60 $, mais Algoa Trust a contesté cette cotisation. C’est le juge Dussault qui a entendu l’appel. Au paragraphe 8 de ses motifs, le juge Dussault écrit que la dette fiscale de Jaans pour 1982 et les années antérieures s’élevait à 88 244,82 $, soit le même montant que celui mentionné par le juge Rip. Selon le juge Dussault, Algoa Trust avait versé une somme de 57 387,14 $ le 14 février 1991. (Voir le paragraphe 13 de sa décision.) Ce paiement n’a été reconnu qu’en 1993 et a été appliqué, rétroactivement au 14 février 1991, en réduction de la dette de Jaans. Comme l’avantage total dont avait joui Algoa Trust, tel qu’il a été déterminé en vertu du sous‑alinéa 160(1)e)(i) de la Loi, était de 78 000 $, le montant de la dette fiscale relativement auquel Algoa Trust pouvait être tenue pour solidairement responsable ne pouvait dépasser 78 000 $, même si la dette s’élevait à 88 244,82 $ et que les intérêts continuaient à courir. Ayant versé 57 387 $, Algoa Trust ne pouvait être tenue pour responsable du paiement d’un montant supérieur à 20 612,86 $ (78 000 $ - 57 387,14 $).

 

[24]         Par contre, rien dans les motifs du juge Dussault ne laisse croire qu’Algoa Trust ne pouvait être tenue pour responsable des intérêts courus à l’égard de la dette fiscale due après l’année du transfert. Bien au contraire, la cotisation en vertu de l’article 160 avait été établie le 20 novembre 1989. À cette date, des intérêts de 66 292 $ avaient été calculés à l’égard des années d’imposition 1978 à 1982. Comme le transfert avait été effectué en mai et en septembre 1982, il est fort probable que les intérêts de 66 292 $ à l’égard des années d’imposition 1978 à 1982 avaient trait à une période allant au‑delà de l’année 1982. En fait, il est fort probable que les intérêts ont été calculés jusqu’à la date de la cotisation établie le 20 novembre 1989 en vertu de l’article 160. Le juge Dussault écrit au paragraphe 14 qu’entre le 20 novembre 1989 (date de la cotisation) et le 14 février 1991 (date du paiement), la dette a augmenté à cause des intérêts et, par la suite la dette – réduite par le paiement de 57 387,14 $ – a continué, elle, de s’accroitre pour atteindre 26 810,36 $ au 21 décembre 1995 selon les calculs de l’agent de recouvrement. Il s’agit là de la date de la deuxième cotisation dont se trouvait saisi le juge Dussault. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 14 :

 

      Entre le 20 novembre 1989 (date de la cotisation) et le 14 février 1991, la dette totale augmente à cause des intérêts et par la suite, la dette réduite par le paiement de 57 387,14 $, continue, elle, de s’accroître pour devenir 26 810,36 $ au 21 décembre 1995 selon les calculs de monsieur Gélinas. Aujourd’hui, elle est peut-être de 32 000,00 $ ou 33 000,00 $, cela n’a, encore une fois, aucune importance. Si on cotisait aujourd’hui Algoa Trust pour la première fois et qu’on recevait le jour même un paiement de 57 387,14 $, il est évident qu’on ne pourrait tenir Algoa Trust responsable d’un montant supérieur à 20 612,86 $ en appliquant l’alinéa 160(1)e) et l’alinéa 160(3)a), c’est-à-dire la différence entre le montant établi sous l’alinéa 160(1)e), soit 78 000,00 $, et le montant déjà payé soit 57 387,14 $. Alors, même si on ne récupère pas, qu’on ne fait pas le recouvrement d’Algoa Trust avant 50 ans, on ne pourra jamais recouvrer, à mon avis, plus de 20 612,86 $.

 

[Je souligne.]

 

[25]         Pour bien saisir la portée des propos du juge Dussault, il faut comprendre qu’il fait une distinction entre les intérêts qui pourraient courir sur le montant établi en vertu de l’article 160 et ceux qui courent à l’égard de la dette fiscale du cédant (l’auteur du transfert). Tout ce que dit le juge Dussault, c’est que les intérêts ne courent pas dans le premier cas, mais qu’ils courent dans le deuxième. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 6 :

 

      6     Troisièmement, je dirais qu’il n’y a aucune disposition de la Loi concernant les intérêts qui peut être applicable concernant une cotisation émise en vertu de l’article 160 de la Loi. Cela est logique puisqu’il n’y a pas de nouvelle dette fiscale et que la cotisation en vertu de l’article 160 reflète déjà les intérêts que l’auteur du transfert devait en plus de l’impôt. La cotisation peut refléter aussi des pénalités et des intérêts sur les pénalités.

 

[Je souligne.]

 

[26]         Son raisonnement est clairement exposé au paragraphe 3 lorsqu’il écrit :

 

      3 Le principe énoncé à l’article 160 de la Loi n’a pas pour effet de créer une dette fiscale. La disposition n’a pas pour effet de créer une deuxième dette, il n’y a qu’une seule dette fiscale. Le libellé de la Loi est très clair : le but de l’article 160 est essentiellement d’ajouter un autre débiteur qui est solidaire avec l’auteur du transfert. Ce nouveau débiteur est désigné comme étant le bénéficiaire d’un transfert. Il n’y a donc pas de nouvelle dette créée en vertu de la Loi, et ce n’est pas la cotisation qui fait naître l’obligation, c’est la Loi elle-même. Ainsi, fondamentalement il n’y a qu’une seule dette et c’est cette seule dette qui peut porter intérêt.

 

[Je souligne.]

 

[27]         Le raisonnement du juge Dussault m’apparaît bien fondé. Si le ministre pouvait exiger de l’intérêt à l’égard du  montant établi en vertu de l’article 160, il pourrait en quelque sorte percevoir plus d’une fois de l’intérêt à l’égard de la même dette, une fois auprès du débiteur principal et une autre fois auprès du cessionnaire (débiteur solidaire). S’il y avait plusieurs cessionnaires, le ministre pourrait multiplier d’autant les intérêts. En outre, si des intérêts pouvaient être calculés sur le montant cotisé établi en vertu de l’article 160, cela pourrait avoir comme résultat que le montant que le cessionnaire peut être tenu de payer dépasserait le montant de l’avantage dont il a joui, ce qui va à l’encontre de l’esprit de l’article 160. Il serait inéquitable d’agir ainsi.

 

[28]          Par contre, rien n’empêche le ministre de tenir le cessionnaire pour responsable des intérêts dus par le cédant en vertu de l’article 160. Ainsi, il peut établir à l’égard du cessionnaire une cotisation exigeant de lui le paiement de l’intérêt dû par le cédant pour toute période subséquente à l’année du transfert, y compris, me semble‑t‑il, une période subséquente à la cotisation établie en vertu de l’article 160, dans la mesure où il s’agit d’intérêt dû par le cédant. Bien évidement, comme l’a décidé le juge Dussault dans Algoa Trust, ce montant d’intérêt ne pourra pas dépasser la limite prescrite par le sous‑alinéa 160(1)e)(i) de la Loi, à savoir celle de la valeur de l’avantage qu’il a reçu.

 

[29]         Par conséquent, il semble erroné d’affirmer que le juge Dussault a conclu qu’un cessionnaire ne peut être tenu pour responsable des intérêts qui courent après l’année du transfert relativement à la dette fiscale du cédant. Pour ces motifs, je conclus que Mme Gagnon est responsable du paiement des intérêts indiqués dans la cotisation établie par le ministre, à savoir les 7 257,73 $.

 

[17]Il n’y a pas grand-chose à ajouter au raisonnement que le juge Archambault a fait. Dans la décision Montreuil, précitée, (que la présente cour a suivie dans la décision Achtem v. M.N.R., 1995 CarswellNat 316), le juge Dussault a clairement interprété le sous‑alinéa 160(1)e)(ii) de façon que le bénéficiaire du transfert soit redevable du montant de l’impôt dû par l’auteur du transfert pour l’année d’imposition au cours de laquelle le transfert a eu lieu ou au cours d’une année d’imposition antérieure (y compris les pénalités établies et les intérêts courus, après l’année du transfert, sur la dette fiscale de l’auteur du transfert) jusqu’à concurrence du montant de l’avantage reçu par le bénéficiaire du transfert. Dans la décision Algoa Trust, précitée, le juge Dussault a conclu que l’impôt établi à l’égard du bénéficiaire du transfert en vertu de l’article 160 se rapportait à l’obligation fiscale de l’auteur du transfert, mais que la cotisation fondée sur l’article 160 elle‑même ne portait pas intérêt, étant donné que les intérêts étaient déjà inclus dans l’obligation fiscale de l’auteur du transfert. Selon l’interprétation que je donne au projet de modification du sous‑alinéa 160(1)e)(ii), la modification vise à annuler cette conclusion particulière qui a été faite dans la décision Algoa Trust. La façon dont le projet de modification est rédigé m’amène à conclure qu’il vise à ce qu’une cotisation fondée sur l’article 160 soit considérée comme une cotisation distincte à l’égard de laquelle des intérêts peuvent être cumulés. Compte tenu de la décision qui vient d’être rendue dans Zen c. Canada, 2010 CAF 1280, il ne serait peut‑être pas du tout nécessaire de modifier le sous‑alinéa 160(1)e)(ii). Toutefois, je crois comprendre que ce projet de modification ne vise pas à s’appliquer aux intérêts courus sur le montant d’impôt qui est dû par l’auteur du transfert, même après l’année du transfert, étant donné qu’il ressort clairement du libellé lui-même de la disposition que le bénéficiaire du transfert est solidairement responsable, avec l’auteur du transfert, du paiement du montant dû par ce dernier pour l’année d’imposition au cours de laquelle le transfert a eu lieu et pour toute année antérieure. Selon les décisions rendues dans les affaires Montreuil, Achtem et Gagnon, précitées, ce montant inclut les pénalités et tous les intérêts courus sur la dette de l’auteur du transfert à la date à laquelle le bénéficiaire du transfert fait l’objet d’une cotisation, mais ne peut pas dépasser la limite prescrite au sous‑alinéa 160(1)e)(i) de la LIR. Je ne suivrai pas le raisonnement qui a été fait dans la décision Currie (qui a été entendue sous le régime de la procédure informelle et qui, suivant l’article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, ne constitue pas un précédent), laquelle, à mon avis, ne correspond pas à ce que le juge Dussault a dit dans la décision Algoa Trust, précitée.

 

[18]À l’audience, j’ai également soulevé la question de savoir si une cotisation fondée sur l’article 160 peut s’appliquer à l’impôt provincial dû par l’auteur du transfert. L’appelant n’a pas contesté que cela pouvait être le cas, mais j’aimerais uniquement mentionner que pareil impôt est visé par la définition du « montant payable » au paragraphe 223(1) de la LIR, dans lequel cette expression est définie comme incluant un montant payable par une personne en application d’une loi d’une province avec laquelle le ministre des Finances a conclu un accord pour le recouvrement des impôts payables à la province en vertu de cette loi, ce qui est ici le cas.

 

[19]Je conclus donc que l’appelant est redevable, en vertu de l’article 160 de la LIR, du moindre des montants suivants : 1) le total des impôts, des pénalités et des intérêts courus sur la dette de la conjointe pour l’année d’imposition au cours de laquelle le transfert a eu lieu ou pour toute année d’imposition antérieure (9 011,78 $); et 2)  le montant de l’avantage reçu (soit le montant de 96 000 $, qui représente la juste valeur marchande de la propriété (171 000 $), moins la contrepartie versée à cet égard (75 000 $). Je ratifierai donc la cotisation de 9 011,78 $.

 

[20]L’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2011.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’avril 2011.

 

Marie-Christine Gervais


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 136

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-2251(IT)I

 

INTITULÉ :                                       GARY RICHARD

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 25 novembre 2010

 

OBSERVATIONS ÉCRITES

DE L’INTIMÉE :                               Le 15 décembre 2010

 

OBSERVATIONS ÉCRITES

DE L’APPELANT :                           Le 29 décembre 2010

 

RÉPLIQUE DE L’INTIMÉE :            Le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 3 mars 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Jill Chisholm

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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