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Dossier : 2011-2358(IT)I

ENTRE :

BELINDA J. SNOW,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 22 février 2012, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge J.M. Woods

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Robert Drummond

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

         L’appel relatif à des déterminations faites par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années de base 2005, 2006, 2007 et 2008 est accueilli, et les déterminations sont renvoyées au ministre pour nouvel examen et nouvelles déterminations en tenant compte du fait que l’appelante a été une résidente du Canada seulement au cours des années de base 2005 et 2006. Chaque partie assumera ses propres frais.

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 9e jour de mars 2012.

 

 

« J.M. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mai 2012.

Marie‑Christine Gervais


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 78

Date : 20120309

Dossier : 2011-2358(IT)I

 

ENTRE :

 

BELINDA J. SNOW,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Woods

 

[1]              En 2003, Belinda Snow a quitté le Canada avec son époux, Mark Lewis, et leurs deux enfants, afin que M. Lewis puisse faire des études à la maîtrise à l’Université d’Otago en Nouvelle‑Zélande. La famille est revenue au Canada en 2011 après que M. Lewis eut obtenu un doctorat à la même université. Il exerce maintenant sa profession en Alberta dans son domaine d’étude, la neuropsychologie clinique.

 

[2]              Pendant que Mme Snow était absente du Canada, elle a reçu des prestations pour enfants du gouvernement du Canada à l’égard de trois enfants. Les prestations comprenaient la prestation fiscale pour enfants et le crédit de taxe sur les produits et services qui sont prévus par la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). En 2010, le ministre du Revenu national a déterminé que Mme Snow n’avait pas droit à ces prestations compte tenu du fait qu’elle n’était pas une résidente du Canada pendant que la famille était en Nouvelle‑Zélande.

 

[3]              Mme Snow interjette appel de ces déterminations visant les années de base 2005, 2006 et 2007 pour ce qui concerne la prestation fiscale pour enfants et les années de base 2005, 2007 et 2008 pour ce qui concerne le crédit de taxe sur les produits et services.

 

[4]              Par souci de clarté, l’avis d’appel modifié mentionne deux autres prestations, soit la prestation pour enfants handicapés (la « PEH ») et le supplément de la prestation nationale pour enfants (le « SPNE »). Comme l’intimée l’a précisé dans ses observations écrites communiquées à la suite de l’audience, ces montants n’ont pas à être considérés séparément parce qu’ils font partie de la prestation fiscale pour enfants suivant l’article 122.61 de la Loi.

 

Contexte factuel

 

[5]              Mme Snow a quitté la Nouvelle-Zélande pour venir s’installer au Canada lorsqu’elle était enfant. Elle a grandi ici et a épousé un Canadien.

 

[6]              Tout juste avant que la famille quitte le Canada, elle vivait au sous-sol de la demeure de ses parents à Chilliwack, en Colombie‑Britannique. M. Lewis terminait des études de premier cycle à l’époque.

 

[7]              Après avoir obtenu son diplôme de premier cycle, M. Lewis a été admis à un programme de maîtrise à l’Université d’Otago. En 2003, la famille est partie pour la Nouvelle-Zélande précisément à cause de cela. Dès le départ, ils avaient prévu revenir un jour au Canada, où ils avaient leurs racines.

 

[8]              Après avoir séjourné en Nouvelle-Zélande pendant trois ans, M. Lewis a obtenu son diplôme de maîtrise et a décidé de poursuivre ses études au niveau du doctorat à la même université dans le domaine spécialisé de la neuropsychologie clinique. Il a obtenu un doctorat au terme de cinq autres années d’études.

 

[9]              Mme Snow et son époux avaient deux enfants avant de partir pour la Nouvelle‑Zélande, et ils en ont eu un troisième pendant qu’ils étaient là-bas.

 

[10]         Toutes les racines importantes de la famille étaient au Canada (amis et famille), et ils avaient toujours prévu revenir au Canada une fois les études de M. Lewis terminées. De fait, la famille est revenue tout de suite après que M. Lewis eut terminé ses études en mai 2011. Il a obtenu un poste en Alberta dans son domaine d’étude.

 

[11]         Avant 2003, la famille possédait relativement peu d’articles ménagers alors qu’elle habitait au sous-sol de la demeure appartenant aux parents de Mme Snow. Ils ont emporté en Nouvelle‑Zélande seulement ce qu’ils pouvaient mettre dans leurs valises.

 

[12]         En Nouvelle‑Zélande, Mme Snow a travaillé très occasionnellement. M. Lewis n’a pas travaillé avant les deux dernières années de son programme de doctorat.

 

[13]         Pendant que la famille était en Nouvelle‑Zélande, elle a vécu dans plusieurs logements différents. Mme Snow a affirmé qu’ils avaient vécu de façon plutôt spartiate parce qu’ils ne voulaient pas acquérir plus de biens qu’il n’en fallait afin de simplifier leur retour au Canada. J’admets ce témoignage.

 

[14]         La famille n’est pas venue au Canada durant son séjour de huit ans en Nouvelle‑Zélande. Mme Snow a affirmé que ses parents leur avaient souvent rendu visite étant donné qu’ils avaient des intérêts commerciaux en Nouvelle‑Zélande.

 

Analyse

 

[15]         Mme Snow soutient qu’elle est demeurée une résidente canadienne pour l’application de la Loi au cours des années de base mentionnées plus haut, soit 2005, 2006, 2007 et 2008.

 

[16]         Les principes juridiques applicables dans une affaire comme celle-ci ont été décrits par le juge en chef Bowman dans la décision Laurin c La Reine, 2006 CCI 634, 2007 DTC 236 (confirmée par 2008 CAF 58, 2008 DTC 6175). Au paragraphe 24 de cette décision, il est fait mention des commentaires du juge Rand dans Thomson v MNR, [1946] RCS 209, dans lesquels ce dernier explique la différence entre résider et séjourner.

 

[24]   Au paragraphe 47, le juge Rand poursuit ainsi :

 

[TRADUCTION]

 

[47] La progression par degrés en ce qui concerne le temps, l’objet, l’intention, la continuité et les autres circonstances pertinentes, montre que, dans le langage ordinaire, le terme « résidant » ne correspond pas à des éléments invariables qui doivent tous être présents dans chaque cas donné. Il est tout à fait impossible d’en donner une définition précise et applicable à tous les cas. Ce terme est très souple, et ses nuances nombreuses varient non seulement suivant le contexte de différentes matières, mais aussi suivant les différents aspects d’une même matière. Dans un cas donné, on y retrouve certains éléments, dans d’autres, on en trouve d’autres dont certains sont fréquents et certains autres nouveaux.

 

[48] L’expression « résidence habituelle » a un sens restrictif et, alors qu’à première vue elle implique une prépondérance dans le temps, les décisions rendues en vertu de la loi anglaise ont rejeté ce point de vue. On a jugé qu’il s’agit de résidence au cours du mode habituel de vie de la personne en question, par opposition à une résidence spéciale, occasionnelle ou fortuite. Pour appliquer le critère de la résidence habituelle, il faut donc examiner le mode général de vie.

 

[49] Aux fins de la législation de l’impôt sur le revenu, il est nécessaire de considérer que chaque personne a, en tout temps, une résidence. Il n’est pas nécessaire à cet effet qu’elle ait une maison ni un endroit particulier où elle demeure, ni même un abri. Elle peut dormir en plein air. Ce qui importe seul, c’est de déterminer dans l’espace les limites dans lesquelles elle passe sa vie ou auxquelles se rattache ce mode de vie ordonné ou coutumier. La meilleure façon d’apprécier la résidence habituelle est d’en examiner l’antithèse, la résidence occasionnelle, temporaire ou extraordinaire. Cette dernière semble nettement être non pas seulement temporaire et exceptionnelle quant à ses circonstances, mais s’accompagne également d’une notion de caractère provisoire et de retour.

 

[50] Mais dans les différentes situations de prétendues « résidences permanentes », « résidences temporaires », « résidences habituelles », « résidences principales » et ainsi de suite, les adjectifs n’influent pas sur le fait qu’il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu’auquel une personne s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question. Il se peut qu’elle soit limitée en durée dès le début ou qu’elle soit indéterminée, ou bien, dans la mesure envisagée, illimitée. Sur le plan inférieur, les expressions comportant le terme « résidence » doivent être distinguées, comme elles le sont je crois dans le langage ordinaire, du concept de « séjour » ou de « visite ».

 

[17]         Mme Snow et son époux ont présenté des éléments de preuve détaillés qui établissent clairement qu’ils avaient quitté le Canada uniquement pour que M. Lewis puisse faire des études supérieures dans une université en Nouvelle‑Zélande et qu’ils avaient toujours eu l’intention de s’établir au Canada par la suite. J’admets également le témoignage de M. Lewis selon lequel, lorsque la famille a quitté le Canada, il envisageait seulement de faire une maîtrise en Nouvelle‑Zélande, ce qui prend normalement environ deux ans.

 

[18]         J’admets sans difficulté que Mme Snow entendait revenir au Canada une fois que M. Lewis aurait terminé ses études. Cependant, elle a conservé très peu de liens de résidence avec le Canada durant son séjour en Nouvelle‑Zélande. La vraie question est celle de savoir si le séjour de la famille en Nouvelle‑Zélande avait un caractère provisoire, comme le juge Rand l’a décrit dans l’arrêt Thomson.

 

[19]         Si Mme Snow n’avait pas établi sa résidence en Nouvelle-Zélande en y ayant un mode de vie coutumier, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Thomson, elle aurait conservé sa résidence au Canada même si elle n’y était pas effectivement présente.

 

[20]         Si Mme Snow avait été absente du Canada pendant seulement quelques années, j’aurais conclu que son séjour en Nouvelle‑Zélande avait le caractère provisoire décrit dans l’arrêt Thomson. Elle aurait été décrite correctement comme une visiteuse en Nouvelle‑Zélande. Sa résidence habituelle serait demeurée le Canada. 

 

[21]         Le problème, cependant, c’est que les études de M. Lewis ont duré huit ans. Si j’ai du mal à admettre la thèse de Mme Snow, c’est parce que je ne suis pas convaincue que sa présence en Nouvelle‑Zélande est demeurée provisoire tout au long de cette période. À un moment donné, la famille a vraisemblablement adopté un mode de vie habituel en Nouvelle‑Zélande.

 

[22]         Dans les circonstances de la présente affaire, j’admettrai que le séjour de Mme Snow en Nouvelle‑Zélande a été provisoire durant la période où M. Lewis a fait ses études de maîtrise. La période était d’une durée suffisamment brève pour que les membres de la famille puissent être décrits comme des visiteurs durant cette période. En conséquence, Mme Snow est demeurée une résidente canadienne durant cette période.

 

[23]         Toutefois, lorsque M. Lewis a entrepris ses études au niveau du doctorat, je ne suis pas convaincue que le séjour de Mme Snow est demeuré provisoire. Cet engagement à plus long terme, survenant après que la famille eut séjourné en Nouvelle‑Zélande pendant trois ans, donne à penser que la famille s’est vraisemblablement établie en Nouvelle‑Zélande en y adoptant son mode de vie coutumier. Mme Snow avait peu de liens de résidence au Canada à ce moment‑là et elle a cessé d’être une résidente canadienne à ce moment.

 

[24]         Les éléments de preuve ne révèlent pas précisément à quel moment M. Lewis s’est inscrit au programme de doctorat. Faute de meilleure preuve, je présumerai que cela s’est produit à la fin de 2006 et que Mme Snow a cessé d’être une résidente du Canada à ce moment‑là.

 

[25]         Enfin, je tiens à formuler quelques commentaires au sujet d’une décision invoquée par Mme Snow, soit la décision Perlman c La Reine, 2010 CCI 658, 2011 DTC 1045. Dans cette affaire, il a été conclu que le contribuable avait été un résident du Canada durant une période où il avait étudié à l’étranger. La période d’études avait duré plus de 16 ans, ce qui est beaucoup plus long que la période dont il est question ici.

 

[26]         Déterminer le lieu de résidence d’une personne à des fins fiscales est une démarche qui dépend largement des faits. Il y a de nombreuses différences factuelles entre la situation de M. Perlman et celle de Mme Snow. En outre, un aspect particulièrement important de la décision Perlman est que la conclusion a été déterminée par une question de fardeau de preuve.

 

[27]         Au paragraphe 39 de la décision Perlman, le juge Boyle affirme :

 

   [39]  Bien qu’il s’agisse d’une affaire difficile, je me trouve dans l’obligation de conclure que, vu les éléments de preuve produits devant la Cour, éléments qui ont été entièrement produits directement ou indirectement par l’appelant, la Couronne n’a pu s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait et prouver à la Cour, suivant la prépondérance des probabilités, que M. Perlman n’était pas résident du Canada pendant la période pertinente. Par ce motif, l’appel est accueilli avec dépens.

 

[28]         Le fardeau de la preuve incombait à la Couronne dans l’affaire Perlman parce que le ministre ne s’était pas fondé sur la question de la résidence pour rendre sa décision originale. Dans la présente affaire, le ministre s’est appuyé sur la résidence au stade de la détermination. Mme Snow a donc le fardeau habituel d’établir une preuve prima facie.

 

[29]         En l’espèce, Mme Snow n’a pas démontré que son mode de vie coutumier n’était pas en Nouvelle‑Zélande durant les années 2007 et 2008 ou qu’elle avait conservé des liens de résidence suffisants au Canada pour continuer d’être une résidente du Canada pour l’application de la Loi.

 

[30]         En conséquence, l’appel sera accueilli, et les déterminations seront renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles déterminations en tenant compte du fait que Mme Snow a été une résidente du Canada seulement au cours des années de base 2005 et 2006.

 

[31]         Comme les parties ont chacune eu partiellement gain de cause, chaque partie assumera ses propres frais.

 

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 9e jour de mars 2012.

 

 

« J. M. Woods »

Juge Woods

 

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de mai 2012.

 

Marie‑Christine Gervais

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 78

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2011-2358(IT)I

 

INTITULÉ :                                       BELINDA J. SNOW c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 22 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.M. Woods

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 9 mars 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

MRobert Drummond

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                        Nom :                       

 

                    Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Ontario)

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